Boules de neige ou apparition divine ?

La grêle continuait de s’abattre avec force sur le village, tapant les toitures délabrées dans un martellement incessant. Rester sous cette tempête allait bien finir par assommer quelqu’un... malheureusement, je ne pouvais pas me préoccuper de la colère des cieux. Ce loup à l’aura de lumière qui s’avançait tranquillement vers nous, son pelage luisant devenu presque éblouissant dans la neige, aussi majestueux qu’il pouvait être menaçant. Au cœur de cette tempête, sous le ciel noir de nuages inquiétants, le faible halo qui l’entourait lui donnait une apparence vraiment surnaturelle. Peu importe sa puissance, je ne le laisserais pas s’approcher de Fred. La seule chose que ses crocs allaient mordre, c’est la poussière.

Et puis, soudainement... Fred s’est jetée sur moi. Je n’ai pas réalisé tout de suite ce qu’il se passait, son étreinte soudaine a manqué de me renverser et la douleur dans mon dos m’a fait serrer les dents. Puis, j’ai compris en entendant sa voix...

« Lyra ! Il se passe quoi ? J'ai peur ... Le ciel et le loup, ils me font trop peur ... Tu vas me protéger hein Lyra ? »

J’aurais voulu lui répondre pour la rassurer, mais je n’en ai pas eu le temps, un grondement sourd me rappelait à l’ordre. Le loup avait réagi au quart de tour et saisissait déjà son opportunité d’attaque... alors, j’ai répliqué. La main toujours tendue devant moi, j’ai relâché blizzard polaire d’une violence rare contre les crocs du prédateur, qui se retrouva plaqué au sol sous la force du vent. En quelques secondes, le froid commençait déjà à se cristalliser sur son pelage, mais d’une manière beaucoup plus agressive qu’elle l’avait été avec Fred. Cette fois-ci, le froid n’avait plus cure de l’aura de chaleur de l’animal ; il allait très vite se retrouver congelé s’il ne faisait rien...

« Freddie ?... ne t’inquiète pas, je suis là. »

Fred... elle ne m’avait pas fait confiance, elle était partie. Ou était-ce justement parce qu’elle avait cru en moi qu’elle avait laissé sa place à la petite Freddie ? Comment pourrais-je le deviner...
Pendant ce bref moment d’inattention, ma magie a commencé à faiblir, et le loup s’est dégagé de la portée du vent glacial. Maintenant, ses yeux n’exprimaient plus que colère et haine, mais il tremblait. Peut-être de peur, ou bien de froid... la lueur sur son pelage semblait ternie, plus froide. Les rôles s’inversaient... il devenait la proie, nous étions les chasseurs. Comprenant ce fait, je fis un pas en avant ; il grogna. J’avançai encore ; il grogna plus fort. Il refusait encore de reculer... Les oreilles en arrière, babines retroussées, il continuait de s’opposer à mon approche. Avec Freddie agrippée à mon bras, je n’osais pas jouer les téméraires... Puis, un grêlon me tomba sur la tête, m’arrachant un gémissement de douleur. Cette tempête allait vraiment finir par m’assommer... d’un geste de la main, je tentai de disperser les nuages, mais...

« Ca ne veut pas... pourquoi ?... »

Une autre magie avait déchainé le climat ici, ce n’était pas la mienne. Mais dans ce cas, qui ? Très vite, je remarquai quelque chose d’étrange sur le toit du manoir : une petite silhouette féline, un animal sombre nous observait, perché sur les tuiles, les oreilles au vent...

J’ai été imprudente... En l’approchant de trop près, le loup apeuré a paniqué et saisi la première occasion pour attaquer de nouveau. L’animal était rapide, mais je me tenais également prête à réagir. Les crocs menaçants se rapprochaient dangereusement, et à ce moment, Freddie s’est mise à crier en m’agrippant de toutes ses forces. Une bulle d’eau s’est formée autour de nous, comme un champ de force qui a repoussé l’attaque et repoussé le loup au loin, l’envoyant s’écraser lourdement devant les marches du manoir dans un couinement douloureux. Il a probablement été surpris, autant que je le suis à l’instant...

