Le retour de Mustapha /part 2/ (pv)

Depuis quelques jours, Elina ne pouvait pas se débarrasser de ce sentiment de malaise qui la rongeait… Depuis quand exactement cela avait-il commencé ? Elle n’avait même pas besoin de réfléchir pour s’en souvenir… En effet, depuis qu’elle avait vu Mélodie, le jour où elle avait voulu présenter sa petite amie à elle et Lyra, ce mal-être ne cessait de l’angoisser. Cependant, la jeune suijin mettait ça sur le compte de la découverte de la nature des pouvoirs de sa jeune amie. En effet, depuis cette révélation, des images de la rencontre avec Mustapha réapparaissaient régulièrement dans sa tête, comme si elle avait voulu occulter cette période de sa vie sans s’en rendre compte, et que maintenant, la barrière derrière laquelle elle avait masqué ces souvenirs avait été brisée.

Il faut dire qu’une bonne partie de sa mémoire était quelque peu confuse quant aux évènements qui s’étaient déroulés ce jour funeste ou la vie d’une de ses camarades de classe avait été prise… Si elle pouvait se remémorer parfaitement tout ce qui s’était passé, le manque de ressenti associé au moment où elle avait pris son apparence divine pour la première fois la perturbait. Elle n’arrivait pas à ressentir l’effroi et l’horreur qui aurait dû normalement l’accabler une fois qu’elle s’était trouvée devant le charnier qu’était la planque de ce demi-dieu complètement fou… N’aurait-elle donc pas tout simplement rangé ces souvenirs dans un coin de sa tête, comme s’ils n’étaient pas importants ? Et que le fait de découvrir qu’une de ses proches était affiliée de près ou de loin à ce monstre les avait fait ressortir ? C’était plausible… Cependant, ce n’était pas la première fois depuis qu’elle s’était retrouvée face à d’autre Tsukuyomi, et jamais jusque-là les souvenirs de Mustapha s’étaient manifestés avec autant d’ardeur ! C’était presque comme si elle était passée à côté de lui dans la rue… Mais ça, elle en était sure, ce n’était pas possible ! Après tout, le demi-dieu cannibale devait croupir dans une cellule, les dieux savent où, de laquelle il ne sortirait jamais ! Mais alors, pourquoi avait-elle réagit de cette façon en voyant la magie de Mélodie…

Et puis, il y avait le comportement de Fenrir. Depuis ce jour-là, Elina sentait sa présence en permanence. Certes, elle avait toujours pu la sentir, mais c’était plus comme un sentiment lointain. Tandis que là, elle avait l’impression qu’il se tenait juste à côté d’elle, comme si en tendant la main, elle arriverait à sentir son pelage invisible. Bien qu’elle ne le voyait pas, elle savait qu’il était tendu, sur le qui-vive, comme si à tout instant, il allait surgir du néant pour se matérialiser, peu importe l’endroit où elle se trouvait. Prenait-elle trop à cœur l’avertissement qu’il lui avait donné ce jour où tout avait commencé ? Quoi qu’il en soit, le comportement de son familier n’était pas fait pour la rassurer…

Tout cela était donc à l’origine du sentiment de malaise qui la rongeait. Mais était-ce vraiment tout ? En effet, ce n’était pas la première fois que la demi-déesse se sentait ainsi oppressée… Si auparavant, elle ne s’en inquiétait pas outre mesure, avec le temps, elle avait fini par identifier ce sentiment comme les prémices d’évènement malheureux à venir. Était-ce une forme de pressentiment ? Ou bien une forme d’instinct qui lui permettait de sentir les malheurs avant qu’ils ne se produisent ? En tout cas, cela ne présageait rien de bon…

Ce fut donc dans cet état d’esprit particulier qu’Elina passa les jours qui suivirent la rencontre de Sakura. Si elle arrivait à donner le change à la plupart des personnes qu’elle côtoyait, il y en avait une pour qui rien de cela ne lui échappait. En effet, Sayu, elle, connaissait trop bien Elina que pour savoir que quelque chose n’allait pas… Cependant, comme elle ne parvenait pas à définir quel était le problème exactement, sa petite amie était bien en mal d’apaiser ses craintes. Cela ne l’empêchait pas d’essayer pourtant, et grâce à cela, Elina parvenait à garder le sourire. Et comme rien ne se passait, elle finissait par se convaincre que tout cela n’était qu’une coïncidence, et que rien de dramatique n’allait se produire. Malheureusement, l’avenir allait lui prouver une fois encore que la vie d’une descendante divine était rarement de tout repos…

Ce soir-là, Elina dormait du sommeil du juste, lovée contre sa petite amie que le sommeil avait emporté, elle aussi. Mais cela n’allait plus durer longtemps ! En effet, de petits coups secs portés à la porte de leur appartement eurent tôt fait d’arracher la jeune suijin du royaume des rêves… Grommelant en silence pour ne pas réveiller Sayu, qui était heureusement toujours endormie, elle se leva pour aller voir l’importun qui n’avait pas la décence de consulter sa montre pour constater l’heure, ou bien qui s’en fichait royalement. Ce dernier allait en prendre pour son grade… Cependant, lorsqu’elle ouvrit la porte avec une remarque acerbe sur le bout de la langue, elle eut tôt fait de se raviser. En effet, deux hommes en noir se trouvaient devant l’entrée… Ces êtres étaient emplis de mystère, mais s’il y avait bien une chose dont elle était sure à leur sujet, c’était que leur présence était rarement synonyme de bonnes nouvelles… Sitôt qu’elle posa ses yeux sur eux, le malaise qui l’avait rongé jusque-là se réveilla à son tour, lui nouant l’estomac avec la force d’une main gantée de fer. Machinalement, les images de sa dernière rencontre avec ces êtres mystérieux lui revinrent douloureusement en tête…

Cela faisait déjà quelques mois qu’Emily avait disparu, lors de cette tragique nuit où l’assaut avait été donné contre ce laboratoire où étaient réalisées ces infâmes expériences. Là aussi, deux hommes en noir était venus frappés à la porte, comme ils le faisaient aujourd’hui… On l’avait amené elle ne savait plus où, et on lui avait montré la dépouille de sa grande sœur. D’une façon ou d’une autre, ils avaient réussis à la retrouver. Malheureusement, il était trop tard… Les sentiments qu’elle éprouvait envers les hommes en noir étaient douloureusement mitigés : d’une part, elle leur en voulait de les avoir emmenés, elle et les autres demi-dieux de l’île, pour assaillir le complexe scientifique. Cela avait coûté la vie à sa grande sœur, et cela resterait une blessure vive à jamais. Mais d’un autre côté, c’était grâce à eux que bon nombre de demi-dieux étaient en vie à ce jour. C’était eux qui venaient les chercher pour les soustraire au danger que représentait le monde en dehors de l’île. Si elle était l’une des rares à voir les choses de cette façon, cela ne l’empêchait pas de ressentir une certaine forme de gratitude envers eux… et d’admiration. Mais cela, elle se gardait bien de le dire ! Car pour beaucoup, ils n’étaient rien d’autre que les personnes les ayant soustraits à leur famille…

Quoi qu’il en soit, leur présence ici n’était pas de bon augure, et ce fut donc avec les plus vives appréhensions qu’Elina attendit qu’ils énoncent la raison de leur présence ici, à cette heure si tardive… Malheureusement, une fois n’étant pas coutume, ce n’était pas de joyeuses nouvelles qui étaient annoncées… Cette fois, c’était au tour de Mélodie de subir les affres d’être en relation avec elle… Car oui, les personnes auxquelles Elina tenait avaient la fâcheuse tendance à être victime de situations dont on se passerait bien ! Est-ce qu’elle apportait le malheur ? Parfois, elle ne pouvait pas s’empêcher de le croire… Mais le moment n’était pas venu de se poser ce genre de question ! Ecoutant attentivement ce qu’on était venu lui demander, elle répondit avec sincérité à la question qu’on venait de lui poser :

- Oui, je… je la connais bien, c’est mon amie. Je l’ai vu il y a quelques jours… Vous pouvez me dire ce qu’il se passe ?

Elle manquait cruellement de détails concernant la situation, elle savait juste que Mélodie courrait un danger relatif. Qu’elle en soit la cause ou la victime, elle n’en avait pas la moindre idée. Malheureusement, elle doutait fort d’obtenir des réponses aux questions qu’elle pouvait poser. Les hommes en noir étaient comme ça : c’était eux qui posaient les questions ! Aussi, fut-elle des plus surprises lorsque, contre toute attente, on lui répondit :

- Son appartement a été saccagé, et elle est portée disparue. Nous ignorons ce qu’il s’est passé, mais ses voisins affirment avoir entendu des bruits de lutte. Nous pensons donc qu’elle a peut-être été enlevée. Auriez-vous une idée de qui aurait pu vouloir s’en prendre à elle ?

