Searching for a job' [Elina & Lyra]

C’était samedi, et comme tous les samedis, Elina travaillait à la supérette. Enfin, ça, c’était bien sûr en théorie… Car bien qu’elle soit censée travailler tous les week-ends, Elina avait la fâcheuse tendance à faire faux bond à sa patronne… Combien de fois, déjà, avait-elle manqué des journées de travail ? Au moins trois fois, si elle n’en oubliait aucune… Sa patronne ne lui reprochait rien, et même, ne cessait de lui répéter qu’elle ne devait pas s’en vouloir pour ses absences, cependant, vu ce qu’il s’était passé la dernière fois, il lui était difficile de faire autrement… En effet, elle était partie en plein milieu de son service, si bien que sa patronne s’était retrouvée seule pour gérer la boutique… Si d’habitude, cela ne posait pas problème, depuis peu, une nouvelle stratégie marketing avait été mise en place. Chaque week-end, la supérette faisait des promotions sur l’un ou l’autre produit, afin d’attirer davantage de clientèle. Et… cette stratégie fonctionnait à merveille. Résultat : le nombre de clients avait considérablement accru depuis peu. Trop pour qu’une seule personne puisse gérer cela efficacement… Cela, Elina avait pu le vérifier aujourd’hui encore, étant donné que même à deux, elles avaient eu du mal à contenir le flot de clients. Alors, seule…

Le rush était à présent terminé, et le rythme était revenu à la normale dans la supérette. Et heureusement, car Elina venait de terminer son service, et ce malgré son insistance pour rester plus tard afin de compenser ses absences. Tous ces arguments avaient été balayés avec un sourire de sa patronne, qui n’en démordait pas. Mais Elina non plus ne voulait pas lâcher l’affaire, et ce à cause des paroles que sa supérieure avait tenues plus tôt dans la journée…

- J’envisage de prendre un autre employé à temps partiel.

Sur le coup, Elina avait cru qu’elle avait dit cela afin de lui signaler son renvoi. Bien que mortifiée à cette idée, elle comprenait tout à fait la décision de sa patronne. Après tout, vu ses nombreux manquements à son devoir d’employée, il était naturel qu’elle ait décidé de se séparer d’elle. Mais en voyant l’expression dépitée de la jeune fille, la gérante des lieux s’était empressée de préciser sa pensée. Elle ne voulait pas la remplacer, mais embaucher un autre employé afin d’alléger un peu leur charge de travail, étant donné qu’avec les bénéfices actuels, elle pouvait largement se le permettre. Malheureusement, elle avait aussi rajouté :

- Ainsi, si tu as besoin de t’absenter, tu n’auras plus à t’inquiéter pour moi…

Cependant, si sa patronne avait dit cela afin de soulager la conscience de la jeune fille, cela eut l’effet inverse… Cela ne fit que conforter la demoiselle dans le fait qu’elle avait provoqué bien des malheurs à sa supérieure avec ses absences répétées. Raison pour laquelle elle voulait faire un maximum pour l’aider, même si elle ne le demandait pas. Cependant, malgré ses efforts répétés, sa patronne n’avait pas changé d’avis quant à l’idée d’embaucher une autre personne, ni même à l’idée de la laisser travailler davantage. Si bien que, vu l’heure, Elina alla se changer, et quitta la supérette. Elle avait l’intention de passer à l’hôpital, pour aller voir Asami qui n’avait pas encore eu l’autorisation de le quitter, mais à qui on avait affirmé que cela arriverait bientôt. Ce qui s’était passé il y a une semaine de cela avait été le déclencheur de nombreuses confessions, de l’une comme de l’autre… Elina avait été surprise en apprenant que sa meilleure amie était, comme elle, une suijin. Lorsqu’elle l’avait vu arrivé en classe, elle avait tout de suite senti que quelque chose les liait toutes les deux, ce qui était la raison pour laquelle elle avait cherché à se rapprocher ainsi d’elle. Elina avait pu voir qu’il lui en coutait de révéler cela, craignant sans doute qu’elle lui reproche son manque de clarté dans ses intentions. Mais Elina avait balayé tout cela d’un fin sourire tout en lui tenant la main, et le sujet fut clos. Toutes deux avaient versés de nombreuses larmes, de tristesse à cause des victimes de Mustapha, de soulagement face à la survie des autres, et de joie avec ces révélations. Asami avait maintes fois remercié Elina d’être venue à son secours aussi… Elle-même avait essayé de lutter contre leur agresseur, sans y parvenir, ce qui expliquait pourquoi elle avait été la plus mal en point parmi les survivantes. Désormais, les deux jeunes filles étaient plus proches que jamais, et Elina allait lui rendre visite chaque jour.