Bientôt, ce sont les larmes de la petite Freddie je sens rouler dans mon cou. La fillette fond en larmes, elle veut rentrer chez-elle et fuir cet endroit. Quand bien même je sais que c’est impossible pour elle, je m’efforce de garder le silence... « Ta maison ? Je l’ai dit à Ewan tout à l’heure, Fred aussi le sait, tu ne pourras jamais la revoir. Demande à Lizzie, elle peut te parler non ? »
Stupide conscience, comme si je pouvais lui dire. Machinalement, je lève la main par-dessus mon épaule pour venir chercher la tête de la petite Freddie. La neige humide et froide se mêle à ses cheveux, ils sont gelés... C’est compliqué, se dire que dans ce corps d’adulte se trouve en ce moment une petite fille de sept ans. Et puis... je n’ai jamais été douée pour consoler les enfants. J’aimerais que Fred revienne...

De l’autre côté, le méchant loup se relève, difficilement. Il boite, se traine, essaye de fuir en grognant à qui veut l’entendre de ne pas s’approcher. Ce n’est plus mon intention, de toute manière. Je dois trouver un moyen de rentrer... Freddie compte sur moi, j’ai promis. Seulement, cette grêle... désespérément, je tends à nouveau la main vers le ciel. Mais en vain ; comme pour punir mon geste, un autre grêlon me tombe sur la tête en m’arrachant un autre gémissement.

« T’as pas choisi ton jour pour te rebeller, hein ? »

Murmurant cette phrase à moi-même, je soupire en laissant retomber mon bras le long de mon corps. On devrait retourner s’abriter, au moins jusqu’à ce que la tempête se calme. Cependant, alors que je cherche à nouveau les marches du regard, je remarque qu’une nouvelle présence me fait obstacle. Le félin venait de sauter du toit pour se placer sur mon chemin, sa jolie queue touffue se balançant doucement de gauche à droite, à la manière d’un pendule. Aucune hostilité n’émane de sa présence, mais je peux sentir qu’il n’est pas un animal ordinaire. Pas seulement à cause de ces marques bleutées en anneau sur sa fourrure noire, lui est différent du loup de tout à l’heure.

« Qu’est-ce que tu me veux ? Tu attends quelque chose de moi, non ? »

Le mystérieux animal continuait de me fixer, son regard pénétrant ancré dans mes yeux comme s’il lisait mon esprit. Non, ce n’était pas juste une impression... il ouvrait réellement mon esprit. Je pouvais sentir sa présence intangible tout autour de moi, dans chacun de mes pensées. Brusquement, j’ai perdu mon assurance. Cette créature là était d’un niveau qui me dépassait de loin, il me filait des frissons.
Et puis, soudainement, il s’est effacé. Aussi furtivement qu’il y était entré, il venait de ressortir de mon esprit, comme si de rien n’était. Maintenant, il regardait le ciel en colère, cette grêle qui ne cessait de tomber. On dirait qu’il m’invitait à faire de même. Devrais-je réessayer ? En vérité, ce n’était plus la peine. D’elle-même, la tempête commençait à se calmer, Le son des grêlons martelant les toits s’estompait petit à petit, et les nuages se dispersaient pour laisser filtrer les rayons d’un soleil radieux. Lorsque je baissai les yeux à nouveau, l’animal était toujours là, il me regardait. Son visage semblait me dire quelque chose... dans un langage qui m'échappait encore.

