Blanche Neige | Event

Blanche Neige

Cette journée avait pourtant commencé comme toutes les autres. Comme chaque jour, je me levai tôt pour une  promenade matinale aux abords de Kousha, profitant que l’air soit encore frais avant de subir la chaleur écrasante de l’après-midi. Mes itinéraires variaient selon les jours et les envies, mais aujourd’hui, j’avais décidé de changer d’air et de prendre le bus pour Ikazuchi. Et telle fut la première erreur de la journée...

Je mis quelques minutes à m’en rendre compte, peut-être un peu plus, je ne sais pas exactement. Perdue dans mes pensées en regardant défiler le paysage par la fenêtre, je remarquai que la route que nous empruntions n’était pas la même que d’habitude. C’était peut-être juste une impression, je ne prenais pas cette ligne souvent après tout. J’étais surprise, mais je ne m’en inquiétais pas outre mesure. Jusqu’à ce que le détour se fasse un peu... long. Quelques autres passagers s’agitèrent  à côté, commençant à se questionner eux aussi.

« Qu’est-ce qui se passe ? On n’est pas censés aller par là, il y a eut des changements sur la ligne ?
- Je pense pas, y’a pas eut de message. C’est peut-être un nouveau chauffeur qui s’est perdu ?
- Fait chier... je vais aller le voir. »

L’un d’eux se déplaça pour aller interroger le chauffeur, puis revint rapidement vers le groupe. Curieuse, je lâchai un instant ma fenêtre pour suivre l’affaire. Cependant, la réponse qui vint ne fut pas celle attendue... car un violent choc secoua tout le véhicule, poussant tous les passagers contre le siège de devant. Après, tout s’enchaina très vite. Sonnée par le choc, je sentis que le bus commençait à pencher, à vaciller. D’autres chocs suivirent, provenant de tous les côtés, et au milieu de ce chaos, les cris terrifiés des autres passagers cédant à la panique et à la confusion. Tout s’accrochaient tant bin que mal, à leur siège, à leurs amis, qu’importe, ce qui leur passait sous la main, jusqu’à ce qu’enfin, une secousse finale immobilisa le bus et projeta tous ses occupants contre la vitre. Le martellement des pas au dehors se fit intense encore quelques secondes, puis s’éloigna peu à peu, jusqu’à disparaitre totalement. Puis enfin, le silence retomba.

Je restai immobile un moment, le temps que les bruits extérieurs se calment. Le choc m’avait projeté plutôt violement, mais un jeune garçon qui était assis en face de moi avait amorti ma chute malgré lui. Le visage plaqué contre son torse, je pouvais sentir sa respiration alors qu’il était inconscient... rassurée de le savoir en vie, j’entrepris de me relever pour voir l’état des autres occupants. Beaucoup étaient inconscients à cause du choc, d’autres trop blessés pour se relever. Au vu de l’inclinaison, il semblerait que le bus soit tombé dans le fossé au bord de la route. J’avais un peu mal, mais rien de sévère, juste quelques contusions. Est-ce qu’il y avait d’autres personnes capables de se relever ici ? Après un rapide tour des lieux, il s’avéra que j’étais malheureusement la seule encore valide après l’accident. Mais je n’aurais jamais la force de tirer tout le monde dehors... appeler des secours semble plus raisonnable. Enfin, c’est ce que je m’étais dit, avant de constater que je n’avais pas de réseau ici. Ca aurait été trop beau... que faire ? Peut-être que je devrais commencer par sortir de cette carcasse... c’était probablement le mieux que j’avais à faire pour le moment.

« S’il te... plait... aide-nous... *kof kof*
- Je vais sortir trouver un moyen de prévenir les secours.
- Prends... ceci... »

L’homme qui m’avait interpellée me tendit un petit objet en tissu... une sorte de bonnet retombant en arrière, un peu comme celui du père noël, sans la boule à l’extrémité. Celui là était mauve... mais pourquoi voulait-il me le donner ? Je me retiens cependant de poser d’avantage de questions, il semblait trop faible pour y répondre. Disons que c’était... un porte bonheur. Bref, sur cette pensée, je le mis sur ma tête et attrapai un des brise-vitres d’urgence pour me créer une porte de sortie...