Enlevée !? Est-ce que la jeune fille avait vraiment été enlevée !? Malheureusement, si tel était le cas, elle aurait été bien en mal de pouvoir aider… Car Mélodie ne lui avait jamais parlé de qui que ce soit qu’elle pouvait réellement déclarer être son ennemi… Certes, il y avait bien ses camarades de classe avec qui elle ne s’entendait pas. Mais elle doutait fort que l’inimitié qui régnait entre elle et ses condisciples aille jusqu’à de telles extrémités… Un pervers alors ? Il fallait bien avouer que la demoiselle ne manquait pas de charme, mais elle ne lui avait jamais parlé de cela. Bref, elle se trouvait là sans élément pouvant aider à retrouver la jeune fille…

- Non, je ne crois pas… Enfin, je ne sais pas, je ne pense pas qu’elle avait des ennemis, en tout cas, elle ne m’en a jamais parlé…

Plus elle y pensait, plus elle trouvait cette histoire bizarre… Pourquoi était-ce les hommes en noir qui s’occupaient de cette affaire ? Normalement, ils n’intervenaient que lorsque la situation était critique… N’était-ce pas plutôt à la police de gérer cela ? Le malaise qu’elle avait ressenti jusque-là ne fit que s’intensifier. Qu’était-il donc arrivé à son amie ?

De toute évidence, le manque d’information de la part d’Elina provoquait une certaine forme de déception de la part des hommes en noir. Malheureusement, la demoiselle n’y pouvait rien : elle avait dit vrai en affirmant ne pas pouvoir aiguiller davantage leur enquête… Cependant, après une brève concertation silencieuse, une nouvelle inattendue fut lâchée ! Une autre disparition avait eu lieu, il y a quelques semaines de cela : une fille dont le nom ne disait rien à Elina, et vivant juste à côté de Mélodie, s’était volatilisée, elle aussi. Sauf que dans ce cas-là, l’une des suspectes n’était autre que… l’amie de la jeune suijin !

Impossible… Elina avait beau retourner cette information dans tous les sens, elle n’arrivait pas à s’imaginer Mélodie capable de faire disparaître quelqu’un, et ce de quelque façon que ce soit ! Pourtant, elle savait que les hommes en noir n’étaient pas du genre à poser des accusations sans fondement. Dès lors, il devait y avoir une certaine forme de vérité là-dessous… Cependant, la demoiselle n’en démordait pas ! Si Mélodie avait avoir quelque chose là-dedans, elle ne pouvait pas être coupable ! Il devait y avoir des circonstances particulières, si tant est qu’elle soit vraiment impliquée dans cette histoire… Cependant, il fallait bien avouer que ces deux disparitions semblaient liées. Mais la seule façon d’en être sure, c’était de poser la question directement à la principale intéressée ! Malheureusement, cela renvoyait au problème actuel…

C’est alors qu’un évènement imprévu se produisit : un bruit bizarre se faisait entendre derrière Elina… Un bref instant, la suijin se demanda si ce n’était pas tout simplement Sayu qui s’était réveillée à cause de leur discussion, et qui, intriguée, était venue voir de quoi il en retournait. Cependant, bien vite, elle comprit qu’il en était autrement… Les pas délicats de sa petite amie ne pouvaient définitivement pas être confondus avec cette espèce de crissement sinistre qui gagnait en intensité au fur et à mesure qu’il se rapprochait. Et finalement, une dizaine de myriapodes apparurent, de belle taille, guidés par on ne savait quoi. Avec un glapissement d’effroi, Elina ne put retenir un mouvement de recul en les voyant s’approcher d’elle. Elle n’avait pas particulièrement la phobie des insectes, mais ceux qui se trouvaient là n’étaient clairement pas de ceux que l’on pouvait croiser lors d’une balade en forêt : une magie sombre semblait contenue en eux… Rapidement, l’idée qu’il s’agisse de familiers lui vint en tête. Ils étaient trop… réels que pour être une simple création… Mais jamais elle n’avait imaginé qu’il puisse y avoir plusieurs familiers identiques ! En parlant de familier… Fenrir, bien que toujours sur le qui-vive, ne s’était pas matérialisé devant elle. Cela voulait donc dire que ces bestioles n’étaient pas menaçantes ? En effet, la vérité ne tarda pas à lui être dévoilée, sous la forme d’un message formé par les créatures qui venaient… de se démultiplier, en une forme moindre cependant. Cette masse grouillante d’insectes n’était pas franchement le genre de chose que l’on appréciait de voir si tôt après le réveil, mais la nature du message l’était encore moins !

« Mélodie en danger »

Tels étaient les mots qui s’étalaient devant leurs yeux… Certes, ce n’était pas vraiment une grande surprise, étant donné ce que les hommes en noir venaient de lui révéler concernant les circonstances de sa disparition. Cependant, voir ces craintes se confirmer n’était pas un motif de réjouissance pour autant ! D’autant qu’ensuite, une demande d’assistance apparut : Mélodie avait besoin d’aide ! Et bizarrement, Elina avait l’impression que ce message était lui était principalement destiné à elle, et non à ceux qui, normalement, étaient censés régler ce genre de situation… Est-ce que c’était un appel à l’aide que lui adressait spécialement sa kouhai ? Que ce fut le cas ou non, il fallait agir, et vite ! Aussi, Elina se rapprocha-t-elle des insectes, et tendit-elle sa main afin que l’un d’eux puisse y grimper, toute forme de réticence ayant disparu :

- Tu peux me guider jusqu’à elle ?

De toutes les personnes ici présentes, c’était sans conteste ces créature – ou bien cette créature, elle n’arrivait toujours pas à se décider – qui étaient les plus susceptibles de pouvoir l’amener jusqu’à son amie. Peu importait qu’elle soit ou non impliquée dans la disparition de sa voisine : tout ce qui comptait pour le moment, c’était de lui venir en aide ! Ensuite, seulement, viendrait le moment des révélations…

Si elle s’était préparée au contact du myriapode contre sa peau, Elina ne s’était cependant pas attendue à ce que ce dernier finisse par atteindre une taille aussi conséquente que celle qu’il venait d’adopter. Du petit insecte, il avait à présent l’apparence d’une créature que l’on préférait ne pas croiser… Aussi, lorsqu’elle grimpa le long de son bras pour se jucher sur ses épaules, la suijin n’en menait pas large… Cependant, elle passa outre ce sentiment, et laissa le familier s’enrouler autour d’elle, sans rechigner. Et de toute évidence, les hommes en noir étaient soulagés que ce n’étaient pas eux qui se trouvaient à sa place. Mais il fallait bien reconnaître qu’une fois qu’on s’était habitué à la sensation, elle n’était pas aussi désagréable. Il suffisait de ne pas penser que la créature pouvait d’un coup se diviser en une multitude de congénères de plus petite taille, qui grouilleraient sur tout son corps…

Maintenant qu’une piste était à portée de main, les hommes en noir étaient sur le pied de guerre. Et contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ils demandaient l’assistance d’Elina… Était-ce parce qu’ils craignaient que, sans elle, le familier refuse de les aider à retrouver Mélodie ? Quoi qu’il en soit, la demoiselle ne pouvait qu’accepter : même sans leur demande, elle avait bien l’intention d’aller aider son amie ! Elle ne pouvait décemment par rester les bras croisés alors qu’elle était en danger ! Et heureusement, elle n’allait pas devoir se fritter avec les autorités de l’île pour pouvoir le faire…

Cela étant réglé, il était temps de se mettre en route : ignorant à quel point la situation de Mélodie était précaire, ils ne pouvaient pas se permettre de gâcher du temps inutilement ! Cependant, l’un des compagnons d’Elina soulevait un point intéressant : comment se rendre là-bas ? Elle-même était partisante de faire appel à Fenrir pour les transporter, mais encore fallait-il que leur guide puisse permettre au loup de se diriger efficacement… La solution, cependant, serait autre : après avoir atteint une fenêtre de l’appartement, le myriapode de belle taille… indiqua la présence d’un autre myriapode, géant cette fois-ci. Décidemment, il ne cessait de gagner en taille ! Si ses versions « réduites » n’étaient pas très rassurantes, voir la version géante de la créature était limite effrayant… Heureusement, c’était un allié, et non un adversaire…

Leur transport étant tout trouvé, les hommes en noir, non sans une certaine réticence, allèrent grimper sur la tête de l’insecte géant, tandis qu’Elina, elle, s’accordait quelques minutes avant de les imiter. C’est qu’elle ne pouvait décemment pas sortir dans sa tenue actuelle ! Après avoir en vitesse enfilé une tenue qui serait plus indiquée, elle griffonna en vitesse un mot pour Sayu, qui continuait de dormir, qu’elle déposa délicatement à côté d’elle. Sans savoir pour combien de temps elle en aurait, elle préférait éviter qu’elle ne se réveille pour découvrir qu’elle avait disparu les dieux savent où. S’étant acquittée de cette tâche, elle grimpa à son tour sur la tête du myriapode, qui n’attendait que ça pour se mettre en route. L’instant d’après, ils étaient partis. Mais pour quelle destination ? Elina ignorait encore, à ce moment, que l’un de ses pires cauchemars allait se réaliser…

Le myriapode géant se déplaçait à une vitesse folle, à laquelle bien peu de mortels devaient être habitués. Heureusement, les voyages sur le dos de Fenrir avaient permis à Elina de ne plus se formaliser de ce genre de déplacement accéléré. Cependant, la demoiselle ignorait totalement où ils se dirigeaient… Les lumières de la ville avaient cédé depuis longtemps déjà à l’obscurité d’une nature dépourvue de tout éclairage artificiel. Elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter, car elle avait déjà eu l’occasion de constater qu’en général, rien de bon ne se passait en dehors des villes de l’île… Et le fait que Mélodie soit aux prises avec un danger n’aidait pas à se débarrasser de cette impression…

Et finalement, ils arrivèrent à destination… Après avoir sinué quelques instants à travers des bâtiments en ruines, Elina finit par percevoir un flot de pensées diverses. Elle balayait en continu les environs avec sa télépathie, et avait fini par percevoir un groupe conséquent de personnes rassemblées. Était-ce là que se trouvait Mélodie ? S’agissait-il de ses ravisseurs ? La réponse allait bientôt lui être donnée, même si ce n’était pas forcément celle à laquelle elle pensait… Avec fracas, le myriapode s’arrêta, provoquant la surprise parmi les rangs des personnes déjà présentes. Ceux-ci se trouvaient devant un trou fumant, trou qu’ils venaient probablement de créer… Mais pourquoi ? Qu’étaient-ils donc venus chercher ? Mais le but de leur présence ici n’importait que peu ! Le principal, c’était qu’elle venait de voir une personne dont les traits lui étaient familiers… En effet, une jeune femme ressemblant étrangement à Mélodie se trouvait au milieu de tous ces individus. Ce devait bien être elle, mais sous sa forme divine ! Elle avait donc déjà atteint un tel niveau de magie ? Mais, dans ce cas, pourquoi ne s’était-elle donc pas déjà échappée ? Non, elle devait s’apprêter à le faire au moment où elle était arrivée avec ses compagnons de route… Cependant, lorsqu’elle entendit la voix de cette dernière retentir, ses certitudes s’effondrèrent…

- Que la moitié les retienne et les empêche de nous suivre, les autres avec moi.

