Welcome to Awashima 2 [Ku/Lyra]

Lorsque nous quittâmes le petit restaurant du village, les reflets ambrés du soleil couchant s’étaient déjà éteints pour laisser place à l’azur profond du ciel nocturne, et l’éclairage public avait pris le relai. Bercée par la musique de nos pas alors que je suivais distraitement Kurai qui me guidait à travers le village, je contemplais distraitement la toile céleste parsemée de ces étoiles et constellations qui m’étaient inconnues. Je les observais souvent depuis la fenêtre de ma chambre, le soir. J’avais même appris le nom de certaines, et comment les reconnaitre. Mais aujourd’hui, elles étaient différentes de celles que je voyais d’habitude.

Je repensais à ce que Kurai m’avait dit, sur cette île en constant mouvement. A la manière des marins dans les temps anciens, les étoiles pourraient nous permettre de connaitre notre position, et peut-être trouver une logique aux déplacements de cette île si mystérieuse. Enfin, ce n’était qu’une supposition… j’eus un petit rire sarcastique, comme pour me moquer de ma théorie farfelue. Même en réunissant toutes les connaissances du monde, c’était irréalisable comme projet.

Nos pas nous menèrent à un petit groupement d’immeubles en bordure du village. Le jeune homme se dirigea vers l’un d’eux et fit tourner sa clé dans la serrure d’un geste mécanique avant de m’inviter à entrer. L’intérieur était plutôt banal, à l’image de l’extérieur. Une rangée de boites aux lettres avec le nom des différents occupants, un escalier menant aux étages supérieurs et, au fond, un ascenseur. Pourtant, je ressentais à nouveau cette étrange excitation, celle qui me gagnait quand j’explorais de nouveaux lieux. Je ne pouvais pas m’empêcher de tourner la tête dans tous les sens, scrutant chaque recoin de la pièce en attendant l’ascenseur. Heureusement, ce dernier arriva rapidement, nous embarquant vers le cinquième étage. C’était bien pratique tout de même, cinq étages à monter et descendre à pied tous les jours, ça devait être éreintant à la longue. J’en savais quelque chose, vivant moi-même au troisième avec mon frère... porter les sacs de courses à la main jusque là-haut, ce n’était pas de tout repos !

La montée fut rapide et les portes de fer s’ouvrirent bientôt à nouveau sur notre destination. Kurai s’arrêta quelques instants devant l’une des portes, avant de finalement se diriger vers la seconde et l’ouvrir. Je tiquai légèrement sur ce détail, mais décidai finalement de m’abstenir de questions indiscrètes. Ca ne me regardait pas et j’avais suffisamment matière à me prendre la tête pour les jours à venir sans venir me mêler de la vie d’un autre. J’entrai donc sans un mot dans l’appartement du jeune homme, et… tiens, c’est plus grand à l’intérieur. Plus que chez-moi en fait… peut-être un peu mieux rangé aussi, quoi que, c’était à vérifier. Bref, il me mena à la pièce principale et m’invita à poser mon paquetage, ce que je fis sans rechigner. Que ça faisait du bien de ne plus avoir dix kilos sur les épaules ! J’en profitai pour m’étirer tout en écoutant son speech de présentation des lieux et des règles de vie. Le classique ‘‘tu touches j’te bouffe’’, pour résumer… il prétendait même avoir mis des pièges électriques pour punir les voleurs, c’est qu’il était sérieux, avec ça ! Enfin, je pouvais comprendre, j’étais encore une inconnue pour lui. N’empêche, autant je le voyais bien geek avec sa collection de consoles, autant bassiste, j’étais surprise. Est-ce qu’il avait un groupe ? Faudrait que je pense à lui demander, à l’occasion. Enfin bref, les quelques règles posées, il me fit faire le tour du propriétaire, passant par toutes les pièces importantes ainsi que la chambre où j’allais passer la nuit.

« Désolé si ça semble un peu austère, j’ai jamais décoré cette pièce.
- Pas d’problème, ça fera l’affaire. C’est toujours mieux que dormir dans les arbres ! »

C’était bien vrai, rien ne valait un bon matelas bien moelleux pour se reposer, même si j’adorais flâner sur branche aussi. Quand je m’ennuyais ou que j’avais besoin de solitude et de calme, j’allais souvent me réfugier dans les feuillages et regarder l’horizon. Le temps s’écoulait d’une manière différente quand on prenait de la hauteur. Parfois, je pouvais y passer ma journée entière, jusqu’au couché du soleil. Je ne comptais même plus le nombre de nuits que j’avais passées à la belle étoile. Mais si je lui disais, il me prendrait surement pour une folle... héhé.

Le tour terminé, nous retournâmes au salon. Il me proposa de prendre une douche ou d’aller dormir, mais je lui répondis que je n’avais pas encore sommeil et que j’allais probablement déballer mes affaires et méditer un peu sur tout ça. Je trainai donc mon barda jusqu’à la chambre d’ami, laissant le maitre des lieux vaquer à ses propres occupations.

« Bon... tout à l’air d’y être... sauf mon chargeur évidemment. »

Enfin, mon téléphone devrait tenir quelques jours sans avoir à le recharger, si j’économisais la batterie. Le problème, c’est qu’il commençait à se faire vieux, et il ne tenait plus aussi bien la charge qu’à ses premiers jours. Mais à part ce détail, je n’avais rien oublié. J’étais même surprise de retrouver mes cahiers d’écriture et de dessin, mon kimono, et même ma vieille gameboy avec les cartouches. Heureusement que je n’avais pas toute ma collection de vieilleries, il aurait au moins fallu trois sacs comme celui-là pour tout caser. Mais tout de même, c’était étrange... je ne me souvenais vraiment pas avoir voulu emporter tout ça. C’était comme si j’avais su... que je resterais coincée ici.