Une fois dehors, je pu enfin voir ce qu’il s’était passé. Sur le bord de la route un peu plus loin, un petit faon pleurait sa mère, passée de l’autre côté. Route qui ressemblait plus à un chemin forestier qu’autre chose, cela dit... passons. Il n’y avait aucun doute, c’était elle que le bus avait percuté avant d’être renversé... mais toutes ces collisions ? Quelque chose ne collait pas... Je sautai de la fenêtre le plus silencieusement possible, pour ne pas l’effrayer. Mais cette précaution n’était pas nécessaire finalement, puisqu’il avait déjà sentit ma présence. Cependant, au lieu de fuir comme je m’y attendais, il commença à s’approcher de moi. Timidement, un peu hésitant... je ne savais pas trop comment réagir. C’est alors que... mon instinct me fit frissonner. J’avais un mauvais pressentiment... cet animal n’était pas normal. Il était déjà tout proche, je pouvais presque le toucher en tendant la main... à ce moment, tous mes sens me criaient de fuir.

Mais c’était déjà trop tard. Plus vif que prévu, le faon se jeta sur mon bras pour me mordre. D’un réflexe salvateur, je retirai mon bras avant qu’il ne referme sa mâchoire, mais ma manche lui resta entre les dents. Comme un chien s’acharnant sur son os, le petit faon se mit à tirer brusquement de toutes ses forces pour m’entrainer avec lui.

« Aah ! Lâche ! »

Mais rien n’y faisait, j’arrivais tout juste à résister pour ne pas me faire entrainer par sa force. Réalisant qu’il ne me lâcherait pas, je le laissai m’attirer pour lui placer un coup de coude sur le museau avec mon bras libre. Puis un autre, et encore... mais sans succès. Il était incroyablement tenace, est-ce qu’il ressentait la douleur au moins ?! Agacée par ce petit jeu, je stabilisai mes appuis pour y mettre un terme. Guettant un moment où il relâcherait ses efforts, je saisis la première opportunité pour le tirer vers moi ; profitant alors de l’instabilité temporaire, je fis pression sur son encolure au même moment pour tenter de le renverser !... Eh bien, cela ne marcha pas exactement comme prévu, mais au moins, la torsion sur son cou l’avait obligé à lâcher ma manche, me laissant une occasion de fuir. Si seulement il m’avait laissé partir si facilement... mais non, évidemment, qu’il allait me suivre ! Alors en fuyant, j’attrapai tout ce qui pouvait me servir de projectile et lui balançai à la figure. Caillou, branche, n’importe quoi, peu importe !

« Tu vas abandonner, saloperie ?! Dégage ! Prends ça ! »

J’allais bien finir par trouver de l’aide... non ? A force de fuir, j’avais l’étrange impression de m’enfoncer de plus en plus profond dans la forêt. Le chemin de terre devenait peu à peu un petit sentier, et le bus que j’avais laissé était bien loin maintenant. Tout cela commençait doucement à m’inquiéter... quelqu’un, à l’aide, Bambi veut me tuer !

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Jusqu’à quel point cette bestiole était-elle tenace, au juste ?! Je parvenais à le tenir à distance, mais il m’était totalement impossible de fuir. Chaque pas que je faisais, il en faisait un. Il attendait probablement que je m’essouffle pour attaquer... Je ne pouvais pas le laisser faire, mais je n’avais aucune idée de comment m’en débarrasser. Cette créature dégageait une sensation similaire à celle que j’avais ressentie face à cette panthère, au lycée. Cette même soif de sang...

Soudain, une présence se profile derrière lui. Je cru d’abord à une autre de ces bestioles à cause du martellement des sabots, mais en la voyant se rapprocher, je pu voir une personne sur son dos. Sa monture fonçait sur moi à toute allure. Alors, c’était elle la responsable de cette attaque ? Sur mes gardes, j’observais l’action en me tenant prête à réagir quand son action prit une tournure inattendue. Le faon qu’elle chevauchait essayait visiblement de l’éjecter, ce qui fut fait d’une manière assez impressionnante : la demoiselle effectua un vol plané dans une trajectoire courbe parfaite, retombant droit sur moi avec une pirouette involontaire. Heureusement pour elle, je pus tendre les bras pour la réceptionner juste à temps, lui évitant de se fracasser le crâne sur le sol... cependant, le recul dû à l’inertie de sa course me fit tituber légèrement, et...