Elina eut du mal à encaisser le choc… Pourquoi diable venait-elle de prononcer ces mots ? On aurait dit que c’était elle qui donnait les ordres… Mais n’avait-elle pas été enlevée ? Les traces de lutte dans son appartement semblaient pourtant laisser penser cela… Mais alors, pourquoi… Elle avait beau retourner toutes ces questions dans sa tête, aucune réponse ne lui venait. Avait-elle donc une raison particulière de se trouver ici ? Et d’ailleurs, c’était quoi, cet endroit !? N’était-ce pas qu’un simple tas de ruines ? De toute évidence, non, sinon, tous ces bougres ne se seraient pas rassemblés en ces lieux ! Quelque chose lui disait qu’elle était la seule à ignorer ce qui se tramait ici…

Quoi qu’il en soit, une chose était sure : Elina et les deux hommes en noir se trouvaient face à une dizaine d’individus. Et ces derniers ne semblaient franchement pas amicaux… Preuve étant, une fois que Mélodie et une moitié de leurs se furent engouffrés dans le trou ouvert dans le sol, ceux-ci lancèrent immédiatement l’assaut. Elina sauta vivement de sa monture, esquivant ainsi un rocher fonçant droit sur elle. Elle dut amortir sa chute à l’aide de ses pouvoirs, et s’apprêta à défendre chèrement sa peau. Quoi que Mélodie soit partie faire, elle ne pourrait la rejoindre tant qu’elle ne parviendrait pas à franchir ces sales types…

Cela faisait longtemps qu’Elina ne s’était pas trouvée confrontée à des ennemis d’un niveau pareil. Si elle sentait bien qu’elle était plus puissante qu’eux individuellement, ensemble, ils formaient une force à ne pas sous-estimer. Heureusement, les deux hommes en noir qui l’avaient accompagnée étaient, eux aussi, d’une puissance conséquente. Cependant, s’ils contenaient bien les attaques de leurs adversaires, ils ne les écrasaient pas, comme on aurait pu le croire… Et leur façon de combattre ! En cet instant, ils ressemblaient à de simples demi-dieux, tout comme elle… Est-ce que c’était là la vraie nature de ces êtres mystérieux ? Enfin, ce n’était pas vraiment le moment d’essayer de faire la lumière là-dessus…

Bien que la plupart de leurs adversaires aient activés leur forme divine, Elina n’en ressentit pas la nécessité. Avec le soutien de ses compagnons d’armes, sa puissance sous son apparence normale était suffisante que pour résister sans peine. Mieux valait garder ses forces pour ce qui pouvait les attendre… Car désormais, elle savait ce qui se cachait dans les sous-sols de cette ville fantôme ! L’un des hommes en noir avait eu la bonté d’âme de l’avertir. Ainsi, c’était ici qu’étaient emmenés les criminels les plus dangereux de l’île… L’idée de se retrouver entourée de malfrats aussi malfaisants n’étaient pas vraiment de son goût, cependant, elle n’avait pas vraiment le choix : Mélodie se trouvait là-bas, aussi, devait-elle passer par là pour la rejoindre. Mais avant cela, il fallait d’abord réussir à passer…

La situation n’était pas vraiment des plus avantageuses pour le trio dont faisait partie Elina. L’un de leur adversaire, un Saruta ayant revêtu sa forme divine, gênait considérablement leurs mouvements en faisant jaillir des stalagmites du sol à chaque fois qu’ils avaient le malheur de poser pied à terre. Si bien qu’Elina, à force de devoir sautiller dans tous les sens, avait fini par se mettre sur une plateforme de glace qu’elle faisait léviter afin de se tenir hors de portée des pics de terre qui semblaient on ne peut plus prompt à la réduire en charpie. Cependant, cela faisait d’elle une cible privilégiée pour le reste des attaques… Heureusement, elle s’était entourée d’une protection aqueuse qui stoppait tous les assauts à son encontre. Ce faisant, elle faisait pleuvoir un déluge d’attaques sur ses assaillants également…

Le combat était acharné, et même avec le support du myriapode, les forces s’égalaient, et seuls deux de leurs adversaires avaient été neutralisés. C’est alors qu’elle l’entendit… La voix de Mélodie, empreinte de désespoir, qui l’implorait de venir à son secours. Un appel à l’aide télépathique, qui provenait des profondeurs de la prison… De toute évidence, elle se trouvait dans une situation vraiment dangereuse ! Et apparemment, elle n’était pas la seule à avoir perçu l’appel de détresse de la jeune fille. En effet, le myriapode commença à s’agiter davantage, cherchant à défoncer le sol pour rejoindre sa maitresse. Cette fois, le temps n’était plus à la prudence…

Sans plus attendre, Elina fit appel à sa forme divine, laissant une fois encore ses pouvoirs atteindre leur paroxysme. Peut-être sa puissance était-elle perceptible ? En tout cas, l’agitation gagna les rangs ennemis. Mais la demoiselle n’en avait rien à faire d’eux : son objectif, c’était de rejoindre Mélodie, et de l’aider. Comme à chaque fois, le sang-froid extraordinaire, proche de l’insensibilité, qui la gagnait lui donnait les idées claires. Elle savait exactement ce qu’elle devait faire pour réussir à passer… Tendant la main devant elle, elle fit jaillir du néant une quantité affolante d’eau : c’était une véritable vague de plusieurs mètres de haut qui déferlait droit vers tout le petit monde rassemblé ! Les plus rapides trouvèrent le moyen d’échapper à la déferlante qui leur fonçait dessus, tandis que les alliés de la suijin, eux, voyaient les flots se séparer afin de les épargner de sa frappe puissante… Les autres, par contre, reçurent l’attaque de plein fouet, et c’était des tonnes d’eau qui les frappait avec la force d’un camion lancé à pleine vitesse. Le choc était tel que, peut-être, certains y perdraient la vie. Cependant, leur constitution de demi-dieux devrait les prémunir de ce funeste destin. Et si tel n’était pas le cas, Elina n’en avait cure : vouloir épargner les vies de ses adversaires était tout à son honneur … Mais elle avait tellement perdu que, désormais, si elle devait sacrifier la vie de dizaines d’ennemis pour sauver une seule vie qui lui était chère, elle n’hésiterait plus. Si elle avait montré un peu moins de réticence à faire cela, peut-être qu’Emily serait toujours avec elle…

Sous la force de son attaque, seul trois demi-dieux ennemis étaient toujours en état de combattre. Les autres étaient soit inconscients, soit tellement blessés qu’ils leur étaient difficiles de simplement se relever. Ou morts. Elle se fichait bien de leur sort… Sous cette forme, il n’y avait pas de place pour les émotions, seul comptait la réalisation de ses objectifs. Désormais, le chemin était ouvert jusqu’au passage donnant sur le souterrain… Sans plus attendre, Elina se dirigea vers ce dernier, ce qui fit réagir les derniers adversaires encore debout. Cette fois, cependant, l’hésitation était claire dans leurs gestes : ils voulaient obéir aux ordres, mais hésitaient à se frotter à une descendante aussi puissante. Une voix, alors, jaillit dans sa tête :

« Nous nous occupons d’eux, va à l’intérieur ! C’est le chaos, là-dedans… »

L’un des hommes en noir, elle n’aurait pu dire lequel, venait de lui dire cela. Dans un coin de sa tête, elle remarqua que ce dernier avait fait appel au tutoiement plutôt que le vouvoiement, mais peu importait. Si, habituellement, elle n’aurait guère apprécié pareilles familiarités de la part d’un mâle étranger, ici, sa misandrie était mise en berne. Aussi, s’engouffra-t-elle par l’ouverture, ayant juste le temps d’entendre quelques mots avant de s’enfoncer dans le dédale de couloirs s’ouvrant devant elle, un ou plusieurs exemplaires du myriapode derrière ses talons :