Cependant, elle n’eut pas le temps d’avancer bien loin qu’elle se fit heurter par une passante, qui semblait avoir l’esprit ailleurs. Elina aurait pu se retrouver sur les fesses, si l’inconnue ne l’avait pas saisi pas les épaules, dans ce qui devait être un réflexe pour s’éviter le même sort. Malgré tout, une légère douleur lui traversa les épaules là où la passante avait enfoncé ses doigts afin d’éviter la chute. Des excuses ne tardèrent pas à suivre cette petite collision. Et ce, avant que la jeune fille, car ça en était une maintenant qu’elle y faisait attention, ne recule, son visage se teintant d’un rouge synonyme de gêne. Elina remua légèrement les épaules pour chasser les résidus de douleur encore présents avant de répondre :

- Oui ça va, ce n’est rien… Et toi ?

Et voilà qu’Elina commençait déjà à la tutoyer… C’était un automatisme chez elle, quand elle voyait quelqu’un de son âge, elle avait la fâcheuse à oublier les formules de politesses et parler tout de suite de façon familière… Or ici, elle avait automatiquement identifié la passante comme quelqu’un de son âge, ou du moins dans les alentours de ce dernier. Se grattant le crâne, un peu gênée de s’être montrée si familière avec une parfaite inconnue, l’attention d’Elina fut attirée par un bruit étrange… Une sorte de… bourdonnement ? De grésillements ? Non, en y prêtant bien attention, ça ressemblait à des mots… Elle se retourna alors en direction du bruit, et vit un téléphone portable qui gisait sur le sol… Elle fit rapidement le rapprochement :

- Euh, ce ne serait ton téléphone, par hasard ?

Selon elle, la jeune fille devait être au téléphone au moment de la collision, ce qui était à l’origine du manque d’attention qu’elle avait confessé plus tôt. Et de toute évidence, la personne à l’autre bout du fil cherchait à comprendre pourquoi son interlocutrice ne lui répondait plus.

Bonne déduction, Sherlock ! C’était bel et bien le téléphone de la jeune fille, même s’il n’était pas difficile d’en être arrivé à cette conclusion. Pas de quoi postuler en tant que détective privé, en somme. La demoiselle se précipita donc vers son bien, tout était donc pour le mieux. Elina s’apprêtait à reprendre son chemin, lorsqu’un petit détail l’empêcha de faire le prochain pas. La jeune fille avait repris sa conversation avec la personne à l’autre bout du fil, mais ce n’était pas cela qui l’interpella. Ni même le contenu de la conversation, d’ailleurs… Mais plutôt le recours à une langue étrangère. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas entendu ce langage inconnu, et bien qu’elle n’eut aucune notion de ce dernier, les souvenirs de dignitaires français surgirent dans son esprit. Du français ? Voilà qui n’était pas commun, sur cette île où l’anglais était de rigueur… excepté chez une certaine catégorie d’individus… Elina n’aurait pas pu l’affirmer, mais elle avait cependant l’intime conviction qu’elle se trouvait face à une descendante divine, tout comme elle. Peut-être même était-elle en contact avec des personnes extérieures à l’île, en cet instant… Mais là, elle entrait dans le domaine des suppositions. Après tout, elle pouvait très bien converser avec des gens présents sur l’île qui parlait la même langue qu’elle…

Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, la demoiselle mit un terme à sa conversation, si bien que lorsqu’elle se retourna, Elina se rendit compte qu’elle en avait oublié de reprendre son chemin. De nouveau face à face, mais à une distance plus décente, cette fois-ci. Cela ne l’avait pas frappé sur le moment-même, mais il était vrai qu’elles venaient de partager une certaine proximité… Peut-être était-ce pour cela que le visage de la jeune fille affichait quelques rougeurs. Si elle se sentait gênée de ce qui venait de se passer, elle aussi allait commencer à ressentir la même chose…

Ce qui se passa ensuite prit la suijin au dépourvu. La demoiselle, qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, l’invita à aller boire quelque chose en sa compagnie. Pour se faire pardonner, qu’elle disait. Face à cette proposition, Elina haussa légèrement un sourcil, perplexe. Ce qui venait de se passer ne valait pas, à son sens, la nécessité de lui offrir un verre en guise d’excuses. Dès lors, elle ne put s’empêcher de se demander si elle n’avait pas un objectif caché derrière cette proposition… S’agissait-il d’une technique de drague ? Non, surement pas… Elina n’avait pas assez de charmes que pour susciter l’intérêt d’une inconnue sur ce terrain-là… Alors, quoi d’autre ? Elle ne le savait pas, mais… Soit, de toute manière, elle s’était décidée :