« Kyaa ?! »

... mon pied quitta la route pour se poser sur une surface inclinée. Sous l’effet combiné de la surprise et du poids de la jeune fille, je perdis totalement l’équilibre et tombai sur le dos, entamant une roulade impressionnante le long de la pente. Trop sonnée pour tenter me rattraper, je m’accrochais à la seule prise que j’avais, à savoir la personne que j’entrainais dans ma chute...

Par chance, aucun arbre ou rocher ne vint interférer avec notre chute, qui nous emmena donc tout en bas de la pente. Ce roulé-boulé avait été particulièrement douloureux, surtout après l’accident que j’avais subit... mais je pense que je pourrais me relever. Du moins, quand cette fille me le permettra...

« H-hey... ça va ? »

Je tentai de me dégager, mais la douleur dans mes membres et mon dos me fit abandonner de suite cette idée. Je serai les dents, laissant malgré tout échapper un râle de douleur. Pourvu qu’elle n’ait rien de cassé, ce serait bien ma veine... trainer mon propre corps sera déjà bien assez de peine, je ne pourrais jamais la porter. Mmh...

Dans un soupir de dépit, je levai les yeux vers la pente que nous venions de descendre. Les animaux semblent ne pas nous avoir suivit... mais nous ne pouvions déjà plus voir la route d’ici. En revanche, de l’autre côté et légèrement en contrebas, un petit sentier sinueux se dessinait au travers de la forêt. Il avait l’air curieusement bien entretenu, comme si des promeneurs passaient régulièrement par ici. Peut-être que nous pourrions trouver une autre sortie en passant par là...

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On dit souvent qu’on voit le monde d’une manière différente lorsque l’on prend le temps de s’arrêter pour le contempler. Allongée sur un tapis de verdure, sans possibilité d’action que l’inaction, je réalisais encore une fois à quel point c’était vrai. Poussière nous étions, et poussière nous redeviendrons, sitôt que les mains invisibles du temps se seront lassées de nous. Qu’est-ce donc que la vie, sinon un cycle d’éternel recommencement ? Ensemble, poussières deviennent pierre. Ensemble, pierres de deviennent mur. Ensemble, pierres deviennent forteresse. Jusqu’à ce qu’un jour, un bombardier viennent détruire l’œuvre de toutes ces année, soupirai-je.

Soudain, je remarquai que la demoiselle qui entravait mes mouvements s’était relevée. Je me redressai donc à mon tour, sans faire preuve d’autant de vigueur toutefois – car contrairement à elle, je n’étais pas tout à fait indemne de cette chute. Une douleur sourde assaillait mon crâne sitôt de retour à la réalité, et ma foi, le sol n’était pas si inconfortable, alors pourquoi ne point y rester un peu plus longtemps ? Malheureusement, une raison toute trouvée vint piailler à mon oreille. Les oiseaux semblaient bien agités tout à coup, que se passait-il encore ? Curieuse quoiqu’un peu réticente, je me levai complètement pour mieux voir, inquiète de la suite des évènements.

Puis je la vis. Une nuée multicolore, telle un arc-en-ciel psychédélique, se profilait d’entre les feuillages au loin. Je cru à une illusion d’optique, quelque reflet du soleil ou que sais-je encore... mais la façon dont cette lumière se déplaçait était trop étrange pour être quelque chose de la sorte. La demoiselle que j’avais entrainée dans ma chute suggéra que nous trouvions refuge au plus vite, de peur que la vue ne nous soit arrachée d’une des pires manières qui soit.

« J-je crois que je peux marcher, mais... »

La situation était mauvaise, déplorable même. La pluie de becs furieux s’abattrait sur nous d’une seconde à l’autre, l’heure n’était plus à la fuite. Je ne pouvais pas en vouloir à la demoiselle de paniquer, mais je n’avais aucune idée de comment gérer cette crise par moi-même. J’esquissai un mouvement de recul presque malgré moi, partagée entre le réflexe de fuite et calme froid que je voulais m’imposer. Il fallait que je fasse face... je l’avais déjà fait, je pouvais réessayer ? Tout se passerait bien cette fois... je... crois ? Je l’espère, plus que tout.

