Hola Chica [Soliana/Nando]

Cela faisait presque une semaine que Nando avait été kidnappé et s’était retrouvé sur cette île bizarre. Les premiers jours furent pénibles, il fallut se dépatouiller avec l’agence immobilière pour avoir au moins une place où dormir et afin de payer celle-ci, il fallait qu’il trouve un boulot. Bien heureusement pour lui, l’île était en plein développement, les ouvriers comme lui, en plus d’être rares, étaient nécessaires. Nando devait tout de même se faire à l’idée qu’il allait gagner une misère comme en Espagne. Mais, les problèmes ne s’arrêtaient pas là pour le délinquant. Si le tabac et l’alcool se vendaient légalement, il n’avait pas vu où trouver ces petits suppléments qu’il adorait. Certes dans sa valise, il avait un bon stock, mais ce n’était pas suffisant pour une vie. Sa première quête commença alors. Rien de noble dans celle-ci, mais il pourrait en dégager des fonds supplémentaires en cas de succès. A peine arrivé qu’il prenait déjà la pente descendante.

Après son deuxième jour de travail, il prit les transports en commun, n’ayant largement pas assez pour prendre une moto ici, afin de se rendre à Kousha. Il s’agissait de la cité universitaire, cet endroit réunissait tous les enfants, adolescents et étudiants de l’île. Il y avait de tout là-bas, de la maternelle au doctorat, Nando s’était alors dit qu’il s’agissait du meilleur endroit pour trouver des informations sur tout ce qui l’intéressait, ce n’était pas comme si il y avait un office du tourisme à Amishawa.


Le but de cette excursion était simple, trouver des informations précises sur la pousse de ses plantes, ainsi que de se renseigner sur les lois de l’île. Nando avait beaucoup à faire en réalité, lui qui envisageait d’un jour commencer la fac en chimie et/ou botanique. Il voulait profiter de cette occasion pour prendre le programme de l’école et voir les conditions d’accès. Peut-être que l’université lui permettrait de trouver des amis ou des ennemis. Même s’il avait été très occupé par l’administration et son boulot durant cette première semaine, Nando était seul, il se rendit compte qu’il ne verrait plus sa sœur à moins que cette idiote ne découvre des pouvoirs et pareil pour ses amis. Repartir à zéro n’avait jamais eu autant de sens pour lui.

Il poussa les portes de la bibliothèque, elle fermait dans une demi-heure selon les inscriptions sur la devanture. Il observa autour de lui, principalement des jeunes comme lui avait élu la bibliothèque comme point d’études, sûrement des lycéens, des universitaires et autres fan de l’école. Il ne se fit pas trop remarquer pour l’instant. Il était habillé sobrement, d’une veste d’automne malgré la pluie, d’un jean noir, la seule chose a remarquer était qu’il était mouillé. Il retira sa veste, dévoilant un maillot du réal blanc à manche courtes et se dirigea au comptoir, portant une cigarette à sa bouche et l’allumant, l’air de rien. Il attendit qu’une personne vienne l’accueillir et c’est une jeune demoiselle qui montra le bout de son nez, de son âge peut-être un peu plus vieille, il n’en savait rien. Les yeux verts, les cheveux bleus, il n’attendit pas qu’elle lui adresse la parole avant de s’imposer.

« Hola chica ! Se… Humm »

Oui, il fallait qu’il s’habitue à ne plus parler espagnol au quotidien, heureusement pour lui, il avait une maîtrise poussé des langues européennes et passait de l’une à l’autre ne demandait pas tant d’effort que ça. Après un petit rire, il s’excusa, toujours en train de fumer à l’intérieur. Il avait délibérément éviter le panneau du regard.

« Désolé, j’viens d’arriver sur c’t’île, faut que j’m’adapte… M’enfin, je cherche des trucs spéciaux, j’parle à la bonne personne ?  »

Les vacances sont bientôt là... Il faudra que j'aille proposer mes services à la bibliothèque pendant leur durée, je n'ai pas envie de passer encore des vacances à ne rien faire. Mais bon, pour l'instant, je dois aller y travailler, de toutes manières, alors, autant faire d'une pierre deux coups. Je suis sur le point de sortir de l'appartement, quand je reçois un appel. Ma fidèle amie du cours de portugais. Je décroche, et entends immédiatement sa voix énergique :

- Coucou ! Comme on n'a pas cours, on pourrait faire un truc ensemble ? J'ai pensé à...

- Je dois travailler. J'étais sur le point de partir.

Un peu brusque, je sais. Mais tant pis. Elle me connaît, elle sait que je n'aime pas beaucoup être dérangée quand je veux me concentrer sur quelque chose. Sans plus m'inquiéter, je raccroche et sors.