- D’accord, il y a un café, un peu plus loin, si ça te convient…

Oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, Elina s’était décidée à accepter. La raison ? Eh bien, tout simplement qu’elle avait l’impression que cette jeune fille était, tout comme elle, une nouvelle venue sur cette île. Enfin, elle-même n’était plus vraiment nouvelle, cela faisait tout de même plusieurs mois qu’elle était arrivée, et s’était relativement bien adaptée à la vie ici. Qu’en était-il de cette demoiselle ? Peut-être aurait-elle besoin d’une aide quelconque… D’ailleurs, est-ce que c’était pour cela qu’elle l’avait invitée ?

Alors qu’elle attendait encore la confirmation de la jeune fille, la porte de la supérette s’ouvrit, laissant apparaître sa patronne. Elle ne tarda pas à lui dire :

- Désolée de te déranger alors que tu es avec une amie, mais je profite que tu sois encore là pour te demander si tu voulais bien venir un peu plus tôt demain pour m’aider à décharger une livraison. Ah, et si tu connais quelqu’un qui serait intéressé par le poste, n’hésite pas à me le dire, d’accord ?

Elina acquiesça, et sa patronne retourna travailler en lui adressant un sourire. Elina reporta alors son attention sur son « amie », attendant de voir si elle acceptait son idée de destination ou pas.

Maintenant que sa patronne était retournée dans la supérette, rien n’empêchait les deux jeunes filles de se rendre dans le dit café. Excepté, bien sûr, si la demoiselle refusait cette destination, mais si elle le faisait, Elina n’était pas sure d’accepter de la suivre. Car cela pourrait dire qu’elle avait une idée, un projet derrière la tête, et elle n’était pas prête à lui accorder l’opportunité de les mettre en application. Cependant, nul besoin de s’inquiéter à ce sujet, car la demoiselle accepta. Les deux jeunes filles se mirent alors en route vers le lieu de leur future discussion.

Il ne leur fallut guère de temps pour atteindre le petit bistrot, dans lequel Elina n’avait jamais mis les pieds. Elle ne connaissait son existence que parce qu’elle devait passer devant pour rentrer à l’appartement ou se rendre au travail. D’ailleurs, pour quelle raison aurait-elle dû s’y rendre ? Elle n’était pas du genre à fréquenter les lieux publics pour le simple plaisir de chercher de la compagnie… Néanmoins, cette information se trouvait être utile, pour une fois, même si cela lui paraissait étrange de passer du temps avec une parfaite inconnue. Malgré tout, elles passèrent toutes deux les portes de l’établissement, avant d’aller s’installer dans un coin isolé du bistrot. De toute évidence, la demoiselle voulait que leur conversation n’atteigne pas d’oreilles indiscrètes. Qu’est-ce qu’elle voulait donc lui dire ? La réponse à cette question n’allait pas tarder à lui parvenir… Après quelques remerciements et autres préambules, la vérité éclata. Elina ne s’était pas trompée au sujet de la demoiselle, car elle lui demanda de confirmer qu’elle aussi n’était pas du coin. Cette question était sujette à plusieurs interprétations, mais la suijin n’avait pas besoin d’une traduction ou de recourir à la télépathie pour savoir ce qu’elle entendait par-là. Tout comme elle, elle n’était pas née sur cette île, mais y avait été embarquée de force. Cependant, depuis combien de temps était-elle là ? Elle n’avait aucun moyen de le savoir, malheureusement. À moins de lui demander, bien sûr…

Avant qu’elle ne puisse répondre, un serveur arriva à leur table, et demanda leur commande. Une fois que toutes deux aient commandé, un thé glacé pour Elina, le serveur reparti, les laissant à nouveau seule à seule. Elina s’accorda un instant de réflexion, cherchant le meilleur moyen de répondre à la question qui lui avait été posée. Finalement, elle opta pour la franchise :

- En effet, je ne suis pas d’ici. J’ai été amené sur cette île contre mon gré. Tout comme toi, je suppose…

Ce n’était pas vraiment une question, plutôt une constatation qu’elle se faisait à elle-même. Si elle lui posait cette question, c’était qu’elle était dans le cas, elle aussi. La conversation fut à nouveau interrompue, toujours ce même serveur qui était revenu avec la commande. Saisissant son verre de thé glacé, Elina attendit que l’employé ne s’éloigne, ce qu’il ne fit que lorsqu’il eut encaissé le montant nécessaire pour payer les boissons. Une fois parti, Elina reprit la parole :

- Je suppose que ce n’était pas la seule question que tu avais à me poser ? Je veux bien essayer de répondre aux autres, si tu en as.