Tel un mirage planté au milieu de ce décor de ruines, le curieux félin au pelage nuit restait planté devant moi, la fourrure dansant dans la brise. Une vraie peluche ou je ne m’y connaissais pas... Freddie semblait approuver cette remarque avant même que je ne la formule et je pus qu’acquiescer d’un distrait hochement de tête. Cependant, ma réaction tardive ne me laissa pas le temps de l’empêcher d’essayer de se saisir de l’animal. S’il était mignon, il n’en restait pas moins une créature mystique et imprévisible.

« Freddie, attends...
- Tu es tout doux. »

J’avais craint sa réaction... à tord peut-être, car l’animal se laissa saisir par les mains de l’enfant sans même chercher à se débattre. Il la laissa même frotter sa joue contre son pelage duveteux, sans non plus répondre à ses caresses. La petite Freddie venait de trouver un nouveau doudou ? Encore sceptique à cette idée, je la rejoignis tout de même pour observer de plus près la boule de poils. Pour tout dire, je ne savais pas trop comment m’y prendre... Il n’avait pas l’air de rejeter Freddie, mais moi, il m’intimidait. Comment dire... il n’avait pas l’air méchant et il était plutôt mignon, mais j’aurais plus l’impression d’être sa peluche que l’inverse. Sa seule présence imposait le respect qui est dû aux bêtes légendaires.
Un peu hésitante, j’ai tendu la main pour caresser sa tête ; mais il s’esquiva avant que je ne puisse le toucher, échappant aux bras de Freddie pour monter sur son épaule puis sur sa tête. La surprise me fit esquisser un mouvement de retrait, de peur de l’avoir vexé... mais je n’arrivais franchement pas à décoder son humeur. Je n’avais jamais été douée avec les animaux, il faut croire. Soupir. Si lui aussi s’y mettait, j’allais finir par me sentir mal aimée. On devrait chercher un moyen de rentrer plutôt, Freddie devait déjà se demander pourquoi je tirais cette tête dépitée...

Et puis, sans crier gare, l’animal sauta de son perchoir pour regagner la neige froide et s’éloigner, venant de placer un peu plus loin. Lui se déplaçait avec aisance dans toute cette neige, il était trop léger pour s’enfoncer... en prêtant attention à la surface lisse du manteau immaculé, on pouvait cependant remarquer qu’il n’y laissait même qu’une emprunte très légère. C’est à ce moment que je compris ce qu’il faisait... par sa magie, il venait de matérialiser une grande luge toute blanche, sur la proue de laquelle il vint se poser.

« On dirait qu’on a notre moyen de transport, du coup. Freddie... ça te dit un tour de luge, du coup ? »

Machinalement, je fis un petit geste de la main pour tester ma magie. Elle me semblait encore faible... il avait l’air de s’en rendre compte. Pour être franche, je n’étais probablement pas loin de m’effondrer... cette boule de poils me faisait flipper, il était conscient de ma faiblesse. Enfin... le terrain était en pente douce de ce côté de la forêt, on pouvait rejoindre Ikazuchi par là sans trop de difficultés. Il faudrait marcher un peu après, mais c’était une bonne idée. C’était pas comme s’il me laissait le choix.

L’idée d’une descente en luge ne semble pas déplaire à la petite Freddie, la voire sourire comme ça me met du baume au cœur. On dirait vraiment une enfant... moi aussi j’aurais aimé faire de la luge quand j’étais petite, mais on n’en avait pas beaucoup de neige, là où j’habitais avant. Il n’est jamais trop tard  pour une première fois, n’est-ce pas ? Mais le chemin à travers la forêt à l’air sinueux, éviter les arbres ne sera pas une mince affaire... on allait faire du hors piste, fallait s’y attendre.

Tout en jetant un regard inquiet aux grands arbres qui nous surplombaient, je rejoignis Freddie jusqu’à la grande luge où elle avait déjà pris place. L’ennui... c’est qu’elle était bien plus grande que moi. Plus petite qu’une enfant de sept ans... je vais finir par complexer sur ma taille moi, haha. Enfin, elle le réalisa vite puisqu’elle se leva pour venir à l’arrière et pousser avec moi. Lentement mais surement, la luge commença à dévaler la pente douce... et tandis que je lançais un dernier regard au village derrière nous, la silhouette imposante du vieux manoir disparaissait derrière la forêt, emportant avec lui les traces de notre rencontre mouvementée.