- Il est temps qu’on passe aux choses sérieuses, nous aussi…

Son compagnon d’arme n’avait pas menti : c’était un vrai champ de bataille à l’intérieur ! Il y avait des corps inconscients un peu partout, sur son passage, certains remuant encore faiblement, sortant probablement de leur léthargie provoquée. Malheureusement, il semblait que l’attaque surprise et le renfort des prisonniers avaient laissés ces derniers vainqueurs de l’affrontement… Aussi, fut-ce plusieurs dizaines de mécréants qui se tenaient devant elle, lui bloquant une fois encore le passage. Devait-elle « arroser » ces derniers, comme elle l’avait fait auparavant ? Non, dans un endroit aussi confiné, elle risquait de provoquer trop de dégâts matériels, et ainsi empirer la situation… Mais elle ne voulait pas perdre davantage de temps, et s’occuper de tout ce petit monde risquait fort de la retarder de trop… Soudain, une voix familière résonna dans sa tête :

« Je vais m’en occuper »

Fenrir, son fidèle compagnon, étrangement silencieux jusqu’à présent, prenait la parole. Cependant, aussi puissant pouvait-il être, il risquait fort de se retrouver en difficulté face à cette horde d’ennemis : plusieurs d’entre eux étaient sous leurs formes divines, la situation était donc pire qu’elle ne l’avait été à l’extérieur… Cependant, le familier semblait avoir perçu l’hésitation de sa maîtresse, et s’empressa de la rassurer :

« N’aie crainte, je ne serai pas seul. Mes frères m’aideront. »

Se faisant, le loup se matérialisa, mais il n’arborait pas sa taille de géant, comme à son accoutumée. De la taille d’un loup normal, il s’avança devant sa maîtresse, et poussa un hurlement qui résonna au plus profond de son corps… Ce n’était pas un simple hurlement, comme il lui arrivait d’en pousser de temps à autre. Non, celui-ci était différent… Elle n’aurait su le décrire exactement, mais elle sentait que, dans ce dernier, une magie mystique était diffusée. Et elle se rendit vite compte qu’elle avait raison… Surgissant de la brume glacée qu’émettait le corps de son familier, plusieurs loups apparurent. Les premiers arboraient la même fourrure d’un blanc éclatant que Fenrir, et leurs yeux brillaient d’une intelligence semblable à celle de ce dernier. La seule différence, toutefois, était que leur esprit était purement animal, Elina le percevait bien. Était-ce là les frères que son familier avait évoqués ? Mais ils n’étaient pas les seuls à apparaître ! Derrière eux, une véritable meute de loups de tailles et couleurs différentes ne cessaient de surgir. De simples loups, qui avaient répondu à l’appel de Fenrir, eux aussi… Elina comprenait à présent pourquoi ce dernier paraissait si confiant : il était venu accompagné d’une véritable armée !

Sans qu’il n’ait fait le moindre geste, les loups blancs donnèrent l’assaut, suscitant immédiatement une réaction de la part des prisonniers. Les attaques, cependant, ne firent pas mouche : les loups s’étaient soudainement transformés en brume, et ces dernières les avaient donc tout simplement traversés. Et lorsqu’ils se rematérialisèrent, ils attaquèrent à leur tour. Apparemment, ils ne maitrisaient pas les éléments comme Fenrir, mais leurs griffes et crocs étaient, à eux seuls, des armes non négligeables… Une fois le premier assaut lancé, ce fut au tour des loups ordinaires de se joindre à la bataille. Les cris et les grognements emplirent l’air, se répercutant en tous sens, et avec une telle intensité qu’on devait les entendre dans toute la prison, si ce n’était en dehors de celle-ci. Désormais, plus personne ne prêtait attention à Elina, qui avait donc libre choix de poursuivre son chemin, ce à quoi Fenrir l’exhorta à faire :

« Nous allons nous occuper d’eux, toi, va sauver ton amie. Et ne t’inquiète pas pour nous : mes frères sont prêts à tomber au combat pour leur roi. Au plus vite tu reviendras, au moins il y aura de perte à déplorer… »

En effet, les premières victimes tombaient déjà : plusieurs loups ordinaires avaient déjà succombé aux attaques des demi-dieux, qui commençaient doucement à reprendre le dessus après la surprise de voir apparaître une meute de loups surgit de nulle part. Aussi, respecta-t-elle le courage de ses amis canins, et slaloma-t-elle entre les combattants, neutralisant autant d’adversaires que possible sur son passage. Enfin, les bruits de combats commencèrent à s’atténuer, alors qu’elle avançait plus profondément dans la prison…

Quelques minutes plus tard, elle perçut la présence de trois personnes, dont l’une lui était familière : Mélodie. Et étrangement, une autre ne lui était pas tout à fait étrangère… Mais elle ne parvenait cependant pas à mettre un nom sur cette dernière. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’au plus profond de son être, l’envie de rebrousser chemin commençait à se faire ressentir… Cependant, sa forme divine la prémunissait de cette envie, et elle continua à avancer, le halo lumineux de son être repoussant les ténèbres qui se voulaient de plus en plus épaisses… Et finalement, elle les rejoignit : Mélodie était là, figée, comme si son corps ne réagissait plus à rien. Était-il trop tard ? Heureusement non, car elle la vit tourner la tête dans sa direction. Son visage était inexpressif, comme si elle aussi n’était plus en proie aux sentiments qui faisaient d’elle un être humain. Mais, aussi malheureux que cela pouvait être, la présence de Mélodie fut rapidement éclipser par celle d’une autre personne…

Elina n’eut aucun mal à le reconnaître… Récemment encore, elle l’avait vu dans ses cauchemars… Il n’avait cessé de la hanter depuis leur première rencontre, il était devenu pour elle la parfaite incarnation de ce qu’était un monstre… Devant elle, se tenait Mustapha…

Malgré qu’elle soit sous sa forme divine, Elina put sentir qu’une sueur froide coulait sur diverses parties de son corps, sueur qui ne tarda pas à geler au contact de sa peau froide. Les battements de son cœur s’accélérèrent légèrement… Cependant, la peur ne vint pas. Oh, elle l’aurait probablement fait si elle n’était pas sous sa forme divine. La preuve étant, elle qui restait totalement impassible normalement, ressentait, certes de façon minime, un certain malaise à cause de la présence de son vieil ennemi… Mustapha pouvait se vanter d’avoir réussi par deux fois à forcer son corps à manifester malgré elle des émotions que son esprit ne ressentait pas…

Si Elina n’était guère enchantée, ce n’est rien de le dire, de revoir le Tsukuyomi, lui, au contraire, semblait plus que ravi. Outre son sourire malsain, les paroles qu’il prononça trahissaient cette joie qu’il ressentait avec ces retrouvailles. Cependant, ce plaisir n’était pas animé de bonnes intentions, loin de là… Inconsciemment, Elina fit un pas en arrière. Elle savait que cet homme voulait se venger… Pas besoin de lire dans son esprit tordu pour le savoir. Pas besoin de connaître les plans qu’il avait fomenté depuis sa libération. Le ton de sa voix, ainsi que la lueur mauvaise qui brillait dans ses yeux, étaient on ne peut plus évocateurs des sévices qu’il rêvait de lui faire subir. La seule déception qu’on pouvait ressentir était l’absence d’Emily. Il ne l’avait pas oublié, et aurait certainement voulu lui faire partager le même sort qu’à Elina. Malheureusement, quelqu’un d’autre s’en était déjà chargé…

L’évocation du nom de sa sœur eut un effet inattendu : une bouffée de colère la gagna… Cette fois, ce n’était pas son corps qui réagissait malgré le calme absolu de son esprit, mais bien ce dernier qui laissait un sentiment s’exprimer pour la première fois depuis qu’elle avait découvert ce pouvoir. Apparemment, même sous cette forme, il y avait certaines choses qu’elle ne pouvait pas laisser passer… Et l’idée que ce cinglé torture sa sœur, la dévorant à petit feu, en faisait partie… A cet instant, une voix résonna dans sa tête : c’était Mélodie qui expliquait qu’elle était possédée par le familier Mustapha, du moins était ce qu’elle concluait de ses dires. C’était donc cela la raison pour laquelle la demoiselle se comportait ainsi… Ce n’était tout simplement pas elle ! Pourquoi donc cette créature avait-elle choisi son amie ? Avait-elle découvert d’une façon ou d’une autre qu’elle était amie avec celle qui avait envoyé son maître en prison ? Était-ce parce qu’elle savait qu’Elina viendrait au secours de celle-ci qu’il avait décidé de la posséder ? Ou bien les raisons étaient tout autres ?

