Tout commença par un carnet... (pv : Kiyoshi Amako)

Depuis qu’elle avait accepté le fait qu’elle se trouvait piégée sur cette île, Mélodie n’avait pas été épargnée de bizarreries en tout genre. Si se trouver en plein milieu de gens qui tout comme elle, possédaient d’étranges facultés surnaturelles était déjà quelque chose d’incroyable en soi. Le fait que certaines personnes semblaient la connaître l’était d’autant plus déstabilisant. Depuis qu’elle avait repris les cours à l’école, elle s’était faite abordée plusieurs fois par des personnes qui savaient visiblement qui elle était mais dont elle ignorait par contre tout. Bien embêtée par cette situation, Mélodie n’avait pas pu éviter d’en froisser quelques unes, mais à présent les choses semblaient s’être tassées. Même si au final cela restait toujours dérangeant, car tous la pensaient désormais victime d’une amnésie. D’un côté, Mélodie ne pouvait pas complètement réfuter leurs dires, mais c’était là un fait très difficile à accepter. Car si elle acceptait de croire tout ce qu’on lui confiait, cela signifiait ni plus ni moins qu’elle avait déjà vécu une année sur cette île.

** C’est tout bonnement impossible… **

De plus, la Mélodie dont tous parlaient ne maîtrisait pas la lumière comme elle, non cette dernière était même son exact opposé tant son élément n’était rien d’autres que les ténèbres. Mais c’était sans compter ces étranges entretiens avec ces hommes vêtus tout de noir, ces derniers lui posaient toujours les mêmes questions, comme s’ils cherchaient à voir si elle se rappelait de quelque chose ou non. Honnêtement, il y avait de quoi flipper pas mal, et heureusement pour notre amie, dessiner lui permettait d’oublier tous ses tracas et de s’enfermer dans son monde. Enfin cela avait été plus moins l’idée de départ, mais notre demoiselle n’avait rien de trouver mieux que de commencer un nouveau manga. Une œuvre qui ne raconterait rien d’autres que son histoire depuis son arrivée sur cette île étrange et mystique. Pour elle, faire cela était une manière de réfléchir plus posément à sa situation et à l’accepter avec un recul suffisant.

** Mince… Où est mon carnet ? **

Mélodie s’était mise à le chercher dans son sac, mais constatant son absence, une certaine panique la gagna. Cela restait certes qu’un carnet de dessins, mais pour le temps qu’elle avait passé dessus, ce dernier avait revêtu une certaine importance à ses yeux. A tel point, que ses croquis, dessins et storybords qui y figuraient faisaient presque office de journal intime. Réfléchissant comme jamais, notre adolescente se repassa à l’esprit tous les endroits qu’elle avait visité aujourd’hui. Aussitôt l’un d’eux lui revint immédiatement, si elle l’avait perdu, cela ne pouvait être qu’à cet endroit. A aucun autre moment, elle ne s’était arrêtée pour chercher une bricole dans son sac, du coup si par inadvertance elle l’avait égaré c’était là et pas ailleurs. Forte de cette conviction, notre camarade partit au quart de tour piquer un sprint jusque là en espérant que son précieux carnet s’y trouve là-bas à l’attendre.

Une demi-heure, ce fut là le temps qu’il lui fallut pour retourner à l’endroit en question. Il faut dire que ce dernier n’était rien d’autre qu’un arrêt de bus, et du coup pour retourner jusqu’à ce dernier, Mélodie n’avait pas eu le choix de prendre un bus dans l’autre sens. L’attente durant le trajet fut des plus insupportables et stressantes, et ce fut toute en affaire que notre jeune adolescente descendit de son bus pour se précipiter vers le banc où elle pensait l’avoir oublié.

** Je ne le vois pas… **

Après tout, qu’est-ce qu’elle avait bien pu espérer ? Cela faisait à présent une bonne heure qu’elle avait dû l’abandonner là. Quelqu’un ne s’était surement pas gêné pour le prendre et le feuilleter à loisir. Du coup, notre amie pouvait imaginer le pire selon la personne. Peut-être que son carnet avait fini dans une poubelle dans les alentours ? Peut-être avait-il emporté jusqu’au domicile d’un tierce ? N’ayant plus d’autres solutions pour retrouver son précieux carnet, Mélodie se mit à pester haut et fort contre elle-même.

