Welcome to Awashima ! [Ku' & Lyra]

Un long, un très long voyage. Mon corps tout entier engourdi par le froid et l’immobilité. Je me roulai en boule, cherchant la chaleur dans ma couverture tout en essayant de trouver la position la plus confortable. Une brise fraiche vint me caresser la joue doucement, ce à quoi je répondis par un râle de mécontentement.

Je voulais dormir encore un peu, juste quelques minutes. J’avais le droit après tout, cela avait été si long. J’étais vraiment épuisée, j’avais dormi comme un loir. J’avais fait un rêve... quelque chose de vraiment différent, d’inhabituel. Quelque chose de vraiment important, peut-être. Mais j’avais beau essayer, j’avais beau plonger au plus profond de mes souvenirs, il n’y avait plus que le brouillard. C’est souvent comme ça, quand on fait un rêve. Tout semble si réel, puis tout d’un coup, le monde disparait, balayé par la lumière du réel. Souvent, j’avais essayé de me rappeler, gardant naïvement l’espoir de faire encore une fois ce rêve dont les éclats me paraissaient si fascinants. J’avais lu un livre là-dessus, ça disait que nos rêves étaient souvent les images de nos complexes et traumatismes passés. Comme un reflet de l’âme, ou plutôt, son ombre. Quelque chose que l’on croyait oublier et qui pourtant, restait toujours à nos côtés.

Je changeai encore de position, me retournant, serrant ma couverture. « Ha, rien à faire... » me résignai-je finalement, passant une main sur mon visage avant d’enfin ouvrir les yeux.

Il était tard, déjà. Je me redressai péniblement, mes sens s’éveillant peu à peu eux aussi. A travers les feuillages, un ciel mêlant magnifiquement le bleu de la nuit à l’orange du soleil couchant. Je restai encore quelques instants ainsi,  demi couchée, à contempler l’horizon. Hm... où avais-je atterri encore ?

Selon toute vraisemblance, j’avais passé la nuit – enfin, l’après-midi, je suppose – sur cet arbre à dormir. Ceci expliquant les courbatures qui me tiraillaient tout le corps. Je lâchai un soupir, basculant légèrement en arrière afin de m’assoir dos au tronc, et m’essayai à quelques étirements pour chasser la douleur. Enfin... cela ne me disait pas ce que je faisais ici.

Je remarquai alors mon sac, accroché à une autre branche un peu plus haut. Je me levai prudemment pour aller le décrocher... je fus surprise, il était lourd. A en juger par le poids, j’y avais toutes mes affaires.

« ... J’ai vraiment prévu de me perdre plusieurs jours dans la nature ou quoi ? »

Pour tout dire, j’y croyais moyennement. Me rasseyant sur ma branche, les jambes balançant dans le vide et sac à mon épaule, je pris une profonde inspiration et tentai de réfléchir calmement. J’avais plus ou moins l’habitude de me perdre dans la cambrousse, alors je n’étais spécialement paniquée. Seulement, je n’avais pas souvenir de m’être endormie ici... La journée avait été banale. Comme tous les jours, je m’étais levée pour aller en cours, j’avais du finir tôt dans l’après-midi et j’étais allé me promener quelque part aux alentours. Hm...

C’est là que je l’ai trouvé. Un bout de papier froissé dans la poche de ma veste. Surement un truc que j’avais ramassé au hasard et que j’avais oublié de jeter... qu’était-ce, déjà ?

« Chère descendant... mes pouvoirs surnaturels ? Ah, surement un truc de roleplay... »

J’ai lu la lettre en diagonale et l’ai repliée, la rangeant dans ma poche. C’était pas inintéressant comme piste d’introduction, mais si je voulais bouger, j’avais peu de temps avant la tombée de la nuit. Je me sentais en pleine forme après cette sieste, ça serait bête de gâcher ça. Allez hop, je saute !

*smash* ... « Waah ?! »

Ma réception au sol aurait pu être parfaite... si seulement le poids du sac m’atterrissant sur le dos avec une demi-seconde de retard ne m’avait pas complètement écrasée. Comment tu veux être agile avec un sac de vingt kilos sur les épaules, sérieusement ? Enfin, je m’en tirais sans trop de mal, l’herbe avait bien amorti ma chute. Par contre, il y avait un deuxième paramètre que je n’avais pas calculé.

Un regard... celui d’un garçon.
Quelque peu embarrassée par la situation, je lui fis un sourire tout mignon et me relevai d’un bond, manquant de rebasculer en arrière – encore et toujours à cause de ce foutu sac ! Aaaah, j’comprenais pourquoi les tortues étaient prudentes avec la vitesse, c’est tellement casse gueule ! Ehm... satisfaite de cette lumineuse réflexion, je posai ce boulet à mes pieds et époussetai mes vêtements. Bien, revenons à nos moutons maintenant.

« Hey... tu n’as rien vu, hein ?... »

Evidement qu’il avait tout vu, il n’en avait pas perdu une miette ! Enfin, je suppose qu’il n’avait pas vraiment de raison de se moquer de moi, et je voulais... partir sur des bases saines, disons. Parce que tomber d’un arbre et s’étaler devant un garçon, y’a plus conventionnel comme approche, on va pas se le cacher. « J’espère que je ne l’ai pas fait planter... »

Drôle de façon de se rencontrer

*-Kurai, merci d’être venu.
-Qu’est-ce que tu me veux ? Je croyais que tu avais oublié mon existence !

L’homme ignora le ton provocateur de l’adolescent et rompit sa contemplation en se tournant vers Kurai, son fils. Il l’invita d’un geste à s’assoir, mais le raijin qui ne l’était pas encore déclina en secouant la tête et réitéra sa question.

-Qu’est-ce que tu me veux ? Me saouler ? Je t’ai déjà dit que c’est hors de question, je refuse !

Monsieur Ikazuchi père toisa quelques instants son fils qui se dressait fièrement, puis il tapa du poing sur son bureau.

