Est-ce le Seigneur qui t'a placé sur mon chemin ? [Alice/Evangeline]

Emmitouflée dans un épais manteau d’hiver, Alice parcourait la longue allée qui amenait à l’entrée du temple. Depuis qu’elle était arrivée sur l’île, elle redécouvrait les désidératas météorologiques que le Seigneur leur soumettait. Après tout, elle avait passé le plus clair de son temps dans le sanctuaire dans lequel les fidèles venaient rendre grâce au Seigneur, et comme ce dernier se trouvait en sous-sol, les affres de la météo ne se faisaient pas trop ressentir en ce lieu sacré. Cependant, ce n’était pas non plus comme si elle était recluse dans son naos. Elle avait de temps à autre, lorsqu’aucune cérémonie ou autre accueil de nouveaux fidèles étaient prévus, le droit de sortir dans la cour centrale. Cela ne durait jamais très longtemps, quelques minutes tout au plus, afin d’éviter que la souillure du monde mortel n’atteigne ses divins attributs. Une règle qu’elle avait toujours regrettée, et dont elle était fort heureuse de ne plus avoir à la suivre. Du moins, pour l’instant… Si jamais une nouvelle communauté se formait afin de vénérer le Seigneur avec elle comme idole vivante, elle risquait fort d’être à nouveau cloîtrée entre quatre murs. Enfin, si telle était la volonté de Dieu, qui était-elle donc pour la contredire ?

Toujours est-il qu’en cet instant, elle n’avait d’autres devoirs envers le Saint Père que ceux qu’elle était elle-même en mesure de réaliser. D’ailleurs, peut-être devrait-elle aller faire une prière pour glorifier son nom ? Plus tard, là elle voulait profiter de cette petite promenade rafraîchissante. Rafraîchissante, elle l’était sans doute, étant donné la brise hivernale qui venait se frotter sur ses jambes à nu. En effet, même en hiver, son habit de nonne ne se composait pas de davantage de tissu. Si bien que le bas de son corps était quelque peu soumit aux froides conditions climatiques qui régnaient en ce jour, et même en cette saison. Cela ne l’empêcha cependant pas d’aller s’asseoir sur un banc, contemplant l’autre bout de l’allée sans vraiment l’apercevoir. Apparemment, pas de visiteurs aujourd’hui non plus. Est-ce qu’il y avait si peu de gens qui avait la foi, sur cette île ? Certes, la religion qui était pratiqué en ce lieu était différente de la sienne, cependant, cela marquait à quel point les gens étaient désintéressés des croyances théologiques. Et puis, ils avaient gentiment accepté de l’héberger, alors il était naturel qu’elle récompense leur charité en leur souhaitant le bonheur en retour. Enfin, les prêtresses lui avaient affirmé que ce n’était pas rare qu’il se passe plusieurs jours sans qu’il n’y ait de visiteurs, et que ce n’était pas significatif d’un manque de foi dans les dieux. Pour Alice, cela était étrange, car il y avait toujours au moins un fidèle pour venir prier devant elle et ce chaque jour que Dieu faisait. Alors, voir un lieu saint dépourvu de tous croyants, ça lui paraissait de mauvais augure…

Prise dans ses pensées, Alice ne remarqua pas qu’une personne approchait. Ce ne fut que lorsque celle-ci fut à quelques mètres à peine, suffisamment proche que pour qu’elle entende le bruit de ses pas, qu’elle remarqua la présence du visiteur. Elle se redressa alors, et instinctivement, elle joignit ses mains l’une contre l’autre, avant de dire :

- Bonjour mon enfant, seriez-vous venu chercher la parole de Dieu ?

Ce ne fut qu’après avoir prononcé ces mots que la jeune femme se rendit compte que ces derniers étaient surement peu indiqués. Après tout, la religion locale était différente de la sienne… Cependant, à la réflexion, si le Seigneur l’avait amené ici, il devait y avoir une raison. Et peut-être que la raison à ceci se tenait justement devant elle ?

Apparemment, le visiteur ne l’avait pas remarqué. Pourtant, assise sur son banc, elle devait se démarquer… Peut-être était-elle tout simplement trop prise par ses pensées ? Cela pouvait traduire d’un certain désarroi… Toujours est-il que cette soudaine prise de parole semblait avoir pris au dépourvu la jeune fille, qui avait sursauté en la voyant. En effet, c’était bien une jeune fille qui se tenait devant Alice, une demoiselle vêtue d’une tenue peu indiquée pour la saison mais qui ne semblait pas le moins du monde en souffrir. Cependant, ce n’était pas sur ce genre de détail que la nonne avait l’habitude de s’attarder, si bien qu’elle le remarqua à peine. Elle préféra se concentrer sur la réponse de la demoiselle, qui lui avoua après l’avoir salué en retour… qu’elle était venue chercher des réponses. Ainsi, son esprit était bel et bien en proie au doute, ou tout autre tourment intérieur… Quelle meilleure façon de venir à bout de ceux-ci que de venir consulter le Seigneur ? Elle avait donc eu la bonne idée de venir confier son désarroi… Non, pas au Seigneur. Elle revenait du temple, dès lors, c’était auprès des dieux japonais qu’elle avait recherché le réconfort. Cependant, cela ne semblait pas avoir été très efficace. Enfin, c’était là tout le pouvoir que pouvait posséder de faux dieux, après tout. Dès lors, peut-être que le Seigneur, lui, arriverait à soulager les tourments de cette pauvre brebis ?

Mais alors qu’elle voulait lui faire cette proposition, la demoiselle lui demanda s’il n’était pas mieux qu’elle rentre. Certes, elle commençait à sentir ses jambes s’engourdir sous le froid, cependant, elle n’en était pas à un point où cela était insupportable. Et puis, il lui était impossible de tourner le dos à une âme égarée, si bien qu’elle lui répondit :

- Ne vous inquiétez pas, le froid ne m’accable pas tant que cela. Mais peut-être souhaiteriez-vous me suivre dans un endroit plus chaleureux ? La maison du Seigneur est toujours ouverte à ceux qui ont besoin de lui.