Bercée par le doux crissement de la neige sur notre route, je dirigeais doucement la luge pour éviter les arbres dressés sur notre chemin. Ce n’était pas si compliqué au final, et plutôt amusant. Tant que ça allait lentement... car quand la pente devint plus raide, l’accélération compliqua sérieusement les choses ; si la route tracée était plutôt facile à suivre, un écart de Freddie fit dévier la luge de sa course et nous dirigea vers une grosse bosse !

« Oups... accroche-toi ! »

Agrippant les deux bords de la luge pour ne pas être éjectée, je me préparai au grand saut. Honnêtement, si j’avais été en meilleur état, j’aurais foncé sur cette bosse sans hésiter, peu importe si chute il y avait à l’arrivée. L’adrénaline montait, la luge décolla, passant si près des branches enneigées qu’on aurait pu les toucher en tendant le bras, et quelques secondes plus tard, l’impact sur la neige projeta un grand nuage de poudreuse ! Tout s’était passé sans encombres... ou presque, car le véhicule improvisé ne tarda par à déraper et projeter ses occupantes par-dessus bord, enchainant avec roulé-boulé spectaculaire sur plusieurs mètres le long de la pente. Et cet impact là... il n’était pas aussi agréable. En fait, je ne me souviens pas exactement... je me suis prise un arbre, et puis...
Le trou noir.

Pendant un long moment... je ne sentis plus rien. Dans un sens, c’était confortable. Je n’avais plus froid, sans non plus avoir chaud. J’avais l’impression de dormir, la fatigue me pesait, je n’avais pas envie de me réveiller. Combien de temps s’était écoulé, déjà ?... peut-être un quart d’heure, un peu plus, qui sait. Pour une certaine raison, cette question m’a interpelée. Je voulais voir... alors j’ai ouvert les yeux. Mais il n’y avait rien, j’étais seule dans les ténèbres. Probablement... un rêve.

« Lyra ? Lyra, tu m'entends ? »
« Hey... hey ! Réveille-toi, elle s’inquiète pour toi tu sais ? »

* * * * *

Mes sens me revenaient lentement, l’un après l’autre. J’ai commencé à avoir froid, j’ai senti la neige froide sur ma peau, la douleur encore vive sur ma tête. Puis j’ai senti quelque chose dans ma gorge, et une toux violente m’a attaquée. Ca a duré pas loin d’une minute, j’ai bien cru que j’allais m’étouffer. Le cœur battant la chamade et haletante, je reprenais peu à peu mon souffle après m’être roulée dans la neige à essayer de le trouver. Ma vision troublée par les larmes, je pris un instant pour les chasser et recouvrer la vue... la boule de poils qui nous accompagnait était là, il y avait Freddie aussi.

J’ai voulu parler pour lui dire que j’allais mieux, mais je ne m’étais pas encore remise... résultat, aucun son ne sorti de ma bouche, et la toux me reprit à nouveau. Pas aussi violement que tout à l’heure cependant, celle là fut vite passée. La jeune fille semblait inquiète... combien de temps avais-je passé à dormir ? Je n’en avais aucune idée, mais j’allais mieux maintenant, c’était le principal, non ? Elle n’avait pas l’air du même avis...