Tout en disant cela, Elina traçait le contour du rebord de son verre. Se trouvait-elle face à une nouvelle arrivante sur l’île ? Pourtant, son comportement ne semblait pas indiquer cela… De quoi pouvait-elle donc vouloir parler, alors ? Fixant la demoiselle d’un regard interrogatif, Elina ne se rendait pas compte que du givre se formait sur le passage de son doigt sur le verre.

Bizarre… La jeune fille n’avait pas d’autres questions à lui poser, apparemment. Mais pourquoi donc prendre la peine de se réunir autour d’un verre si ce n’était que pour poser une seule et unique question ? Elle était peut-être tout simplement trop gênée que pour le faire… Pourtant, ce n’était pas la frêle stature de la jeune russe qui devait être suffisamment intimidante que pour empêcher quiconque de parler… Haussant un sourcil tout en sirotant son thé glacé, qui était un peu plus frais que d’ordinaire à cause du refroidissement involontaire de la demoiselle, elle attendit que la demoiselle ne reprenne la parole. Car si elle n’avait rien d’autre à dire, elles pouvaient tout aussi bien reprendre leur chemin chacune de leur côté…

Mais le court silence fut brisé, pour laisser place à quelques éclaircissements sur la situation actuelle de son interlocutrice. Elle était fraîchement débarquée sur l’île, une semaine environ, si elle en croyait ses dires. Et elle ignorait pas mal de choses encore, bien qu’elle eut estimé inutile de lui demander à elle des explications pour celles-ci. Pourquoi donc lui avoir demandé de lui accorder un peu de son temps, dans ce cas ? Non pas que cela lui dérangeait de se voir offrir une boisson gratuite, mais elle avait d’autres projets… Le regard d’Elina fut machinalement attiré par les gestes des mains de la demoiselle, qui semblait dessiner de son index quelques symboles inconnus à ses yeux, avant de l’informer de son identité. Lyra, qu’elle s’appelait… Est-ce qu’elle venait de dessiner les caractères qui formaient son prénom sur sa main ? Si tel était le cas, de quelle origine pouvait bien être cette demoiselle ? Il y avait un tas d’alphabet différents dans le monde, et elle était loin de tous les connaître… Pourtant, étant donné que Lyra avait utilisé le français pour s’exprimer avec ce qui devait être une connaissance, elle devait avoir recours à l’alphabet latin, comme pour l’anglais… Soit, il n’était pas temps de s’attarder sur ce genre de détails !

Le silence s’installa à nouveau entre les deux demoiselles, silence qui, bien que court, semblait s’étirer à l’infini. Elina réfléchissait au fait de devoir se présenter à son tour, elle aussi. C’était là une politesse à laquelle elle était bien rôdée, mais là, elle se trouvait face à une inconnue, qui lui avait demandé de la suivre pour des raisons encore inconnues. Peut-être que lui divulguer quelque chose d’aussi privé que son identité n’était pas la meilleure chose à faire… Mais alors qu’elle se posait la question à elle-même, de nouvelles paroles furent prononcées. Et celles-ci pouvaient à elles seules justifier cette étrange demande que celle de l’accompagner… Elle lui demandait si elle n’avait jamais eu envie de quitter Awashima. Entrait-on dans le cœur même du sujet ? Elina posa son verre encore à moitié plein sur la table, tout en poussant un léger soupir. Cette question était légitime, vu qu’après tout, Lyra n’était pas là depuis longtemps. Elle devait donc se languir des siens, restés au pays. Et même, l’idée en soi d’être retenu captif sur une obscure île dont elle ne savait rien, ce n’était pas vraiment ce qu’il y avait de plus séduisant… Si bien qu’Elina lui répondit en tout franchise :

- Honnêtement ? Pas vraiment…

Cette réponse avait de quoi surprendre… En effet, qui donc n’aurait jamais ressenti le besoin de retourner de là où on l’avait arraché ? Si bien qu’Elina s’empressa de préciser sa pensée :

- Disons que, pour certaines raisons, la vie ici ne m’a jamais vraiment paru indésirable. Certes, certaines choses m’ont déplu, quand je suis arrivée. Mais rien qui puisse réellement me faire regretter l’endroit d’où je viens. Et puis, avec le temps, non seulement je m’y suis habituée, mais en plus, j’y ai pris goût…