-Tu feras ce que je te dis de faire ! Tu feras peut-être les études que tu veux, mais tu deviendras tout de même le PDG et actionnaire principal de l’entreprise ! Tu n’as pas le choix !
-Mais enfin, pourquoi moi ? Ton vice-président s’en chargerait bien mieux que moi !
-Il suffit ! J’en ai décidé ainsi. Je suis sûr que c’est parce que tu traînes sans cesse avec cette fille, cette Arase, que…
-Elle s’appelle Akane !
-Peu importe ! C’est parce que tu traînes avec la fille d’un meurtrier que tu te comportes ainsi ! Je t’interdis de continuer à traîner avec cette fille !

Kurai serra les poings, se retenant à grand peine de frapper le bureau. Il inspira un grand coup, mais ne regagna pas son calme pour autant. Alors, d’une voix que l’on sentait pleine de colère contenue, mais aussi parfaitement glaciale, il prit la parole.

-Je t’interdis d’insulter mon amie. Elle s’est déjà sentie assez responsable comme ça. Et crois-moi, je n’ai pas changé de comportement. Je dirais plutôt que c’est toi qui a changé à la mort de maman. Et tu n’as plus d’autorité sur moi. Je ne serais pas ton esclave. Au revoir.

Ignorant les rappels de son père, il écarta les portes et redescendit au rez-de-chaussée, où l’attendaient Blake et Akane. Cette dernière se pencha vers lui.

-Alors ?

Kurai soupira et continua à avancer sans se retourner. Akane et Blake échangèrent un regard et le suivirent en silence, mais le jeune homme prit finalement la parole.

-Alors, je crois qu’il est vraiment devenu un con. Et je ne lui obéirais jamais. C’est aussi simple que ça. Bon, on y va ?

Son frère et son amie lui emboîtèrent le pas tandis qu’il s’éloignait de l’immeuble, ne voyant pas son père qui observait à la fenêtre… *

Le jeune déambulait, perdu dans ses pensées et ses souvenirs. En ce moment, sur l’île, c’était le calme plat. Et, en un sens, ce n’était pas pour lui déplaire. Au moins, c’était agréable, qu’il ne se passe rien par moments. Ainsi le jeune homme avait-il décidé d’aller faire une petite balade en solitaire. Non pas dans un lieu dangereux, mais simplement au parc Hinan Jo qui, en plus, n’était pas très loin de chez lui.

Ainsi, en quittant les cours et avoir discuté un peu avec quelques camarades de classe à propos d’une rumeur comme quoi la salle de musique de la fac serait parfois mystérieusement fermée, il avait décidé de faire un petit détour avant de rentrer chez lui.

Aussi se retrouva-t-il au parc. Il s’assit sur un banc et, ignorant son habituelle hallucination, ferma les yeux quelques minutes, jusqu’à ce qu’un gardien lui dise que le parc allait bientôt fermer. Le jeune homme se releva alors et reprit son chemin en direction de chez lui. Cependant, il s’arrêta bien vite car, usant inconsciemment de ses facultés télépathiques, il avait perçu la présence de quelqu’un.

Il regarda autour de lui mais ne vit rien. Il allait reprendre sa route quand il entendit un bruissement dans les arbres. Suivie d’un cri et du bruit caractéristique d’une chute. Il se retourna alors et vit une jeune fille avec un gros sac sur le dos. Elle lui sourit et tenta de se relever. Elle faillit à nouveau se la jouer tortue à cause de son harnachement, mais réussit à conserver son équilibre. Alors, elle s’adressa à lui, lui demandant s'il n'avait rien vu.

Le jeune homme ne reconnut pas tout de suite la langue. Il savait juste que ce n’était ni de l’anglais, ni du japonais, mais il était sûr de l’avoir déjà entendue… et parlée ! Il creusa un instant sa mémoire mais, finalement, une fois n’est pas coutume, ce fut Akane qui le sortit d’affaire.

Kurai, c’est du français !

Ah oui, c’est vrai ! Merci.

De rien, pour une fois que tu me remercies, ça se fête.

La ferme.

Du français… Cela faisait un petit bout de temps qu’il n’en avait pas parlé, mais… Pour une fois, il pouvait remercier son père, qui l’avait fait voyager dans de nombreux pays et l’avait forcé à apprendre de nombreux idiomes. Dont, bien entendu, le Français. Mais le problème restait que ses compétences en langues étrangères s’étaient sans doute détériorées pendant le temps où il ne les avait pas utilisées, même s’il n’avait jamais eu de grosse difficulté pour apprendre les langues. Puis, finalement, il prit la parole dans un français hésitant, mais pourtant correct.

-Tu… Tu viens de… d’arriver, pas vrai ? Et... Pour info. J'ai vu.

Le nippon n’était pas tout à fait sûr de sa tournure de phrase et il ne savait pas s’il avait été très compréhensible avec l’accent qu’il avait sans doute récupéré depuis tout ce temps. Mais c’était déjà un miracle que Kurai fasse un effort pour quelqu’un qu’il venait à peine de croiser (et quelle rencontre !), donc il ne valait mieux pas se plaindre.

Ce garçon, il avait quelque chose de bizarre. Ah, physiquement, il était normal, même plutôt pas mal en fait. Mais ce fut sa façon de répondre qui m’interpella. Qu’est-ce que... comment ça, je venais d’arriver ? Et qu’est-ce qu’il avait vu ? J’avais dis ça sur le ton de la plaisanterie, mais lui le prenait un peu trop au sérieux... et il ne niait même pas ! Suspicieuse, je fis mine d’épousseter mes vêtements pour vérifier que rien ne clochait... tout était en ordre. Je relevai les yeux vers lui, scrutant le fond de son regard. C’était étrange, tout de même. Ses mots étaient hésitants, l’enchainement maladroit, mais il ne semblait pas embarrassé outre-mesure. Un peu comme... s’il ne maitrisait la langue.

