Après-midi shopping entre filles ! [Elina/Emily]

Elina était, comme à son habitude à cette heure-là, occupée à ses fourneaux. La recette d’aujourd’hui était un ragoût de bœuf aux herbes, un plat bien chaud encore une fois, mais c’était une recette qu’elle maîtrisait plutôt bien, ce qui faisait qu’elle n’avait pas besoin de trop se concentrer sur ce qu’elle faisait, et c’était exactement ce dont elle avait besoin en ce moment. La journée avait été forte en émotions, et maintenant encore, son esprit s’égarait vers certains moments qu’elle avait vécus. Enfin, plutôt vers un moment en particulier, mais comme elle s’était déjà coupé une fois le doigt en y repensant, elle faisait un effort tout particulier pour ignorer ce dernier. L’exercice s’avérait cependant particulièrement difficile, aussi parfois certaines images ou sensations lui revenaient. Il faut dire que ce qu’il s’était passé avec cette jeune fille était difficile à oublier… Surtout qu’une part d’elle ne voulait pas vraiment oublier… Heureusement, elle avait d’autres souvenirs de cette journée pour pallier à ce problème. Bon, son passage dans la salle où avait lieu les tests n’était pas vraiment indiqué non plus, trop d’images savoureuses et de risques de coupures. Par contre, elle se remémora la scène qui avait eu lieu juste après la fin des cours.

La cloche venait de sonner, et tous les élèves s’étaient empressés de rassembler leurs affaires, en écoutant à moitié les instructions que leur professeur leur donnait concernant les travaux à réaliser à domicile. Elina, elle, ne se pressait pas, son bus ne passait que dans une vingtaine de minutes, ce qui lui laissait largement le temps d’atteindre l’arrêt qui se situait juste devant le lycée. Mais avant qu’elle ne puisse quitter la classe, Asami vint l’interpeller. Mais qui était donc Asami ? Eh bien… Sa voisine de table, bien sûr ! Au cours de la journée, Elina avait enfin réussi à se rappeler son prénom, ou plutôt cessa-t-elle de feindre l’ignorer. Peut-être que les évènements de la journée avait changé sa perception qu’elle avait de la jeune fille ? Quoi qu’il en soit, Asami était donc venue la voir, la mine déconfite. Étrange, lorsque l’on pensait à l’humeur joviale dans laquelle elle avait baigné toute l’après-midi… La raison ne tarda pas à lui être fournie :

- Elina ?

- Quoi ?

Son ton n’était pas très engageant, mais elle avait l’impression de savoir ce qu’allait être la suite des propos de la jeune fille. Cependant, à sa grande surprise, il s’avéra que ce serait exactement le contraire de ce qu’elle avait cru :

- En fait, je voulais venir chez toi, aujourd’hui…

- Surprenant…

Cependant, l’emploi du passé lui signala que ce désir n’était plus d’actualité. Qu’avait-elle donc à lui dire dans ce cas ?

- Mais j’ai déjà un truc à faire, alors je ne peux pas. Mais demain, j’ai rien de prévu, je peux passer ?

- Demain, je suis occupée.

- Oh…

Elle semblait déçue, mais malheureusement, c’était la stricte vérité. Elle travaillait à la supérette le lendemain, aussi ce n’était pas le jour idéal pour des retrouvailles. Et puis, elle n’était pas sure d’avoir vraiment envie d’avoir de la visite, tout simplement. L’appartement était son sanctuaire, qu’elle partageait bien sûr avec Emily, mais c’était l’endroit où elle se sentait le plus à son aise, aussi aimait-elle y être tranquille. Et quelque chose lui disait qu’Asami ne risquait pas vraiment d’apporter la tranquillité avec elle… Bon, l’affaire était réglée, aussi s’apprêta-t-elle à quitter les lieux. Adressant un signe de la main à la jeune fille, elle constata que celle-ci le lui rendit avec peu d’enthousiasme. Bizarre, d’habitude elle agissait comme une pile électrique surchargée, et là, on aurait dit qu’elle était toute raplapla. Était-elle à ce point déçue ? Pour une raison étrange, la voir dans cet état la dérangeait. Or, ce n’était pas une sensation qu’elle affectionnait particulièrement, il fallait donc qu’elle s'en débarrasse. Aussi, se résigna-t-elle à dire :

- Tu n’auras qu’à venir une autre fois.

Pas de réaction. Apparemment, une autre fois n’était pas suffisamment réjouissant pour elle, ne se rendait-elle pas compte de l’importance que revêtait ces quelques mots ? Cela insinuait qu’elle acceptait une future visite ! Et puis, ce n’était pas de sa faute… Cependant, cela ne changeait rien au fait que la jeune fille restait dépitée. Que pouvait-elle donc dire pour lui remonter le moral ?

- Eh bien, si ça te fais tellement plaisir, tu n’as qu’à passer demain dans l’après-midi. Mais tu ne pourras pas rester très longtemps.

C’était bien vrai, car Emily avait prévu une sortie shopping. Encore que, avec le coup bas qu’elle lui avait fait, elle n’était pas sure de vouloir lui accorder ce petit plaisir. Enfin, dans le cas où cette dernière se ferait, mieux valait prévoir le coup. Quoi qu’il en soit, il était temps d’observer l’effet qu’avaient eu ces quelques mots sur la jeune fille. En voyant son expression, Elina ne put s’empêcher de déglutir. Asami arborait un présent un grand sourire, et ses yeux pétillaient de joie. Un changement radical, en somme… Mais le pire vint après, lorsqu’elle l’attrapa dans ses bras en s’écriant :

- Waouh, merci Elina, je suis trop contente ! Héhé, t’es vraiment trop sympa toi !

- Arrête, mais lâche-moi ! Et puis, je ne suis pas sympa d’abord ! J’ai juste dit ça pour que t’arrêtes de me faire culpabiliser…

Voilà comment s’était terminée sa journée. Maintenant, cette décision la laissait perplexe. Avait-elle bien fait d’aller jusque-là simplement pour remonter le moral d’une quasi inconnu ? Enfin, elle devait bien l’avouer, la présence de la jeune fille lui était moins désagréable qu’au début. Pas de quoi la considérer comme une amie, mais bon, elle avait déjà pris l’habitude de parler avec, ce qui était déjà un bon point. Cependant, l’idée de commencer à l’apprécier la dérangeait. Cela lui rappelait ses anciennes amies, et comment elles l’avaient rejeté par la suite comme si de rien n’était. Déjà, avec Emily, c’était limite… Tiens, en parlant de la jeune femme, celle-ci était justement en train de rentrer de ses cours. Elina déposa ses ustensiles de cuisine afin d’aller l’accueillir comme il se devait. Ce qui ne manqua pas de surprendre cette dernière, étant donné que c’était la première fois qu’elle faisait cela. Mais aujourd’hui, la demoiselle avait une raison toute particulière de bousculer un peu ses habitudes.

- Re bonjour, grande sœur.

Aïe, le ton était donné, Elina avait des choses à reprocher à la jeune femme. Heureusement, la colère qu’elle avait ressentie au matin avait été largement diminuée grâce au secours d’Asami, qui avait réussi le miracle de l’apaiser. Néanmoins, elle estimait nécessaire d’aborder certains sujets délicats avec sa colocataire…

Emily était en train de se déchausser devant la porte d’entrée lorsqu’Elina était venue l’accueillir. Malgré le ton léger qu’elle avait employé et l’insistance qu’elle avait faite sur le « grande sœur », la jeune femme réagit comme si de rien n’était, allant même jusqu’à l’appeler petite sœur avant d’embrayer sur le plat qui était en train de mijoter. Elina sentit une veine pulser sur sa tempe, elle garda toutefois son calme, et ce fut toujours du même ton, avec cependant une pointe d’irritation, qu’elle répondit :

- Je vois, petite sœur, hein ? Pas la moindre trace de remord, n’est-ce pas ?

Les bras serrés contre elle, Elina affichait un sourire. Mais rien avoir avec le sourire chaleureux qui aurait indiqué le plaisir qu’elle avait de voir la jeune femme revenir auprès d’elle. Non, ce genre de sourire, elle était toujours incapable de les faire sans qu’ils ne se tordent en une affreuse grimace. Il s’agissait plutôt d’un sourire fermé, sans chaleur, et signe en général que quelque chose n’allait pas. Pour bien appuyer son désir de « discuter », la demoiselle se plaça en plein devant Emily, histoire de l’empêcher de prendre la fuite au cas où elle essayerait de s’esquiver. L’air résigné, la jeune femme sembla avoir compris le message, et attendit bien sagement les reproches qui s’apprêtaient à lui être communiqués. Elina ne la fit donc pas attendre inutilement :

- Dis-moi, Emily, est-ce que tu te rappelles de ce que tu as fait ce matin ? Lors de la visite médicale ?