En disant cela, elle se rappelait sa réaction lorsqu’elle avait appris qu’Emily était devenue sa tutrice. Bien qu’elle ait toujours un peu de mal à accepter le caractère autoritaire de ce genre de décision, le fait d’avoir été relié à la jeune femme ne lui posait à ce jour plus aucun problème. Même si elle continuait d’accorder toujours aussi peu de crédit au caractère officiel de la chose, au niveau sentimental, elle la considérait comme sa véritable grande sœur, à la différence près qu’elles n’avaient pas vécu ensemble jusqu’à quelques mois de cela. Mais la force de ses sentiments à son égard n’avait rien à envier à celle que deux sœurs auraient ressenties l’une pour l’autre après des années de vie commune. Oui, Emily avait réussi à gagner une place aussi importante dans son cœur, après avoir fait tomber une par une les différentes barrières que la jeune russe y avait dressé. Mais ce n’était pas le moment de s’épancher sur l’amour fraternel qu’elle ressentait pour Emily, après tout, elle n’était pas seule…

- S-Soit, plusieurs personnes ont cherché à s’échapper, mais sans succès. Il semblerait que ce soit vrai, lorsqu’il est dit qu’on ne peut pas quitter l’île… Je sais que ça ne doit pas être facile à entendre, mais…

Mais quoi ? Que pouvait-elle dire ? Refait ta vie, et laisse ton passé là où il est, loin de toi ? Oublie ceux que tu as connus, et focalise-toi sur tes futures rencontres ? La vie ici n’est pas aussi mal que l’on pourrait le croire ? Bien que ce fût vrai, ce n’était pas vraiment le genre de chose facile à accepter… Et à dire, non plus. Car il n’était jamais agréable de briser les espoirs d’une personne, même s’il s’agissait d’inconnus…

- Au fait, moi c’est Elina.

Cherchant à effacer ce moment un peu délicat, la jeune russe s’était accrochée à la première idée qui lui était venu en tête, et c’était son identité non révélée qui s’était imposée à son esprit. Bah, ça ne pouvait pas faire de mal, en fait, et puis, ainsi, elles étaient sur un pied d’égalité.

Apparemment, il n’avait pas échappé à Lyra que la jeune russe ressentait une certaine forme de compassion à son encontre. Il faut dire, Elina ne s’était pas montrée particulièrement adroite dans sa façon de faire, mais peu importait, étant donné que la demoiselle ne s’en formalisait pas. Certains n’aimaient pas qu’on s’apitoie sur leur sort, si bien qu’ils pouvaient facilement prendre la mouche pour pas grand-chose. Mais ce n’était pas le cas ici, et fort heureusement. Lyra lui expliqua qu’elle ne devait pas se sentir désolée pour elle, qu’elle n’avait pas l’intention de se laisser aller, quitte à en souffrir. La souffrance… C’était malheureusement une étape probablement indispensable pour tous ceux qui arrivaient ici, du moins, pour la grande majorité. Après tout, tout le monde n’avait pas une vie pourrie avant de débarquer sur l’île…

Continuant de siroter tranquillement son thé, qui se vidait peu à peu, Elina fut prise au dépourvu lorsque la demoiselle lui proposa de lui poser les questions qu’elle-même pouvait avoir à son propos. La jeune russe n’avait pas vraiment de questions à lui poser… Certes, elle avait bien certaines interrogations à son sujet, mais rien qui n’exige absolument une réponse. Dès lors, que pouvait-elle bien répondre à cela ? Voilà qui demandait un minimum de réflexion…

- Hmm, je n’ai pas vraiment de questions à te poser…

C’était un triste constat, mais ça n’en restait pas moins la vérité. Malgré tout, elle prit la peine de manifester la principale interrogation qui la taraudait depuis son invitation :

- Je me demandais juste pourquoi tu avais pris la peine de m’accoster pour si peu… Je pensais que tu voudrais me poser des questions sur l’île, sur comment on pouvait y vivre, sur les différents pouvoirs…

Oui, Elina se demandait pourquoi la jeune fille ne se montrait pas plus curieuse sur les évènements qui lui arrivaient. Quand elle avait rencontré Sayu, elle lui avait posé plusieurs questions, cherché à en apprendre plus sur ce nouveau monde qui s’imposait à elle. Mais maintenant qu’elle y pensait, elle-même ne s’était pas montrée particulièrement inquisitrice envers Emily le jour de son arrivée… Et puis, peut-être avait-elle rencontré une autre personne qui lui avait donné ces mêmes informations ? N’empêche, elle avait du mal à comprendre pourquoi elle avait cru bon de l’interpeller simplement pour si peu de choses…

