Mélo au plus bas, fléau ici bas ! [pv Lyra]

« Lyra... Lyra ? Hé, tu es toujours là ? »
... Une absence ? Doucement, je revenais à moi après un silence qui semblait avoir duré une éternité. La voix de mon amie au téléphone s’inquiétait, paniquait même un peu, je pouvais l’entendre s’agiter à l’autre bout du fil. Dans la confusion, son portable lui échappa des mains et le bruit sourd du choc résonna à mon oreille, me sortant définitivement de mes rêveries. Quelle maladroite, franchement...

« Je suis désolée, j’étais ailleurs... »

La sensation était étrange, j’avais l’impression d’émerger d’un long sommeil. J’étais assise sur le bord de mon lit, le regard perdu sur la fenêtre où s’abattait la pluie qui n’avait cessé de tomber tout l’après-midi. Le temps était bien morne, aujourd’hui. Chouettes vacances d’été... je soupirai, me laissant tomber sur la couverture. Une peluche serrée contre moi d’un bras, ma main libre tenant mon téléphone, je roulai faiblement sur le côté pour ne plus voir ce satané plafond. « Mauvaise habitude que de broyer du noir... tu parles. »

« Tu veux me raconter ce qui te tracasse, à la fin ?
- C’est Eli... et Mélo. Je sais pas ce qui s’est passé... attends.

Lâchant mon téléphone, je quittai la pièce pour aller me chercher quelque chose à boire. Si je devais lui raconter cette histoire, ça allait être long... je sentais déjà ma gorge s’assécher à respirer l’air lourd par ce temps orageux. Lorsque je revins, une bouteille de coca à la main que je déposai sur la table de chevet, je repris mon appareil pour commencer mon récit.

- C’est bon... c’est un peu confus dans ma tête, désolée si je suis pas très claire. Ca a commencé la semaine dernière...

Je ne sais plus exactement quand, mais depuis ce jour, j’ai senti que quelque chose avait changé. Eli se comporte bizarrement, ces derniers temps comme si elle avait quelque chose sur la conscience. J’ai voulu lui en parler, mais... ce n’était pas la première fois que je la voyais ainsi, elle ne voulait toujours rien me dire. On était loin d’être si proches, même après tout ce temps. J’avais cru que, depuis ce qui s’était passé à Hizumu, on saurait un peu mieux se faire confiance.

Et puis, parallèlement, il y avait ces inquiétudes concernant Mélodie qui me hantaient. Elle ne répondait plus à mes messages... c’était bizarre, mais je ne m’en étais pas vraiment inquiétée au début. Ce sont des choses qui arrivent, non ? J’ai demandé de ses nouvelles à Eli, quand on s’est vues au travail... pour tout dire, elle m’a semblé étrangement évasive. Je ne voulais pas me montrer trop intrusive, tu comprends, mais je me doutais bien qu’elle cachait quelque chose. Alors je me suis retenue, jusqu’à ce jour où on avait prévus de se réunir toutes les trois. C’était hier... et tu sais quoi ? Elles m’ont toutes les deux plantée. J’étais la seule au point de rendez-vous, Mélo était injoignable et Eli se défilait. Elle ne se sentait pas bien, soi disant... moi son excuse, je n’y croyais pas une seconde. Je sais pas quoi faire... honnêtement, j’ai bien eu envie d’aller frapper à sa porte pour voir comment se passait son ‘‘rétablissement’’, mais je n’ai pas osé. J’imagine que cela ne ferait qu’envenimer inutilement la situation, non ?... Kia, aide-moi.

- Ces deux là se sont embrouillées, non ? Pourquoi tu ne demanderais pas à Mélodie ?
- Elle répond pas, je pense pas qu’elle veuille me voir en ce moment tu sais.

Me redressant de ma position allongée, je profitai d’un moment de calme pour boire un peu après avoir autant parlé. La pluie continuait de battre doucement la vitre de ma chambre plongée dans une semi-obscurité, au même rythme régulier et apaisant. Aller la voir ?... il faudrait que je prenne de quoi m’abriter si j’y allais, cette fois.