Une autre possibilité germa rapidement dans l’esprit d’Elina, alors qu’une attaque provenant de son amie se dirigeait droit sur elle. L’assaut était puissant, et sans la protection qu’elle dressa entre elle et ce dernier, les dégâts qu’elle aurait subis auraient pu la mettre hors combat. Était-ce également pour cela que la jeune fille avait été possédée ? Pour qu’elle devienne une arme contre laquelle Elina ne pourrait rien faire ? Car en effet, Elina ne serait pas en mesure d’attaquer son amie, quand bien même celle-ci l’attaquerait sans cesse… Une idée vraiment ignoble, digne d’un malade tel que Mustapha…

La situation d’Elina était passablement précaire : elle devait affronter Mustapha, qui à lui seul était un adversaire redoutable. Si Elina était devenue plus puissante qu’à l’époque de leur premier affrontement, elle était seule, à présent… Et cette fois, c’était elle qui était en infériorité numérique ! Car en plus de Mustapha, il y avait également Mélodie, qui était manipulée par ce maudit familier… Sans compter cette femme, qui se tenait aux côtés de son ennemi. Cette dernière dégageait une puissance non négligeable, peut-être même était-elle plus puissante que Mustapha ! Et une chose était sure : elle n’était pas son alliée… A trois contre un, il y avait des chances qu’elle ne l’emporte pas…

C’est alors qu’un secours inattendu fit son apparition : surgissant de l’ombre de Mélodie, le myriapode géant se matérialisa, et enserra de ses anneaux le corps de sa maitresse, l’immobilisant de cette façon. Privée de ses mouvements, Mélodie n’était plus une menace ! Cela serait du deux contre un, ce qui n’était certes toujours pas à son avantage, mais qui était cependant déjà plus équilibré… C’est alors que Mustapha passa à l’attaque…

Cependant, sa cible ne fut pas Elina, mais bien le familier qui tenait sa maitresse en respect. Craignait-il que sans Mélodie, lui et son acolyte ne parviennent pas à la neutraliser ? Elle n’était pas si puissante, à sa connaissance… Ou bien, peut-être voulait-il simplement jouir du plaisir de voir deux amies s’affronter dans un combat à mort ? Ça, il en était bien capable… Mais quel que soit ses desseins, Elina n’avait pas l’intention de le laisser atteindre son objectif ! D’un geste de la main, elle fit surgir ce qui ressemblait de prime abord à un mur d’eau, qui se dirigeait rapidement vers Mustapha. Cependant, ce dernier était de la finesse d’une simple feuille de papier… Le Tsukuyomi comprit alors que ce n’était pas qu’une simple protection, et il s’arrêta juste à temps pour éviter de se faire toucher par ce dernier. Grand bien lui en prit : car si l’on regardait attentivement le sol, on pouvait voir que ce dernier avait été tranché sur le passage de ce fameux mur d’eau… Nul doute que le demi-dieu aurait tout bonnement été tranché en deux s’il ne s’était pas stoppé. Sans attendre davantage, Elina se projeta à toute vitesse entre lui et le myriapode, s’interposant afin de l’empêcher de le blesser.

- Pas touche !

Le ton de sa voix, d’apparence calme, laissait entrevoir un léger trémolo de colère. Elle avait bien l’intention de protéger son allié si particulier ! Cependant, affronter Mustapha n’était pas une mince affaire, et si elle devait le faire tout en cherchant à protéger le myriapode, et par extension, Mélodie, cela risquait fort de lui coûter cher…

Bien décidée à protéger le familier de Mélodie, et par extension, cette dernière, Elina déploya un mur d’eau devant elle, gênant ainsi toute attaque directe à son encontre. Malheureusement, elle se doutait bien que cette protection ne dissuaderait pas Mustapha d’attaquer, cependant, cela l’obligerait à user de méthodes plus élaborées. Il n’en restait pas moins que cette protection avait le désavantage de limiter les actions de la demoiselle également… Déjà, elle devait maintenir un certain degré de concentration afin de la préserver, ce qui réduisait celle dont elle avait besoin afin d’observer ses adversaires. Mais aussi, ses propres attaques devraient, elles aussi, tenir compte de cet obstacle qui se dressait devant elle… Cependant, le vrai danger se trouvait ailleurs…

Elina savait que si le familier de Mustapha avait su prendre possession de Mélodie, il serait tout aussi capable de quitter son corps pour reprendre usage du sien uniquement. Cependant, elle pensait qu’il éviterait de libérer son otage, ainsi que son meilleur moyen de rendre la suijin impuissante. Grave erreur… Son attention focalisée sur ce qui se tenait devant elle, elle entendit alors un cri d’avertissement. Elle se retourna juste à temps pour voir un loup décharné lui foncer dessus… Si elle put éviter une blessure fatale, Elina ne s’en tira malheureusement pas sans dégâts. Si la mâchoire du loup s’était refermée sur le vide plutôt que sur sa gorge, ses griffes, elles, trouvèrent la peau de son dos, l’entaillant sérieusement. Les vêtements d’un blanc éclatant de la demi-déesse se tintèrent rapidement de rouge, mais heureusement, la blessure n’était pas trop grave… Cependant, l’hémorragie était suffisamment inquiétante pour qui faille la stopper avant que cela n’impacte sur l’état de la demoiselle. Aussi, gela-t-elle ses blessures, stoppant ainsi l’écoulement de sang.

Désormais, Elina se trouvait avec deux adversaires en face d’elle, et un troisième dans son dos… La situation aurait franchement pu être mieux… Si seulement elle avait pu se déchaîner ! Mais Mélodie étant présente, elle ne pouvait pas prendre le risque de la blesser dans la manœuvre… Malgré elle, elle se retrouva dans l’obligation d’annuler la protection qu’elle avait dressée : en pareille situation, elle ne pouvait pas se permettre de s’éparpiller de la sorte, elle avait besoin de toute son attention. Et cette dernière fut immédiatement mise à contribution : à peine avait-elle baissé le mur d’eau que Mustapha passait à l’attaque avec l’agilité d’un fauve. La vue du sang de sa proie semblait l’avoir galvanisé, et l’ardeur avec laquelle il l’attaquait n’en était qu’accrue… Ses mains désormais pourvue de griffes non moins menaçantes que celles de son familier, il tenta d’imiter ce dernier en cherchant à lacérer le corps de la demoiselle. Cependant, la contre-attaque d’Elina fut à la mesure de la situation : un geyser d’eau bouillante jaillit du sol, emportant avec lui Mustapha qui fut aplati contre le plafond. Avait-elle réussit à le neutraliser ? Malheureusement, le Tsukuyomi avait eu le temps de dresser une protection devant lui, réduisant à néant l’attaque de la demoiselle… Pendant ce temps, le loup décharné lançait lui aussi un assaut, cherchant une fois encore à l’atteindre dans son dos. Dans un mouvement qui ressemblait presque à un pas de valse, Elina évita l’attaque, et lança en retour un pic de glace de l’épaisseur d’un tronc d’arbre droit sur l’animal, qui s’enfonça dans les ombres afin d’esquiver ce dernier. Tous les deux alternaient ainsi les attaques, obligeant Elina à redoubler d’attention. D’autant plus que tous deux pouvaient surgir des ombres selon leur bon vouloir, ce qui obligeait la demoiselle à devoir réagir à la dernière seconde pour ne pas succomber sous les assauts de ses adversaires… Leur synchronisation était redoutable, comme pouvait l’être celle entre un demi-dieu et son familier. Le seul avantage, c’était que, désormais, Mélodie et le myriapode étaient totalement ignorés par ces deux-là…

Les attaques se succédaient, et gagnaient de plus en plus en vitesse et en précision. Il devenait de plus en plus difficile pour Elina d’esquiver ou de parer ces dernières, et déjà, quelques écorchures venaient s’ajouter à la blessure qu’elle avait déjà subie. Si cela continuait, il ne lui faudrait pas longtemps pour se prendre un coup dont elle ne se relèverait peut-être pas… De plus en plus, la colère la gagnait, elle qui était si impassible d’habitude sous cette forme. Elle était frustrée de voir que ses attaques ne portaient pas leur fruit, de ne pas pouvoir se déchaîner, que cet homme qui avait déjà fait tant de mal s’apprêtait à en faire à nouveau… Pourquoi donc était-on venu le faire évader ? Pourquoi avait-il fallu que Mélodie se retrouve impliquée là-dedans ? Pourquoi donc devait-elle se trouver à nouveau face à lui !? Alors que ces pensées ne cessaient de tourner en boucle dans sa tête, sans qu’elle n’en comprenne la raison, sa forme divine s’annula. Voyant cela, Mustapha eut un rire mauvais :

- Déjà à bout de forces ? Dommage, j’aurais aimé faire durer le plaisir plus longtemps… Mais ce n’est pas grave, il suffit de passer à d’autres… amusements.

Ce qu’impliquaient ces mots était redoutable, cependant, l’esprit d’Elina était loin de tout ça. Son corps était chaud, vraiment chaud, comme si un brasier s’était allumé en elle. La sensation était passablement désagréable… Elle avait l’impression que son sang était sur le point de bouillir, que sa peau était chauffée au fer blanc, comme si elle allait littéralement s’enflammée… Et, alors que Mustapha avançait à pas lents, jouissant d’avoir pris le dessus sur son adversaire, c’est ce qui finit par se passer ! Le corps tout entier d’Elina prit feu, comme si elle était entrée en combustion spontanée. L’espace d’un instant, la panique la gagna. Cependant, elle ne ressentait aucune douleur, alors même que de nombreux changements s’opéraient. Et lorsque les flammes se dissipèrent, une fois encore, la demoiselle arborait une apparence toute autre. Quelques flammes continuaient de courir le long de son corps, mais elle n’en ressentait qu’une agréable chaleur. Lorsque son regard se posa sur Mustapha, Elina put voir que ce dernier avait perdu de sa superbe. Et cela se comprenait ! Car désormais, il se trouvait face à la forme divine d’une Kagutsuchi… L’un de ses pires ennemis…

Elina prit grand plaisir à voir son adversaire esquisser un mouvement de recul. Ils étaient toujours à deux contre un, et même trois contre un si l’on comptait la femme qui ne s’était pas encore manifestée, mais de toute évidence, le Tsukuyomi avait revu à la baisse ses chances de victoire. Et en ce moment, la demoiselle ne serait pas celle qui le contredirait ! Elle débordait de confiance en elle, et en ses pouvoirs. Venir à bout de ces ennemis ne lui semblait plus si difficile, maintenant… Ce changement de comportement chez Mustapha déclencha un petit rire moqueur de sa part, ainsi qu’une remarque cinglante :