Cette question rendit la jeune femme perplexe, elle devait se demander ce qu’elle entendait exactement par là. Cependant, cette question n’exigeait pas de réponse, il s’agissait davantage d’une mise en bouche destinée à préparer le terrain. Ainsi, les détails suivirent rapidement ces premières paroles :

- Figures-toi que tout à l’heure, une de mes camarades de classe m’a montré un petit morceau de papier sur lequel était écrit une information qui m’a assez surprise… Est-ce que tu devines de quoi il s’agit ? C’était notre adresse ! Et sais-tu de qui elle m’a dit l’avoir obtenue, cette adresse ? De ma grande sœur. Or, c’est bizarre, je suis fille unique. Tu as peut-être une idée de qui aurait pu lui donner cette information ?

Le sarcasme était parfaitement perceptible dans le ton de sa voix. Il ne faisait aucun doute que là encore, il n’était pas nécessaire de fournir une réponse à cette question purement destinée à exposer le fait qu’elle connaissait déjà la réponse. Aussi, la jeune fille termina son petit discours de la manière suivante :

- Est-ce que c’est une habitude pour toi de te faire passer pour ma grande sœur, auprès des autres ? Il me semble pourtant avoir été clair sur ce que je pensais de cette idée. Et aussi, ça t’arrives souvent de refiler notre adresse à des inconnus ? Tu aurais pu te demander si j’étais d’accord d’abord, non ?

Ses propos la montraient en colère, mais pour qui avait déjà passé du temps avec elle, il était aisé de constater dans son comportement que sa colère ne dépassait pas le stade de l’énervement. Car après tout, bien qu’elle n’ait pas apprécié les actes de la jeune femme, elle ne considérait pas ceux-ci comme grave, plus maintenant en tout cas. Elle appréciait suffisamment la jeune irlandaise que pour lui pardonner cette erreur, mais il fallait bien qu’elle lui montre qu’elle avait commis une faute, au risque de voir celle-ci se répéter.

Les bras toujours serrés contre elle, Elina fixait d’un regard sévère la jeune femme devant elle. Cette dernière plaça alors son bras droit devant ses yeux, geste qui ne manqua pas de surprendre la demoiselle. Était-ce un moyen de fuir la réalité ? Genre « je ne vois rien, je n’entends rien, donc il ne se passe rien ! » ? Est-ce qu’elle allait se mettre à chanter à tue-tête pour ne plus entendre ses remontrances ? Non, au lieu de quoi, la demoiselle vit une goutte couler sur la joue de la jeune femme. Une goutte ? Mais… de quoi ? Un hoquet ne tarda pas à se faire entendre, ce qui informa Elina sur l’origine de cette goutte, qui ne tarda d’ailleurs pas à être suivie d’une seconde, sur l’autre joue d’Emily. La barbe ! Elle était en train de pleurer ?!

Ce fait ne tarda pas à être confirmer par les dires de la jeune femme, qui entre deux sanglots lui présenta des excuses mouillées. Elle était désolée, mais ses dires étaient nés de son interprétation personnelle de l’évolution de leur relation, et du fait qu’elle n’avait pas su quoi dire sur le moment. Comment, sur le moment ? Personne ne l’avait forcé à dire qu’elles se connaissaient, à sa connaissance. Non, Asami n’avait aucun moyen de savoir cela, ni même de le deviner… Ce devait forcément être Emily qui était à l’origine de cette fuite… Mais sur le coup, ce mystère ne méritait pas qu’on s’y attarde. La jeune femme était en pleurs, et c’était de sa faute ! Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Qu’est-ce qu’elle devait faire ?! La panique commençait à la gagner, mais non, du sang-froid bon sang ! Peut-être qu’elle n’aurait pas dû lui sauter dessus alors qu’elle venait à peine de rentrer… Mais bon, est-ce qu’il n’était pas mieux de mettre les choses au clair dès le début ? Et elle continuait à pleurer… Encore une fois, elle sentait une désagréable sensation l’envahir. Venait-elle de découvrir une de ses faiblesses ? Est-ce que la tristesse chez les personnes auxquelles elle tenait lui faisait se rappeler qu’elle avait un cœur ? Dans tous les cas, c’était une drôle de journée… Bon, maintenant, il fallait qu’elle réussisse à tarir le flot de larmes à laquelle la jeune femme se laissait aller. Elina essaya donc de consoler Emily, tâche qui risquait de s’avérer ardue…

- Arrête de pleurer Emily, je suis désolée de t’avoir fait de la peine ! Je n’aurais pas dû t’agresser comme ça, à peine rentrée. Je te demande pardon, d’accord ?

Emily émit un nouveau sanglot pour toute réponse. Aîe, ça n’avait pas suffi, qu’est-ce qu’elle pouvait faire d’autre ? Serrant les dents, elle prononça d’autres mots, dont elle espérait qu’ils seraient suffisants cette fois…

- Je… Je ne suis pas vraiment fâchée, tu sais ? Je voulais juste que tu prennes conscience de tes erreurs, c’est tout. Allez, arrête de pleurer, dis, tant que tu ne refais pas la même bêtise, je te pardonne !

Là, ça devait suffire, non ? Bin non, justement… Bon sang, qu’est-ce qu’elle pouvait dire d’autre ? Il y avait bien une solution toute trouvée, mais elle lui coûterait tellement qu’elle préfèrerait s’arracher un bras que de dire ces quelques mots. Jamais elle ne se rabaisserait à l’appeler… grande sœur… avec sincérité ! Mais comment l’empêcher de braire dans ce cas ?! Soudain, elle eut une idée. Cette dernière avait de bonnes chances de fonctionner, en plus !

- Dis, Emily, tu te souviens de ce dont tu as parlé, ce matin ? Quant au fait de faire une sortie shopping toutes les deux ? Si tu arrêtes de pleurer, je te promets qu’on y va ! D’accord ?

Voilà, elle venait d’utiliser son atout ! Et si ce dernier ne fonctionnait pas, il ne lui resterait plus qu’à laisser la jeune femme se dessécher sur le paillasson…

Le flot de larmes qui semblaient intarissables finit vite de s’écouler. Sortant un mouchoir de sa poche, Emily entreprit de se débarrasser de ses larmes et de sa morve à l’aide de ce dernier, avant de lui offrir ce sourire qui lui allait si bien. Au fond d’elle, Elina avait la désagréable impression de s’être fait roulée, mais bon, le principal était que la jeune femme ait fini de ruiner son maquillage. S’ensuivit un acte inattendu bien que prévisible : une étreinte, qui étant donné la position des deux demoiselles, força la plus jeune à se pencher face à celle qui était toujours agenouillée au sol. Cette dernière justement vint à se laisser aller à quelques paroles. Elle la remercia tout d’abord, en la qualifiant de « la plus gentille et adorable fille qu’elle connaissait », ce qui fit se demander à la jeune russe s’il n’y avait que des harpies dans son entourage pour en venir à penser à ça. Elle affirma ensuite ne vouloir l’échanger pour rien au monde, et que c’était cette gentillesse qui la caractérisait qui lui faisait ressentir le désir qu’elles forment une vraie famille toutes les deux. Ces dernières paroles semblaient empruntes de sincérité, si bien qu’il était difficile de douter de leur véracité. Cependant, Elina ne pouvait s’empêcher d’avoir des doutes sur la question. Elle était sure qu’Emily pensait sincèrement ce qu’elle venait de dire, mais cela n’était dû qu’au fait que sa famille lui manquait. Elle cherchait à compenser ce manque affectif via sa personne, afin que la séparation avec sa véritable famille lui soit plus facile. En d’autres lieux, d’autres circonstances, il y avait fort à parier qu’elles n’en seraient pas au même point, toutes les deux. Si les évènements compliqués dans lesquels elles étaient plongées ne les avaient pas poussés à être ensemble, il n’y avait que peu de chance qu’Emily en vienne à la considérer comme « sa petite sœur ». Si elle était toujours chez elle, en Irlande, elle ne l’aurait vu que comme une orpheline comme on en voit tant de par le monde, et serait rentrée chez elle partager un bon repas en famille, sans lui accorder plus d’attention. Aussi, pour elle à qui une famille ne manquait pas, elle ne ressentait pas le besoin de transférer son manque affectif sur une autre personne.