Poussant un profond soupir, je me levai du lit et laissai mes affaires en plan pour aller ouvrir la fenêtre et sortir la tête au dehors. Il faisait vraiment froid, on était bien en hiver. L’air frais me faisait frissonner et affutait mon esprit. « Une promenade nocturne... pourquoi pas » pensai-je en refermant la fenêtre pour éviter de trop refroidir la pièce. Je pris une veste en laine dans ma pile de vêtements et quittai la pièce. En sortant pour aller vers le salon, je remarquais qu’il y avait de la lumière dans l’autre chambre. Kurai devait être occupé, pas la peine de le déranger. Je sortais juste faire un petit tour après tout, je ne serais pas très longue, et je laissais mes affaires ici de toute façon.

« Bon... j’y vais, à tout’ ! » murmurai-je aux murs avant de refermer silencieusement la porte.

C’était stupide, mais j’avais voulu le dire, probablement par habitude. Ou peut-être pour me donner l’illusion de ne pas être seule en ces lieux. C’était étrange, comme le son de notre propre voix pouvait être rassurant par moment. Enfin, vu l’heure, ne n’allais pas me mettre à chanter non plus... Pourvu que cette marche me porte conseil.

Que m’était-il arrivé ? Etais-je censée rester sur cette île jusqu’à la fin de mes jours ? J’avais encore du mal à le réaliser. Je me sentais prisonnière, comme dans un rêve duquel j’étais incapable de me réveiller. Mais... ce n’était pas un rêve, c’était impossible. Pour être honnête, je ne me pensais pas capable d’inventer une histoire aussi folle.

Lâchant un long soupir, j’interrompis ma marche pour m’adosser à un muret. Le regard porté vers les étoiles, j’essayais de m’imaginer ce que j’aurai à faire, le temps de ma présence ici. La priorité était probablement de me trouver un logement... après cela, j’imagine qu’un travail serait de mise. Peut-être continuer mes études, aussi. Demain, j’irais à la banque avec Kurai afin de convertir le peu d’argent qui trainait sur mon compte... ça me faisait mal de l’admettre, mais je devais d’abord songer à stabiliser ma situation avant de tenter une quelconque évasion. Je n’avais franchement pas envie de refaire ma vie sur cette île après toutes ces révélations, mais je n’avais pas non plus le choix. Tout comme il me l’avait dit...

Soudain, une vibration dans ma poche me tira de mes pensées. Je sentis mon cœur faire un bond dans ma poitrine, alors que je tirai mon portable en hâte pour lire le message que j’avais reçu. Cependant, mon espoir retomba vite lorsque je vis le numéro de l’expéditeur... inconnu. Curieuse, je l’ouvris tout de même pour vérifier que c’était bien une erreur. Et en fait, ce n’en était pas une. Kurai... je ne lui avais pas donné mon numéro, pourtant ? Enfin, peu importe, je n’en étais plus à l’incohérence près, de toute manière. Je ferais mieux de l’enregistrer dans mes contacts tout de même, tant qu’il m’héberge, ce sera plus pratique. Après avoir vérifié la marge de temps qu’il me restait, je rangeai mon téléphone et me mis distraitement sur le chemin du retour...

A mon retour, le jeune homme vint m’ouvrir et me demanda si tout s’était bien passé. J’acquiesçai sans plus de détails, et déclarai que j’allais prendre une douche avant d’aller dormir. Ou essayer, tout du moins... Le sommeil fut difficile à trouver cette nuit là, et ne vint qu’après une bonne centaine de moutons, une douzaine de poneys, et quelques alpagas égarés...

* * * * *

Il était aux alentours de sept heures quand j’ouvris à nouveau les yeux, à demi enroulée dans ma couette au travers du lit. Une fois le levée et le lit refait, je pris quelques vêtements au hasard dans mon sac et me dirigeai vers la salle de bain. Je fus bien heureuse de ne pas croiser Kurai sur le chemin d’ailleurs, j’avais tellement d’épis sur la tête qu’on aurait dit un champ de blé... Bref, une fois préparée, je pu enfin rejoindre le jeune homme pour le petit-déjeuner. Il avait sortit un peu de tout, j’imagine qu’il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre de la part d’une culture différente... Je n’étais pas trop difficile, mais puisqu’il me laissait le choix, je me fis plaisir.

Le petit-déjeuner terminé, le programme du jour fut annoncé. Et quel programme... direction la capitale de l’île, Amishawa. Objectifs : petite visite touristique, avec arrêt à la banque et récupération d’un nouveau chargeur pour mon téléphone. La journée promettait d’être chargée. « ... Attends... capitale ? » Cela annonçait un changement de décor plutôt radical. Ikazuchi était déjà d’une taille respectable pour une campagnarde telle que moi, mais une capitale... cela ne coutait rien de lui demander.

« Prête ! Juste, tu entends quoi par ‘‘capitale’’ ? Il y a beaucoup d’autres villes aux alentours ? »

Je réalisais subitement que je ne savais pas grand-chose de la taille de cette île, ou des principales villes du coin. Mais s’il parlait de ‘‘capitale’’, elle devait probablement être bien plus grande que je l’imaginais. Même si ces connaissances n’allaient pas grandement aider à mon insertion, c’était toujours bon à savoir...

Une fois sa réponse donnée, je retournai à ma chambre pour prendre mon sac. Après une énième vérification pour m’assurer que tout le nécessaire y était, je rejoignis Kurai qui m’attendait devant la porte. En route pour Amishawa !