- A bout de forces ? Mais mon pauvre Mustapha, les choses ne font que commencer ! Prêt pour une valse enflammée ? Je te préviens, ça risque d’être chaud…

Ce faisant, elle fonça droit sur Mustapha, sa main droite embrasée dessinant un trait lumineux dans son sillage. Malheureusement, l’effet de surprise ne suffit pas à pétrifié son adversaire plus longtemps, ce dernier esquivant l’attaque d’un pas de côté. Mais Elina n’en resta pas là : lorsque son poing trouva le vide, elle fit s’étendre la flamme qui le recouvrait, créant ainsi un dôme de feu qui ressemblait à s’y méprendre à une explosion. Ne s’étant pas attendu à un enchaînement aussi rapide, Mustapha ne put  éviter ni parer l’attaque entièrement. Résultat : ses avant-bras venaient de subir de sévères brûlures. Voyant son maître à la merci de la demoiselle, le loup des ténèbres ne resta pas sans réagir ! Avec la rapidité d’une flèche, il bondit dans le dos d’Elina, bien décidé à lui arracher la tête cette fois-ci. Cependant, l’animal ne s’était pas attendu à se ramasser un sérieux coup en plein dans le flanc… Sous la force de l’impact, il fut projeté contre le mur, l’enfonçant sur plusieurs centimètres. Les queues d’Elina remuaient nerveusement, après avoir repoussé l’attaque du familier de Mustapha. Malheureusement pour lui, la défense arrière d’Elina était redoutable, et il en faisait les frais.

En entendant le glapissement de douleur de son familier, Mustapha poussa un cri rageur, et se lança à nouveau à l’attaque d’Elina. Il ne craignait plus de l’affronter, désormais, alors que son familier venait de prendre des dégâts. Cette fois-ci, cependant, il préférait se tenir à distance, afin d’avoir de la marge pour pouvoir éviter ses attaques. Aussi, lança-t-il une lame ténébreuse vers son adversaire. La lame fonçait à toute vitesse vers Elina, qui, juste avant qu’elle ne la touche, abattit son bras devant elle. Le bruit sourd d’un choc résonna dans l’air… Dans la main d’Elina se trouvait à présent une arme, avec laquelle elle venait de parer l’attaque de Mustapha. La hallebarde qu’elle venait de matérialiser avait un aspect particulièrement réel, contrairement à tout ce qu’elle avait pu créer jusqu’à présent. Quoi qu’il en soit, avec cette nouvelle arme, elle était fin prête à affronter tout ce que le Tsukuyomi pouvait lui envoyer.

Tout en affrontant Mustapha, Elina avait conscience que Mélodie ne restait pas inactive de son côté. Cependant, elle ne pouvait pas lui porter secours pour le moment. Elle avait les mains trop prises avec Mustapha et son familier, et surtout, prenait trop de plaisir à affronter les deux utilisateurs des ténèbres. L’exaltation de la bataille la gagnait… Elle n’avait pas de mal à faire face à ceux qui, juste avant, la malmenait si durement ! L’avantage du feu sur les ténèbres était évident : après s’être entouré d’un mur de feu, il était devenu impossible pour ses deux adversaires de surgir à nouveau des ombres, ces dernières étant effacées par l’intense lueur des flammes. Ils perdaient là leur principal atout dans cette bataille… Cependant, cela ne les empêchait pas de continuer leur attaque, ce qui amusait grandement la demoiselle. Mais elle devrait rapidement revoir ses priorités : un troisième adversaire voulait rejoindre la petite sauterie… La femme avec qui Mélodie était aux prises en avait assez de rester en retrait, surtout maintenant qu’elle voyait que son allié n’avait plus le dessus. Sur trois fronts, elle risquait une fois encore d’être dépassée, et ne pouvait clairement pas se le permettre… Il était donc temps de passer aux choses sérieuses !

L’espace dans lequel ils s’affrontaient était relativement confiné : une sorte de grand couloir, qui s’étendait sur des mètres et des mètres. Grâce à ça, Elina savait précisément ce qu’elle devait faire pour mettre Mustapha hors d’état de combattre… Elle tendit son bras devant elle, et, concentrant sa magie, et fit jaillir une flamme de la paume de sa main. Du moins, était-ce à quoi on aurait pu s’attendre… Car, loin de la petite flammèche, c’était carrément un torrent de flamme qui se déversait vers Mustapha ! L’intensité de l’attaque était telle qu’un souffle chaud et sec soufflait vers l’arrière, faisant voler les cheveux d’Elina comme si elle était en pleine tempête. Quant à ce qui se passait devant… Chaque recoin du couloir était envahi par le feu, qui avançait à une vitesse affolante vers sa proie, comme un rapace fondant sur un pauvre rongeur effrayé… Et ça devait être ce à quoi devait ressembler Mustapha, alors qu’un véritable brasier lui fonçait dessus… En désespoir de cause, il tendit devant lui une protection devant lui, mais quelle chance un mur fait de ténèbres pouvait bien avoir face à ce déluge de feu ? Et pourtant, lorsque les flammes la frappèrent, elle dura suffisamment longtemps que pour ces dernières s’étouffent. Que s’était-il donc passé ?

Lorsque la luminosité baissa suffisamment pour que l’on puisse y revoir, la vérité apparut alors : une grande forme fumante se trouvait entre Elina et Mustapha. Et ce n’était autre que le familier de ce dernier… Afin de protéger son maître de l’attaque, il avait fait écran, et avait donc subi les dégâts de plein fouet. La créature ne bougeait plus… Était-elle morte ? Dans un coin de sa tête, Elina se rendait compte qu’elle ne s’était jamais demandé si les familiers pouvaient vraiment mourir… Si tel était le cas, le loup ténébreux avait-il subi suffisamment de dommages que pour ne plus jamais se relever ?

La scène semblait aussi figée que ne l’était le corps fumant du familier de Mustapha. La puissante attaque d’Elina l’avait mis à terre, et ce, peut-être de façon définitive. Les yeux du Tsukuyomi étaient fixés dessus, comme s’il cherchait à accepter la vérité. Était-ce parce qu’il avait du mal à concevoir que son familier soit peut-être décédé ? Ou bien parce qu’il prenait conscience que, désormais, il avait un allié de moins à ses côtés pour affronter une adversaire qui le surclassait largement ?

En tout cas, désormais, Mustapha était à la merci d’Elina. Il se retrouvait seul, face à elle, sans que personne ne puisse s’interposer pour lui éviter le sort que la demoiselle pouvait lui réserver. Seul, oui, car sa dernière alliée avait tout bonnement fichu le camp ! Bel esprit d’entraide… Que devait-elle faire de lui ? Cette question tournait en boucle dans la tête d’Elina… De toute évidence, Mustapha avait compris qu’il ne servait à rien d’essayer de prendre le dessus sur son adversaire. Si bien qu’il se tenait coi, lui qui s’était montré si provocateur auparavant. Avait-il compris que, dans l’état actuel, Elina serait capable de lui ôter la vie si nécessaire ? Devait-elle confirmer ses craintes, ou bien simplement chercher à le restreindre ? La deuxième option était sans conteste la plus raisonnable… Après tout, elle n’était pas une tueuse, elle ! Oui, c’était ce qu’il convenait de faire…

Mais dans ce cas, pourquoi donc ne pouvait-elle s’empêcher d’hésiter ? Plus elle dévisageait Mustapha, plus la colère la gagnait. Cet homme était un monstre… Un véritable monstre, qui n’hésitait pas à tuer des personnes innocentes, et même à se repaître de leur chair ! Un tel individu ne devrait pas exister… Et puis, il s’en était déjà pris à Asami, et maintenant, c’était au tour de Mélodie ! Qui serait donc la prochaine personne de son entourage à subir la folie de cet homme ? Sayu ? Lyra ? Sa patronne ? Qui d’autre !? Est-ce que l’enfermer suffirait à le tenir à l’écart des personnes auxquelles elle tenait ? À peu de chose près, Elina aurait encore perdu une amie, et ce démon aurait été libre de recommencer… Et de toute évidence, il fomentait sa vengeance contre elle, si l’on en croyait ce qu’il lui avait dit lorsqu’il l’avait reconnu… Ce qui voulait dire qu’il ne s’arrêterait probablement jamais de la pourchasser. Et de s’en prendre à ses proches… Pouvait-elle vraiment courir le risque qu’il ne soit trop tard ?