Les yeux plein d’espoir, Emily attendait une réaction de sa part. Mais que pouvait-elle lui dire ? Elle ne pouvait se résoudre à prononcer les mots qu’elle l’espérait voir prononcer en cet instant. Elle ne pouvait l’appeler grande sœur sans la considérer comme telle. Elle était incapable de le faire… Cette conviction qu’il était impossible de former une famille, une vraie famille, composée de personnes ne partageant pas le même sang était encore trop ancrée en elle que pour cela. Aussi, elle lui tint ces propos :

- Désolée Emily, mais… je ne peux pas. Pas encore…

En disant cela, elle laissait l’espoir qu’un jour peut-être, cela serait le cas. Mais c’était le mieux qu’elle pouvait offrir à la jeune femme. Il faudrait donc qu’elle s’en contente… Se dégageant en douceur de son étreinte, Elina eut un geste inconscient, celui de caresser les cheveux d’Emily, geste de tendresse qui la surprit autant que celle qui l’avait reçu. Retirant soudain sa main comme si elle venait de se brûler, elle s’esquiva rapidement en cuisine, en affirmant d’un ton mal assuré :

- Ce… C’est pas tout ça, mais il faut que je surveille mon plat moi ! Il ne faudrait pas que ça brûle, n’est-ce pas ?

Reprenant ses ustensiles de cuisine, Elina se mit à touiller dans la mixture qui mijotait dans la casserole, essayant de ne pas prêter attention aux rouges qui lui était monté aux joues. Mais qu’est-ce qui avait bien pu lui prendre, à l’instant ?

À ses fourneaux, Elina se concentrait sur ce qu’elle faisait, tournant résolument le dos à la jeune femme qu’elle avait laissé en plan. Elle ne comprenait toujours pas ce qui lui était passé par la tête… Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour qu’elle se laisse aller à un geste pareil ? D’accord, elle voulait consoler la jeune femme, mais quand même… Du coin de l’œil, elle vit Emily se relever, tout sourire, et aller chercher son sac pour commencer à travailler ses cours. Elina repassa son attention sur sa cuisine, préparant la suite de son repas. Après tout, le ragoût à lui seul ne faisait pas le repas ! Pour accompagner cela, elle comptait préparer une purée persillée maison. Aussi, mit-elle chauffer les tubercules qu’elle avait épluchés au préalable. Une fois les cuissons lancées, Elina était libre de faire ce qu’elle voulait, cependant, elle resta à la cuisine pour surveiller ces dernières. Elle craignait qu’avec ce qui venait de se passer, l’ambiance soit un peu… particulière. Elle avait déjà donné avec Asami qui n’avait pas arrêté de chantonner toute l’après-midi depuis qu’elle avait obtenu son adresse.

Au bout d’une bonne trentaine de minutes, tout était fin prêt que pour déguster le repas préparé avec soin, si l’on mettait de côté les quelques absences dont elle avait été la victime pendant ses préparatifs. Après en avoir informé la jeune femme pour qu’elle fasse place nette sur la table, Elina s’empara de la vaisselle nécessaire à la consommation du ragoût et de sa purée. Et alors que les deux jeunes femmes s’entraidaient afin de dresser la table, Emily aborda un sujet qui lui était sorti de la tête, celui de leur journée shopping du lendemain. Comment allaient-elles donc s’organiser ? Devait-elle venir la chercher à la supérette comme elle l’avait fait la semaine précédente ? Mais avant que la jeune fille ait le temps de répondre à cette question, un petit bruit se fit entendre, indiquant qu’Emily venait de recevoir un message sur son téléphone. N’en possédant pas un elle-même, il n’y avait eu aucun doute quant au fait que c’était elle qui en avait reçu un. Un coup d’œil interrogatif d’Emily lui fit comprendre qu’elle attendait son autorisation pour le consulter, ce qu’elle confirma d’un hochement de tête. Après tout, ce n’était pas comme si sa réponse était urgente, contrairement à ce que pouvait l’être le contenu du message. Terminant pendant ce temps d’apporter les derniers éléments manquants à la tablée, Elina ne tarda pas à entendre un nouveau bruit sortir du téléphone, bruit qui ressemblait au rire d’un jeune enfant. Écoutant d’une oreille distraite, elle comprit seulement que l’enfant parlait de bonbons. Bon, apparemment, il n’y avait pas d’urgence. Peu après, le rire d’Emily succéda à celui de l’enfant, et ne tarda pas à lui tendre son engin électronique sur lequel se trouvait une image d’enfant déguisé en bonbon. Drôle d’idée, d’habitude les déguisements d’Halloween étaient censés représenter des monstres et autres symboles folkloriques spécifiques de la fête. Enfin, le bambin ne semblait pas se plaindre de s’être transformé en friandise sur pattes, n’était-ce pas là le principal ? Par contre, Emily parlait de l’expéditeur de la vidéo comme si elle était censée savoir de qui il s’agissait. Pas de chance, Elina n’en avait pas la moindre idée. Elle était cependant relativement d’accord sur le côté mignon de la scène. Elle aurait bien dit qu’il était à croquer, mais elle n’était pas sure que la plaisanterie allait être saisie, aussi se contenta-t-elle de garder le silence. Cependant, elle n’allait guère pouvoir le faire très longtemps, car agissant comme s’il n’y avait eu aucune interruption, Emily lui rappela la question qu’elle lui avait posée précédemment. Elle lui donna dès lors la réponse qui s’imposait :

- Non, je rentrerais d’abord. J’ai… une affaire à régler avant de partir. Mais ça ne devrait pas durer trop longtemps.

Elina restait vague, et comme Emily la pressait d’en dire davantage, la demoiselle s’exécuta :

- Vu que tu lui as donné notre adresse, la fille en question a demandé pour passer demain. Comme cela semblait tellement important pour elle, j’ai fini par accepter. Elle ne fera qu’un passage éclair, mais bon, il vaudrait mieux que je sois là quand même, n’est-ce pas ?

Emily répondit par l’affirmative, avant de commencer à enfourner le contenu de l’assiette qui se trouvait devant elle. Et apparemment, cela était à son goût, au vu de la satisfaction qu’elle affichait. Sur le coup, Elina était bien contente d’avoir acquis de telles compétences en cuisine, car il était plaisant de voir quelqu’un apprécier la cuisine que l’on avait préparée. Elle se décida finalement à imiter la jeune femme, et entama donc sa propre assiette. Le repas commença en silence, mais bien vite, Emily reprit la parole. Cette fois, toutefois, elle avait décidé d’aborder un sujet un peu inhabituel, ce qui ne manqua pas de la surprendre. En effet, la jeune femme semblait vouloir lui parler d’une chose étrange qu’elle aurait entendue dans sa classe. C’était la première fois qu’elle parlait de sa classe à proprement parler, elle avait certes déjà abordé le sujet de ses cours, mais sans plus. S’agissait-il d’une chose que l’un de ses professeurs lui avait enseignée et qui lui paraissait bizarre ? Peut-être un élément qui serait spécifique aux demi-dieux ?

Lui accordant toute son attention, elle dut cependant prendre son mal en patience, vu que la jeune femme préférait enfourner une nouvelle bouchée de ragoût avant de préciser le sens de ses paroles. Essayait-elle de ménager le suspense ? Quoi qu’il en soit, elle prit à nouveau la parole. Pas de mystère, non elle voulait simplement lui parler d’une rumeur. Une rumeur concernant un étudiant qui aurait fait semblant d’être prof dans une classe de lycéenne, et qu’il aurait été jusqu’à abusé sexuellement de certaines d’entre elles. Ces paroles ne manquèrent pas de lui rappeler certains souvenirs… Peut-être était-ce parce qu’elle l’avait déterré il y a peu, mais le souvenir de l’arrivée de ce professeur remplaçant ne manqua pas de lui revenir. Était-ce de lui que parlait cette rumeur ? Le souvenir de la chute de pantalon n’était pas loin de lui revenir, et elle sentit les couleurs de son visage commencé à disparaître. Non, elle ne devait pas s’en rappeler ! Son ragoût était très bien là où il était, pas la peine de le faire déménager… Se forçant à reprendre contenance, Elina posa ses couverts, et leva les yeux vers Emily, qui la regardait d’un drôle d’air. Sa réaction devait paraître bizarre, pour qui n’était pas dans sa tête. Et elle lui souhaitait de tout cœur de ne pas y être, en ce moment…

- Je… J’aurais préféré que tu n’évoques pas ce sujet… Je ne voulais pas me souvenir…

Elle posa ses mains tremblantes sur la table, s’efforçant de garde son calme. Tout dans son attitude indiquait à quel point ce souvenir lui était douloureux, traumatisant. Elle réussit cependant à poursuivre sa réponse, non sans laisser transparaître un léger tremblement dans sa voix :

- Je… J’étais là… C’est dans ma classe qu’il est venu, ce… cet étudiant. C’était vraiment horrible ! Il m’arrive encore d’en rêver, parfois… Ce qu’il a fait…. Ce qu’il M’A fait… Je ne pense pas que je pourrais l’oublier un jour…

Le spectacle du caleçon lui était revenu en mémoire malgré elle, à l’évocation du passage de ce jeune homme dans sa classe. Aussi, ne put-elle prononcer un mot de plus, préférant cacher son visage entre ses mains qui exprimait à présent tout l’effroi qu’elle ressentait. Elle resta ainsi, cherchant à reprendre son calme en enfouissant à nouveau ce terrible moment qu’elle avait vécu dans les tréfonds de sa mémoire d’où il n’aurait jamais dû ressortir… Mais comment allait donc réagir la jeune femme suite à ces révélations pouvant prêter à confusion ?