Voilà qu’elle recommençait à prêcher… Alice avait pu remarquer que certaines personnes étaient passablement réfractaires à ses dires, certains en venant même à se montrer grossier envers elle. Si bien qu’elle essayait au mieux de retenir ses propos religieux. Cependant, les habitudes avaient la peau dure, si bien qu’il lui arrivait fréquemment de faire ce genre d’allusions… Aussi, afin d’éviter de faire fuir la demoiselle, elle reprit la parole :

- Si vous préférez éviter de vous entretenir avec Dieu, peut-être vous contenterez-vous de son humble prêtresse ? Que diriez-vous de me confier vos interrogations autour d’une tasse de thé bien chaud ? Rien de tel pour réchauffer le corps et l’esprit. Et si Dieu le veut, peut-être arriverais-je à vous apporter quelques éclaircissements ?

Suite à cette proposition, le choix était désormais entre les mains de la demoiselle que se tenait face à elle. De toute façon, une bonne tasse de thé était toujours plus agréable en aimable compagnie, même si Alice ne pouvait pas savoir si oui ou non la jeune fille faisait partie de cette catégorie de personnes.

Après une brève réflexion, la demoiselle accepta l’offre d’Alice, et cette dernière lui montra donc le chemin à suivre. Certes, il était peut-être un peu inconvenant de sa part de permettre à une étrangère de pénétrer dans les quartiers réservés aux prêtres et prêtresses du temple, mais elle se limiterait à ses propres quartiers, cela ne devrait donc pas poser trop de problèmes. Et puis, on ne lui avait jamais dit que cela était interdit, alors… Son invitée lui emboîta le pas, et ensemble, et se dirigèrent vers une partie du temple habituellement hors d’accès des étrangers.

Une fois déchaussées, comme l’exigeait la coutume japonaise, elles se dirigèrent vers la petite pièce qui servait de chambre à la nonne, et cette dernière invita son invitée à y pénétrer. Elle-même n’y resta pas plus longtemps, préférant se diriger vers la cuisine afin d’y préparer le thé. Laisser une étrangère seule dans ses quartiers, cela pouvait relever de l’inconscience. Cependant, outre la confiance aveugle et naïve qu’elle lui portait, il n’y avait rien dans la pièce qui ne soit digne d’être dérobé, étant donné que la nonne n'avait aucune possession matérielle. Bien que plus habituée à la dégustation qu’à la préparation du thé, Alice ne tarda pas à revenir chargée d’un plateau sur lequel étaient posées deux tasses de thé fumantes. Enfin, elle s’installa en face de son invitée, non sans lui avoir servi un des deux récipients bien chaud.

Les secondes, puis les minutes s’écoulèrent sans que l’une ou l’autre des jeunes femmes ne prennent la parole. Alice se contentait de siroter son thé en silence, comme elle en avait l’habitude. Dès lors, si la demoiselle qui lui faisait face souhaitait que la conversation ne commence, il valait mieux que ce soit elle qui prenne la parole, sinon, cela pouvait durer longtemps… Heureusement, c’est ce qu’elle fit, en se présentant. Ainsi, elle s’appelait Evangeline, un joli prénom. Après cette brève présentation et quelques remerciements, vint alors une première question. Ce n’était cependant pas le genre de question à laquelle elle s’était attendue. Pas d’interrogations d’ordre spirituel, ou bien de tourments personnels. Non, ce qu’elle voulait savoir c’était qui était Kagutsuchi. Tenant toujours sa tasse dans sa main, Alice la fixa quelques secondes, sans savoir comment réagir. En termes de mythologie japonaise, elle ne savait pas grand-chose… Après tout, elle n’était pas là depuis très longtemps, et elle ne s’était pas vraiment intéressée aux différents aspects de la religion en vigueur sur cette île… Néanmoins, elle pouvait quand même donner un semblant de réponse :

- Kagutsuchi est un… dieu, dans la mythologie japonaise. Je crois qu’il a un rapport avec le feu, ou quelque chose du genre…

Parler d’une autre religion que la sienne lui faisait un drôle d’effet, et elle ne tarda pas à se signer tout en adressant une petite prière intérieure au Seigneur. Elle ne voulait pas que ce dernier croit qu’elle ait perdu foi en lui, alors qu’elle ne faisait que renseigner une personne à ce sujet. Une pensée soudaine lui traversa l’esprit… La demoiselle s’était présentée, mais elle ne l’avait pas fait. Elle s’empressa alors de pallier à cette situation :

- Oh, j’ai oublié de me présenter. Je me nomme Alice, humble servante du Seigneur. Je suis navrée de ne pas pouvoir vous apporter davantage de réponses à votre question, malheureusement, la mythologie japonaise n’est pas mon fort, je ne puis vous offrir mieux que ces maigres informations.

Ce fut avec honnêteté qu’elle avoua ses faiblesses dans ce domaine. Après tout, si la demoiselle espérait obtenir davantage d’informations, mieux valait qu’elle sache tout de suite qu’elle n’était pas la meilleure référence en la matière.

Alice devait avoir eu un geste laissant croire que cette simple question l’avait mise mal à l’aise, car Evangeline s’excusa de l’avoir posé. Peut-être était-ce son signe de croix ? Quoi qu’il en soit, le silence s’installa, et la jeune nonne se contenta de continuer à savourer son thé. Les minutes s’écoulèrent, sans qu’un autre bruit que le tintement des tasses que l’on redéposait sur la table ne vienne perturber le calme ambiant de la pièce. Cette dernière respirait la sérénité, et l’attitude calme et posée d’Alice se fondait parfaitement au décor. Elle se demandait cependant si la question que la demoiselle lui avait posée était-elle la seule qui lui triturait l’esprit, ou si elle hésitait à présent à en poser d’autres. Peut-être devrait-elle l’encourager à poursuivre sur sa lancée ? Hmm, peut-être lorsqu’elle aurait fini de boire son thé ?