« ... A terre ! »

Je criai de toutes ses forces alors que je rassemblais en moi toute la concentration dont j’étais capable pour maintenir la force à laquelle je faisais appel. Je pouvais entendre les battements de mon cœur s’accélérer, l’adrénaline pulser dans mes veines. Puis, toutes ces sensations se transmirent à l’air autour de moi, à rayonner et tourbillonner avec une force incroyable ; c’était une véritable tempête qui se déchaina subitement, des rafales de vent d’une violence rarement vue du commun des mortels s’échappèrent vers le ciel en balayant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Les feuillages hurlaient, les branches se brisaient dans une symphonie de craquements atroces. Moi-même, je dus tomber à genoux, de peur d’être emportée à mon tour par le courroux d’Eole que j’avais provoqué.

Tout cela ne dura qu’une dizaine de secondes. Lorsque la fureur des vents se calma enfin, ce fut une véritable pluie de plumes et bois qui retomba sur la forêt. Tous les animaux avaient été soufflés au loin, ou bien fracassés contre les arbres. Dans la forêt si vivante, régnait à présent un silence de mort.

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Le danger était enfin écarté... je pense ? Mais pourquoi s’en prendre à nous ? Ca, je n’en avais aucune idée. Mais nous étions toutes deux saines et sauves, c’était le principal. Enfin, si on exceptait le fait que ma partenaire d’infortune était en ce moment même étalée dans une flaque de boue. Elle n’avait rien, visiblement, puisqu’elle se releva d’un bond avant de venir sur moi pour me... hé, pas touche avec tes mains pleines de boue !? Mais je n’eu pas le temps de formuler la moindre protestation qu’elle m’entrainait déjà dans sa course, s’enfonçant encore plus profondément dans la forêt...

« Sinon comment vous appelez vous jeune fille ? J'espère que cela ne vous dérange pas que je vous tire un peu, ce sera regrettable que d'autre oiseaux de ce genre nous rattrapent... Ha ces satanées bêtes !
- Euh, je... Lyra, mais, on devrait pas plutôt sortir de la forêt ? »

Retourner au plus vite à la civilisation semblait pour moi le meilleur plan d’action à adopter. Ce n’était pas tant le chemin sinueux qu’elle empruntait qui me dérangeait, mais plutôt l’impression qu’elle n’avait absolument aucune idée d’où elle m’emmenait... Tout en levant les yeux au ciel, je commençais à douter de pouvoir dormir dans mon lit ce soir. Pour dormir à la belle étoile, j’avais connu des jours meilleurs. Qui sait quel genre de bêtes rodent encore dans les profondeurs des sous-bois...

Et nous avons couru, à en perdre haleine, pendant de longues minutes. Des arbres, des arbres à perte de vue, sans aucun point de repère. J’avais perdu mon bonnet dans les branches d’un arbre qui avait eu la bonne idée d’étendre ses branches à la hauteur de mon visage, et je ne sentais plus mes pieds à force de trébucher sur les racines et autres caillasses sur mon chemin. Au début, je pensais que nous étions seuls... mais rapidement, quelque chose s’est rapproché, lancé à notre poursuite. Une masse sombre qui se faufilait entre les herbes et sous les feuilles mortes en poussant des couinements stridents. Je ne savais pas combien de temps nous pourrions encore fuir à ce rythme. Je n’en pouvais plus, il fallait que je m’arrête, et je ne pouvais pas prendre le risque d’utiliser encore mes pouvoirs...

« Hé, c’est encore loin ? La forêt est en train d’essayer de nous tuer j’te signale ! »

Je l’avais dis, c’était pas une bonne idée ! Mais qu’elle idiote de l’avoir suivie aussi, c’était son problème si elle allait se perdre et servir de croquette pour raton-laveur après, et maintenant, je serais incapable de retrouver la route... Maintenant, nous étions dans le même bateau. Et la seule chose qu’il me restait, c’était de lui faire confiance pour nous tirer de cet apocalypse sylvain.