- C’est peut-être un malentendu, tu ne crois pas ? Va lui parler, bouge toi Lyrou !
- T’as gagné... je me résignai en riant. Je te raconterai comme ça s’est passé.
- Ouais !... il pleut toujours chez toi ?
- Hm... oui, pourquoi ?
- Ca a commencé chez nous aussi... on est peut-être plus proches aujourd’hui.
- Peut-être... souhaite-moi bonne chance. »

Laissant mon téléphone retomber sur le lit à côté de moi, je m’étirai longuement avant de partir me préparer pour cette petite sortie improvisée. Je n’étais allé qu’une fois chez elle, mais je devrais réussir à retrouver le chemin. J’ai son numéro d’appartement noté sur mon portable, au cas où ma mémoire me ferait défaut. Me saisissant de mon imperméable et du reste de mes affaires glissés dans les grandes poches, je quittai l’appartement pour rejoindre la rue sans plus d’attente. Il était environs 15 heures.

* * * * *

La pluie n’avait cessé de tout le trajet. Le bruit de mes pas légers clapotait doucement dans les flaques éparses que formait le chemin, me guidant jusqu’au bloc où vivait Mélodie. J’espérais vraiment qu’elle me réponde, cette fois... cependant, cette discussion que j’avais eue avec Kiara m’avait un peu remonté le moral. C’est vrai, si j’étais moi-même déprimée, comment pourrais-je sortir Mélo de ses ténèbres ? Laissant ma mémoire me guider jusqu’au bon immeuble, je me réfugiai bien vite dans le hall d’entrée pour retirer mon imperméable ruisselant qui commençait à me donner chaud. Enfin, j’y étais arrivé. Il ne me restait plus qu’à gravir les marches jusqu’au premier étage.

Devant la porte de la jeune fille, je pris une longue inspiration, calmant mes émotions pour venir frapper trois coups secs. Pour tout avouer, j’étais un peu anxieuse. Je ne savais pas à quoi m’attendre, ni dans quel état j’allais trouver Mélo quand elle m’ouvrirait la porte, alors forcément j’appréhendais un peu. Mais finalement, ce fut autre chose qui éveilla mes craintes. Aucune réponse.

« Mélo ? Tu es là ? »

Frappant à nouveau et un peu plus fort, je tentai de l’appeler pour connaitre la raison de ce silence qui persistait à me répondre. Elle est peut-être sortie ? Non, aucune chance vu le temps pourri qu’il a fait toute la journée. Ou alors, elle n’était simplement pas chez elle pour une autre raison. Une part de moi me disait d’insister malgré tout, de pas laisser tomber. Même si elle ne répondait pas... il y avait peut-être un autre moyen.

Toujours pas de réponse. Peut-être que finalement, elle est vraiment absente ? Songeant à cette possibilité, je déportai à nouveau mon regard vers la fenêtre dans mon dos, où la pluie continuait de s’abattre inlassablement. Je ne pouvais pas simplement repartir sans nouvelles... il n’y avait pas un autre moyen ? Au moins de laisser une trace de mon passage, comme une lettre glissée sous sa porte. Malheureusement, je me rendis bien vite compte que ce ne serait pas aussi simple... Quelle guigne, je n’ai pas pris de quoi écrire. Je pourrais aussi forcer sa serrure, seulement... j’avais un peu de mal à m’y résoudre. Stupide principes moraux, ce n’était pourtant pas le moment de se soucier de ce genre de détails.

Soudainement, un vacarme similaire à du verre brisé résonna à travers la cloison, me tirant de mes réflexions. Cela venait bien de sa porte, n’est-ce pas ? Mélo était là, définitivement, je ne pouvais pas avoir rêvé. Enfin... je crois. Mais honnêtement, je n’avais pas le temps de me poser cette question sur le moment, je voulais juste m’assurer qu’elle allait bien.

« Mélo ? Réponds, tu vas bien ? »

Malgré le fait que je l’appelais à travers cette porte, ma voix était étrangement faible. Elle devait m’avoir entendu malgré tout, car très vite, le cliquetis du verrou me signala que la porte était ouverte. Pourtant, Mélo n’alla pas au bout de son geste. La poignée ne tourna pas, elle semblait attendre que je l’ouvre de moi-même. En le réalisant, une brève hésitation me coupa dans ce mouvement, l’espace d’une seconde ; puis dans une profonde inspiration, je rassemblai mon courage. Le mécanisme s’enclencha et la porte s’ouvrit sur l’appartement plongé dans une demi-obscurité.