Cependant, sa tasse ne fut pas vide lorsque de nouveaux mots furent prononcés. Evangeline était en train de lui confier une partie de son histoire, et probablement l’une des choses qui devait la préoccuper en cet instant. La demoiselle n’était pas native de l’île, et venait tout juste d’y arriver. Elle avait été séparée de sa tante, et souhaitait retourner auprès d’elle, sans savoir toutefois si cela était possible. Gardant le silence, Alice attendit patiemment qu’elle reprenne la parole, car elle sentait bien qu’elle n’avait pas fini de confier ses tourments. Et l’avenir lui donna raison, car dans un soupir plaintif, la demoiselle confia ne pas être une personne normale, et qu’elle ne savait pas si elle pourrait reprendre une vie classique. Voilà de biens étranges propos pour une jeune fille qui lui paraissait on ne peut plus normale. Cette dernière prononça alors ses dernières paroles tout en la fixant droit dans les yeux, avant de se plonger dans le silence. Cette fois, Alice sentait qu’elle avait fini de confier son désarroi. Elle maintint sans ciller le contact visuel avec la demoiselle, avant de vider sa tasse de thé et de la déposer sur la table :

- Si les occupations vous font défaut, vous serez toujours la bienvenue en ce lieu. Outre le réconfort spirituel qu’il peut prodiguer, le décor est des plus enchanteurs, et peut à lui seul soulager certains tourments intérieurs.

Elle réagissait ainsi aux derniers mots qu’avait prononcés son interlocutrice. Elle lui indiquait que le temple lui était toujours ouvert, même si ce n’était pas à elle d’affirmer ces dires. Cependant, cela impliquait également qu’elle était prête à offrir une oreille attentive à la demoiselle si d’aventures, elle avait à nouveau besoin de confier ses malheurs. Une fois cela dit, Alice reprit la parole :

- Il se trouve que le Seigneur m’a moi aussi mené récemment en ces lieux. J’ignore encore pour quelle raison, mais je suis sure que si je me trouve ici, c’est qu’il s’agit de sa volonté. Au moment voulu, la vérité me sera révélée, et je pourrais alors agir en conséquence. Il doit en être de même pour vous. Dès lors, je ne peux que vous suggérez la patience. Si votre destin est de retourner auprès de votre tante, tôt ou tard, vous y parviendrez. Alors, ne perdez pas espoir, et essayez de trouver votre voie.

Des paroles qui n’offraient peut-être pas le réconfort que recherchait la demoiselle, cependant, elle ne pouvait rien offrir de mieux. Elle n’était pas voyante, et le Seigneur ne lui avait pas confié la destinée de la jeune fille, si bien qu’il était inutile de chercher à prétendre le contraire. Cependant, il y avait encore une chose qu’elle pouvait dire :
 
- Le Seigneur nous a peut-être fait à son image, mais cela ne change rien au fait que nous sommes tous différents. Chaque enfant de Dieu est unique, dès lors tous peuvent être qualifiés d’anormaux. Moi-même, voyez-vous, je ne réponds pas vraiment aux critères physiques habituels. Cependant, nous sommes tous les enfants de Dieu, et ce faisant, nous sommes tous frères et sœurs. Qu’importe vos différences, gardez en tête que le Seigneur, lui, ne vous voit pas différemment. Tout comme moi, son humble prêtresse.

Elle ponctua ses dernières paroles en joignant ses mains devant elle, la tête baissée comme dans une légère révérence. Certes, Alice ignorait de quelles différences pouvait bien parler la demoiselle. Cependant, son ressenti ne risquait surement pas de changer, dès lors ses paroles étaient nimbées d’une sincérité des plus pures.

Les paroles d’Alice n’avaient pas eu un grand impact sur la demoiselle, et elle pouvait bien le voir. De toute évidence, sa foi dans le Seigneur n’atteignait pas le même niveau que le sien, bien que cela n’avait rien d’étonnant. Malheureusement, la jeune nonne n’avait rien d’autre à offrir à son interlocutrice afin de lui apporter l’apaisement de son âme… Après tout, elle-même ignorait le destin qui l’attendait sur cette île, et si jamais elle y resterait à jamais ou non. Seulement, contrairement à Evangeline, elle ne se souciait pas particulièrement de son sort, si bien que sa situation actuelle ne la dérangeait pas outre mesure. Elle se laissait guider par le destin que le Seigneur lui réservait, même si cela devait la mener à sa perte. Après tout, c’était lui qui lui avait donné la vie, il était donc en droit de la lui reprendre, lorsque son utilité arrivait à son terme. Cependant, elle comprenait que nombre de gens préférait ne pas penser ainsi. Et pour être tout à fait honnête, elle-même commettait parfois le péché de remettre en cause certains fondements de son culte, surtout depuis son arrivée sur Awashima. Certains faits troublants ébranlaient les convictions de la demoiselle…

Quoi qu’il en soit, Evangeline s’était décidée à réagir aux propos de la nonne, précisant davantage ce qu’elle entendait en parlant de différence. Elle essaya alors de s’expliquer plus clairement, en parlant de don, mais pas de n’importe quelle sorte, de don surnaturel. Alice avait bien compris ce qu’elle sous-entendait par-là, cependant la demoiselle voulait donner davantage de détails, ce qui eut le malheureux résultat de la faire s’enliser dans ses explications qui réussirent à embrouiller l’esprit de la nonne. Elle bégayait tellement que certains de ses mots en devenaient difficilement compréhensible, et son visage était tellement rouge qu’on aurait pu croire qu’elle avait pris feu. Dès lors, lorsqu’une petite flamme jaillit du bout de son doigt, Alice crut un bref instant qu’elle s’était véritablement enflammée… avant de se dire que cela était tout bonnement impossible. Notamment parce que celle censée être en train de brûler vive gardait tout son calme maintenant que cette petite flamme était apparue. Elle ne tarda à confirmer qu’il de la fameuse différence qu’elle avait évoquée plus tôt. En effet, c’était quelque chose de plus singulier qu’une simple différence physique… Cependant, il en fallait bien plus que cela pour la décontenancer. Ce fut donc avec un calme apparent qu’elle écouta la nouvelle question de la jeune fille, qui lui demandait si elle aussi possédait un don surnaturel. Alice resta songeuse quelques secondes avant de répondre :

- Hmm, je ne pense pas. Le Seigneur se manifeste à travers moi, montrant ainsi sa toute puissance.