Machinalement, Elina posa la pointe de sa hallebarde contre la gorge de Mustapha. Un léger grésillement, ainsi qu’une volute de fumée s’échappaient de l’endroit où le métal touchait la peau du Tsukuyomi. Apparemment, la lame était brûlante, comme chauffée à blanc… La grimace difficilement retenue sur son visage semblait prouver cette théorie, d’ailleurs. Il lui suffisait d’un simple geste, un petit mouvement vers l’avant, et plus jamais il ne représenterait une menace pour elle, ni pour qui que ce soit. C’était si facile… Elina sentait ses muscles se contracter, comme s’ils se préparaient pour le geste fatal. Ou bien était-ce justement pour l’empêcher de le faire ? Elle ne savait plus où elle en était… Cet homme méritait mille fois la mort, personne ne regretterait une pareille ordure. Et s’il y en avait pour le faire, c’est qu’ils étaient tout aussi dérangés que lui ! Un monstre pareil devrait disparaître…

Mais alors qu’elle ne parvenait toujours pas à se décider, les choses s’emballèrent à nouveau. De nouveaux individus firent irruption, mais instinctivement, elle sentait qu’il s’agissait d’alliés. Ou peut-être savait-elle que Fenrir n’aurait pas laissé passer quiconque aurait pu représenter une menace à son encontre ? Cependant, la quasi-totalité de son attention était focalisée sur Mustapha. Si elle voulait en finir avec lui, c’était maintenant qu’elle devait le faire ! Avant que quelqu’un ne cherche à l’en empêcher… Et, comme pour prouver ses dires, elle sentit une main se poser sur son épaule. Elle aurait facilement pu repousser l’individu à qui elle appartenait d’un simple mouvement de l’une de ses queues, mais elle n’en fit rien. Une voix familière se fit alors entendre :

- C’est fini…

Dans un coin de sa tête, elle chercha à identifier qui pouvait bien être le propriétaire de cette voix qu’elle avait déjà entendue. Après un bref instant de réflexion, elle reconnut l’un des hommes en noir qui étaient venus l’arracher à son sommeil, il y a de cela ce qu’il lui semblait être des jours et des jours. Il parlait d’une voix douce, presque paternelle, comme pour essayer de l’apaiser, mais malgré tout, l’arme d’Elina ne bougeait pas d'un pouce. Si elle répugnait à laisser cet homme la toucher, elle avait l’impression que sa main était, actuellement, tout ce qui la retenait d’achever son ennemi vaincu. Pourquoi donc ne pouvait-elle faire ce geste final, qui la libèrerait enfin de la menace de cet être abject ? Pourquoi sa résolution s’effritait-elle plutôt que de se raffermir ? Comme s’il avait pu lire ses pensées, ce qui devait d’ailleurs être le cas, l’homme en noir reprit la parole :

- Tu n’as pas besoin d’en arriver à de pareilles extrémités. Nous nous assurerons que, cette fois, plus jamais il ne parviendra à s’échapper, ni même d’essayer. Il ne te fera plus jamais de mal, ni à toi, ni à tes amies. Alors, pose ton arme…

Pour la première fois depuis qu’elle avait revêtu cette nouvelle forme divine, Elina fut parcouru d’un tremblement, qui se ressentit tout le long de son arme, ce qui entailla un peu plus la gorge de Mustapha. Pouvait-elle vraiment croire que cet homme ne serait plus jamais une menace ? Ce dernier n’avait pas dit un mot, mais son expression incertaine laissait deviner qu’il craignait réellement pour sa vie. Est-ce que la peur qu’il ressentait actuellement suffirait à le dissuader de réessayer quoi que ce soit à son encontre, même s’il devait finir par s’échapper ? Pouvait-elle vraiment croire que cela ne se reproduirait plus jamais ? Finalement, la raison finit par l’emporter, et Elina laissa retomber son arme, qui heurta le sol avec un bruit qui trahissait le poids de cette dernière. Presque aussitôt, elle repoussa la main de l’homme en noir d’une petite tape, afin de lui faire comprendre qu’elle n’appréciait pas ce genre de familiarité. Cependant, au fond d’elle, elle devait reconnaître que sans cela, elle aurait peut-être commis un meurtre de sang-froid…

Pendant que l’on s’occupait d’enchaîner à nouveau le prisonnier, Elina se dirigea machinalement vers Mélodie. Son esprit était encore tiraillé par la décision qu’elle venait de prendre : avait-elle bien fait de l’épargner ? La prison était-elle vraiment la meilleure solution pour ce monstre ? Peut-être pouvait-elle encore faire demi-tour, et terminer ce qu’elle n’avait pu achever ? Mais elle n’avait plus la force de s’y résoudre… Elle se sentait comme vidée, peut-être parce que ses forces physiques étaient sur le point de l’abandonner, ou peut-être aussi parce que tant de choses s’étaient passées en si peu de temps… Son réveil forcé, la révélation de la disparition de Mélodie, la façon d’agir de cette dernière lorsqu’elle était possédée par le familier de Mustapha, les retrouvailles avec ce dernier, la première partie de leur combat où elle était surpassée, la découverte de cette nouvelle forme divine, et enfin, ce choix draconien qu’elle avait dû faire… Cela devait l’avoir épuisé psychologiquement, aussi… Sans qu’elle ne s’en soit rendu compte, elle avait déjà parcouru la distance qui la séparait de son amie. Mélodie était entourée de deux hommes en noir, ainsi que du myriapode, qui continuait de la protéger de ses anneaux. Sans prêter attention ni aux uns, ni à l’autre, elle lui demanda :

- Est-ce que tu vas bien ?

Avec tout ce qui venait de lui arriver, la réponse la plus sincère aurait dû être non. On ne sortait pas indemne de ce genre d’évènement, elle-même était là pour en témoigner. Cependant, la force de l’habitude l’aidait désormais à relativiser ce genre de situation. Mais pour Mélodie, c’était la première que quelque chose de cette ampleur lui était imposé, ou du moins, le pensait-elle. Elle ne semblait pas grièvement blessée, mais ce qu’elle pouvait voir et ce qui en était réellement était différent.

La réponse de Mélodie n’avait rien de surprenant… Tous ces évènements avaient dû la chambouler, et peut-être que le contrecoup allait seulement la frapper de plein fouet d’ici peu. En ce moment, elle devait être comme anesthésiée, il devait lui être difficile de faire pleinement la part des choses juste après que la menace de mort imminente planant sur elle eut enfin disparue. Il y en avait un pour qui, en tout cas, la situation était claire : le myriapode géant retourna dans les ténèbres d’où il venait, l’épuisement ayant surement fini par le rattraper. Ce qui laissait Mélodie seule face à la situation. Seule ? Non, car Elina était toujours là, même si sa forme divine pouvait laisser penser qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre. D’ailleurs, il était peut-être temps pour elle de revenir à la normale…

Alors que les cendres qui recouvraient son corps finissait de tomber sur le sol, la demoiselle posa une question, une question à laquelle Elina n’avait aucune réponse à lui fournir… Qu’allait-il lui arriver ? Car malheureusement, elle était totalement impliquée dans cette tentative d’évasion de l’un des criminels les plus dangereux de l’île… Cependant, la sanction ne serait pas trop forte : après tout, elle avait été possédée, les hommes en noir en auraient certainement conscience non ? Ils savaient tout ce qui se passait sur Awashima, donc ce détail ne leur aura certainement pas échappé ! Cependant, Elina ignorait à quel point son amie s’était enlisée dans les ennuis… La réalité les rattrapa par la voix d’un homme, qui semblait être le plus âgé des hommes en noir ici présent. Son visage grave et fermé était typique de ce groupe, si bien que normalement, rien n’aurait dû le distinguer des autres. Cependant, il se dégageait de lui une aura d’autorité qui, naturellement, mena Elina à affirmer que ce devait être lui le chef. Le chef de quoi ? Elle n’aurait su le dire… Mais elle était cependant sure que sa place dans la hiérarchie des hommes en noir était plus grande que celle de tous les autres présents. Alors, d’un ton solennel, il déclara une terrible sentence :

- Mélodie Gravier, vous êtes accusée d’avoir causé la mort d’Eloïse Van Ruyckel, votre voisine de palier.

Elina savait qu’elle était suspectée d’avoir quelque chose à voir avec la disparition de cette fameuse jeune fille… Mais de là à penser qu’elle était carrément morte ! Et apparemment, les soupçons n’étaient plus de rigueur, il semblait certain qu’elle soit coupable. Mais à quel point était-elle coupable ? L’homme en noir avait dit « avoir causé », cela ne voulait pas forcément dire qu’elle l’avait… Non, Elina en était sure, Mélodie n’aurait jamais tué quelqu’un ! Du moins, pas de son libre arbitre…

- Attendez, Mélodie était possédée ! Elle n’est pas responsable de ce qu’il s’est passé !

Elina n’était pas sure que son intervention soit utile. Après tout, elle-même voyait la faiblesse de cet argument… Car la disparition, ou plutôt la mort, de la dénommée Eloïse s’était produite il y a un moment de cela… Or, Mélodie ne s’était pas comportée bizarrement depuis... Dès lors, pouvait-on vraiment affirmer qu’elle avait été possédée à ce moment-là ? La preuve étant que non, l’homme en noir lui lança un regard réprobateur, comme s’il cherchait à la sermonner, avant de rétorquer :

- Miss Volchkev, je vous saurais gré de nous épargner vos interventions inutiles. Nous n’avons pas pour habitude de porter d’accusation non vérifiée. Nous savons que Mademoiselle Gravier est celle qui a tué la victime.

La vérité était difficile à entendre, et pourtant, Elina ne pensait pas que l’homme en noir mente. D’ailleurs, Mélodie ne semblait pas particulièrement pressée de le contredire… Peut-être avait-il arraché la vérité de son esprit ? Alors, c’était vrai… Elle avait vraiment tué quelqu’un ? Non, il devait y avoir une raison, une explication… Là encore, Elina eut confirmation qu’elle avait vu juste, et ce fut toujours la même personne qui fut la voix de la vérité :

- Mademoiselle Gravier n’a pas volontairement provoqué la mort de la victime, cependant, c’est bien elle qui a porté le coup fatal. C’est donc bien elle qui est responsable de son décès.