« Tu... ehm. You’re not french, am I right ? »

C’était sans doute la meilleure façon de vérifier. Par chance, je me débrouillais plutôt bien en anglais, cela m’était même arrivé de tenir des conversations avec des natifs dans mon école. C’est aussi ce qui m’avait mis la puce à l’oreille, cette chose que je reconnaissais dans sa voix... l’accent, voilà ! Finalement, j’avais tellement pris l’habitude de l’entendre que je n’y faisais plus attention.

Cela dit, maintenant que j’avais répondu à cette question, il en restait une. Passons sur le fait qu’il avait vu – quoique j’eu fort envie de savoir de quoi il retournait – et concentrons nous sur la première :

« Hey… what do you mean by ‘‘you’ve just arrived” ?... Is there somewhere to stay around here ? »

J’avais beau chercher, je ne voyais pas à quoi il pouvait penser. Je veux dire... on est au beau milieu de la cambrousse ! Il y aurait un point de rendez-vous pas un loin, une auberge ou quelque chose du genre ? En fait, plus j’y pensais, et plus il m’était énigmatique, ce garçon. Je commençais à croire qu’il y avait des règles spéciales dans le coin, et que j’avais du en enfreindre une bonne page sans même m’en rendre compte. Seulement, il ferait bientôt nuit, et sans savoir où aller, j’étais bonne pour passer la nuit dehors. Il était ma seule boussole, ce serait bête de perdre le nord pour si peu...

Explications

Kurai venait certes de s’exprimer dans un français correct, mais celui-ci restait malgré tout hésitant. Et pour cela, il avait une excellente excuse. En effet, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé cette langue. Il avait donc perdu ce qu’il savait et récupéré son accent. Et ce fut sans doute cet accent, accompagné de son hésitation, qui fit comprendre à la jeune fille que celui qui lui faisait face n’était pas issu de l’hexagone, puisqu’elle lui demanda, en anglais, une confirmation.

A cette question, le raijin se contenta de hocher la tête. Il ne servait pas à grand-chose d’en rajouter. Et il se doutait qu’elle avait des questions autrement plus importantes que celle-là auxquelles il allait devoir répondre. Et il ne fut pas déçu, puisque la question suivante concernant la question qu’il avait lui-même posée quelques secondes plus tôt. Elle lui demandait ce qu’il voulait dire par « juste arriver ». A cette question, le jeune homme sourit. Il savait bien que la plupart des descendants refusaient, au début, de croire qu’ils avaient été transportés durant une période dont ils ne se souvenaient absolument pas. Il le savait bien, puisqu’il avait lui-même eu une réaction de ce genre. Quand elle eut fini de poser ses questions, il haussa les épaules avec un petit sourire amusé.

-So, you’ve just arrived here. Well… What’s the good term? Ah, yes I got it! Welcome to Awashima! Welcome on this island. And… Welcome in your new home. Well, I guess I should say “welcome in jail”, too, but it’s not a very good welcome, is it?

Kurai !

Quoi ?

Arrête de l’embêter ! Elle vient d’arriver, un peu de tact, quand même !

T’inquiète, j’arrête.

Il eut un sourire pour atténuer ce que sous-entendaient ses paroles. Notamment sur le fait qu’ils étaient en prison. Puis il soupira et reprit, toujours en anglais.

-Ici, tu es sur l’île d’Awashima. Plus précisément au parc Hinan Jo, dans la ville d’Ikazuchi. Mais je suppose que ça ne t’avance pas des masses, pas vrai ? Je suppose que tu te demandes ce que tu fous ici ? On a tous à peu près cette réaction au réveil. En un sens, je me sens désolé pour toi. Bon, je vais te faire la version courte, si tu as des questions après, hésite pas. Prête ?

Il garda le silence quelques secondes, pour lui laisser le temps de se préparer à ce qui allait suivre, puis il prit une inspiration et reprit.

-Donc, tu es sur Awashima. Pourquoi tu es là ? Parce que tu es comme pas mal de gens ici. Il y a un bon paquet de millénaires, un des dieux de la mythologie japonaise a folâtré avec ton ancêtre. Donc tu es sa descendante. Et, à cause de ça, tu disposes d’un pouvoir magique qui correspond à son élément. Au bout d’un moment, tous les descendants finissent par se retrouver ici. Apparemment, pour nous protéger et protéger le monde de nos pouvoirs. Mon cul, oui !

Il avait grommelé les derniers mots en japonais, reprochant toujours à ceux qui tiraient les ficelles de ne pas l’avoir enlevé avant la mort de Blake et Akane. S’il était le seul responsable de leur mort, les autres avaient tout de même une part de responsabilité dans cette affaire. S’il avait été enlevé avant de révéler ses pouvoirs… Il secoua la tête pour chasser ces pensées parasites et se concentra à nouveau sur ses explications succinctes.

-Résultat, tous les descendants se retrouvent cantonnés sur cette île. Et impossible de s’enfuir. J’ai croisé quelqu’un qui avait cherché une sortie pendant plus de dix ans sans jamais avoir trouvé. Mais en tout cas, cette île regorge de mystères. Et… J’ai bien peur que maintenant, tu sois coincée ici, comme nous. Il va te falloir t’habituer à vivre et à refaire ta vie, puisque ceux qui tirent les ficelles n’ont strictement rien à foutre de notre volonté personnelle.

Il soupira et s’adossa à un arbre. Puis il porta la main à son casque, le relevant légèrement et permettant à son pouvoir de l’envahir. Puis il leva la main, paume vers le ciel.

-Difficile à croire, pas vrai ? Je suppose que rien ne vaut une petite démonstration. Regarde.

Ses yeux devinrent rouges et une boule de foudre apparut, flottant au-dessus de sa paume. Puis il joua négligemment avec en bougeant les doigts, s’amusant à la modeler. En même temps, il guettait la réaction de la jeune fille. Finalement, il transforma sa boule en un petit oiseau qui voleta autour d’elle.