Alice plaça sa main sur son menton, pensive. Elle reprit alors la parole :

- Les prêtresses du temple m’ont affirmés que les phénomènes qui se produisent autour de moi ne sont pas des manifestations divines, mais bien des actes de mon propre chef. Comme quoi je serais une descendante du dieu Tsukuyomi, ou un nom du genre. Il s’agit-là d’un autre dieu japonais, qui serait associé à la lune et aux ténèbres. Elles s’évertuent à m’affirmer que je me trompe… Je ne vois pas cependant pourquoi je devrais prêter davantage de crédits à leurs convictions qu’aux miennes.

Alice poussa un profond soupir, en se remémorant les nombreuses conversations qu’elle avait eu avec les prêtresses du temple sur cette question. Elle-même savait que la vraie foi n’était pas celle que l’on imposait aux autres,  et que d’essayer de forcer ses convictions aux autres n’était pas la solution. Cependant, l’heure n’était pas aux souvenirs amers, mais plutôt au présent et à la demoiselle qui se tenait face à elle. Peut-être qu’une petite démonstration aiderait à calmer son angoisse ?

- Hmm, je peux demander au Seigneur de se manifester devant vous, ainsi, vous pourrez voir que vous n’êtes pas la seule chez d’étranges phénomènes se produisent…

Joignant ses mains l’une contre l’autre, Alice ferma les yeux, et commença à entonner une petite prière :

- Ô Seigneur, apaise les tourments de ton enfant, et manifeste toi à elle. Montre lui ta grandeur, afin que se taise sa crainte…

Se faisant, des ténèbres commencèrent à s’échapper du corps de la nonne, comme si elles irradiaient directement d’elle. Ce qui était, d’ailleurs, le cas… Quelques secondes plus tard, Alice rouvrit les yeux, et les ténèbres retournèrent là d’où elles venaient. Desserrant ses mains, Alice afficha un sourire sur son visage serein. Elle espérait que désormais, les craintes de la jeune fille se soient un tant soit peu apaisées.

Evangeline laissa elle aussi un sourire s’afficher sur son visage, un sourire qui semblait traduire d’un certain soulagement chez la demoiselle. Apparemment, voir la manifestation du pouvoir du Seigneur l’avait apaisé. Elle comprenait ainsi que les manifestations paranormales n’étaient pas une chose dont elle avait l’exclusivité, et qu’ainsi, elle ne devait pas se sentir isolée du commun des mortels. Du moins, était-ce ce qu’espérait la nonne, raison pour laquelle elle avait prié le Seigneur de bien vouloir se manifester devant elle. Satisfaite du résultat, Alice attrapa sa tasse de thé, avant de se rappeler que celle-ci était vide. Elle la repoussa alors, reportant son attention sur la demoiselle qui la remerciait à présent de l’avoir invité à revenir en ce lieu si d’aventures elle en ressentait le besoin, ou tout simplement l’envie. Face à ces remerciements, la jeune nonne se contenta d’offrir un sourire chaleureux. Cependant, elle ne put rester de marbre face à la question suivante de son interlocutrice. En effet, cette dernière lui demandait si la première manifestation du Seigneur n’avait pas dû être troublante. Pensive, Alice prit son menton dans l’une de ses mains, et garda le silence quelques instants. Elle finit alors par prendre la parole :

- Hmm, je ne saurais pas trop vous dire… Le Seigneur se manifestait déjà à travers moi sans que je n’en ait vraiment conscience… Dès lors, je n’ai pas vraiment de souvenir de la première fois où il l’a fait… La première fois que j’en ai eu conscience, c’est lorsque j’ai rejoint l’Ordre.

Fermant les yeux pour mieux se remémorer la scène, Alice vit des images défiler dans son esprit. Cela remontait à déjà si longtemps, qu’elle était surprise de pouvoir les voir avec une telle netteté. Cependant, elle ne s’en serait pas mieux rappeler si on les avait projetées tel un film de cinéma :

- C’était mon premier jour, et c’était la première fois qu’on me menait au Sanctuaire. Le haut-prêtre avait réuni les fidèles, et imploré le Seigneur de se manifester à eux. J’avais peur, je dois bien l’avouer… Toutes ces personnes agenouillées devant moi, qui me regardaient comme si j’étais une autre… Alors, le Seigneur s’est manifesté, en m’enveloppant de ses ténèbres protectrices. C’était la première fois que je voyais cela, mais curieusement, je n’avais pas peur. Je me sentais plutôt… à l’abri. Comme si quelqu’un venait de passer ses bras autour de moi pour me protéger. Depuis, le Seigneur se manifeste chaque fois que j’ai besoin de lui. Je sais qu’il veille sur moi, et je lui en rends grâce.

Alice rouvrit les yeux, mais ne reporta pas tout de suite son attention sur la demoiselle qui lui faisait face. Elle joignit ses mains, et adressa une petite prière silencieuse au Seigneur afin de le remercier une fois encore de sa divine protection. Une fois qu’elle eut fini, elle fixa le visage d’Evangeline. C’était la première personne en dehors de l’Ordre qui découvrait une facette du fonctionnement de celui-ci, et elle se demandait vaguement comment elle allait réagir face à cette révélation.

Le regard fixé sur Evangeline, cette dernière ne le soutint pas. Avait-elle du mal à garder ses yeux plongés dans les siens ? Ou bien quelque chose dans ce qu’elle venait de dire l’incitait à éviter le contact visuel ? Pourtant, pour elle, elle n’avait rien dit de particulièrement étrange… Alors qu’elle se demandait de quoi il en retournait, la demoiselle lui fit part qu’elle comprenait les sensations qu’elle avait pu vivre lors de son arrivée dans l’Ordre. Il était cependant clair de par ses propos qu’elle-même n’avait pas vécu de situation de ce genre auparavant. Il faut dire que c’était là un traitement réservé à la prêtresse du Seigneur, dès lors, si elle n’en était pas une, il n’y avait rien d’étonnant à cela.