C’était quoi ce geste ?... Fred venait apposer son pouce sur mon front et le massait doucement de haut en bas, et que je m’en rende compte, la toux qui m’avait reprise était partie. Elle souriait à présent, mais se leva bien vite pour aller fouiner dans mes cheveux... ses doigts fins frôlèrent ma bosse un moment, mais je restais tranquille à la laisser faire, comprenant qu’elle s’inquiétait juste pour moi. Je n’avais pas grand-chose finalement, mais j’étais contente de l’entendre le constater. Seulement... attendre avant de me relever ? Mais, mais... elle venait de dire que je n’étais pas blessée, alors pourquoi ?
Mais avant que je ne puisse répliquer, elle était déjà partie chercher quelque chose. La luge, elle était intacte. Malheureusement, elle ne nous serait plus trop utile à présent ; après avoir dévalé la pente en tonneau suite à notre accident, le chemin qui s’offrait à nous était plutôt plat. Mais en regardant bien, on pouvait apercevoir les toits des immeubles d’Ikazuchi au loin. On avait déjà fait le plus gros du chemin.

« Tu peux m'expliquer ce qui s'est passé ? En attendant que tu ailles un peu mieux, tu vas t'installer sur la luge et je vais la traîner un peu dans cette direction.
- Je vais bien, t’inquiète, je peux marcher... »

Bien, c’était un bien grand mot. A peine levée, la tête me tourna un peu et je dus m’appuyer sur l’épaule de la jeune fille pour ne pas trop forcer. Au final, elle ignora totalement mes protestations à s’inquiéter de mon état, je n’eus pas d’autre choix que de me laisser trainer sur cette luge improvisée. Et puis, c’est à ce moment qu’elle me posa une drôle de question... sur la petite boule de poils avec moi.
Que... ah oui, Fred ne le connait pas. Mais si c’est elle... alors elle était revenue ? Je ne réalisai qu’à ce moment que la petite Freddie avait laissé place à l’adolescente, elle qui m’avait abandonnée face à la menace du loup tout à l’heure.

« Lui c’est... je ne sais pas exactement pourquoi il nous accompagne, mais il a l’air de bien t’aimer. En fait, c’est grâce à lui qu’on a pu s’enfuir avec cette luge. Et après, on a eu un accident et... voilà. »

L’animal ne sembla pas réagir négativement à son approche, néanmoins... il semblait froid. Bien plus qu’avec Freddie en fait... c’était peut-être dû à la différence de caractère entre ces deux là. Elle ne s’y attarda pas plus cependant, et laissa le félin pour venir prendre la corde de la luge. Ce dernier ne perdit d’ailleurs pas trop de temps avant de venir s’installer sur mes jambes, regardant, fièrement vers l’avant. Il était temps de reprendre la route, j’espérais juste ne pas être trop lourde à trainer pour elle.
Sur le chemin, Fred continua de poser quelques questions sur tout ce qui lui échappait. Bien que je ne me sentis pas de répéter le fil des explications que j’avais déjà données à Ewan, je voulais au moins la rassurer, alors... Pour résumer, elle savait à présent que la ville vers laquelle nous marchions se nommait Ikazuchi, et qu’on pourrait parler du reste au chaud une fois là-bas. Peut-être à tord, je lui ai aussi laissé entendre que je la ramènerais chez-moi si elle n’avait nulle par où rester... il commençait à se faire tard, le temps de manger un morceau et il ferait nuit, les journées étaient encore courtes en février.

Ainsi continua le voyage à travers la forêt enneigée, animé seulement du crissement de la luge sur sa neige et de nos quelques échanges. Mais très vite, cela me lassa. Après une dizaine de minutes, je finis par arrêter Fred pour me lever et la rejoindre. J’en avais marre de me laisser trainer, je voyais bien qu’elle avait du mal à tenir debout elle-même. Marcher un peu n’allait pas me tuer.