-Je te déconseille d’y toucher. C’est de la foudre pure. Et là, peu importe que tu descendes du dieu Raijin ou pas, si tu la touches, tu risques de mourir, vu la différence évidente de puissance. Sinon, je m’appelle Kurai, et toi ?

[/quote]

Un sourire, un haussement d’épaules. Il savait que j’allais poserais cette question, n’est-ce pas ? Si c’était le cas, je pouvais annoncer sans trop me mouiller qu’il savait quelque chose. Quelque chose sur la raison de ma présence ici, et sans doute sur ce qu’on attendait de moi. Mon sourire s’effaça, mon regard se durcit, dévoilant une image beaucoup plus sérieuse que la précédente. Bien que j’eus déjà posé mon sac, je ressentais encore une certaine pression sur mes épaules. Un poids invisible, immatériel, mais qui se faisait de plus en plus pesant chaque seconde.

Puis il parla. Comment décrire le sentiment qui me submergea en cet instant ?... l’incompréhension, probablement. Bienvenue sur Awashima... cette île... mon nouveau chez-moi... ma prison ? Les termes employés étaient sans doute métaphoriques – ou plutôt, caricaturaux – mais je ne voyais pas où il voulait en venir. Pour tout dire, il me donnait franchement l’impression de se payer ma tête. Je ne savais pas quoi en penser... il dut percevoir mon impression néanmoins, puisqu’il soupira avant de reprendre avec un peu plus de sérieux.

Awashima, Hinan Jo, Ikazuchi. Ces noms n’étaient clairement pas d’origine française... ce qui voudrait dire que j’étais bien loin de chez moi. Pour le premier, j’aurais misé sur le Japon, les deux autres avaient une certaine consonance asiatique aussi. Sauf que le Japon, c’est aux antipodes de ma France à moi... non, cela ne tenait pas, rien qu’imaginer prendre l’avion m’était impossible, c’était hors de mes moyens. « En effet, bien vu Sherlock »... non seulement il ne m’avançait pas, mais il me renvoyait case départ. Il pouvait bien être désolé, ça n’y changerait pas grand-chose... oui, ce fut mon tour de soupirer, cette fois. Je me laissai tomber au sol pour m’asseoir, sentant mes forces commencer à m’abandonner face à ce surplus de logique. Dans un sens, j’avais presque peur de ce qui allait suivre...

Et ce fut une seconde surprise. Je m’étais attendue à pas mal de scénarios improbables, mais le deus ex machina... c’était osé, tellement que ça en deviendrait presque crédible, en fait. Les mythes anciens m’avaient toujours intéressée, fascinée. C’était un terrain parfait pour écrire des histoires un peu fantastiques. J’ignorais tout des divinités japonaises, mais dans un sens, cela expliquait le nom de l’île et des lieux du coin... D’après ses dires, les habitants du coin auraient donc un pouvoir, d’où l’enfermement sur cette île. Et bien sûr, pas de porte de sortie, impossible de fuir. Cela n’avait pas l’air de l’enchanter, en tout cas.

Je restais pensive un moment, pendant que le garçon allait s’adosser à un arbre en soupirant. Je fixai la paume de ma main, traçant des symboles runiques avec mon doigt dessus, machinalement. Ce fut sans surprise : aucun effet. Un pouvoir élémentaire... non, je n’avais jamais manifesté rien de tel. S’il disait vrai, et si c’était réellement pour protéger le monde de ces choses, ils s’étaient plantés. Difficile à croire, ce n’était pas peu dire... bravo Sherlock, tu progresses !

« ... Merde, je laisse tomber... »

Derniers mots lâchés dans ma langue natale avant de me laisser tomber en arrière, m’étalant de tout mon long sur l’herbe. J’avais mal à la tête à force de trop réfléchir, et en effet, c’était trop pour que j’accepte tout sans broncher. Je ne réagis même pas quand l’autre me proposa une démonstration, et me contentai de le regarder à l’envers depuis ma position. « Oh la jolie lumière... » ah, mauvais signe, j’étais en train de devenir folle... La petite boule de foudre prit différentes formes, avant de se changer en une cocotte en papier qui voleta autour de moi. Pour résumer ce qu’il me dit : tu touches, t’es morte. T’aurais pu le dire AVANT de me la mettre à porté de pattoune, idiot...

« Sinon, je m’appelle Kurai, et toi ?
- ... Lyra. »

Je regardais la petite cocotte voleter encore quelques secondes, comme hypnotisée par cette dernière. Ma motivation s’était proprement envolée à la suite de son récit, et la fatigue me tombait dessus comme une masse. Mais... à présent, je savais ce que j’avais à faire.

« Je ne sais pas de qui je descends, ni même si j’ai effectivement un pouvoir. Mais je ne compte pas rester ici toute ma vie à cause de leurs conneries. »

Je pris une inspiration et me relevai d’un bond, me tournant vers Kurai. S’ils n’avaient que faire de notre volonté, je ne voyais pas l’intérêt de prendre en compte la leur. Après tout, j’étais une voyageuse, j’avais fais vœu de liberté absolue. Aucune prison ne me retiendrait, qu’importe sa nature.

Bien première chose... je me baissai à fouiller dans mon sac, à la recherche de mon portable. Je devais vérifier la date, et si j’avais du réseau aussi. Je finis par le trouver dans une petite poche sur le côté, mais j’eus à peine le temps de l’ouvrir qu’il se coupa. La batterie m’avait lâché... génial. Et j’avais oublié le chargeur, avec ça. Je crois que c’est ça, ce qu’on appelle des conditions favorables... Dans un énième soupir, je levai les yeux au ciel, une vague déception dans le regard.

« Hm... il se fait tard. Dis, tu as refais ta vie, toi ? »

Avait-il voulu s’enfuir lui aussi, à son arrivée ?... c’était sans doute la première réaction logique, en tout cas, elle l’était pour moi. J’avais trop à perdre en abandonnant ma vie, j’avais tant lutté pour ce bonheur... c’était difficile à admettre, qu’on puisse tout me reprendre et me dire de refaire ma vie ici, sans rien. Mais une chose était certaine pour moi : je ne les laisserai pas faire.