Si Elina ignorait les raisons pour laquelle cette demoiselle lui avait demandé de l’accompagner, elle-même ne semblait pas les connaître. Bizarre… Elle devait au moins avoir l’une ou l’autre explication à fournir, non ? Ou bien, était-ce encore une fois ses défauts en matière de communication qui revenaient à la surface ? Pourtant, il lui semblait qu’elle avait fait des progrès considérables… Avant, elle n’aurait même pas pris la peine d’accepter l’invitation de Lyra, elle se serait contentée de continuer son chemin sans jeter un regard derrière elle. C’était grâce aux rencontres qu’elle avait fait qu’elle s’était davantage sociabilisée…

Mais le temps des méditations intérieures devait prendre un terme ici, car un regard franc vint se loger dans ses yeux. Apparemment, son interlocutrice avait d’autres choses à dire… Lyra lui raconta alors certaines choses sur elle, comme le fait qu’elle aimait voyager, découvrir de nouvelles choses et de nouvelles personnes. C’était donc pour cela qu’elle avait eu si facile à l’interpeller… Et elle cherchait aussi à se faire des amis, cela lui rendrait la vie plus facile sur l’île. Elle aurait pu ne pas lui concéder ce dernier point, étant donné qu’elle-même préférait ne dépendre que d’elle… Mais vu comment les choses s’étaient déroulées pour elle depuis son arrivée, il aurait été hypocrite de sa part que de prétendre le contraire. Oui, si sa vie était aussi « facile », c’était parce qu’elle avait rencontré les bonnes personnes au bon moment. Alors, elle ne pouvait qu’acquiescer à ce que disait la demoiselle. Cependant, elle ne put s’empêcher d’être quelque peu interloquée par un fait : apparemment, elle la considérait comme l’une de ces personnes avec lesquelles elle voulait être amie. Avait-elle changé à ce point pour qu’une inconnue croisée au hasard d’une rue souhaite directement se rapprocher d’elle ? Mais maintenant qu’elle y pensait, même son air revêche n’avait jamais empêché les gens de l’approcher. Enfin, cela ne concernait bien sûr que les habitants de l’île, car dans sa mère patrie, ce n’était pas vraiment le même genre de rapprochement qui était cherché…

Mais sa demande semblait avoir conduit Lyra à penser qu’elle ne souhaitait pas fraternisé avec elle. Et d’après le ton de sa voix, cette idée n’était guère réjouissante… Cela comptait-il à ce point pour elle qu’elle apprécie sa présence ? C’était vraiment étrange de voir des personnalités si éloignées l’une de l’autre être confrontées l’une à l’autre. Elina reposa son verre presque vide avec un petit bruit, avant de lui répondre :

- Non, pas vraiment. Tu ne sembles pas être quelqu’un dont faire la connaissance serait une mauvaise chose. C’est juste que je suis un peu méfiante de nature…

Elle termina sa phrase par un sourire contrit, comme pour s’excuser de celle qu’elle était. Malheureusement, pour Elina, il n’était toujours pas facile d’accorder sa confiance à qui la lui demandait. Cependant, Lyra n’en avait peut-être pas conscience, mais elle venait de lui faire un compliment indirect. Car bien que la formulation laissait un peu à désirer, Elina venait de reconnaître qu’elle ne regrettait pas de l’avoir rencontré, et même qu’elle devait être une personne agréable à connaître. Le message était-il passé ? La jeune russe l’ignorait, tout comme elle n’avait pas eu vraiment conscience de ce message caché. Mais peut-être que Lyra serait suffisamment réceptive que pour décrypter les maladresses communicatives d’Elina.

Un sourire gêné se dessina sur le visage de Lyra, qui ne tarda pas à s’attribuer la faute du léger embarras qui s’était installé plus tôt. Elle l’avait mal comprise, en effet. Bien qu’elle n’eut pas de sentiments particuliers suite à cette rencontre, Elina ne s’en plaignait pas non plus. Elle avait appris, ou plutôt réappris, que certaines personnes gagnaient à être connues, et peut-être bien que cette jeune fille en faisait partie elle aussi. En tout cas, la jeune russe avait une impression favorable quant à son interlocutrice. D’ailleurs, si elle n’en avait pas eu, elle n’aurait pas pris la peine d’accepter son invitation, mais elle se garda bien de le préciser.

Le silence s’invita à nouveau à la table, et Elina laissa son regard se perdre à travers la vitrine du café. La météo était loin d’être engageante… Dire qu’elle voulait encore passer à l’hôpital pour aller voir sa meilleure amie… Cela risquait d’être une excursion quelque peu… humide. Cela lui rappela le jour où elle avait rencontré Sayu. Cette fois aussi, la pluie s’était invitée, et n’avait pas manqué de les surprendre. À ce moment, elle n’aurait jamais pu se douter que leur relation évoluerait au stade où elles en étaient à présent. La vie réservait vraiment des surprises incroyables… Mais sa vie actuelle lui plaisait, entourée de tous ces gens pour qui elle avait laissé son cœur cadenassé s’ouvrir pour leur faire une place à part dans cette forteresse imprenable.