« Reposes-toi un peu aussi, on est presque arrivées. Regarde, on devrait voir la ville en haut de cette butte. »

Prenant sa main pour l’entrainer avec moi, je repris la tête de notre expédition qui touchait bientôt à sa fin. Ikazuchi était toute proche, dans quelques minutes, on pourrait aller trouver un coin tranquille où nous réchauffer et reprendre des forces. A ce moment, le soleil était déjà bas dans le ciel, la ville était magnifique sous le soleil couchant. Je m’arrêtai un instant pour le contempler, la main toujours dans cette de Fred. A ce moment, le petit félin que j’avais laissé en retrait sauta sur mon épaule et commence à chercher à s’enrouler autour de mon coup. Il me fit rire au début, ça chatouillait, sa fourrure douce et froide n’était pas désagréable. Et puis, soudainement... il prit la forme d’une écharpe. Je sentais toujours sa présence, mais mes yeux ne voyaient désormais plus qu’un bout d’étouffe soyeuse aux étranges motifs. Un autre de ses talents ? Fred semblait tout aussi surprise que moi... et puis, j’étais un peu anxieuse, j’avais peur qu’il ne me morde si j’essayais de l’enlever. Après tout, je ne m’entendais jamais trop bien avec les animaux sauvages...
Enfin, peu importe, lâchai-je intérieurement dans un soupir, relevant le regard vers l’horizon. Bientôt de retour à la civilisation !

Enfin sorties de la forêt, nous pouvions enfin voir clairement les silhouettes droites et hautes des immeubles d’Ikazuchi. C’était comme un long voyage qui touchait à sa fin... ce n’était qu’une journée, mais celle-ci allait probablement rester longtemps dans mes souvenirs. Car c’était le jour où j’avais rencontré Fred, et aussi cette étrange boule de poils. Avec un sourire, ma main toujours dans la sienne, nous reprenions la marche avec légèreté et entrain, le moral remonté à la vue de ce splendide coucher de soleil.

Une dizaine de minutes plus tard, nous étions enfin aux portes de la ville. Elle aussi était sous l’emprise de l’hiver, les trottoirs enneigés et les passants emmitouflés dans leurs manteaux le rappelaient bien. Mais malgré cela, Ikazuchi restait plutôt animée : les gens rentraient du travail ou allaient en courses, allaient se retrouver au café du coin ou se promenaient au parc. Je me souvenais, c’était là que j’étais arrivée. C’est étrange, parce que beaucoup de personnes se réveillent sur la plage, ou plus près de la côté d’habitude... j’y avais beaucoup repensé au début, avant de finalement conclure que cela n’avait pas grande importance. J’avais dû marcher sans me rendre compte que j’avais déjà quitté le pays, un peu à la manière de Fred et de ses trous de mémoire... il m’arrivait d’être étourdi aussi, après tout.

Tout en nous promenant tranquillement, je guidais la visite sans trop parler, prenant de toutes fois garde à ne pas glisser sur les trottoirs gelés, par lesquels la jeune fille ne manqua pas de se laisser surprendre. J’avais déjà une idée d’où l’emmener, mais elle m’interpella avant en désignant un petit café devant lequel nous passions.

« J’en connais un autre sympa un peu plus loin, j’ai mes petites habitudes, tu verras. Et t’inquiète pas pour l’argent, on verra ça plus tard. »

Balayant ses inquiétudes d’un sourire, je l’entrainai dans une ruelle un peu plus loin pour arriver plus vite à notre destination. Les avantages de connaitre la ville comme sa poche, après tout, la supérette où je travaillais n’était pas très loin non plus. Arrivant devant la petite boutique, je poussai la porte pour laisser entrer Fred et la suivit à l’intérieur, prenant soin d’essuyer mes chaussures pleines de neige sur le paillasson. Il y avait déjà pas mal de monde à l’intérieur, mais l’endroit restait plutôt calme et l’ambiance agréable. Après avoir choisi notre table, une serveuse vint vite à notre rencontre pour prendre notre commande.