Explications

La jeune fille se présenta sous le nom de Lyra. Kurai se demanda un instant si ce nom était dérivé de l’instrument de musique antique connu sous le nom de la lyre, mais il écarta rapidement la question, notamment car ça ne présentait aucun intérêt. Le silence tomba quelques secondes, puis la nouvelle venue reprit à nouveau la parole, disant qu’elle ne comptait pas se laisser abattre ni rester toute sa vie ici. Bien entendu, c'était le bon état d'esprit. Mais mieux valait quand même pour elle envisager de rester ici, puisque personne ne pouvait s'échapper.

Mais à ce moment-là, elle demanda au jeune homme s'il avait refait sa vie. Et il perçut aussi la question non énoncée. Avait-il tenté de lutter, de s'enfuir ? Le raijin se perdit un instant dans ses pensées, regardant sans les voir les gens qui sortaient du parc qui allait bientôt fermer, au loin. La vérité était que, lors de son arrivée, il était dépressif… Donc il n'avait pas vraiment cherché à partir. Il se demanda pendant quelques instants comment le formuler sans trop en dire, puis poussa un soupir en se passant la main dans les cheveux.

-Hé bien… Je dirais que je n'avais pas vraiment de vie à refaire. Donc cette île est plus une sorte de… seconde chance, pour moi. De toute façon, dans le monde extérieur, je n'avais plus d'attaches. Les gars en noir sont arrivés trop tard. Donc pour répondre à ta question, je dirais que oui, j'ai refait ma vie.

Au ton de sa voix, on le sentait presque apaisé. Ou plutôt, on sentait qu'il n'avait aucun regret. Pourtant, son passé continuait de le hanter. Il était vain de se demander s'il serait vraiment apaisé un jour, mais en tout cas, on pouvait constater qu'il avait laissé son ancienne vie sans regret. Puis il eut un sourire en coin et tendit légèrement la main.

-Tu veux que je te recharge ton téléphone ? Je manipule l'électricité, donc ça sera pas très compliqué pour moi. Comme ça, tu pourras appeler tes proches, au moins pour leur dire que tu seras absente pendant quelques temps, pas vrai ? Par contre, tu peux pas leur parler de l'île. La magie brouille toute mention la concernant. Et d'ailleurs, elle a pas de coordonnées GPS, non plus. J'ai déjà tenté, mais c'est presque comme si l'île n'existait pas. Enfin, en vérité, elle se déplace en permanence, du coup, elle peut pas être localisée ou localisable. Ce qui, d'ailleurs, rend d'autant plus chiantes les tentatives d'évasion…

Il attendit la réponse de la jeune fille quelques instants mais, avant qu'elle ne se décide ou non à lui donner son téléphone, il commença à se diriger vers la sortie du parc, faisant signe à Lyra de le suivre.

-Comme tu l'as dit, il commence à se faire tard, donc le parc va fermer… On devrait sortir avant d'être enfermé, parce qu'avec tout ton attirail, je doute que tu puisses escalader les grilles… Tu crois pas ?

Il attendit qu'elle se relève et qu'elle décide si elle lui prêtait son téléphone pendant quelques secondes ou pas. Mais, ne la voyant pas répondre, il soupira, bloqua son propre téléphone à l'aide de ses pouvoirs et le tendit à la nouvelle venue avec un léger sourire.

-Tiens, comme ça, ça sera plus pratique, au final. Tu peux appeler pendant aussi longtemps que tu veux, je le recharge en permanence, donc il a toujours sa batterie à fond.

Quand on voyait le nombre d'applications qu'il faisait de son téléphone, mieux valait en effet pour lui le recharger presque en permanence grâce à son pouvoir. Bien sûr, quand il était arrivé, il en aurait été parfaitement incapable, vu son faible niveau de contrôle. Mais il avait clairement évolué depuis. Et maintenant, il avait une bien meilleure maîtrise. Donc il pouvait sans problème émettre une faible partie de l'électricité qui le parcourait en permanence pour recharger son téléphone.

Le jeune raijin attendit donc que Lyra passe son appel tout en continuant son chemin, jusqu'à ce qu'ils arrivent à la porte du parc. Le gardien était en train de la refermer. Kurai le héla alors, leur permettant de gagner quelques secondes qui furent suffisantes.

Une seconde chance ? Oui, c’était une façon de voir les choses... surement la façon dont ils espéraient nous faire voir les choses. Enfin, c’était compréhensible qu’il n’ait pas cherché à s’évader. Quand on n’a nulle part où aller, se voir offrir un endroit où rester en paix, ce n’était pas une offre qu’on pouvait décemment refuser. Je ne pus m’empêcher d’essayer d’imaginer quel genre d’évènement avait pu bouleverser sa vie passée, de l’autre côté... il semblait s’en être remit depuis, au moins en apparence. Mais pour l’avoir vécu, je savais qu’on ne guérissait jamais de ce genre de blessures.

Soudainement, il me tendit la main, se proposant de recharger mon téléphone. Alors le fait de manipuler l’électricité lui donnait aussi ce genre d’applications ? Ca avait l’air vraiment pratique... ce qui l’était moins, c’était les clauses de confidentialité concernant l’île. La magie brouillerait tout ce qui la concerne, donc... ceux chargés de la censure pendant les guerres mondiales, c’était des petits joueurs à côté. Pas de coordonnés GPS non plus, pas de possibilité de se localiser par rapport au reste du monde. Je commençais à comprendre ce qu’il voulait dire par le fait que personne n’avait réussi à s’enfuir.