Elina fut sortie de ses pensées émues par Lyra, qui semblait aborder un sujet qui lui était important. Une question personnelle, en effet, que celle de demander les circonstances de l’apparition de ses pouvoirs. À nouveau, des souvenirs ressurgirent dans son esprit, des souvenirs bien moins agréables que ceux qu’elles venaient de ranger affectueusement dans sa mémoire. La jeune russe sentit ses traits se durcirent un bref instant, avant de se relâcher, arborant une expression neutre. Elle se souvenait très bien du jour où s’était manifestée pour la première sa magie. Et pas seulement à cause de la manifestation d’un pouvoir paranormale… Oui, c’était ce jour où sa blondeur de naissance avait laissé sa place à l’actuelle couleur violine qu’elle arborait désormais. Un changement duquel elle n’était pas à l’origine… Maintenant qu’elle y pensait, ses cheveux avaient souvent été pris pour cible dans les diverses maltraitances qu’on lui avait infligées… Les filles adoraient les lui tirer, quitte à en arracher des mèches. Combien de fois ne les avait-on pas recouverte de divers déchets parfois malodorants ? Trop pour qu’elle puisse tous se les remémorer… Mais bien évidemment, les faits les plus notables avec été cette coloration involontaire, ainsi que cette fois où on lui avait collé un chewing-gum du temps où sa tignasse avait une longueur uniforme. Seules deux longues mèches avaient été épargnées, donnant le résultat que l’on connaissait actuellement.

Tous ces sombres souvenirs avaient quelque peu minés le moral d’Elina, qui se secoua intérieurement afin de ne pas afficher une tête d’enterrement face à son interlocutrice. Elle devait se décider si oui ou non elle répondrait à sa question… Du moins, pouvait-elle rester vague, sans raconter précisément comment était née la sorcière de glace ? Si bien qu’elle commença à prononcer quelques mots, d’une voix rendue hésitante par la réflexion :

- Comment mes pouvoirs sont apparus ? Eh bien… Comment dire… Ils se sont manifestés pour la première fois… quand j’étais en colère. Les émotions ont une grande influence sur nos pouvoirs, et ils peuvent se manifester spontanément selon les situations.

La peur, la colère, la détresse… Elina avait déjà perdu le contrôle de sa magie face à ces trois puissants sentiments. Que des sentiments négatifs… Peut-être l’un d’eux était le déclencheur, l’interrupteur qui permettait à la magie divine qui coulait dans les veines des demi-dieux de se manifester ? Peut-être, ou peut-être pas… Elle n’avait jamais posé cette question à Emily, ni à Sayu. Elle pourrait peut-être en parler avec Asami, aussi, mais cela ne faisait que quelques jours qu’Elina était au courant de leur origine commune… Pensive, Elina serra ses doigts en un poing, et les rouvrit en matérialisant un petit oiseau en glace. Ce dernier était inanimé, mais les détails étaient saisissant et n’avaient rien à envier aux plus talentueux sculpteurs de glace. Le tendant devant Lyra, Elina reprit la parole :

- Mais avec de la pratique, ce pouvoir devient un outil dont on peut se servir à sa guise.

Elina se passa d’ajouter autre chose. Peut-être la demoiselle voulait-elle réagir à ses paroles ? Peut-être voudrait-elle elle aussi conter les circonstances entourant l’apparition de ses propres pouvoirs ?

Elina vit le regard de Lyra se poser sur l’oiseau qu’elle venait de faire surgir du néant, avant de laisser échapper un soupir. Peut-être que sa réponse à la question qu’elle venait de poser lui paraissait à ce point insipide ? Malheureusement, que pouvait-elle dire de plus ? Voulait-elle qu’elle lui conte en détails cette dernière persécution dont elle avait été victime, et qui était à l’origine de l’apparition de ses pouvoirs pour être satisfaite ? Pas de chance, elle n’avait pas l’intention de dévoiler ce passé qu’elle n’avait conté qu’à une seule personne jusqu’à présent. Cependant, l’origine de ce soupir n’était pas celle qu’elle croyait. Elle apprit alors que Lyra n’avait pas encore manifesté de pouvoir. C’était la première fois qu’elle tombait sur ce genre de personne… Comment donc les hommes en noir avaient-ils fait pour savoir qu’elle était une descendante si elle n’avait jamais manifesté le moindre pouvoir surnaturel ? Et si… Et s’ils s’étaient trompés ? Non, Elina doutait fort qu’ils aient pu commettre une erreur aussi conséquente… Peut-être que… que Lyra avait déjà inconsciemment manifesté sa magie, et qu’elle ne s’était pas rendu compte être à l’origine de ces phénomènes étranges ?