« Un capuccino pour moi, avec un croissant aux amandes. Et toi Fred ? Prends ce que tu veux, t’inquiète. »

Tout en la laissant se décider, je passai distraitement ma main sur mon écharpe dans l’idée de la retirer, mais... ah oui, c’est vrai. Elle était vraiment douce, sa fourrure... les battements réguliers et distants de son cœur me laissaient penser qu’il s’était endormi, probablement. Je soupirai puis, une fois que la serveuse se fut un peu éloignée, laissai tomber ma tête entre mes bras croisés sur la table.

« J’suis à plat moi !... Au fait, je suis curieuse mais, comment tu as appris la magie ? Tu as l’air de bien te débrouiller, c’est pas commun chez les nouveaux arrivants tu sais... »

Redressant légèrement la tête pour lui parler, j’eus tôt fait d’enfoncer à nouveau mon menton entre mes bras. Et ma maitrise à moi, on en reparle ? Non, hein, c’est ce que je pensais... Soupir. Comme une idiote, voilà que j’allais lui rappeler de mauvais souvenirs... et à moi aussi, par la même occasion.

Fred avait vidé ses poches sur la table. Des sucettes, les nœuds et rubans noirs qu’elle attachait dans ses cheveux par moments, son zippo... un cutter ? A quoi pouvait-il bien lui servir, ce sinistre instrument ? Certaines personnes se promenaient avec un couteau de poche, mais pas avec un cutter, c’était absurde... Heureusement, la jeune fille reporta très vite mon attention sur les piécettes qu’elle venait de trouver au fond de ses poches.

« C'est quoi cette monnaie, tu connais ?
- C’est des coliz. C’est vrai qu’ils convertissent ça automatiquement... murmurai-je à moi-même, pour te faire une idée, ça équivaut à peu près à un pour dix euros. »

Elle devait avoir encore beaucoup de questions, mais pour le moment, je n’avais pas trop envie de m’étaler en explications. La fatigue me pesait un peu, je crois que me voir étalée sur la table a dû la dissuader de poser plus de questions...
Mais revenant au sujet de la magie, je devais reconnaitre que sa réponse m’étonnait. Depuis... sa naissance ? C’était la première fois que j’entendais parler d’une descendante ayant éveillé ses pouvoirs si tôt. Peut-être serait-il plus juste de dire qu’elle ne se souvenait simplement pas les avoir éveillés... cependant, je préférai éviter de l’amener sur le sujet de ses pertes de mémoire. Ce n’était que suppositions, mais cela devait être lié à ses troubles de la personnalité. La situation était déjà suffisamment compliquée à gérer pour nous, je n’avais nulle envie d’y repenser...

Parler de magie sembla toutefois soulever quelques questions dans la tête de Fred, qu’elle s’empressa de poser à son tour. C’était au sujet de mon pouvoir... quelque chose en rapport avec le ciel, hein ? Cela résumait bien ce qu’était le pouvoir de Susanoo. J’avais longtemps pensé qu’il s’agissait d’une magie de vent, avant de réaliser que c’était bien du dieu de l’orage que je tirais ce pouvoir. Pour ma part, j’étais plus à l’aise avec les vents et le climat que les autres facettes de ce pouvoir, mais il me semblait avoir déjà fait tomber la foudre par le passé. Enfin, à choisir, je préférais quand même le vent...

Avant que je ne puisse répondre, la serveuse interrompit notre discussion pour apporter nos commandes. Je commençais à mourir de faim, et à la vue de mon croissant, je ne résistai guère longtemps à la tentation de mordre dedans. Après toutes ces péripéties, j’avais bien mérité un peu de sucre pour me réconforter ! Je n’oubliais pourtant que Fred était toujours en attente de réponses, et même si je n’avais pas très envie de reparler de ma perte de contrôle, je ne pouvais pas l’ignorer non plus. Et puis, à ce sujet, quelque chose me chiffonnait moi aussi.