Finalement, constatant que j’étais encore un peu perturbée par la masse d’informations à analyser, il commença à s’éloigner en me signalant que le parc allait bientôt fermer. Plus qu’un parc, cela ressemblait d’avantage à une forêt pour moi. Des arbres à perte de vue, cette sensation de liberté infinie... je me demandais à quoi pouvait bien ressembler la ville, par ici. Ah, c’était mauvais, je me perdais encore dans mes pensées... l’autre avait du le remarquer d’ailleurs, puisqu’il me tendit son propre téléphone cette fois. Je devais un peu l’énerver à m’évader ainsi au pays des poneys et des arcs-en-ciel sans crier gare... Je secouai la tête vigoureusement pour me libérer de ces rêveries pris le téléphone qu’il me tendait.

« Désolée, ça fait beaucoup de choses à assimiler en même temps... »

J’examinai le téléphone entre mes mains avec curiosité. Un modèle bien plus récent que le mien... en même temps, ce n’était pas si compliqué à trouver, vu que j’étais en possession de ce qu’on appelle familièrement ‘‘une antiquité’’, par chez nous. Enfin, je suppose que je devrais réussir à me servir du sien. Je lui tendis tout de même le mien pour qu’il le charge en route, le mettant en garde de ne pas griller la batterie. Sait-on jamais.

Pendant que nous marchions tranquillement vers la sortie, je me demandais ce que je pourrais dire pour expliquer ma situation. Je devais avertir Aaron que je ne rentrerais pas la semaine prochaine, et mes amis allaient forcément se demander pourquoi je séchais les cours... Je n’étais pas du genre à mentir ou cacher ma situation sans raison, et je savais qu’aussi invraisemblable mon excuse puisse-être, ils seraient de mon côté. Jusqu’où allait ce fichu brouillage ?... je commençais à taper distraitement le numéro de Kiara tout en cherchait la meilleure façon de lui faire passer le message. Même s’il devait être bloqué... qui ne tente rien n’a rien, je suppose.

Le téléphone sonna pendant de longues secondes, qui me parurent presque interminables. Et si elle ne répondait pas, qu’elle avait coupé son portable ? C’était un numéro inconnu, et venant d’un pays étranger apparemment... il y avait des chances qu’elle ignore l’appel, aussi. J’aurais peut-être du attendre que Kurai chargement simplement le mien...

« ... Allô ?... Qui êtes-vous ?
- C-c’est moi... Lyra.
- ... Lyrou ? Mais, c’est quoi ce numéro ? Il t’est arrivé quelque chose ?
- Hm... oui, en quelque sorte.
- Attends, une minute, je reviens. »

J’avais conscience que ma voix devait sonner quelque peu hésitante, et Kiara l’avait sans doute déjà remarqué. Elle me connaissait comme personne, pas étonnant qu’elle devine mes problèmes. Mais à nouveau, je me heurtais à ce doute... comment aborder le sujet ?

« ... Re. Alors, il t’arrive quoi ?
- Eh bien... pour une certaine raison, je vais devoir m’absenter... un long moment, sans doute.
- ... Combien de temps ?
- Aucune idée, malheureusement.
- ... J’imagine que tu ne peux pas me dire pourquoi.
- ... Désolée. »

Son ton avait légèrement changé... toujours doux et calme, mais plus triste. Comme si, quelque part, elle s’en voulait de ne pas pouvoir m’aider dans cette situation. Plus elle me disait qu’elle serait là, que je pourrais toujours compter sur elle, plus cela me faisait mal au cœur de ne pas pouvoir lui dire. Même si j’essayais, lui dire simplement que j’avais été kidnappée et relâchée dans un endroit inconnu où on me disait de refaire ma vie... je ne pouvais pas lui faire ça, c’était trop cruel. Autant pour elle que pour moi.

La conversation s’étira encore quelques minutes à parler de tout et de rien, comme on le faisait d’ordinaire. Je savais bien qu’elle le faisait surtout pour me changer les idées dans ma situation, que c’était sa façon de me soutenir dans cette épreuve. Mais batterie infinie ou pas, je ne pouvais pas rester indéfiniment au téléphone... je devais trouver un endroit où dormir, et plus d’informations sur cet endroit. Demain serait une journée chargée.

Une fois sortis du parc, je raccrochais et rendis son téléphone à Kurai. C’était suffisant, Kiara se chargerait de faire passer le message à tout le monde demain. Je réprimais un bâillement, levant les yeux au ciel... il faisait presque nuit déjà, dans moins d’une heure on n’y verrait plus rien. Mais il y avait un autre paramètre tout aussi important que j’avais négligé jusqu’alors... je mourrais de faim.

« Bon, tu connaitrais pas un coin tranquille où manger ? Sauf si tu as déjà quelque chose de prévu... »

Si la ville était grande, c’était mieux d’avoir un guide. Mais peut-être avait-il déjà prévu quelque chose pour la soirée. Soit, si c’était le cas, je trouverais bien par moi-même... Au vu de l’heure, il vaudrait mieux ne pas trainer quand même.

Explications

Lorsqu’il lui tendit son propre téléphone, Lyra s’excusa d’être légèrement dans la Lune en disant que ça faisait beaucoup de choses à assimiler d’un coup. Bizarrement, Kurai n’en doutait pas un seul instant. C’est pourquoi il ne releva pas, se contentant de prendre le portable que lui tendait la jeune fille en lui disant de ne pas griller la batterie. Il se contenta de sourire en réponse et rechargea rapidement la batterie. Puis, en se dirigeant vers la sortie du parc, il laissa Lyra passer ses coups de fil. Quand elle eut terminé, elle lui rendit son téléphone et il fit de même avec celui de la française. Puis celle-ci lui demanda s’il connaissait un endroit où manger, avant de demander s’il avait quelque chose de prévu ce soir. Il eut un léger sourire avant de répondre.

-T’inquiète, j’avais rien de prévu de particulier pour ce soir, donc je peux encore guider une nouvelle. Et tu as de la chance de trouver à Ikazuchi. C’est un village, donc c’est pas compliqué de s’y retrouver. Si t’étais à Amishawa, par contre, ça serait plus difficile. Mais ici, il y a un petit coin sympa pour manger. Je t’y amène. Et vu l’heure, la banque est fermée, donc tu peux même pas retirer d’argent – d’ailleurs, la monnaie, ici, c’est le Coliz. Mais en allant à la banque, l’argent que tu as sur ton compte sera directement converti – du coup, je paye le repas pour ce soir. Tu viens ?