« Raaah ! Mais quelle idiote ! »

Cela ne manqua pas de faire se tourner vers elle certains regards, mais sur le coup elle se moquait bien d’être dévisagée tant la perte était inestimable à ses yeux.

Mélodie ne savait plus qu’est-ce qu’elle pouvait faire. Il était inévitable qu’elle doive se résoudre à considérer son carnet comme définitivement perdu. Mais tant de pages noircies sous ses traits de crayon, cela faisait mal au cœur. Et là en ce moment précis, notre petite demoiselle se sentait au plus mal. Affligée par cette perte, elle mit un certain temps avant de remarquer la présence d’un excentrique en kimono qui lui faisait visiblement signe. En proie encore à toutes ses émotions qui se bousculaient de manière chaotique en elle, Mélodie mit encore plus de temps avant de repérer son précieux carnet. Ni une, ni deux, la surprise fut telle que son corps se mit à réagir de manière excessive, en effet n’étant pas à même de maîtriser ses pouvoirs d’amaterasu lors de ses sautes d’humeur, son corps venait de produire plusieurs flashs lumineux. De quoi faire cligner des yeux ceux et celles qui avaient eu le malheur de la fixer trop longtemps.

« Vous ! Ce carnet, vous l’avez trouvé où !? »

Mélodie avait porté haut et fort ces mots, si bien que l’homme installé contre l’arbre n’avait pu faire autrement que de les entendre malgré la distance. Une distance que notre petite demoiselle se mit aussitôt à combler à grandes enjambées. Arrivée devant lui, Mélodie ne manqua pas de remonter ses lunettes qui avaient glissé sur son nez durant sa course, dégageant au passage une mèche de ses cheveux cendres pour mieux regarder cet individu pour le moins marginal avec sa tenue typiquement asiatique. Il était vrai que l’île était un mélange de personnes de tout horizon, mais dans les rues c’était surtout un style occidental qui prédominait dans le choix vestimentaire des habitants. Et sur ce point, Mélodie suivait assez bien la masse, avec son sweater noir et orange à capuche, son jeans et sa paire de basket, notre camarade ne s’accordait nullement avec cet homme.

« Ce carnet, c’est le mien. Est-ce que je peux le récupérer ? »

Formulant cette demande, Mélodie ne put faire autrement que de remarquer le dessin de cet inconnu et de s’y intéresser de plus près. L’observant à l’envers, il lui était difficile de l’apprécier pleinement, mais Mélodie devinait le dessin d’une personne, ne se doutant pas encore qu’il s’agissait ni plus ni moins d’elle.

L’homme restait impassible face à son emportement, imperturbable il continuait de dessiner en face d’elle, lui jetant de temps à autre des regards alors qu’une sourire moqueur apparaissait sur son visage. Franchement quelle impertinence, de la part d’un adulte en plus, Mélodie sentait le feu lui monter aux joues alors que cet homme se permettait de la reprendre sur son manque de politesse. Certes elle s’était bien trop emportée face à lui, mais son attitude n’avait rien à envier à la sienne, car à présent c’était ni plus ni moins du chantage qu’il lui faisait. Cela surprit tellement Mélodie qu’elle en resta interdite le temps d’un instant. Bon étant donné qu’il détenait un précieux otage entre ses mains, Mélodie ne pouvait se permettre d’en rajouter. Mieux valait donc tempérer un peu les choses, il lui fallait se calmer et s’excuser. Prenant conscience de cela, son regard s’attarda un peu plus sur les tracés qu’il faisait faire au crayon qu’il tenait entre ses doigts. Il s’agissait d’un dessin, un personnage visiblement, mais Mélodie n’eut pas le temps d’en voir plus que l’œuvre terminée trouva une place dans son carnet. Ce dernier se retrouvant désormais tendu vers elle, visiblement l’homme n’avait jamais eu l’intention de lui faire le moindre chantage. Attrapant son précieux carnet à deux mains, Mélodie l’écouta lui dire qu’il ne l’avait pas ouvert. Visiblement il avait deviné que cela avait été l’une de ses inquiétudes. La tension retombant alors, notre petite demoiselle ne trouva pas de meilleur moment pour s’excuser platement de s’être énervée de la sorte.