Maintenant, Evangeline lui faisait part de son étonnement quant à comment s’était déroulée son arrivée au sein de sa communauté. Apparemment, elle trouvait étrange, ou plutôt insoupçonné le genre d’accueil qu’on lui avait réservé. Pour ce qu’elle en savait, elle Elle se demandait également comment avait réagi les fidèles face à la manifestation du Seigneur. De ce qu’elle en savait, elle était un cas à part, dès lors il n’était pas étonnant qu’elle ait reçu un accueil quelque peu hors du commun. Cependant, était-ce à ce point différent de ce qui se faisait ailleurs ? Pour sa part, elle ignorait tout des préceptes des autres cultes, y compris les variantes catholiques. Dès lors, peut-être qu’il y avait là quelque chose d’étrange dans la façon dont on l’avait intégré au sein de l’Ordre… Evangeline s’interrogeait également sur la réaction des fidèles lorsque le Seigneur s’était manifesté à eux. Cette question était peut-être pour elle un moyen de découvrir comment réagissaient les gens face à des phénomènes surnaturels…

- Les fidèles ont eu des réactions diverses. Beaucoup se sont émerveillés devant la manifestation du Seigneur, d’autres se sont évanouis sous l’émotion. D’autres encore se sont mis à pleurer à chaudes larmes en marmonnant ce qui devait être des prières. Je pense pouvoir affirmer qu’en tout cas, tous ont réagi positivement.

Cependant, les fidèles, eux, s’attendaient à un phénomène de ce genre. Dès lors, elle ne pouvait affirmer que le commun des mortels réagirait de la même façon à une manifestation de ce genre. D’autant plus que, si pour elle, c’était le Seigneur qui se manifestait, dans le cas d’Evangeline, il s’agissait d’un don qui lui était propre. Il y avait donc plus de risques que les gens réagissent mal en sa présence plutôt qu’en la sienne… Incapable d’en dire davantage sur ce sujet, Alice décida de se reporter sur un autre sur lequel elle avait matière à dire. Dès lors, elle choisit le précédent sujet évoqué par la demoiselle, à savoir donc l’accueil au sein des Ordres religieux :

- Je ne serais pas trop vous dire si ce genre d’accueil est réservé à tout nouvel arrivant. Étant la prêtresse du Seigneur, il est fort probable que ce genre d’accueil m’ait été exclusif. Au sein de mon Ordre, les nouveaux fidèles se contentaient de prier devant moi avant de verser un peu de leur sang dans une coupe. Ils regardaient alors le Haut-prêtre m’en badigeonner le visage, et ils étaient alors des membres accomplis de l’Ordre. Rien à voir donc avec la façon dont moi-même je l’ai rejoint, vous voyez… »

Alice adressa un sourire serein à la demoiselle. Elle venait une fois de plus de révéler des éléments inconnus du public en ce qui concernait son Ordre, cependant, elle n’en avait cure en cet instant.

L’étonnement envahi Alice lorsqu’Evangeline qualifia d’étrange les pratiques qu’elle venait d’énoncer. Était-ce si inhabituel que de tels rituels aient lieux au sein d’une communauté religieuse ? Après tout, il est vrai que les premières fois où elle avait assisté aux diverses cérémonies organisées en l’honneur du Seigneur, elle aussi avait été prise d’effroi… Mais c’était parce qu’elle manquait encore de foi, et au bout de quelques mois, elle ne s’en était plus formalisée. Elle espérait au moins que cette découverte n’allait pas déstabiliser son invitée… Mais non, elle semblait à présent se dire que ce n’était pas si étrange que cela. En tout cas, ce sujet fut mis de côté, et cela arrangeait la jeune nonne. Bien qu’elle soit une étrangère, elle appréciait la compagnie de la demoiselle, qui savait se montrer courtoise et polie, et qui avait la bienséance d’éviter de vouloir lui imposer des croyances autres que les siennes.

Evangeline posa une nouvelle question, cette fois-ci afin de clarifier le rôle que le Seigneur avait bien voulu lui accorder en ce bas monde. Elle la qualifiait de messagère divine, et demandait si c’était bien là ce qu’elle était. Alice s’accorda un bref instant de réflexion avant de répondre :

- Hmm, je ne saurais trop dire si c’est le terme qui convient. Je n’apporte pas la parole du Seigneur, je me contente de la répandre comme le font les prêtres de l’Ordre. Je suis plutôt… un réceptacle, un sorte de relais, si je puis dire. Le Seigneur se manifeste à travers moi, sans jamais prendre la parole toutefois. Quant aux fidèles, ils transmettent leur foi au Seigneur plus efficacement grâce à moi. En échange de cette mission, le Seigneur me confère sa protection et sa bienveillance. Ainsi, tous sont satisfaits.

Elle avait éclairci autant que possible le rôle qu’elle tenait. Celui d’une idole vivante, en somme. Cependant, elle s’en était accommodée toutes ces années, si bien qu’elle n’en voyait pas les mauvais côtés. Comme de ne pouvoir circuler librement, avec l’ensemble de ses déplacements surveillés. Mais elles avaient assez discuté d’elle. Peut-être pouvaient-elles aborder un autre sujet ? C’est dans cette optique qu’Alice reprit la parole :

- Et si vous me parliez un peu de vous ? Si cela ne vous dérange pas, bien entendu. Ne vous y sentez pas forcer.

Après tout, elle aussi éprouvait une certaine curiosité à l’égard de son interlocutrice, et désirait en apprendre davantage sur la demoiselle. Cependant, en aucun cas elle ne voulait qu’elle se sente oppressée par des questions à son propos. Mais si elle souhaitait parler d’elle, ou même lui confier certaines de ses angoisses, elle trouverait une oreille attentive en la personne d’Alice.