Il se dirigea vers l’endroit où ils pourraient se sustenter et regarda sa montre. Oui, à cette heure-ci, tout était sans doute fermé, en ce qui concernait l’administratif et le financier. Et il n’avait pas envie de payer une chambre d’hôtel à la jeune fille… Mais il ne pouvait pas non plus la laisser dormir à la rue. Alors il ne restait plus qu’une solution. Toujours marchant, il fit sa proposition à Lyra.

-Si tu veux, je peux t’héberger pour la nuit. J’ai une chambre d’ami. Ça sera plus pratique pour toi, comme ça, demain, je pourrais t’amener à la banque pour que tu ouvres ton compte. En plus, ils ont quelques dettes envers moi, à la banque, depuis que je leur ai rendu un petit service. Donc je pense qu’ils accéléreront la procédure. Enfin, tu me répondras plus tard si tu veux. Pour l’instant, il vaut mieux se concentrer sur la nourriture, pas vrai ? D’ailleurs, on est arrivés.

Les deux jeunes gens s’installèrent dans le petit restaurant et passèrent leurs commandes. Mais, en attendant que celles-ci arrivent, Kurai se leva, déclarant qu’il devait passer un coup de fil. En effet, son téléphone venait de vibrer. Il se releva donc et sortit. Il ne fut cependant pas long, puisqu’il revint à peu près trois minutes plus tard, avant que leurs plats ne soient arrivés. Il piocha un peu dans les biscuits apéritifs et regarda à nouveau la nouvelle arrivante. Il la plaignait, car ce n’était jamais simple d’être arraché à sa vie. Puis il soupira en grimaçant.

-C’est bizarre, comme histoire, pas vrai ? Si tu as d’autres questions, hésite pas à les poser. Je suis là pour ça. Je sais que ce n’est jamais facile d’arriver ici. Donc profites-en. Et tu as réfléchi à ma proposition ? Comme ça, je t’aiderais demain. Ça sera plus facile, et pratique, pour toi, mais c’est toi qui voit.

Les plats arrivèrent à ce moment-là. Kurai commença donc à manger, attendant les éventuelles questions de Lyra. C’était la première fois qu’il tombait sur quelqu’un qui venait à peine de débarquer, mais il fallait bien un début à tout, comme on dit. Alors, le moins qu’il puisse faire était d’assurer des réponses. Au moins, ça, il savait faire. Même s’il existait sans aucun doute des questions auxquelles il n’avait absolument aucune réponse. Après tout, cela ne faisait que quelques mois qu’il était sur l’île. Il était loin d’en connaître tous les mystères, par exemple. Mais il pouvait tout de même répondre aux questions sur le quotidien…

Donc il n’avait rien de prévu... tant mieux, ce serait plus pratique de le garder sous la main. Le jeune homme parlait beaucoup, bien trop à mon gout, mais chacune de ses tirades ne manquaient pas de m’apprendre de nouvelles choses. Ikazuchi était maintenant un village, et non plus une ville. Ce détail se trouvait plutôt arrangeant pour moi, mais la suite l’était beaucoup moins : la monnaie d’ici était différente. Il faudrait convertir mon compte bancaire, du coup ? L’ennui, c’est que je n’avais pas beaucoup d’économies sur mon épargne personnelle... le compte principal était géré par mon grand frère, tous les revenus allaient dessus pour payer les diverses factures de notre foyer. Le partage s’était déjà montré bien pratique pour nous, mais il allait me poser problème ici. Si je lui demandais de me virer une somme importante, il allait forcément se poser des questions...

Perdue dans mes pensées, je suivais distraitement le jeune homme sans trop regarder où il m’emmenait. Les rues étaient plutôt calmes, silencieuses. Ikazuchi ressemblait en tout point à un village normal, à première vue. C’était la sensation que j’en avais. Une visite improvisée m’aurait bien tentée en temps normal, mais ce soir, mon esprit était ailleurs. Dans quelle mise en scène loufoque étais-je encore tombée ? Et pourquoi ces histoires de demi-dieux, d’enlèvements, de prison à ciel ouvert ? Impossible d’avoir les idées claires après un tel bombardement d’informations aussi invraisemblables les unes que les autres. Je ferais sans doute mieux d’y réfléchir demain après une bonne nuit de sommeil.

La marche s’arrêta, subitement. Kurai me fit une proposition étrange. M’héberger pour une nuit... à y repenser, je n’avais pas de quoi payer une quelconque chambre à l’auberge sans monnaie locale. Mais j’étais tout de même surprise qu’il m’invite chez lui aussi facilement. Ce genre de solidarité se faisait rare dans mon pays, par ces temps... ce qui était triste, mais compréhensible. Il ne me laissa pas le temps de réagir cependant, puisqu’il signala que nous étions arrivés en poussant la porte du petit restaurant. Un serveur vint nous donner une table prit les commandes, puis Kurai s’absenta pour passer un appel. J’en profitais pour allumer mon téléphone et consulter mes messages. Les quelques-uns que j’avais reçu dataient de plus tôt dans la journée... rien de bien important. Personne ne m’attendait ce soir, j’avais encore un peu de marge pour m’organiser. Ceux qui avaient planifié tout cela s’en fichaient sans doute, mais bien que je sois la seule coincer sur cette île, mon absence allait causer du tord à de nombreuses personnes, de l’autre côté. Voyant que mon hôte en avait terminé, je rangeai mon appareil avec un soupir de dépit. Bizarre comme histoire, l’expression était bien faible. Etrangement, je n’avais pas envie de le questionner d’avantage sur l’île... pas ce soir, en tout cas. J’avais eu ma dose, une information de plus et mon cerveau allait crasher. Cependant, il me fallait au moins lui donner une réponse quant à sa proposition...