Alors qu’elle avait son visage caché entre ses mains, Elina eut droit à un sursaut lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Le bruit d’un coup porté sur la table sur laquelle elles étaient en train de manger. Écartant ses mains pour voir ce qu’il se passait, la demoiselle découvrit Emily debout, les deux mains à plat sur la table, et avec une expression proche de l’effroi sur son visage à elle aussi. Elle avait de toute évidence tapée de ses mains sur la table, assez violemment que pour faire tinter les couverts qui étaient à présent ailleurs que dans les assiettes, mais pas suffisamment heureusement que pour renverser les verres, dont une partie du contenu avait néanmoins réussi à quitter le récipient. Elle devait aussi s’être levée d’un bond, car sa chaise gisait à présent à terre. Pour qu’elle raison avait-elle donc réagit de la sorte ? Est-ce qu’elle avait scruté son esprit, et vu en même temps qu’elle les images qu’elle s’était malheureusement remémorées ? D’habitude, elle lui en aurait fait le reproche, mais ici, comme cela s’était retourné contre elle, elle était déjà punie, alors inutile d’en faire davantage.

Cependant, la jeune femme se mit alors à parler, et trouver les mots semblait être une épreuve de taille. Elle semblait choquée, et surtout hors d’elle vis-à-vis de ce qui s’était passé. Pourquoi donc réagissait-elle de façon aussi virulente ? Maintenant, elle clamait, exigeait presque qu’elle lui confirme avoir gelé le jeune homme. Et à l’entendre, cela restait un sort des plus cléments par rapport à son crime. Et voilà qu’elle se mettait à lui reprocher de ne pas lui en avoir parlé. Elle voulait aussi savoir depuis combien de temps cela s’était passé, et quel était le nom du professeur remplaçant. Il n’y avait aucun doute de ce qu’elle ferait au jeune homme si jamais elle venait à lui tomber dessus… Décidemment, il y avait quelque chose de bizarre, là-dessous. Même elle, la première victime dans cette histoire, ne serait pas allé jusqu’à de telles extrémités. Bon, il est sûr qu’elle aurait largement préféré se refaire taper dessus par Alan plutôt que d’avoir à revivre cette horrible scène, mais quand même, elle ne lui en voulait pas au point de vouloir le trucider… Après tout, ce n’était qu’un… qu’un… caleçon… Mais l’expression enragée et horrifiée d’Emily semblait vouloir dire le contraire. Dans un premier lieu, elle se contenta de répondre aux questions de la jeune femme.

- Je… Ça s’est passé il y a déjà un moment… Un peu après ma rentrée au lycée. Et je me souviens pas de son nom, je… je ne me suis pas intéressé à lui.

Sous le regard sévère d’Emily, la jeune russe prit soin de se tenir à carreaux. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était aussi énervée. Elle continua à répondre au flot de questions que lui avait fait subir la jeune femme :

- Si je n’ai pas expliqué ça, c’est juste que… je ne voyais pas l’utilité d’en parler. C’était déjà fait, après tout. Et puis… je voulais oublier.

C’était on ne peut plus vrai. Ressasser ce qui s’était passé n’allait rien lui apporter de positif, alors autant mettre ce triste évènement de sa vie de côté. Cependant, Emily ne semblait d’accord avec elle sur ce dernier fait. D’ailleurs, cela commençait tout doucement à l’agacer. L’homme qui lui avait volé ses lèvres avait commis un acte bien pire, or elle semblait moins affectée par cela que pour ce qui lui était arrivé à elle ! Aussi, finit-elle par dire :
 
- Ce n’est pas la peine de t’énerver comme ça ! Ce n’est pas si grave, après tout !

Elle marqua un temps d’arrêt, juste assez longtemps pour voir l’expression choquée d’Emily avant de reprendre :

- Après tout, même si c’est un gros pervers qui harcèle sexuellement des lycéennes, il n’a fait que montrer son caleçon ! Alors, c’était une scène horrible, mais bon, je m’en remettrai…

À ses derniers mots, l’expression d’Emily changea du tout au tout. De l’indignation, elle passa à un mélange d’incrédulité et de soulagement, comme si elle ne parvenait pas à se décider quel était le sentiment qu’elle restait le plus en cet instant. Sous le coup de cette nouvelle émotion, les jambes de la jeune femme semblèrent lui faire défaut, et il ne lui fallut guère de temps pour se retrouver allongée sur le dos après s’être emberlificotée dans les pieds de la chaise qu’elle avait préalablement fait tomber. Qu’est-ce qui lui arrivait, cette fois ? Elina se leva à son tour précipitamment de sa chaise, sans l’envoyer à terre pour autant, et contourna la table en vitesse pour rejoindre Emily, qui ne s’était toujours pas relevée. Avait-elle fait un malaise ? Qu’est-ce qu’elle devait faire ?

- Emily, est-ce que ça va ? Tu ne te sens pas bien ?

Pas de réponse de la part de la jeune femme, qui fixait le plafond comme si sa vie en dépendait. Elina commençait sérieusement à s’inquiéter de ce comportement, ou plutôt de cette absence de réaction. Est-ce qu’elle s’était cognée la tête en tombant à la renverse ? Devait-elle inspecter l’arrière de son crâne pour y chercher d’éventuelles traces de sang ? Les rôles étaient inversés, ce n’était pas elle qui faisait des études à visée médicale !

Heureusement, Emily lui épargna la peine de se faire davantage de soucis. Le visage empreint de soulagement, elle prononça quelques mots, qui ne manquèrent pas de surprendre la demoiselle. En effet, la jeune femme avait cru que ce qui s’était passé était bien plus grave qu’il n’en était réellement. Elle avait cru qu’elle avait subi rien de moins qu’un viol ! Voilà qui expliquait ses réactions exagérées. Mais qu’est-ce qui lui était passé par la tête pour en venir à cette conclusion ? Mais elle n’eut pas davantage de temps pour réfléchir à la question, car l’expression d’Emily changeait à nouveau, laissant cette fois la colère prendre possession de son visage. Elle lui reprocha alors de ne pas s’être montrée plus claire dès le début. Non mais, c’était le monde à l’envers ! Face à cet injuste reproche, Elina ne put s’empêcher de réagir sur le même ton que la jeune femme :

- Eh bien, désolée de ne pas m’être faite violée !

Elle n’avait jamais ne serait-ce que sous-entendu que ce soit ce qui s’était passé ! Alors, peut-être avait-elle tenues des paroles pouvant prêter à confusion, mais ce n’était pas une raison pour l’engueuler ! Elle aurait peut-être pu avoir le bon sens de lui demander confirmation avant de sauter tout de suite à des conclusions hâtives ! Au lieu de quoi, elle se faisait sermonner comme si elle était la coupable, et non la victime, dans cette affaire…

- Tu me connais pourtant, tu crois vraiment que je me serais laissé faire, sans réagir ? Ce type avait plus de chance de finir congelé que moi de me faire violer ! Et même si maintenant, je m’étais retrouvée dans l’incapacité de pouvoir lui échapper, je me serais suicidée en avalant ma langue ou d’une autre façon avant qu’il n’ait le temps de faire sa besogne !

C’était une décision qu’elle avait prise depuis ce jour où, à l’orphelinat, on lui avait fait des attouchements. Certes, elle avait pris le dessus cette fois-là, mais il n’empêchait que si cela n’avait pas été le cas, ces mâles stupides auraient peut-être été jusqu’au bout. Depuis, elle s’était résolue à s’ôter la vie avant d’être souillée, si elle ne pouvait faire autrement. Car elle préférait largement mourir que de subir un tel traumatisme… En tout cas, elle espérait que ses paroles aient réussi à calmer les ardeurs de la jeune femme, qu’elle cesse de s’attaquer injustement à sa personne, et qu’elles puissent reprendre leur repas avant qu’il ne refroidisse.