Evangeline, avec une certaine hésitation semblait-il, accepta de donner quelques détails sur sa personne. Toute ouïe, Alice posa ses mains serrées l’une contre l’autre sur ses jambes, son regard braqué sur la demoiselle qui s’apprêtait à lui faire quelques révélations la concernant. Elle expliqua alors être née en France, mais avoir beaucoup voyagé, trimballée comme un bagage encombrant par ses parents qui semblaient préférer savourer ce tour du monde plutôt que de se soucier du bien-être de leur enfant. Un soupir suivit d’un léger sourire marqua une pause dans son histoire, avant qu’elle ne vienne enserrer ses genoux serrés contre sa poitrine dans ses bras. Une position de repli, qui devait traduire du mal-être que ressentait la demoiselle en cet instant. Elle-même s’était souvent repliée ainsi lorsqu’elle assistait pour la première fois aux cérémonies les plus troublantes qu’exécutait l’Ordre. Mais Evangeline n’avait pas fini de parler, si bien qu’Alice se concentra à nouveau sur les mots qui parvenaient à ses oreilles.

La demoiselle énonça certaines des destinations qu’elle avait pu découvrir en suivant ses parents au gré de leurs pérégrinations. Elle était notamment passée dans son pays à elle, le Royaume-Uni, et un bref instant, Alice se rappela Londres et ses monuments historiques qu’elle avait pu voir il y a si longtemps de cela. Evangeline raconta qu’elle appréciait ces voyages dans un premier temps, mais la solitude finit par la gagner, et ce fut en tant que jeune femme qu’elle chercha un peu de stabilité. Stabilité qu’elle trouva chez sa tante, bien qu’elle ne put y rester comme elle le désirait étant donné qu’elle avait été amenée ici, sur Awashima. Alice se tut, attendant de voir si la demoiselle n’avait pas encore quelques récits à lui faire partager. Mais il sembla bien que non, car le silence s’installa. Si bien que la nonne se décida à le rompre :

- Une vie bien mouvementée que vous me décrivez-là. Si j’osais la comparaison, je dirais qu’elle est relativement opposée à la mienne.

Réajustant quelque peu sa position, Alice clarifia les dires qu’elle venait de prononcer :

- Pour ma part, j’ai rejoint l’Ordre encore enfant, lorsqu’un prêtre est venu me chercher dans l’orphelinat dans lequel je séjournais. Depuis, j’ai passé le plus clair de mon temps dans le sanctuaire souterrain de l’église où l’on officiait. Dès lors, on ne peut pas vraiment dire que j’ai parcouru le monde, je ne puis donc imaginer la vie que vous avez menée.

Dit-elle avec un sourire serein. Il était vrai que lorsqu’on comparait leurs deux vies, on pouvait remarquer cette large différence. Une vie faite de voyage, sans attaches d’un côté, et une vie cloîtrée dans une pièce sombre en compagnie de fidèles qui l’adoraient. Ce contraste amusait quelque peu la nonne, qui n’en laissa toutefois rien transparaître. Elle préféra prononcer des paroles si pas de réconfort, qui pouvaient néanmoins lui en apporter par la suite :

- Votre tante doit vous manquer, et vos parents peut-être aussi. Je ne sais pas pour ces derniers, mais en ce qui concerne votre bienfaitrice, n’avez-vous aucun moyen de la contacter ? Entendre sa voix ne pourrait-il pas apaiser quelque peu votre solitude ?

Peut-être était-il idiot de dire cela. Après tout, elle devait surement déjà y avoir pensé. Cependant, l’erreur était humaine, et ses paroles étaient nimbées d’intentions bienveillantes à l’égard de son interlocutrice. Et puis, il ne coûtait rien de s’interroger sur ce fait, n’est-ce pas ?

La réponse de la demoiselle ne tarda pas à se faire entendre. Bien qu’elle n’y répondit pas directement, ses paroles apportaient avec elles une réponse sous-entendue. Evangeline n’avait pas de téléphone, dès lors, il était évident qu’elle n’avait pu contacter sa tante sans cet outil ô combien indispensable pour ce faire. Finalement, poser la question ne s’était pas révélé une mauvaise idée, car au final, elle n’avait pas contacté sa bienfaitrice faute de possession matérielle. Cependant, Evangeline avait raison en soupçonnant qu’elle-même ne possédait pas cet outil qui lui aurait permis d’entendre la voix de sa tante, et donc d’apaiser quelque peu son tourment. Mais cela ne voulait pas dire pour autant qu’il n’y avait pas de solution au problème !

- En effet, je ne possède pas de téléphone. Je n’en ai pas l’utilité, après tout. Cependant, bien que je ne puisse l’affirmer, je crois qu’il y a l’un de ces engins quelque part dans le temple. Si pas, peut-être que l’une des prêtresses disposent d’un moyen de communication ? Je pourrais leur en toucher un mot, si vous le désirez.

Après tout, les résidents du temple avaient eu la grande bonté de l’accepter parmi eux, et ce sans demander le moindre frais. Dès lors, il était fort probable qu’ils acceptent également de laisser cette pauvre jeune fille soulager son tourment, ainsi que celui de sa tante qui devait grandement s’inquiéter de la disparition soudaine de sa nièce. Il ne restait plus qu’à voir si Evangeline accepterait d’aller demander l’aide à d’autres personnes. Après tout, certaines personnes répugnaient à dépendre des autres, peut-être était-ce son cas ? Alice se satisferait de la décision de la demoiselle, quelle qu’elle soit.