« Je maitrise l’orage... je peux utiliser les nuages, mais cela s’étend à tous types de tempêtes en fait. – marquant une pause, je pointai discrètement mon écharpe avant de reprendre – Lui aussi possède le même pouvoir, je crois. Mais il est encore plus puissant que le mien. Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé là-bas, je ne perds pas le contrôle habituellement... désolée de t’avoir fait peur avec ça. »

Je n’essayais pas vraiment de me justifier, j’étais la seule fautive dans l’emballement de mes pouvoirs... mais la présence de cet animal mystérieux blotti autour de mon cou me laissait toujours songeuse. Tant de questions et si peu de réponses, encore... Profitant du silence, je pris ma tasse et mordis à nouveau dans mon croissant, dans l’attente d’une autre réaction de la part de Fred.

Les paroles de Fred m’étaient réconfortantes, plus qu’elle ne pensait. J’ai souri faiblement, reprenant une gorgée de mon cappuccino alors qu’elle faisait de même avec son chocolat chaud. Le calme et la chaleur du petit café m’avaient déjà fait oublier la morsure douloureuse du froid de l’hiver que nous avions dû affronter.

« Avec tout ça, je ne sais toujours pas où est Joyce, ou même si elle se trouve aussi ici... »

Sa sœur... nous n’avions toujours aucune piste pour la retrouver. Etait-elle seulement sur cette île, difficile de pouvoir l’affirmer. Le regard de la jeune fille se perd dans sa tasse, et je ne tarde pas à l’imiter. Joyce est surement une personne très importante pour Fred, mon frère l’est aussi pour moi. Pourtant, lui n’avait toujours pas été arraché à sa vie normale... il était resté en France, à attendre mon retour. Je sentais mon cœur se serrer à cette pensée. D’impuissance pour elle, de remords pour lui. Je ne comprenais que trop bien sa douleur.

Mais alors que ce déluge d’émotions était en train de me submerger, la voix de Fred me tira de ces pensées négatives. C’était par rapport à cette proposition que je lui avais faite, sur le chemin de la ville. Alors, finalement, elle acceptait ? J’étais heureuse de l’entendre... et puis, elle ne le faisait pas exprès, mais elle était quand même terriblement mignonne quand elle rougissait.

« ... tu es mon amie, non ?
- Si tu veux bien de moi. »

Je lui ai fait un grand sourire, heureux et sincère. Elle n’était pas une mauvaise personne, j’avais juste envie de lui tendre la main, même si ce n’était pas grand-chose. Juste l’héberger quelques jours... il se faisait tard, la laisser dormir dehors était hors de question. Cependant, ce n’était pas seulement ‘‘chez moi’’... j’avais une colocataire, et cette dernière n’aimait pas particulièrement les surprises. Inviter une amie devrait aller, mais... j’espérais juste que Fred ne soit pas trop surprise. On parlait quand même d’Osnate, là.

Quelques minutes ont passé, a profiter de la chaleur confortable de l’intérieur et pendant ce temps, la nuit était déjà tombée sur Ikazuchi. Je n’étais pas pressée de partir, mais il le fallait bien, et puis à ce rythme, on allait manquer les derniers bus pour Kousha. Après avoir pris notre temps pour préparer notre départ, il ne restait plus qu’à passer à la caisse. Sans surprise, Fred sembla un peu gênée lorsque je l’évoquai, si bien que je dus la rassurer, qu’elle pourrait me rembourser plus tard. De toute manière, si elle payait maintenant, elle n’aurait plus assez pour le bus. Et ainsi nous quittâmes le petit café pour regagner les rues enneigées de la ville...

« J’avais oublié qu’il faisait aussi froid dehors... » j’ai laissé échapper dans un frisson. Les températures chutaient d’autant plus bas qu’il faisait nuit à présent... mais au moins, je n’avais pas froid au cou avec mon écharpe. J’ai pris la main de Fred et je l’ai entrainée dans la rue, marchant d’un pas soutenu. « Faut qu’on se dépêche, on va manquer notre bus sinon. » Et je n’avais pas envie d’attendre un quart d’heure de plus dans le froid pour ça !