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La nature nous était plus hostile que jamais en cette étrange journée. J’ignorais bien quelle raison pouvait l’avoir rendue si farouche envers nous, mais contrairement à ma partenaire, je n’avais cure des contrariétés de la tierce divinité qu’elle en croyait à l’origine. La déesse en qui je croyais n’agirait jamais de cette manière. En était-elle vraiment une, en premier lieu ? Et à y repenser... n’étais-je pas d’ascendance divine, moi aussi ? Peu m’importait, je n’avais jamais été réellement croyante en premier lieu. Je voulais juste une vie normale, m’enfermer dans mon petit monde de poneys à guimauve avec mes amis. Qui est-ce que j’ennuyais au juste avec ça, hein ? Si ces stupides animaux ne voulaient pas nous lâcher, alors j’allais devoir m’en débarrasser.

De ma main libre, je sentais déjà la magie commencer à converger en son creux, pulsant et vibrant comme les battements d’un cœur. Attends le bon moment...

Mais soudain, la voix de la demoiselle qui m’entrainait à travers les bois s’éleva à nouveau. Allons bon, Odin à présent ? J’allais finir par ne plus savoir à quelle église prier avec elle. Cependant, ses yeux ne lui faisaient pas défaut, et pour abri de fortune, les tours d’une ancienne forteresse se dressaient au loin derrière les feuillages. Pour autant, cette silhouette imposante ne m’était pas rassurante. Il y avait quelque chose d’étrange, d’inquiétant, ne serait-ce que dans le fait du lieu où il avait été bâti. Un château abandonné au beau milieu d’une forêt sauvage, ça cache forcément quelque-chose...

« Espérons qu’on y arrive à temps... – attention au trou ! »

Mais c’était trop tard. A peine eu-je le temps de le voir arriver qu’il immense fossé se creusa en travers de notre route, et entrainées par le dénivelé, nous fûmes précitées dans le gouffre. Cinq mètres, peut-être plus ? J’aurais bien de la peine à évaluer la distance qui nous séparait du sol en cet instant. A cette hauteur, c’était bien plus qu’une petite entorse à la cheville qui nous attendait.

« C’est le moment, non ? »
La magie que j’avais conservée dans la paume de ma main, elle commençait à s’échapper. Une pâle lumière bleue en émanait, faible, si faible qu’elle semblait se disperser dans l’air lui-même. Alors, dans un ultime effort, je tendis mon bras vers le sol. A cet instant, j’avais cette image en tête. Quelque chose de doux, de moelleux, un coussin pour amortir ma chute. Par réflexe ou par crainte, je fermais les yeux et attendais mon jugement. Peut-être la chute semblerait-elle moins douloureuse ainsi, c’est ce que je me disais.

Mais en lieu du choc auquel je m’attendais, l’impact se fit attendre. L’air cessa de siffler, les bruits se firent plus lointains, comme étouffés. Une sensation étrange commença à m’envelopper, à la manière d’une couverture douce et chaude. Je voulu ouvrir les yeux, mais je ne voyais que du blanc. Je suis... morte ? J’ai voulu tendre la main, et à ma surprise traversa la surface immaculée sans difficulté. Et l’autre côté, la forêt était la même. Le moment où nous étions tombées, moi et cette fille. A ce moment, j’émergeai enfin la tête à l’air libre, et je réalisai ce qui s’était passé.

« Un nuage ?... H-hé, mademoiselle, tout va bien ?! »

Wow, je savais faire ça moi ? En tout cas, ce réflexe inconscient nous avait probablement sauvé la vie à toutes les deux. Je commençais à vraiment l’aimer cette magie, finalement. Après avoir tiré la tête de ma compagne du nuage, je levai les yeux vers le bord du gouffre dans lequel nous étions tombées. Les ombres ne nous avaient pas suivies ici bas... et même si elles l’avaient fait, je ne connaissais pas beaucoup de créature capable de s’en tirer indemne après une telle chute. Mais abandonneraient-elles la chasse pour autant ?... nous ferions mieux de lever le camp au plus vite.