Une petite lumière brillante passa dans les yeux d’Evangeline lorsqu’elle eut vent de la possibilité de pouvoir contacter sa tante, et Alice put y distinguer une certaine forme d’excitation. Du moins, fut-elle persuadée que c’était ce qu’elle avait perçu. Fait qui sembla être corroboré par les paroles enthousiastes de la demoiselle. L’émotion étant nettement perceptible dans sa voix, ce qui donnait encore plus de valeur aux remerciements qu’elle lui offrait de bon cœur. Alice aurait volontiers répondu en disant qu’elle ne méritait pas tant de reconnaissance, vu qu’elle-même n’avait rien fait de particulier. Cependant, il n’aurait servi à rien de le faire, et puis, l’excès d’humilité pouvait, au final, finir par se révéler insultant envers la personne qui était assez courtoise que pour offrir des remerciements.

Il était clair en tout cas que cette possibilité l’enthousiasmait au plus haut point, on pouvait voir qu’elle s’enflammait vraiment à l’idée de pouvoir contacter sa tante. Et pas seulement au sens émotionnel du terme… En effet, les doigts de la demoiselle venait de prendre feu, cependant, cette dernière n’en ressentait aucune douleur, preuve qu’il s’agissait-là d’une manifestation, probablement involontaire, de son pouvoir. Heureusement, ce bref moment incandescent s’arrêta rapidement, et la jeune nonne en fut reconnaissante. Elle préférait éviter d’avoir à expliquer à ses hôtes les raisons de l’embrasement inexpliqué de ses quartiers, en espérant bien sûr que le feu ne se soit pas entendu à l’ensemble des quartiers des résidents du temple… Maintenant qu’elle s’était calmée, Evangeline fit part d’une nouvelle crainte, celle d’un éventuel refus de la part des résidents du temple de la laisser utiliser leur moyen de communication, quel qu’il soit, notamment parce qu’elle était étrangère. À cela, Alice se contenta de soumettre un sourire apaisant avant de dire :

- Je doute fort que les prêtres soient réticents à cette idée. Après tout, ils m’ont bien accueilli moi, une étrangère et la messagère d’un culte différent du leur. Ce sont des âmes charitables qui gèrent cet endroit, et j’ai toute confiance en eux. Dès lors, je ne les vois pas vous refuser ce service.

Cependant, afin de faire taire les doutes qui pouvaient encore sévir dans le cœur de la demoiselle, Alice ajouta ces quelques mots :

- Si jamais je vois qu’ils se montrent hésitants, je leur demanderais cela comme un service personnel. Cela devrait ajouter du poids à cette demande.

Cela étant dit, Alice se releva et ramassa les deux tasses. Elle demanda à son invitée de bien vouloir l’attendre un instant, le temps qu’elle aille rapporter les tasses à la cuisine. Une fois cela fait, elle l’invita à la suivre. Elles retraversèrent le couloir jusqu’à l’entrée où elles avaient laissé leurs chaussures. Elles se retrouvaient à nouveau à l’extérieur, faisant chemin inverse, afin de se diriger vers le bâtiment principal du temple où, à cette heure de la journée, officiaient les prêtres et les prêtresses. Eux seuls pourraient les renseigner sur les moyens de communication dont disposait ce lieu.

Alice et Evangeline marchèrent en silence sur le chemin qui menait au bâtiment principal du temple. Cette fois encore, elle s’était emmitouflée dans sa veste, afin de limiter la morsure du froid de l’hiver. La jeune nonne était parfaitement sereine, elle ne doutait pas un instant que s’il y avait un téléphone, on ne refuserait pas un coup de fil à une âme angoissée simplement par radinerie. Cependant, au besoin, si les finances du temple ne permettaient pas un tel acte de générosité, elle sacrifierait autant de repas que nécessaire en échange de cet appel. Après tout, les besoins physiques n’étaient rien contrairement aux souffrances spirituelles ! Et elle ne pourrait laisser cette demoiselle dans le tourment si elle était en mesure d’offrir un secours face à ce dernier.
Les deux jeunes filles arrivèrent à destination, et se dirigèrent vers la pièce dans laquelle se réunissaient les prêtres et prêtresses lorsqu’il n’y avait personne à accueillir. Adoptant la position de circonstances, Alice s’annonça :

- C’est Alice. J’aimerais recourir à votre aide…

La porte devant laquelle elles se tenaient coulissa lentement, et des visages familiers apparurent. Après un bref instant, les regards se concentrèrent sur elle, l’invitant à leur exposer sa demande. Mais alors qu’elle ouvrait la bouche, une autre voix se fit entendre. Une voix qu’Alice reconnaissait bien pour l’entendre régulièrement depuis son arrivée au temple.

- Ah ! Est-ce que tu aurais enfin décidé de te convertir à nos croyances ? Il était temps !

Une jeune prêtresse sortit de la pièce, un large sourire triomphant sur le visage. Alice, elle se contenta de pousser un soupir las. Cette jeune fille, qui devait avoir à peu près son âge, était celle qui était la plus assidue lorsqu’il s’agissait d’essayer de la convaincre de croire leurs préceptes plutôt que les siens. Cela la rendait parfois insupportable, surtout qu’elle avait tendance à profiter de chaque occasion pour relancer le sujet. Cependant, elle était également celle qui était la plus amicale à son égard, la plus serviable. Et grâce à elle, il était rare qu’elle passe une seule journée sans avoir de la compagnie. Cependant, le moment n’était pas venu pour ce genre de chose, si bien que le reste des prêtres et prêtresses lui demanda de garder le silence, ce qu’elle fit. Alors prit alors la parole :

- La jeune fille à mes côtés est récemment arrivée sur l’île. Depuis, elle n’a pas pu contacter ses proches, ne disposant pas de l’appareil lui permettant de le faire. Je pense que cela la soulagerait grandement de pouvoir le faire… Ne pourriez-vous pas lui porter secours ?

Lorsqu’elle eut fini de parler, elle constata avec désarroi que ses interlocuteurs se jetaient des regards embarrassés. Apparemment, sa demande ne pouvait être exaucée… Ce qui fut confirmé peu de temps après. Mais la raison n’était pas une quelconque réticence personnelle, mais un problème bien plus… terre à terre. En effet, si le temple disposait bel et bien d’un téléphone, celui-ci était… en dérangement. Un réparateur devait venir dans les jours à venir pour arranger le problème, mais dans l’état actuel des choses, il était impossible de l’utiliser. La mine légèrement déconfite, Alice s’apprêtait à voir la réaction d’Evangeline lorsque la même voix qui avait résonné plus tôt se fit à nouveau entendre :

- Moi j’ai un portable, je viens bien le prêter.