Apparemment, ses paroles avaient fait mouche, car Emily cessa ses remontrances à son encontre. Au lieu de quoi, elle lui tendit la main, geste éloquent qui signifiait clairement qu’elle lui demandait son aide pour se relever. Chose qu’elle ne tarda pas à faire, d’ailleurs. Grand mal l’en prit ! Car se relever ne faisait nullement parti des projets immédiats de la jeune femme… Non, ce geste n’avait pour but que… de la faire basculer en avant. Ainsi, Elina finit tout droit dans les bras de la jeune femme, atterrissant en plein sur… sa poitrine. Décidemment, cette journée n’en finissait pas avec ses scènes… perturbantes. Mais pour sa part, Emily ne semblait pas se soucier de ce fait. Non, elle semblait plutôt s’inquiéter des paroles que la demoiselle avait tenues. Apparemment, le fait qu’elle ait évoqué préférer s’ôter la vie plutôt que de laisser un rustre s’en prendre à sa chasteté l’avait bouleversé. D’ailleurs, elle lui demanda de ne jamais recourir à cette extrémité, même dans ce cas-là. Elina ne répondit pas, mais au fond d’elle, elle savait bien qu’elle ne pouvait accéder à cette demande. L’idée de vivre après avoir été… souillée de cette façon, cela lui était insupportable. Aussi, n’hésiterait-elle pas un instant à périr de sa propre main s’il venait à s’avérer que cette finalité ne pouvait lui être épargnée, même si cela devait faire de la peine à la jeune femme.

Mais était venu le temps des excuses, du moins du côté d’Emily. Et ses propos semblaient s’attacher à d’autres évènements que ceux qui venaient de se dérouler. Elle en venait même à se traiter d’idiote… Tout cela était cependant à mettre sur le dos de l’affection qu’elle ressentait pour elle, et c’était cette dernière qui lui fit lui demander une fois encore de reconsidérer l’idée de s’ôter la vie. L’idée de ne pas supporter de vivre avec ce poids était-il si incompréhensible ? Malheureusement, elle ne pouvait lui donner cette fois encore satisfaction. Elle comprenait cependant que cette pensée lui fasse du mal, aussi s’abstint-elle de lui en faire part.

Les deux jeunes femmes restèrent ainsi un moment, sans qu’aucune ne prononce le moindre mot. Elina se serait d’ailleurs bien laissé aller davantage de temps à cette étreinte qui semblait être destinée à réconforter la jeune femme, mais sa tête étant posée sur un oreiller dont la douceur ne laissait aucun doute quant à son origine, le souvenir de ce qui s’était passé ce matin en plus de ce qui se passait en ce moment créait un sentiment étrange chez la jeune fille, aussi finit-elle par demander :

- Est-ce que… tu pourrais me lâcher, s’il-te-plaît ? J’attrape mal aux genoux… Et il y a le ragoût qui refroidit, aussi.

La jeune femme accéda à sa demande, et relâcha donc son étreinte. Elina en profita pour reprendre une position assise, essayant d’adopter un comportement relâché, comme si elle n’était en rien affectée parce ce qui venait de se passer. Mais son visage rouge brique et son regard fuyant était bien peu convaincant… Quelque chose lui disait que ses rêves risquaient d’être agités, cette nuit… Heureusement, ou pas, Emily aborda un autre sujet, ou plutôt reprit une conversation préalablement entamée, celle de leur sortie shopping. Seulement, elle lui demanda si Asami allait se joindre à elles, ce qui fit resurgir les souvenirs qu’elle essayait de garder enfouis. En voilà une drôle d’idée, pour quelle raison est-ce qu’elle se serait jointe à elles ? Aussi, lui répondit-elle avec nonchalance :

- Non, elle ne viendra pas. Elle ne fait que passer en vitesse, et repart de suite après. Je suppose qu’elle est juste curieuse de voir où j’habite.

Pas un instant elle ne s’imaginait qu’elle eut ressenti le désir de les accompagner. Mais il faut dire qu’au niveau relationnel, Elina n’était toujours pas au niveau de l’être humain moyen, aussi ce genre de considération ne lui était pas passée par la tête. Le sujet lui semblant clos, elle renchérit :

- Et si on terminait de manger ? Le ragoût, c’est meilleur chaud !

Enfin, ce n’était pas tant le ragoût que la purée qu’elle craignait de voir refroidir trop vite. Quoi qu’il en soit, poursuivre le repas lui semblait être la meilleure chose à faire pour le moment.

Emily semblait d’accord pour mettre un terme aux distractions afin de pouvoir se concentrer sur leurs assiettes qui étaient en train de refroidir. Ainsi, elles allèrent se réinstaller à table, et finirent tranquillement leur repas. Une fois le plat englouti, il restait encore les habituelles corvées ménagères dont il fallait s’acquitter avant de pouvoir s’installer tranquillement pour la soirée. Ce qui ne prit guère de temps avant d’être effectué, d’ailleurs. Alors, les deux jeunes femmes se calèrent dans le divan, chacune se concentrant sur l’activité qu’elles s’étaient choisie pour passer la soirée. Emily avait choisi de regarder un film sur son ordinateur, son casque vissé sur les oreilles, alors qu’elle-même avait opté pour un livre, comme à son habitude. Celui-ci était un roman, lecture idéale à cette heure tardive. L’histoire d’un gamin vivant dans le clocher d’une église à l’abandon se déroulait devant ses yeux.

Le temps s’écoula plus vite que ne le percevait la demoiselle, qui s’était laissée entraîner aux côtés du gamin, vivant ses aventures en même temps que lui. Et ce, jusqu’à ce que du mouvement à côté d’elle la ramène à la réalité. Emily avait fini son film, et lui annonça qu’elle partait la première à la salle de bains. Jetant un coup d’œil rapide à l’horloge, Elina constata que l’heure était indiquée pour aller se coucher. Après tout, elle travaillait, le lendemain, aussi mieux valait qu’elle se repose. D’autant plus que ce serait son premier jour depuis qu’elle avait été blessée, dès lors si elle montrait des signes de faiblesses devant sa patronne, celle-ci risquait fort de la renvoyer illico à la maison. Pourtant, elle avait été prévenue qu’elle était tout à fait apte à reprendre le travail, néanmoins, quelque chose lui disait que ce ne serait pas suffisant pour la convaincre. Aussi, mieux valait ne pas lui donner l’occasion de la juger inapte au travail. Elina s’autorisa tout de même de terminer son chapitre avant, elle avait horreur de s’interrompre en plein milieu. Comme il ne lui restait que quelques pages, cela fut vite expédié, elle put alors entreprendre de déplier son lit et de mettre en place la literie. Une fois cette tâche accomplie, elle s’assit tranquillement, attendant qu’Emily quitte la salle de bains afin qu’elle-même puisse s’y rendre.

Ce qui ne tarda pas à arriver. Elina se dirigea alors tout naturellement vers la salle de bains, mais se retrouva face à la jeune femme qui lui barrait la route. Qu’est-ce qu’il se passait ? Avait-elle oublié quelque chose dans la pièce avant de la quitter ? Bin, qu’est-ce qu’elle attendait alors pour aller le chercher, elle attendrait dehors pendant ce temps… Mais ce n’était pas un oubli qui était à l’origine de son insistance à ne pas lui céder le passage. Non, elle voulait simplement lui annoncer qu’elle allait se coucher tout de suite, sans attendre qu’elle ne sorte de la salle de bains. Bien, mais bon, est-ce que cela nécessitait de l’en avertir ? Ah, peut-être voulait-elle lui dire par là de ne pas faire trop de bruit dans et en dehors de la salle de bains ? Est-ce qu’elle était bruyante, en temps normal ? Mais une fois encore, ce n’était pas la raison de son blocus. Non, cette dernière lui fut rapidement exposée. Ce qu’elle voulait, c’était une bise de sa part, avant d’aller dormir. Cette demande insolite ne l’était pas tant que ça, en fait. Dans un coin de sa fidèle mémoire, le souvenir d’une demande du même genre lui revint. C’était un matin, il y a une semaine de cela exactement. Cette nuit ou Emily l’avait empêché de dormir, juste après qu’elles aient décidées de se rendre dans le bois. Cette fois-là, elle lui en voulait de cette décision, et surtout d’avoir envisagé de l’abandonner. Elle l’avait méchamment rembarré cette fois-là, et l’évocation de ce souvenir ne manquait pas de lui faire se sentir mal. Encore que, elle avait eu raison cette fois-là, le bois présentait bel et bien des dangers, elle pouvait en témoigner…

Emily se tenait devant elle, la joue tendue, attendant une réponse de sa part. Que devait-elle faire ? Ce n’était pas dans ses habitudes de se laisser aller à de tels gestes affectueux. Encore que, n’avait-elle pas laissé sa main lui caresser la tête sans s’en rendre compte ? Mais ici, c’était un geste volontaire qu’elle lui demandait…
Finalement, sans dire le moindre mot, elle lui fit un rapide bisou sur la joue, avant de filer fissa à la salle de bains, ignorant le fait que la jeune femme se trouvait toujours sur son chemin, et claqua la porte derrière elle.