Une fois arrivée, je remarque que le propriétaire de la bibliothèque est là. Parfait, je vais pouvoir négocier. On va discuter dans son bureau, et, comme prévu, il n'est pas difficile à convaincre. Après tout, les étudiants sérieux qui profitent de leurs vacances pour venir étudier à la bibliothèque ne sont pas rares, et de toutes façons, il n'y a jamais trop de personnel.

Puis, cette formalité terminée, je cherche du travail. D'habitude, je m'occupe surtout de l'accueil et du rangement des livres... Et, bien sûr, je renseigne les visiteurs qui me le demandent. Et je croise une employée :

- Tiens, bonjour, Soliana. Je vais prendre ma pause, tu peux me remplacer à l'accueil ?

C'est celle de mes fonctions que j'aime le moins, car elle me force à parler, mais je hoche quand même la tête. Je viens de m'offrir pour travailler plus, autant prouver que je suis vraiment motivée. Je me dirige donc vers le lieu laissé désert quelques instants... Et remarque tout de suite l'intrus. D'accord, dans une bibliothèque, tout le monde est le bienvenu... Sauf les fumeurs. Je me dirige vers lui d'un pas vif, bien décidée à le chasser ou lui faire éteindre sa cigarette, mais il me coupe la parole avant que je n'aie pu prononcer le moindre mot. Ok, on ne va pas s'entendre... Mais je me dois de l'écouter quand même. Si j'étais commerçante, je dirais que c'est un client. Il pose des questions... Que j'ai beaucoup de mal à comprendre. Déjà que je ne maîtrise pas très bien l'anglais courant, alors le sien... Aucun moyen. Mais bon, j'ai cru comprendre qu'il a la même langue maternelle que moi, on pourra donc s'en servir pour communiquer.

- Podemos hablar español. Y es prohibido fumar.

Je ne lui dis rien de plus. Je n'en ai aucune envie. Et puis, après tout, il ne m'a posé aucune vraie question. Enfin, si je veux lui répondre au final, il faudrait peut-être que je lui dise que je n'ai rien compris...

- Y no entiendo SU inglés. Tiene que pregunterme lo que quería de nuevo.

Même si c'est avec un individu que je devine détestable, ça me fait plaisir de parler de nouveau espagnol. Enfin, ne nous laissons pas émouvoir. Cette fois, je pense que je vais devoir me montrer inflexible, quelque chose me dit qu'il n'acceptera pas si facilement de respecter les règles... Et qu'il ne m'expliquera pas patiemment ce qu'il voulait dire. Je vais devoir m'imposer, même si je n'aime pas ça.

En examinant le visage de son interlocutrice, Nando comprit qu’elle n’était pas très contente de son attitude, pire que ça, elle ne l’avait pas forcément compris. L’espagnol avait quelques problèmes avec l’autorité et son action avait été quasiment automatique. La jeune fille le regarda simplement alors qu’il posait son coude sur le comptoir, puis lui indiqua qu’il était interdit de fumer. C’était bien la peine de faire l’effort de parler anglais alors que l’hôtesse parlait espagnol. Elle ne rajouta rien et le regard agressif de Nando plongea dans le sien. Il prit une grande inspiration avant de tourner la tête vers la pancarte qu’il avait auparavant évité.

« Ah. »

Il prit tout de même une autre latte sur sa sucette à cancer avant d’écraser le bout fumant sur son jean. Nando finit par jeter le mégot mouillé par son vêtements, tentant un tir à trois points vers la poubelle qui bien heureusement pour lui, fut couronné de réussite. Expulsant la fumée de ses poumons, il se retourna vers son hôtesse. Elle lui demandait de répéter sa demande car elle n’avait pas compris son anglais. Nando fronça les sourcils avant de soupirer à nouveau.

« Pensé que mi inglés era bastante bueno… Lo Siento. »

Il s’excusa pour la clope sans vraiment avoir l’air désolé, il était plus préoccupé par le fait qu’il avait du gâcher la moitié de sa cigarette et qu’en plus, il ne pouvait pas fumer dehors. Le jeune homme était calme malgré ses futures demandes. La fille en face de lui ne semblait pas être aussi ‘détente’ que lui, c’était compréhensible, elle travaillait ici, mais elle lui semblait un peu coincé à premier abord.

« Estaba diciendo, ¿puedes ayudarme? Soy nuevo aquí y necesito ... información »

Le garçon devait décider ce qu’il voulait étudier en premier, s’il allait choisir le programme de chimie, les manuels d’explication pour faire pousser des plantes exotiques ou encore un résumé des lois de cette île. Il fit mine de réfléchir quelques instants, prenant son temps devant l’hispanophone. Il allait tout demander en même temps.