Étonnée, Alice fixa la jeune prêtresse, avant de lui demander confirmation. Avec un sourire espiègle, cette dernière annonça alors :

- Si c’est un service pour Alice, alors je suis d’accord. Mais tu m’en devras un en échange ~

Alice poussa un soupir… de soulagement. Si telle était la condition, alors elle ne voyait aucun mal à l’accepter. Les termes de leur arrangement étant désormais fixés, la jeune nonne se tourna vers Evangeline, un large sourire sur le visage. Le problème était réglé, et enfin, l’apaisement allait lui être apporté. Toute cette histoire se finissait donc bien, malgré quelques imprévus qui n’avaient pas manqués de l’inquiéter quelque peu.

Evangeline semblait mitigée quant aux évènements qui venaient de se dérouler. Alice ne comprenait pas pourquoi… Elle obtenait ce qu’elle désirait, un moyen de contacter sa tante, et sans que cela ne lui coûte rien n’en échange. Et pourtant… Cependant, elle finit par se saisir du « portable », comme cela s’appelait, non sans s’être inclinée un bon nombre de fois devant toute l’assemblée. Assemblée qu’elle balaya du regard avant de demander si elle pouvait leur fausser compagnie le temps de passer ce coup de fil si important. Personne n’émit la moindre objection, et la demoiselle se retira, les laissant entre Hommes de dieux. Alors, l’un des prêtres prit la parole :

- Alice, et si tu nous expliquais ?

Alice expliqua alors ce qu’elle savait, en omettant cependant certains détails. Elle raconta sa rencontre avec la demoiselle, comment elle l’avait invité à prendre un thé en sa compagnie, comment elles s’étaient échangées des informations l’une sur l’autre. La jeune nonne se garda cependant d’évoquer la particularité « incandescente » de la jeune fille, ainsi que l’histoire de sa famille. Il s’agissait-là d’informations privées, dont Evangeline seule pouvait décider qui devait en avoir connaissance. Elle précisa toutefois que dans le cours de la conversation, elle avait évoqué n’avoir pu joindre ses proches, et qu’elle-même avait pensé venir demander leur secours.
Une fois qu’elle eut fini de parler, Alice constata que l’expression du visage de tous s’était adoucie. Lorsqu’elle avait évoqué le passage où elle avait raconté sa vie au sein de l’Ordre, leurs visages s’étaient soudainement assombris. Comme lorsqu’elle leur en avait parlé la première fois, où l’horreur y était apparue… Apparemment, il avait toujours du mal à entendre parler d’une religion différente de la leur… Du moins, était-ce ce que pensait Alice face à leur réaction commune. Evangeline n’était toujours pas revenue de son appel, bien que peu de temps ne se soit encore écoulé. Le silence s’installait, lorsque la jeune nonne demanda :

- Au fait Reiko, quel est donc ce service que tu aimerais que je te rende ?

La dénommée Reiko, la jeune prêtresse dont elle était la débitrice, parut prise de cours, mais rapidement, elle reprit contenance, affichant à nouveau ce sourire espiègle qu’Alice lui connaissait si bien :

- Fufufu, alors, tu devras… Prendre un bain avec moi, et me laisser te laver les cheveux !

Alice la regarda avec un étonnement poli. Ce n’était pas la première fois qu’elle se baignait avec l’une ou l’autre prêtresse, mais il était vrai aussi qu’elle ne les avait jamais laissé toucher une quelconque partie de son corps. Ce n’était pas tant une forme de pudeur, mais plutôt une forme de praticité. Il était plus simple de se laver seule, selon son point de vue, et elle ne voyait pas en quoi cela pouvait plaire à d’autres de le faire à sa place. Cependant, les circonstances étant ce qu’elles étaient, elle pouvait bien consentir à ce petit caprice.

Evangeline revint peu de temps après, et vint s’installer à ses côtés, comme elle l’était avant de s’être absentée. Elle rendit le téléphone à la prêtresse qui en était la légitime propriétaire, avant de remercier à nouveau l’ensemble des personnes présentes. Alice eut cependant droit à un petit bonus, un large sourire éclatant. Elle-même se laissa aller à sourire en retour, mais ne put s’empêcher de constater les yeux rougis de la demoiselle. La conversation avec sa tante ne devait pas s’être passée sans larmes… Quoi qu’il en soit, le silence semblait vouloir s’installer à nouveau, et une fois de plus, ce fut la nonne qui le brisa :

- Nous allons vous laisser, maintenant. Je vous remercie tous de votre sollicitude. En particulier toi, Reiko. Pour la faveur, nous verrons ça ce soir, je suppose ?

Après avoir eu confirmation de ce dernier détail, Alice et Evangeline prirent congé. De retour à l’extérieur, les deux demoiselles marchaient côte à côté sur le chemin qu’elles avaient parcourus quelques minutes plus tôt. La jeune nonne ne connaissait pas les projets de la jeune fille à côté d’elle. Il était probable qu’elle retourne là où elle logeait, ici sur l’île. À moins qu’elle n’ait eu d’autres projets concernant cette journée ? Quoi qu’il en soit, elle estima qu’il était de bon ton de prendre la parole :

- Je suis soulagée que vous ayez pu contacter votre tante. J’espère que cela aura quelque peu adoucit votre peine… Heureusement que Reiko était là ! Cela ne me coûtera que mon corps, qui plus est. Rien de bien dramatique, en somme.

Dit-elle avec un sourire serein. Pour elle, le compromis auquel elles étaient venues n’avait rien de particulièrement contraignant. Mais peut-être aurait-elle dû mieux choisir ses mots, car ces derniers pouvaient prêter à confusion, pour qui n’était pas au fait des détails de ce compromis.