- Bonne nuit !

Glissa-t-elle à travers la porte. Porte sur laquelle elle était appuyée, en ce moment précis. Elle entendit la jeune femme lui répondre à son tour, et attendit encore un petit instant avant de bouger de son appui. Raaah, cette journée était vraiment bizarre ! Il s’était passé trop de choses, trop d’évènements perturbants. Elle finit par se décoller de la porte, et commença à s’apprêter pour la nuit. Cependant, alors qu’elle se brossait les dents et autres préparatifs du genre, ces différents moments lui revenaient sans cesse en tête, et la demoiselle ne pouvait s’empêcher de se demander si elle parviendrait à s’endormir. Une fois fini, elle entrouvrit d’abord la porte, afin de s’assurer qu’Emily n’était bel et bien plus là, et une fois ce fait vérifié, elle quitta la salle de bains, éteignant les lumières sur son passage. Elle se glissa alors sous ses draps, et curieusement, le sommeil la gagna plus facilement qu’elle ne l’avait espéré. Peut-être que toutes ces émotions l’avaient épuisé, finalement… Ainsi, cette étrange journée prit fin, laissant la place à une autre qui, peut-être, le serait tout autant…

La nuit s’était passée sans soucis, contrairement aux craintes d’Elina. Avec toutes les scènes fortes en émotions qu’elle avait vécu, elle craignait que sa nuit soit agitée, aussi gênant cela pouvait-il être de le reconnaître. Néanmoins, les quelques songes qu’elle avaient vus s’étaient révélés d’une navrante banalité, même pas un petit sursaut d’excitation ! Non pas qu’elle avait spécialement souhaité que quelque chose du genre se produise ! Enfin, un petit peu, peut-être… Toujours est-il que cette nuit avait bien rempli son objectif, celle de reposer complètement la demoiselle afin qu’elle puisse prester efficacement sa journée de travail. Encore que, elle n’aurait pas été contre un petit délai supplémentaire pour poursuivre cette douce nuit réparatrice. Mais loin dans son subconscient, une voix résonnait à ses oreilles, l’extrayant doucement, lentement du sommeil dans lequel elle était plongée.

Remuant doucement les paupières, Elina finit par ouvrir légèrement ses yeux. Le sommeil ne l’avait pas encore tout à fait quitté, aussi avait-elle du mal à focaliser son regard. L’image embrouillée d’Emily entra dans son champ de vision, et il lui fallut quelques secondes de plus avant d’avoir une image précise de cette dernière. La jeune femme était presque penchée au-dessus d’elle, la regardant avec un sourire. Avant, ce genre de scène l’aurait fait probablement fait sursauter, et lui aurait filé quelques palpitations, mais elle était habituée de la proximité de la jeune femme, aussi ne réagit-elle même pas. Elle ne s’était cependant pas attendue à ce qui se passa par la suite. Emily se pencha davantage sur elle, et sans signe avant-coureur, elle l’embrassa. Un simple baiser sur sa tempe, qui ne dura qu’une seconde. Mais ce « simple » baiser lui fit l’effet d’une décharge électrique ! Toute la torpeur d’après-réveil dans laquelle elle était encore plongée disparut en un instant, et le feu lui monta aux joues. Se redressant d’un bond, elle regarda d’un air ahuri la jeune femme, qui mine de rien, lui souhaita le bonjour, lui précisant l’heure et l’invitant à venir prendre le petit-déjeuner. Elina, elle continuait à la regarder de cette même expression incrédule, ouvrant et ferment la bouche comme un poisson sortit de son bocal. Elle finit tout de même par réussir à faire fonctionner ses cordes vocales, bien que ses paroles ne furent guère affermies :

- T-t-t-t-tu as fait quoi, là ? Pourquoi, comment ? Qu’est-ce qui…

Les rouages se mirent en place, l’ultime souvenir embarrassant de la veille lui revenant en mémoire. La bise qu’elle avait apposée sur la joue d’Emily, et l’habitude de la jeune femme de le faire matin et soir avec les membres de sa famille. Sur le coup, elle regrettait presque d’avoir cédé à la demande de sa colocataire… Respirant un bon coup, elle reprit la parole :

- Laisses tomber… Mais à l’avenir, laisse-moi le temps de me réveiller avant de me sauter dessus, c’est mauvais pour mon cœur, ce genre de réveil…

En effet, un geste de ce genre au saut du lit, c’était loin d’être l’idéal pour la demoiselle. Jetant un coup d’œil rapide à l’horloge, elle vit que l’heure était déjà bien avancée. Mieux valait qu’elle se bouge si elle ne voulait pas arriver en retard au travail ! Se levant rapidement, elle se dirigea vers la table où en effet, le petit-déjeuner était déjà servi. Elle avala vite fait deux tartines et un verre de jus de fruits avant de filer à la salle de bains pour s’apprêter. Et fin prête, elle fila jusqu’à la porte d’entrée, en lançant un « À plus ! » par-dessus son épaule avant de descendre les volées d’escaliers.

Elina était arrivée à l’heure à la supérette, malgré le léger retard qu’elle avait pris avec son réveil si particulier. Sa patronne l’avait accueilli avec un sourire chaleureux, comme celui d’une grand-mère qui verrait arriver sa petite-fille. Seulement, ce sourire avait vite laissé place à une moue inquiète, si bien que la jeune fille avait dû passer la première demi-heure à relater en détails les circonstances qui avaient menées à la blessure qu’elle avait reçue. Bizarrement, elle trouvait que le récit établi pour masquer les faits véritables était moins convaincant face à elle que devant toutes les autres personnes auxquelles elle l’avait servi. D’ailleurs, elle n’était pas sure qu’elle l’ait cru, sa mine perplexe et son insistance à lui dire que si elle avait besoin d’elle pour quoi que ce soit lui paraissant suspect. La dame d’âge mûr n’avait pas manqué d’exiger de voir la blessure qu’elle avait reçu, mais cette dernière avait déjà bien cicatrisée, dès lors elle n’avait plus rien de particulièrement inquiétant. Enfin, ça, c’était ce qu’elle croyait… Car sa patronne semblait sur le point de défaillir en la voyant, plaignant la jeune fille qui avait vécu une situation aussi terrible alors qu’elle était si gentille, si adorable. Une fois encore, Elina se demandait comment on pouvait la considérer comme telle, alors qu’elle-même se voyait plutôt comme quelqu’un de peu fréquentable et au mauvais caractère. À moins que la signification de ces termes n’ait changée pendant qu’elle était à l’orphelinat ? Cela expliquerait pourquoi on la qualifiait de cette façon…

Lorsque sa patronne avait eu son compte d’inspection et d’interrogatoire en tout genre, le travail avait pu commencer. Enfin, plus ou moins, en tout cas… Elina était en effet cantonnée au comptoir, non pas parce que sa supérieure ne lui faisait pas suffisamment confiance que pour lui confier une autre tâche, mais simplement parce qu’elle voulait la ménager. Pas question qu’elle porte quelque chose de plus lourd qu’un pack de bouteilles, et là encore, la dame venait parfois lui donner un coup de main, ou demandait carrément au client de le faire à sa place. Elle avait beau répéter qu’elle était tout à fait apte à faire cela toute seule, et à l’aider à faire d’autres tâches également, elle n’en démordait pas. Les blessures à la tête, comme elle le disait, n’étaient pas à prendre à la légère. Heureusement, vers midi, sa patronne sembla estimer qu’elle était en effet complètement remise, et l’autorisa à effectuer les autres tâches qu’elle avait l’habitude de prester. Il n’empêchait que se faire traiter comme une infirme pendant des heures avait quelque chose d’éreintant en soi.