« ¿Sabes dónde puedo encontrar libros sobre plantas ... plantas exóticas?
Y sobre leyes y química. »

Les trois combinés étaient plutôt louches. Nando préparait quelque chose sûrement, mais cela ne concernait pas cette simple bibliothécaire. Il avait déjà loupé la première impression avec cette fille, il était sûrement en train de louper la seconde. Les deux coudes sur le comptoir dorénavant, il ne quittait pas les yeux de l’employé, essayant de voir sa réaction vis-à-vis de tout cela. Curieux et pipelette, il reprit la parole, se demandant d’où venait son petit accent.

« No vienes de España, ¿verdad? »

Mais qu'est-ce qu'il est bavard, cet idiot ! Bon, d'accord, je ne sais pas s'il est intelligent ou pas, mais ce que je sais, c'est que je ne l'apprécie pas du tout... Jusqu'à présent, je n'avais qu'une seule ennemie sur cette île, mais là, je pense que ce sera pire... Enfin bon, il paraît qu'il y a un début à tout. Mais je ne dois pas laisser mes a priori prendre le dessus. Je suis en train de travailler, je dois adopter une attitude professionnelle.

- Podría darle información, es verdad... Pero no trabajo en la Oficina de Turismo.

Neutralité ratée. Je ne suis pas du tout aimable, je risque de le faire fuir, ce qui pourrait me porter préjudice... Mais je n'y peux rien, je n'aime pas cette personne. Alors, jusqu'à ce qu'il me prouve que j'ai tort, je ne ferai aucun effort. Si j'avais une bonne opinion à son sujet, je pourrais l'aider. Mais ce n'est pas le cas. Et puis, il faut bien reconnaître que, même si je peux être amenée à renseigner des étrangers dans le cadre de mon travail, c'est uniquement au sujet des livres ou du fonctionnement de la bibliothèque que je suis tenue de le faire. Même l'espace numérique de ce lieu ne me concerne pas, je ne suis pas censée le connaître aussi bien que l'espace des livres. Alors l'île entière...

Bon, ça suffit. Je me cherche des excuses, j'en suis consciente. Juste au moment où je me recentre sur lui, dans le but, peut-être, de retrouver une réponse plus appropriée, il me pose une question... Trop personnelle. D'accord. Fin des efforts. Je me ferme et ne réponds pas. J'aimerais le remettre à sa place, lui faire comprendre que ce n'est pas le genre de question à poser à une employée comme moi, mais je ne veux pas me disputer avec un client. Donc, je ne dis rien.

Nando fronçait de plus en plus les sourcils. Il ne faisait déjà pas chaud dehors, mais cette demoiselle était glaciale avec son homologue hispanophone. Elle ne montrait aucun signe de sympathie, il n’allait pas mettre cinq étoiles sur son avis sur internet. Qu’elle soit froide était une chose, mais le brun était obligé d’insister, elle ne lui donnait pas d’informations. Rien, pas de livres, pas d’accès aux ordinateurs, elle aurait pu le guider au moins. Il effectua un soupir d’agacement en l’entendant dire qu’elle n’était pas en office de tourisme. D’ailleurs, sa question plus personnelle n’était pas passée du tout. Il était temps pour lui de montrer qu’il pouvait être un client très insistant. Il tapota en rythme sur le comptoir en forçant un sourire. Poursuivant en espagnol, il passa à l’attaque.

« Bon ! Je sais pas ce que t’as ou si t’as passé une mauvaise journée. Mais je me suis fait kidnappé y’a une semaine pour arriver sur cette île de merde, alors j’peux avoir ce que je demande ?  »

Nando n’était pas quelqu’un de timide, il n’hésita pas à élever la voix dans l’entrée d’une bibliothèque, si on venait lui dire de se taire, il préférera lever le majeur que de baisser d’un ton. L’espagnol était pourtant une personne assez amicale, mais il ne fallait pas trop le contrarier pour qu’il garde cette facette. Il fixa son interlocutrice dans les yeux, ne perdant pas son applomb. Nando n’avait pas l’air si énervé que ça, mais clairement, son visage trahissait un agacement certain. A peine avait-il posé sa question qu’il re-précisa ses recherches.

« J’sais pas, emmènes-moi aux livres sur les sujets que je t’ai dit… Enfin, fais un truc, comme ton boulot. »

Nando y était peut-être un peu fort sur celle-là. Il s’en rendit compte et rigola doucement en secouant la tête. Puis il leva doucement la main vers elle, lui faisant un petit signe avec le sourire. L’ouvrier s’excusa immédiatement, il n’était pas si méchant que ça. Les récents événements l’avaient un peu rendu à cran, mais c’était pareil pour tout le monde ici, la seule chose qui était différente c’était que cette fille avait eu le temps de s’adapter, à défaut de bien adapter son niveau en anglais.