Plongée dans ses réflexions, Elina ne vit pas tout de suite que sa petite création de glace avait quitté sa main pour celle de son interlocutrice. Finalement, elle finit par poser ses yeux sur elle, la voyant observer le petit oiseau sans prononcer un mot. Le silence s’installa une fois encore, apparemment, ni l’une ni l’autre n’avait plus rien à dire. L’heure de la séparation semblait être venue… Ce qui se confirma peu de temps après, alors que Lyra se levait de sa chaise. Elina ne tarda pas à l’imiter, mais alors qu’elle le faisait, la demoiselle lui posa à nouveau une question étrange… Si ça le dérangerait qu’elles travaillent ensemble ? Mais… Qu’est-ce qu’elle voulait dire, par là ? L’éclaircissement vint aussi vite que l’interrogation, bien qu’il fut accompagné d’un sourire en prime. Elle parlait du travail à la supérette, et souhaitait donc qu’elles soient collègues en ces lieux. Elle avait entendu sa patronne plus tôt, surement quand elle l’avait interpellé juste après leur collision. Peut-être était-ce aussi un peu pour ça qu’elle lui avait demandé un peu de son temps ? Afin de voir si elle ferait une collègue agréable ? Non… Cela aurait pu se tenir si elle avait fait sa proposition après l’intervention de sa patronne. Elle précisa encore qu’elle aurait besoin d’un travail pour pouvoir vivre ici… En effet, si Elina et Emily ne travaillait pas toutes deux, elles auraient eu du mal à maintenir leur vie à deux telle qu’elle l’était actuellement. Après un bref moment de réflexion, elle finit par dire :

- Pour ma part, ça ne me dérangerait pas. J’avoue que j’appréhendais un peu l’identité de mon futur collègue. Mais si c’est toi, je pense que ça pourrait bien se passer.

Dit-elle avec un léger sourire. En effet, le courant semblait plutôt bien passer entre elles deux, et maintenant qu’elle avait appris à la connaître un petit peu, l’idée de travailler avec elle ne lui déplaisait pas. Cependant, ce n’était pas elle qui avait le dernier mot dans cette histoire, et s’empressa d’avertir la demoiselle :

- Mais ce n’est pas moi qui décide. Mais n’hésite pas à te proposer, si tu te dépêches, tu as de grandes chances d’avoir la place.

Après tout, elle-même avait été embauchée suite à une candidature spontanée. Dès lors, si elle convenait pour le poste, en arrivant la première, elle pouvait avoir la même chance qu’elle. D’autant plu si Elina glissait un petit mot favorable…

L’air enjoué, Lyra affirma qu’elle allait aller de ce pas proposer sa candidature à la supérette. Cette demoiselle semblait pleine de joie de vivre, ce qui contrastait avec elle-même. En un sens, elle lui rappelait un peu Asami, mais avec davantage de retenue cependant. Cela changeait de l’air tristounet qu’elle avait affiché jusque-là, était-ce la réponse à cette question qui l’avait miné tout ce temps ? Soit, avec entrain, la demoiselle se leva, commençant à s’éloigner lentement, tout en lui faisant la promesse qu’elle se reverrait. Quel optimisme ! Une telle assurance pourrait être un atout pour décrocher le poste. Sauf si, bien sûr, le courant ne passait pas avec sa patronne…

Elina lui adressa un petit signe de la main rapide tandis qu’elle quittait le bar, s’enfonçant sous la pluie battante. Elle la vit courir dans la rue, se dirigeant probablement vers la supérette. Elle aurait peut-être mieux fait de rester à l’abri dans le café, le temps que la pluie se calme ? Elle allait se retrouver complètement trempée… Soit, c’était à elle de gérer la suite, elle-même avait des projets pour la fin de la journée. Elle sortit donc à son tour, alors que la pluie baissait en intensité peu à peu. Dommage, elle n’avait pas pris de parapluie avec elle… Mais ce n’était pas grave, car même si elle se trouvait trempée, elle n’aurait aucun mal à se sécher grâce à son pouvoir.

Ainsi, elle prit le chemin qui menait à l’hôpital, bien décidée à passer un peu de temps en compagnie de sa meilleure amie. Au fond d’elle, elle sentait bien que d’ici peu, elle ne serait plus la seule étudiante à travailler à la supérette…