Le reste de l’après-midi se déroula sans heurts, si bien que la journée fila sans que la jeune fille ne la voie passer. L’heure de la fin de son service arriva, Elina alla donc renfiler ses habits à elle avant de quitter la supérette. Enfin, à elle, c’était un bien grand mot, car il s’agissait en réalité toujours des vêtements qu’Emily lui avait prêtés. Même si le temps s’était rafraîchi, il ne faisait pas suffisamment froid que pour qu’elle revête ses propres toilettes, destinées à être utilisées en cas de grands froids. Finalement, cette sortie shopping allait s’avérer plus utile qu’elle ne l’avait imaginé de prime abord… Mais avant cela, il y avait encore une tâche dont elle devait s’acquitter, la venue d’Asami. Vraiment, quelle idée de montrer autant d’enthousiasme à la simple idée de voir où elle habitait ! Elle la prenait pour quoi, une riche héritière qui vivait dans un palace ? La seule chose dont elle avait hérité, c’était le ressentiment du peuple à l’égard de son père…

Le chemin du retour ne se passa pas sans anicroches. Tout d’abord, un jeune homme très sûr de lui vint la draguer, refusant de la laisser en paix si elle ne venait pas boire un verre avec lui. « Onii-chan » allait très bien s’occuper d’elle, comme il le disait. Il ne lui avait lâché les baskets que lorsqu’elle lui avait écrasé les orteils avec son talon, mais il lui avait fallu plusieurs longues minutes avant de recourir à cette extrémité. Ensuite, un chauffard avait manqué de peu de l’écraser, préférant accélérer que ralentir en voyant un piéton sur le point de traverser dans les passages cloutés. Il s’était en plus permit de la klaxonner, comme si c’était elle qui était en tort ! Bref, elle arriva de mauvais poil à l’appartement, dont elle avait dû monter les volées de marches jusqu’au cinquième étage, effort auquel elle n’était pas encore habitué. Et arrivée devant la porte de son chez soi, il fallait que le lecteur de carte magnétique fasse des siennes ! Elle essaya une première fois de passer sa carte, sans succès. Elle essaya une seconde fois, toujours sans succès. Lâchant un juron sonore, elle frotta sur ses vêtements la bande magnétique de la carte, avant de faire un troisième essai, qui cette fois se révéla concluant. Elle ouvrit donc la porte, grommelant entre ses dents :

- Fichu lecteur, je t’en ficherais moi des lumières rou…

- Eliiiiinaaaa !!!!

Elle n’avait même pas eu le temps de refermer la porte derrière elle qu’on venait de lui sauter au cou, tout en lui perçant les tympans au passage. Qu’est-ce qui se passait, encore ?! Elle n’eut pas le temps de poser la question qu’une sensation de mouillé vint se faire sentir sur sa joue, suivit d’un petit ricanement amusé :

- *Smack* Héhé, bon retour Elina !

Le cerveau d’Elina eut du mal à faire la part des choses. Trop d’informations d’un coup… La voix qui lui avait vrillée les tympans lui était familière, tout comme l’était le parfum qui se dégageait de la personne qui venait de se jeter sur elle. Quant à cette sensation mouillée… Elle ressemblait à s’y méprendre à celle qu’elle avait ressenti ce matin, au réveil… La conclusion ne tarda pas à se faire, et face à celle-ci, le visage de la demoiselle s’empourpra à une vitesse affolante.

- A-a-a-a-a-asami !? Mais qu’est-ce que… Lâche-moi ! Awawawa…

Perdant ses moyens, Elina dut se gifler intérieurement pour reprendre contenance, et agir de manière adéquate. Elle glissa une main entre sa joue et celle d’Asami, qui les frottait l’une contre l’autre toujours en laissant échapper ce même petit rire. Elle poussa alors son visage de la jeune fille, dont les bras entouraient ses épaules, refusant de la lâcher.

- Gnan, ze veux pas te lâsser !

Avec sa main poussant sa joue, les paroles d’Asami étaient déformées. Mais le message restait suffisamment clair, elle ne voulait pas desserrer son étreinte. Aussi, déplaça-t-elle sa main sur son front et dut-elle user de son autre main pour pousser l’épaule de la jeune fille, dont les lèvres s’agitaient comme si elle s’apprêtait à lui faire un autre bisou. Fait qui ne tarda pas à être confirmer peu après :

- Je veux encore te faire un smouch ! Laisse-toi faire !

- Arr-êt-euh ! Mais qu’est-ce qui te prend, d’un coup ! Pourquoi est-ce que t-t-t-t-t-tu m’embrasses, d’abord ! T’as perdue la tête ou quoi ?

- Eeeeeeh ?! Mais c’est Emily qui m’a dit de le faire !

Sous le coup de cette révélation, Elina oublia de maintenir la force nécessaire pour maintenir à distance le visage de la jeune fille, qui profita de cette ouverture pour lui apposer un second baiser sur la joue, avant de reprendre le frottage de joue qu’elle avait commencé juste avant, son visage rayonnant d’une joie des plus évidentes. Elina ne chercha plus à repousser la demoiselle, son regard et son attention étaient désormais fixés sur une toute autre personne. Une veine battait sur sa tempe tandis qu’elle regardait d’un regard glacial la jeune femme qui était à l’origine de tout ce remue-ménage. Ainsi, c’était elle qui l’avait incité à ce geste déplacé. Ses yeux lançaient des éclairs plus intenses que tout ce que les Raijins pourraient jamais produire. Il valait mieux qu’Emily réussisse à invoquer une bonne raison, sinon, elle devrait subir les foudres de la jeune fille.

Emily lui offrait un petit signe de la main en guise d’excuse, comme si ce simple geste suffisait à faire passer ce qu’elle avait fait. Et comble du culot, elle la prenait même en photo ! Jusqu’où est-ce qu’elle allait poussée l’humiliation avant d’être satisfaite ?! Elle ne lui avait pourtant rien fait de mal ! Elle avait même accédé à cette demande ridicule de se faire la bise matin et soir, alors que ce n’était vraiment pas son style de faire ce genre de chose. Et c’était comme ça qu’elle la remerciait ? En la poussant dans une situation dont elle saurait forcément qu’elle serait gênante ? C’était comme ça qu’elle concevait la vie à deux ? En s’amusant à ses dépens ?! Cela, ce n’était pas quelque chose qu’elle appréciait. Déjà, elle n’aimait guère qu’on se permette de la toucher sans sa permission. Les contacts physiques de ce genre ne se faisaient pas à la légère selon elle, elle entendait donc qu’on respecte sa sphère intime. Même avec Emily, avec laquelle elle partageait un lien plutôt profond, elle avait encore du mal à s’y faire. Ne venait-elle pas seulement d’accepter, non sans gêne, qu’elles se fassent la bise ? Dès lors, qu’est-ce qu’elle croyait qu’elle allait ressentir si cela se passait avec une presque inconnue ?! Alors, si elle était prête à pardonner à Asami son débordement d’affection à son égard, déclenché par une tierce personne, elle ne risquait pas de se montrer aussi tolérante à l’égard de la jeune femme, la dite personne. Elle savait très bien comment elle réagirait, d’ailleurs c’était sans aucun doute possible la raison pour laquelle elle avait incité la jeune fille à se comporter de la sorte avec elle. Cela devait la faire rire de la voir embarrassée de cette façon. La scène qui s’était passée la veille n’avait pas manqué de l’amuser, après tout ! Mais entre assister à une scène de ce genre, et la provoquer volontairement, il y avait un monde de différences. Si au moins, elle avait fait cela dans le but de lui faire plaisir, elle aurait pu faire l’effort de passer outre. Mais elle ne voyait pas comment Emily aurait pu croire un instant que cela allait lui faire plaisir. Non, le seul but derrière ce mensonge était son plaisir personnel, à elle. Et même si elle n’avait certainement pas pensé à mal, le fait était qu’elle s’était servi d’elle simplement pour s’amuser restait là. Avait-elle seulement pensé à elle en échafaudant cette petite scène ? Non, certainement pas, car sinon, elle ne l’aurait jamais fait… Car Elina avait une sainte horreur qu’on l’humilie. Elle avait vécu suffisamment de scènes humiliantes dans sa vie pour ne pas apprécier d’en vivre de nouvelles. Les enfants de l’orphelinat n’avaient pas été avares en la matière, le dernier évènement en date n’étant autre que le changement de coloris de sa chevelure. Or, ce qu’Emily venait de faire n’en différait que de par la nature des sentiments qui se cachaient derrière cet acte. Car elle venait de l’embarrasser devant une autre personne, et cela de façon tout à fait volontaire. Autrement dit, elle venait de l’humilier…

Emily finit par avouer à Asami qu’elle l’avait trompée, en prétendant qu’Elina était une folle de câlineries en tout genre. La réaction de la jeune fille ne se fit pas attendre, elle relâcha aussitôt son étreinte, la fixant d’un air inquiet. Du moins, était-ce ce qu’elle crut voir du coin de l’œil, étant donné que son regard restait braqué sur la jeune femme. Elina se faisait violence afin de ne pas offrir à sa colocataire l’engueulade qu’elle avait amplement méritée. Bizarrement, elle ne voulait pas se faire mal voir d’Asami, et lui montrer à quel point la colère l’avait gagnée risquait de changer l’image qu’elle avait d’elle. Aussi, garda-t-elle le silence, se demandant quand la jeune femme allait enfin faire la seule chose vraiment indiquée dans cette situation. À savoir, s’excuser. Car un simple signe de la main n’était pas ce qu’elle appelait des excuses, loin de là. Mais la jeune femme ne semblait pas se rendre compte des lacunes que comportait ces dernières. Non, elle se contentait d’affirmer maintenant sans aucune base solide qu’au fond, elle adorait les câlins, mais ne savait juste pas comment réagir face à ceux-ci. Quelle prétention ! Elle croyait donc avoir cerné qui elle était ? Elle pensait peut-être qu’elle était prête à se jeter dans le bras de n’importe qui à n’importe quelle occasion ? Avait-elle oublié comment elle réagissait au début de leur vie commune, lorsqu’elle venait à se jeter sur elle sans raison ? Honnêtement, Asami avait manqué de peu de subir le même sort, heureusement pour elle qu’elle l’appréciait suffisamment que pour lui éviter cela. Par contre, elle aurait volontiers inondé Emily sous un déluge de neige, pour la punir de l’affront qu’elle venait de commettre.