« Merci, et désolée de m’être énervée sur vous. »

Suite à cela, poussée par sa curiosité, elle ouvrit son carnet à l’endroit où l’homme avait glissé son dessin. Admirative devant ce dernier, tout un tas de déclic se firent dans sa petite tête. Regardant successivement l’œuvre et son auteur, Mélodie ne put s’empêcher de dire :

« Vous êtes un artiste de rue ? Votre kimono, c’est pour attirer l’attention des passants n’est-ce pas ? En tout cas, votre dessin est magnifique. C’est incroyable de pouvoir dessiner tant de détails en si peu de temps. Il m’aurait bien fallu le triple pour pouvoir en faire autant. »

On disait les femmes fortes lunatiques, et bien ici Mélodie ne faisait pas abstraction à la règle. Le ton avait changé de tout au tout, et après s’être montrée agressive avec lui, voilà qu’elle lui parlait comme une amie partageant un intérêt commun pour le dessin. Puis voulant lui montrer ce qu’elle savait faire, Mélodie se mit à tourner les pages de son carnet jusqu’à tomber sur un dessin bien particulier. Celui-ci représentait une fille à laquelle elle avait donné ses traits, et la scène qu’il illustrait était celle d’une demoiselle se réveillant complètement désorientée et perdue. Ce dessin qui prenait toute une page de son carnet témoignait de ce qu’elle avait vécu, il était un fragment de son passé qui jouait une scène de sa vie, celle qui précédait sa rencontre avec Lilith.

Mélodie s’était une nouvelle fois emballée avec ses conclusions trop hâtives, cela avait surpris le jeune homme qui avait toutefois pris avec humour ce qu’elle lui avait lâché. Puis la rectifiant, il lui précisa que ce n’était rien d’autres que ses vêtements de tous les jours. Face à cette révélation, notre petite demoiselle se passa de commentaires. Ne sachant tout simplement pas quoi dire pour rattraper son erreur et éviter d’aggraver son cas. Fort heureusement, l’homme changea bien vite de sujet en revenant sur son dessin. Il la complimenta sur celui-ci tout en cherchant à en savoir plus sur l’artiste qui sommeillait en notre adolescente. Oui, c’était une passion, et cela en resterait probablement une, autant qu’elle restait pour elle un exutoire pour elle et tous ce qu’elle traversait sur cette île.

« Hm… Oui, cela m’intéresserait mais ce n’est pas comme si j’avais l’intention d’en faire mon métier. Je n’ai pas cette prétention… »

Mélodie n’avait pas envie de se donner de faux espoirs, incertaine comme à son habitude, elle préférait rester modeste face à ses compétences et son talent en la matière. Pourtant n’était-ce pas elle qui avait son propre petit blog où elle publiait de temps à autre ses dessins ? Enfin, tout cela était du passé, avec son arrivée sur cette île, Mélodie avait délaissé tout son matos dans sa chambre en Belgique. Du coup, mis à part ce qu’il y avait de plus rudimentaire pour dessiner, notre demoiselle n’avait plus rien pour entretenir son site à l’aide de fraîches publications. Quoi qu’il en soit, cet homme n’avait malheureusment pas tout son matos sur lui, tout était chez lui.

« Ce n’est pas grave, inutile de vous déranger. J’ai retrouvé mon carnet, c’est suffisant. »

Mélodie ne se voyait clairement pas accaparer le temps de ce jeune homme. Surtout que ce dernier demeurait toujours un inconnu pour elle. Et bien qu’il ne semblait pas être dangereux de prime abord, Mélodie savait qu’on n’était jamais assez prudente dans la vie. Le souvenir de sa rencontre sur la plage lui avait rappelé ô combien il pouvait avoir des détraqués et des pervers en ce monde. Mais bon, comme déjà dit, cet homme ne lui faisait pas mauvaise impression, après tout quelqu’un dessinant aussi bien ne pouvait pas être mauvais.