« Ouais, désolé… C’était pas fin. »

Malgré ses excuses, il voulait toujours ses informations et elle allait lui donner, quoiqu’il arrive.

Bon, j'en ai marre. Me faire engueuler par un client sans avoir le droit de lui répondre sous peine de causer des problèmes est au-dessus de mes forces. J'ai envie de le renvoyer, mais ce ne serait pas non plus une bonne idée. Je décide donc de faire durer, en attendant que quelqu'un à qui je pourrais le renvoyer passe par là :

- C'est vrai, c'est mon rôle de donner aux visiteurs les livres dont ils ont besoin. Mais c'est aussi le rôle des visiteurs de se montrer un minimum aimables. Je suis désolée, mais...

J'ai du mal à trouver mes mots. Je ne peux quand même pas lui dire directement que je ne l'apprécie pas, alors que je ne le connais même pas... Et puis, ce ne serait pas très professionnel... Mais je dois quand même terminer ma phrase !

- Mais...

- Un problème ? Ce n'est pas souvent que tu ne trouves pas tes mots !

Sauvée. Un employé, à temps plein, lui, et qui devrait être largement capable de s'en occuper. Je me tourne vers lui, reconnaissante. Après tout, je le connais, il m'a quasi affirmé qu'il me remplacerait :

- Je dois être fatiguée...

Il rit, pas dupe. Mais il finit par me conseiller de rentrer me reposer, même si c'est plus tôt que prévu. Je sais qu'il s'arrangera avec le patron pour me trouver une excuse, il peut se le permettre.

Je m'éloigne donc, culpabilisant quand même un peu. Parce que bon, je n'ai pas fait mon travail, j'ai abandonné un client, et je pars sous de faux prétextes... Je sais que mon remplaçant a de l'influence et que le patron acceptera, du moins officiellement, l'excuse qu'il lui donnera. Mais quand même... Bon, tant pis ! Je vais rentrer et dormir, en essayant d'oublier cet homme détestable. C'est dommage, il est hispanophone, on aurait pu bien s'entendre... Si on avait tous les deux fait des efforts.

Le combat continuait entre les deux hispanophones, c’était dommage qu’ils ne puissent s’entendre. La jeune fille dont il ne connaissait ni le nom, ni la nationalité avait l’air mal à l’aise. Nando l’avait contré et le fait de critiquer son travail n’était pas la manière la plus élégante de s’adresser à une fille. L’espagnol était assez sanguin et franc, ses paroles traduisaient une pensée un peu trop honnêtes, quitte à blesser les gens. Il n’allait pas se faire beaucoup d’amis si tout le monde était comme cette libraire aux cheveux bleus. Elle commençait à le réprimander tout en perdant ses mots, Nando hésitait entre s’excuser à nouveau ou enfoncer le clou par pur défi. Alors qu’il allait ouvrir la bouche pour la descendre un peu plus en tant que mâle alpha qu’il était, un autre libraire intervint.

Le brun cacha son sourire moqueur alors qu’elle fuyait son altercation avec le maçon. Dans ses pensées, l’ouvrier ne pouvait se dire qu’une chose, cette île avait beau être peuplée de demi-dieux avec des pouvoirs dépassant l’entendement, le troisième secteur était toujours aussi hostile envers lui. Habituellement, Nando n’était pas une personne méchante, certes, il était direct et avait un regard peu rassurant, mais jamais il n’était vraiment cruel. Or, il se préparait à être légèrement sournois avec cette fille qui ne lui avait rien apporté si ce n’est une perte de temps. Il sourit au garçon venant de la remplacer et acquiesça.

« Oh, ce n’est pas grave, je suis arrivé un peu tard, je peux comprendre pour elle... »

Un élan de fausse sympathie pour la décrédibiliser, voilà de quoi était capable un homme énervé. La situation lui mettait beaucoup de pression, il voulait se préparer à sa nouvelle vie, mais elle l’en avait empêché pour des broutilles, tant pis pour elle. La rancœur s’arrêtait là pour le jeune espagnol, il ne savait pas s’il allait la revoir un jour , si c’était le cas, il espérait pouvoir repartir sur de nouvelles bases… Ou de pouvoir s’engueuler à nouveau.

En tout cas, Nando, devenu sympathique, trouva son bonheur au niveau des livres. Il n’allait pas reprendre l’université cette année, mais le cours l’intéressait. Niveau botanique, il avait le maximum légal pour ses activités moins légales. Pour finir, il resta scotché jusqu’à la fermeture à l’histoire de cette île mystérieuse. Nando pensait pouvoir s’échapper de cette île avant de lire tout ça, il s’avérait que c’était pratiquement impossible. Il n’avait plus qu’à s’adapter à sa nouvelle vie.