Mais ses méfaits ne s’arrêtaient pas là, malheureusement. Non contente de l’avoir humilié et d’avoir immortalisé la scène d’une photo, voilà maintenant qu’elle voulait partager cette dernière avec la jeune fille. Mais bon sang, elle avait oublié de réveiller son cerveau ce matin ou quoi ?! Mais est-ce qu’elle réfléchissait rien qu’un tout petit peu ?! Est-ce qu’elle croyait vraiment qu’elle allait apprécier de voir la preuve de son humiliation partagée ? Pourquoi ne pas mettre ça sur Internet, tant qu’elle y était !!! Bien évidemment, Asami était ravie à cette idée, elle en oublia même de reprocher sa tromperie à Emily. Elina regardait incrédule la jeune femme complètement prête à transmettre par voie électronique le fichier qu’elle semblait trouver si amusant. Elle se comportait comme ces journalistes qui se moquaient éperdument de ce qu’elle pouvait ressentir en mettant sa photo en première page des journaux, sous une manchette loin d’être élogieuse. Elle avait du mal à croire qu’elle fasse ce genre de chose… À croire que cela faisait à peine quelques heures qu’elles s’étaient rencontrées, et non plusieurs semaines. En tout cas, si c’était comme cela qu’elle traitait les membres de sa « famille », confirmation était faite, elle ne voulait pas en faire partie !

Le ressentiment de la jeune russe fut momentanément mis de côté lorsqu’Asami attrapa ses mains sans crier gare, tout en lui clamant avec cette énergie et cette excitation qui la caractérisait si bien qu’il fallait absolument qu’elles aillent acheter un téléphone à deux un de ces jours. Et pourquoi diable devrait-elle faire cela avec elle ? Mais si elle avait l’intention de gentiment nier ce qu’elle venait de dire, Emily ne se priva pas pour faire le contraire. En effet, elle invita Asami à sa joindre avec elles pour la séance shopping. Avait-elle oublié qu’Elina se trouvait elle aussi, dans la pièce ? Pourtant, elle se trouvait juste en face d’elle, difficile de la louper ! Mais une fois encore, elle se fichait complètement de son avis à elle ! Comme avec l’adresse, et lorsqu’elle avait affirmé être sa sœur. Elina commençait à atteindre son point de saturation. Emily en faisait trop, là. Elle lui avait pourtant clairement expliqué ce qu’elle avait pensé  de son erreur de la veille, mais déjà elle semblait avoir oublié ce qu’elle lui avait dit et refaisait la même chose. Était-ce ainsi qu’elle prenait en compte ses dires ? En ne prenant même pas la peine de les enregistrer ? Et le pire, c’est qu’elle ne s’était toujours pas excuser… Est-ce que c’était si difficile de lui dire qu’elle regrettait de s’être amusée à ses dépens ? Ou était-ce trop difficile de concevoir que ses sentiments aient été blessés par son comportement désinvolte ?

Fixant toujours la jeune femme de son regard furieux, celle-ci ne manqua pas de le remarquer. Mais plutôt que d’enfin dire les mots qu’elle attendait d’entendre si désespérément, Emily, au contraire, lui reprocha sa réaction. Elle pourrait l’engueuler plus tard, si elle le désirait. Ça, c’était sûr qu’elle en rêvait de toutes ses forces ! Mais le pire, c’était qu’elle affirmait qu’elle avait dû apprécier la chose. Non, elle ne comprenait rien. Et de toute évidence, elle n’avait pas l’ombre d’une idée de ce qu’il y avait à comprendre. Elle agissait comme si de rien n’était, comme si elle n’avait rien fait qui puisse lui être reproché. Qu’est-ce qu’elle savait, de ce qu’elle appréciait, d’abord ? Elle n’était même pas capable de voir le mal qu’elle lui faisait ! Quant aux excuses, Elina comprit qu’il était vain d’en attendre. De toute évidence, elle ne comprenait pas, et ne comprendrait pas, la nécessité d’en faire. Tremblant d’une rage contenue, Elina ne rétorqua rien. Trop dangereux, les mots qu’elle sortirait serait venimeux. Mais garder tout pour elle était mauvais… Si bien qu’un verre d’eau posé dans l’évier de la cuisine éclata. L’eau contenue à l’intérieur avait gelé, et le récipient n’avait pas supporté le changement brutal de température. Cela lui rappelait le jour de l’éveil de son pouvoir, ce qui ne l’aida pas à se calmer… Elle clama alors :

- Toilettes.

Et elle se précipita alors à la salle de bains, fermant la porte derrière elle avec un « VLAM ! » sonore. Appuyée sur l’évier, elle respirait profondément pour essayer de se calmer. Elle ne devait pas se laisser atteindre de la sorte, cela ne lui apporterait rien de bon. Emily était une idiote, une idiote pas fichue d’analyser un tant soit peu la situation. Elle faisait toujours ça, elle gâchait toujours la bonne entente qu’elles réussissaient à créer entre elles. Le pire, c’est qu’elle le faisait sans s’en rendre compte ! Et à chaque fois, c’était elle qui s’en retrouvait blessée… Pourtant, elle faisait des efforts ! Elle essayait de contrôler au mieux ses humeurs, et faisait  autant que possible en sorte d’être agréable à la jeune femme. La preuve, avec cette stupide histoire de bisou…

Poussant un profond soupir, Elina sentit sa colère la quitter, laissant place à une profonde déception. Finalement, elles n’étaient peut-être pas faites pour cohabiter ensemble… Elle se versa un peu d’eau froide sur le visage, histoire de se rafraîchir les idées. Rester éternellement dans cette salle de bains ne réglerait rien, et puis Asami était là, c’était pour elle qu’elle était venue, aussi devait-elle s’en occuper. Voilà qu’elle se souciait d’elle, maintenant… Décidemment, il y avait un truc qui clochait, chez elle, ces derniers temps. Où était passée cette Elina si forte que rien ne pouvait atteindre ? L’Elina qui ne s’attachait à rien, ni à personne, et qui se moquait éperdument des autres ? Apparemment, elle était restée en Russie, elle… La jeune russe se frappa le visage de ses deux mains, avant de se l’essuyer. Elle quitta alors la salle de bains, affichant un air neutre comme si rien ne venait de se passer. Voyant le regard des deux jeunes femmes restées là où elle les avait laissés, elle dit d’un ton léger :

- C’est bon, je suis prête. On y va ?

Elle avait clairement fixé Asami en disant cela, qui semblait surprise de la voir se comporter de cette façon. D’ailleurs, elle ne manqua pas de lui faire part de sa surprise :

- Ah, euh… T-Tu es sure que c’est bon ? Je veux dire, peut-être que je devrais vous laisser, toutes les deux…

- Pourquoi ? Tu avais l’air partante il y a un instant ! Allez, on perd du temps, là. Tu ne voulais pas m’aider à acheter un téléphone ?

- Je… Bon, si tu es d’accord, alors moi aussi.

- Parfait ! Attends, je vais t’ouvrir la porte…

Tout le temps de cet échange, elle n’avait pas jeté un regard vers Emily. Asami semblait sentir qu’il y avait un certain malaise entre les deux jeunes femmes, mais l’idée de finalement pouvoir l’accompagner prenait le dessus sur ses appréhensions. Elina laissa sa camarade de classe passer en premier, et lui emboîta le pas, laissant le soin à la jeune femme de fermer la marche. Peut-être cette dernière voulait-elle lui parler, mais ce n’était pas le cas d’Elina. De toute façon, n’était-ce pas elle-même qui avait décidé de reporter à plus tard toute discussion ? Et puis, pour ce que cela aurait changé, de toute façon. Elle ne l’écoutait quand même pas, alors…