Le ton de l’homme en noir ne souffrait aucune réplique. Posant les yeux sur son amie, elle ressentit une profonde frustration. Elle allait avoir de gros problème, avant une accusation de meurtre sur le dos… A quel point le côté involontaire était important ? A quel point cela allait pouvoir alléger sa sentence ? Allait-elle rester ici, dans cette prison ? L’inquiétude commençait à la ronger, et cela devait être encore pire pour Mélodie…

- Nous savons également que c’est un manque de maîtrise de sa magie qui est à l’origine de ce drame. Son pouvoir a évolué trop vite, elle n’a pas eu le temps d’apprendre à l’utiliser de façon optimale. C’est pourquoi il a été décidé de faire preuve de tolérance. Un superviseur lui sera assigné, et ce sera son rôle de lui apprendre à maîtriser pleinement sa magie. Mais au moindre faux pas, la sentence sera plus lourde…

Ce n’était pas aussi terrible que ce que l’on aurait pu croire ! Certes, cela ressemblait fort à un sursis, cependant, si Mélodie apprenait à bien maîtriser sa magie, elle n’y aurait pas d’autres suites ! Par contre, encore fallait-il qu’elle accepte de suivre les directives de son superviseur…

Qui allait donc avoir le rôle de superviseur ? Voilà une question tout à fait légitime que posait Mélodie. Car c’était aux mains de cette personne que son sort allait être remis… Intérieurement, Elina se disait qu’il valait mieux que ce ne soit pas le leader supposé des hommes en noir qui s’occupe de cela : il paraissait d’une sévérité peu commune, mais peut-être n’était-ce qu’une façade ? Le genre de personne qui joue les méchants afin d’en imposer, et ainsi se faire respecter, mais qui en fait est très gentille ? Enfin, aussi « gentille » que pouvait l’être un homme, bien sûr…

Cependant, ce n’était guère lui qui serait en charge de la demoiselle. Ni même un autre homme en noir, d’ailleurs… Car la personne désignée était toute autre…

- Ce sera Miss Volchkev qui aura pour tâche de s’assurer que vous ne représentiez plus un danger. Je pense que nous avons eu la confirmation qu’elle est en mesure de… « gérer » d’éventuels dérapages…

Le regard de l’homme en noir se dirigea vers Mustapha, qui était conduit elle ne savait où. Surement dans une nouvelle cellule, ou bien dans un endroit encore plus sécurisé, peut-être. Elina avait un peu de mal à digérer la nouvelle : on lui confiait l’apprentissage de la magie à Mélodie ? Ce n’était pas comme si cela la dérangeait : en endossant cette responsabilité, elle était sure qu’elle ne se retrouverait pas affublée d’une personne malhonnête, qui pourrait éventuellement abuser de sa position. Cependant, le sous-entendu était clair : si les choses tournaient mal, on s’attendait à ce qu’elle déploie tous les moyens nécessaires afin de maîtriser la situation. Et cela incluait de devoir user de ses propres pouvoirs pour s’assurer que Mélodie ne commette pas de nouveaux crimes… En était-elle capable ? Serait-elle vraiment capable d’attaquer son amie ? Une fois encore, ses pensées avaient dû être fouillées, car une fois encore, l’homme en noir reprit la parole :

- Nous savons que vous-même avez déjà eu des épisodes où votre magie devenait incontrôlable. Cependant, même lorsqu’elle débordait, vous avez réussi à en garder suffisamment le contrôle que pour que les choses ne deviennent pas ingérables. Nous espérons que vous réussirez à inculquer ce savoir à Mademoiselle Gravier…

Elina ne se souvenait que trop bien de ces fois où elle avait perdu le contrôle de sa magie… D’ailleurs, Emily avait failli devenir la première victime de ces débordements. Ainsi, ils savaient ça aussi ? En même temps, s’ils avaient pour habitude des fouiller les souvenirs des descendants divins, ce n’était pas vraiment difficile de connaître les détails de la vie de ces gens…

Le regard d’Elina se dirigea vers Mélodie : qu’en pensait-elle ? Elles étaient amies, certes. Cependant, l’amitié est censée se baser sur un rapport d’égalité. Or, dans ce cas-ci, Mélodie deviendrait, en quelque sorte, la disciple de la jeune suijin. Ce changement dans leur relation ne risquait-il pas de briser celle qu’elles partageaient précédemment ? D’autant plus que, maintenant, elle savait des choses sur le passé de son amie qu’elle aurait probablement voulu garder pour elle… Guettant une réaction de sa part, elle attendait que cette dernière manifeste son ressenti par rapport à cette nouvelle…

Mélodie exprima son accord, même si, au fond, elle n’avait pas le choix. C’était une sanction à laquelle elle devait se soumettre, une chance de ne pas finir entravée comme une criminelle qu’elle n’était pas. Enfin, ce dernier point était assez nébuleux, mais il ne faisait aucun doute qu’il n’y avait pas eu volonté de donner la mort. Peut-être accepterait-elle de lui en dire davantage plus tard, lorsqu’elles seraient seules, toutes les deux ?

Pour l’heure, cependant, Mélodie avait d’autres interrogations. Elle voulait savoir si, en plus du crime déjà imputé, on allait aussi lui attribuer une part de responsabilité pour tout ce qui avait trait à la tentative d’évasion qui venait d’avoir lieu. Elina estimait qu’il serait injuste de lui tenir rigueur de ces faits : ce n’était pas elle, mais uniquement son corps, qui avait agi ! Elle n’avait été qu’un instrument, un outil utilisé pour elle ne savait quelle obscure raison… C’était comme si l’on mettait derrière les verrous un marteau parce que quelqu’un avait utilisé ce dernier pour commettre un meurtre ! La comparaison n’était pas particulièrement flatteuse, mais elle exprimait bien toute la sottise d’une éventuelle sanction contre Mélodie pour cela. Heureusement, les autorités semblaient partager cet avis…

- Vous n’êtes pas considérée comme responsable des évènements de ce soir. La possession a été avérée, aussi, aucune sanction ne sera appliquée.

Elina poussa un léger soupir, afin de marquer son soulagement. Qui sait ce qu’on aurait pu lui demander de faire pour payer les actes qui venaient d’être commis ? Les personnes impliquées risquaient fort de le payer très cher, et elle préférait ne pas imaginer le sort qui leur était réservé. Après tout, ils s’étaient directement attaqués aux autorités de l’île, et ces dernières n’étaient surement pas assez clémentes que pour laisser passer un pareil affront.

- Vous pouvez rentrer chez vous, toutes les deux. Vous avez besoin de repos… Vous risquez cependant d’être contactées dans les jours à venir, pour complément d’information, surtout vous, Mademoiselle Gravier. Ah, il faudra aussi que tu nous fasses des rapports réguliers, Elina.

Cette dernière sursauta légèrement lorsque son prénom fut prononcé. Il s’agissait une fois encore de cet homme en noir qui était venu sonner à sa porte. Décidemment, il se montrait affreusement familier, ce type… Elle le constatait avec d’autant plus de force qu’elle pouvait comparer la façon dont il s’adressait à elle et celle dont il s’adressait à Mélodie… Soit, ils avaient été compagnons d’armes l’espace d’un instant, cela devait être pour ça. Et si elle n’appréciait guère cela, elle était trop fatiguée que pour le faire remarquer.

Les deux jeunes filles s’enfoncèrent dans le silence, un silence court, car peu de temps après, on leur annonça qu’une voiture les attendait pour les ramener vers la civilisation. Sur le chemin menant à la surface, Elina put voir de nombreux blessés, principalement des prisonniers. Il y avait bien quelques hommes en noir assis, recevant les premiers secours, mais aucun ne semblait avoir reçu de blessure fatale. Une bonne nouvelle, surtout pour Mélodie qui n’aurait pas à supporter le doute de savoir si c’était elle qui avait fait cela. Rapidement, elles débouchèrent là où Elina s’était séparée de Fenrir, et elle fut ravie de le retrouver. Il y avait quelques corps de loups inertes éparpillés, mais lui était indemne. Elle caressa affectueusement la tête de son familier, et ce dernier se volatilisa, satisfait d’avoir vu sa maitresse saine et sauve. Certes, elle avait été blessée dans le dos, mais ses blessures avaient cicatrisé lorsqu’elle avait changé de forme divine. Malheureusement, le risque qu’il reste des marques était non négligeable, mais c’était un faible prix à payer que pour sauver une amie. Enfin, elles arrivèrent à l’extérieur, où une voiture les attendait bel et bien. À cet instant, Elina se rappela un détail : l’appartement de Mélodie avait été saccagé. Allait-elle vraiment pouvoir dormir là-bas ? Et même, le voudrait-elle seulement ? Après tout, c’était là-bas qu’elle avait était enlevé, du moins, c’était facile d’en arriver à cette conclusion. Dès lors, y trouver le sommeil risquait d’être difficile, surtout avec les évènements qui venaient d’avoir lieu. D’autant plus qu’elle voudrait peut-être éviter de se retrouver seule…

- Tu vas dormir où ?

Si elle le voulait, elle était prête à lui offrir une place dans son appartement. Certes, Sayu avait son mot à dire, mais vu les circonstances, elle ne lui tiendrait probablement pas rigueur de s’être accordée cette liberté. Maintenant, peut-être que Mélodie avait d’autres solutions qui s’ouvraient à elle…