« On dirait que je n’ai pas trop le choix... je compte sur ton hospitalité alors, haha ! »

J’avais beau parler sur le ton de la plaisanterie, la situation était loin de me faire rire. Je préférais simplement ne pas plomber l’atmosphère, et mon moral par la même occasion. C’était dans ce genre de moments qu’il fallait garder la tête haut et sourire face à l’adversité. Je n’avais réellement aucune idée de comment m’en sortir face à cette épreuve, mais je savais d’ors et déjà que ce ne serait pas de tout repos.

Quelques minutes plus tard, le serveur arriva de nouveau avec les plats que nous avions commandés. Je commençais donc à manger sans plus de cérémonies, n’ayant pas non plus matière à alimenter la discussion. Je n’aimais pas dépendre de l’aide des autres, mais ici, je me voyais mal gérer tous ces paramètres en même temps. Ce qui serait d’autant plus vrai si certains me demeuraient inconnus...

« Si ça ne te dérange pas... en ce qui concerne mes questions, et tout ça... je préférerais en parler demain. Si on continue ce soir, je vais saturer ! »

... Et de toute manière, j’allais suffisamment me torturer l’esprit toute seule cette nuit avant de trouver le sommeil, me connaissant. En ce sens, s’il continuait de m’assommer avec ses monologues, j’étais gagnante dans l’affaire. « Ha, le pauvre, lui qui essaye de m’aider... » Tout serait sans doute plus clair demain... je l’espérais.

On continuera demain

Lyra accepta la proposition qu’il lui avait faite, à savoir qu’il l’héberge pour la nuit. Elle avait répondu en souriant qu’elle n’avait pas le choix et qu’elle devait compter sur son hospitalité, mais il n’était pas dupe et se doutait bien qu’il ne s’agissait que d’un sourire de façade. Après tout, lui-même était expert en ce domaine. Le silence plana ensuite quelques minutes, le temps que le serveur apporte les plats. Après quoi, Lyra reprit la parole en disant qu’elle préférait laisser les questions de côté pour l’instant et les garder pour le lendemain car elle commençait à saturer. En réponse, Kurai se contenta de hocher la tête. Il n’en était pas étonné outre mesure.

-Je comprends tout à fait. Je suppose que tu as déjà pas mal de matière à réfléchir pour ce soir, après tout…

Le reste du repas se fit en silence. Une fois qu’il fut terminé, Kurai demanda l’addition au serveur et paya à l’aide de sa carte de crédit. Il s’étira rapidement et se leva, attendant la jeune fille à la sortie du restaurant. En même temps, il repensait à sa propre arrivée sur l’île. On lui avait certes donné quelques indications, mais le reste, il l’avait découvert en fouinant un peu partout. Mais il avait surtout eu de la chance de tomber sur les bonnes personnes au bon moment pour lui expliquer comment fonctionnait cette île. Même si, bien sûr, à côté, il s’était aussi avéré particulièrement poissard dans quelques situations, comme deux ou trois jours après son arrivée, quand il était tombé sur Roland. Mais disons que ses premiers jours sur l’île avaient été plutôt mouvementés, en vérité. Et c’était encore loin de le dire. D’ailleurs, maintenant qu’il y réfléchissait, sa vie sur l’île continuait à être mouvementée, mais il s’était habitué à ce rythme, qu’il considérait maintenant comme normal.

Cependant, il se doutait que pour Lyra, le changement devait tout de même être plutôt radical. Donc en un sens, il se disait qu’elle avait de la chance de tomber sur quelqu’un qui était assez habitué à l’île pour lui expliquer. Même s’il n’était peut-être pas le meilleur des guides, mais là n’était pas la question. Il poussa un soupir et vit que Lyra l’avait rejoint. Il se redressa et lui adressa un petit sourire.

-Bon, on y va ? J’aimerais bien me débarrasser d’un TD pour la fac, même s’il est pas hyper urgent. Et puis bon, je suppose que tu as besoin d’un peu de calme pour réfléchir à tout ça, pas vrai ?

Il commença à marcher, suivi par la jeune fille. Les deux marchaient en silence, mais pas pour la même raison. Kurai gardait le silence à la fois pour permettre à Lyra de réfléchir et parce qu’il s’était à nouveau perdu dans ses pensées, si bien qu’il ne prêtait quasiment pas attention à ce qu’il l’entourait. Mais quasiment n’est pas totalement. Et il avait pris l’habitude de toujours garder sa télépathie passivement activée, pour pouvoir repérer les menaces humaines. Et c’est ainsi qu’il repéra, non loin de là, une personne à laquelle il avait, comme par hasard, pensé quelques minutes plus tôt, autrement dit, Roland. Et ce type semblait avoir repéré Kurai, puisqu’il se dirigeait vers lui, dans l’intention évidente de le prendre par derrière. Sans sourciller, le raijin activa son pouvoir et, comme s’il remontait sa mèche de cheveux, lança rapidement une sorte de pic de foudre, qui alla directement se placer au niveau de la pomme d’Adam de l’autre. Puis l’étudiant lui adressa un bref message télépathique.

Evite. Si tu fais un pas, ce truc te tuera. J’ai pas envie d’être dérangé par un minable qui n’a pas progressé ce soir. Alors dégage, simplement.

Tout s’était passé si rapidement que Lyra n’avait sans doute rien vu. Kurai ne mentionna pas ce fait, puisque ce dernier ne le méritait pas, et continua son chemin. Ils étaient finalement arrivés à l’immeuble où logeaient notamment Kurai, Jess et Sayuri. Le jeune homme se tourna vers son invitée.

-Voilà, c’est là que j’habite. Enfin, au cinquième étage, mais ne t’inquiète pas, il y a un ascenseur. Autant dire qu’on est arrivés, quoi.

Le jeune homme ouvrit la porte de l’immeuble.

La suite ici : click here