A cette réflexion, une pensée me traversa l’esprit... Puisque j’avais ce nuage... le vent ne pourrait-il pas nous porter ? Ou peut-être pouvais-je même le transformer en quelque chose de plus à même de nous transporter, je me souvenais avoir déjà vu plusieurs descendants animer leurs magies en une forme animale.

« Je sais pas si ça va marcher, mais... »

Déterminée, je pris une inspiration et apposai ma main sur la surface du nuage. Il me fallait quelque chose d’assez gros, mais sans trop m’épuiser non plus... Pendant que je réfléchissais à la forme que je voulais lui donner, le nuage commença à gonfler doucement, et à s’assombrir un peu également. Un petit nounours, ça devrait faire l’affaire, non ? Et a ma grande surprise, mon idée fonctionna ; nous étions maintenant toutes deux sur le dos d’un imposant ursidé cotonneux. Une vraie peluche taille nature !

« Pousses-toi, je conduis ! – fis-je à ma partenaire en prenant place à l’avant – En route, Plume ! »

L’animal magique s’exécuta à ma voix, et commença à marcher dans la direction que je lui avais indiquée. Si on m’avait dit que je ferais ça un jour avant d’arriver sur cette île, je ne l’aurais pas cru. Mais bordel, qu’est-ce que ça fait du bien d’enfin pouvoir profiter !

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Quelle déesse m’avait bénie ? Elle faisait probablement référence aux pouvoirs que j’avais mis en œuvre pour nous sauver... et si c’était le cas, j’étais bien dans l’incapacité de lui apporter réponse. Je me m’étais jamais vraiment posé la question, et pour être honnête, j’avais même un peu rejeté ma magie jusque là.

« Je ne sais pas trop, je sais juste faire quelques trucs avec le vent... et les nuages, apparemment. »

Alors elle, sa magie était en rapport avec l’élément terrestre ? J’étais bien curieuse de savoir comment elle l’utilisait, je n’avais jamais vu ce genre de magie en action. Peut-être qu’elle pourrait nous être utile pour nous sortir de ce mauvais pas... après tout, une fois au château, nous étions encore bien loin de la fin de notre périple. Ce serait un abri solide oui, mais je n’avais nulle envie d’y passer la nuit. Tandis que je songeais à tout cela, cramponnée à la toison laineuse de notre monture, je jetais parfois machinalement quelques regards en arrière pour voir si nous étions toujours suivies.

Non... du moins, je ne voyais rien à l’horizon. C’était rassurant, et inquiétant à la fois. Je ne pouvais me résoudre à croire que cette armée des ténèbres ait abandonné la chasse si facilement. Ce serait trop facile. Cependant, nous traversions la forêt à vive allure, et notre destination se rapprochait à grands pas. Ce château, d’ailleurs... il était étrange, non ? Je m’attendais à une ruine, des remparts écroulés, un donjon envahi par la végétation sauvage... mais il n’en était rien. Si le lierre grimpait aux imposants murs de pierre, ces derniers semblaient en très bon état. En trop bon état...

« A MON TOUR DE FAIRE LE TAFF ! (And his name is...) JOHNNNNN CENAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA »

Je me bouchai les oreilles en enfouissant ma tête dans le pelage de mon nounours, entendant malgré tout le vacarme assourdissant des lourdes planches s’écrasant au sol. Lorsque je relevai la tête, la porte était ouverte. En deux, littéralement. Une putain de porte renforcée avec une armature en fer, d’au moins trois mètre de haut. Avec un simple coup de pied. Alors c’est ça, la force de Gaia ?...

Je descendis à mon tour de l’ours, le laissant fermer la marche alors que nous entrions dans l’immense hall de la forteresse. Nos pas résonnaient dans toute la structure, qui restaient drapée dans un voile d’obscurité malgré les étroites fenêtres qui laissaient filtrer la lumière du dehors. Puis, soudainement, des torches s’allumèrent.

« ... Il y a quelqu’un ? »

Je regardai ma partenaire, interloquée. Cela ne pouvait pas être elle, sa magie n’était pas celle du feu pourtant. Alors... qui était-ce ?