Mélodie se tenait devant moi, dans un état que je pourrais sans mal qualifier de pitoyable. Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Elle n’était pas au meilleur de sa forme, en tout cas... réalisant son état, je refermai doucement la porte derrière moi et cherchai l’interrupteur pour éclairer le couloir d’entré. C’est à ce moment que je compris ce qui avait provoqué ce bruit tout à l’heure... les débris de poterie brisée jonchaient encore le sol sur toute la largeur du passage. Mais l’état de cet objet était bien le cadet de mes inquiétudes en ce moment. Instinctivement, je me suis jetée sur elle pour la prendre dans mes bras. Sans un mot, cédant à l’impulsion du moment et laissant ma présence agir sur elle. Une étreinte pour réchauffer son cœur.

C’était peut-être ridicule, de se dire que tout ce que je pouvais faire était de la serrer dans mes bras. Mais doucement, je sentais ces câlineries faire leur effet. Je n’espérais pas grand-chose... juste, au moins la rassurer, lui donner confiance. Et peut-être, en savoir un peu plus sur ce qui c’était passé. Entre elle et Eli ? Je ne sais pas... il y a surement autre chose. Mais j’étais dans le brouillard. Fébrilement, je caressai la tête de l’adolescente dans mes bras, songeant à la douceur perdue de ses cheveux. Ils n’étaient plus qu’une pelote de nœuds rugueuse et collante, cachant son visage assombri par la déprime. Elle avait besoin d’un bon bain chaud pour se ressourcer... mais avant, je devais m’assurer qu’elle s’était calmée.

« Ca va mieux ? Tu veux aller t’assoir ou boire quelque chose ? »

De cette même voix si faible, pareille à un murmure. Je voulais être comme une grande sœur pour elle, une personne à qui elle pourrait se confier. C’est vrai, on n’était pas si proches pour que je puisse réellement me considérer comme telle, seulement... Au moins, elle m’a ouvert. J’avais le sentiment que personne d’autre n’avait mis les pieds ici depuis la dernière fois. Elle était seule. Peut-être qu’au final, cela ne faisait de moi qu’une remplaçante, mais cela me convenait. Car j’avais décidé de ne plus abandonner personne. Alors, attendant une réponse de sa part, sans un bruit, je me confortais dans cette vision. J’espérais simplement que Mélo pourrait m’aider à y voir plus clair.

Une sensation étrange me gagnait, comme un brin de nostalgie, alors que la jeune fille s’acharnait encore à pleurer dans mes bras toutes les larmes qu’elle n’avait pu laisser couler jusqu’alors. « Lyra... Pardon... pardon, pardon, pardon... » elle répétait sans cesse, sa voix éteinte ayant perdu toute teinte d’émotion. Un monochrome grisâtre de nuances poussiéreuses qui me serrait le cœur. Rien ne semblait pouvoir endiguer le flot d’excuses qu’elle déversait, sans que je ne comprenne ce qu’elle tenait tant à se faire pardonner.

« Là... je suis là, Mélo... »

La gardant dans cette frêle étreinte chaleureuse, je murmurais ces quelques mots à son oreille, les répétant autant qu’elle continuait à s’excuser comme si la terre entière devait l’entendre. Plus elle répétait ces mots, plus ses paroles s’embrouillaient, si bien qu’elles n’étaient plus à présent qu’un long sanglot étouffé dont le sens se noyait dans ses larmes. Alors que la pluie continuait à battre le carreau, j’avais l’impression de revivre un vieux souvenir. Oui, je me revoyais ce soir d’orage, épuisée et trempée après avoir couru sous la pluie. Je revoyais la chambre sous la lumière tamisée de la lampe de chevet, son visage en pleurs, ses larmes coulant sur mon visage. J’entendais à nouveau sa voix larmoyante s’excusant d’un mal dont elle n’avait pas la faute.

... Eh ? Pourquoi c’est moi qui... je pleure ? Sans que j’en comprenne la raison, les larmes avaient commencé à perler au coin de mes yeux. Réalisant cela, j’ai rapidement secoué la tête et tendu ma main pour les sécher, dissimulant comme je le pouvais cette manifestation de mes sentiments chamboulés. Mais grâce à eux, j’étais revenue dans le présent. Alors lentement, j’ai passé une main sur le front de mon amie, dégageant les mèches éparses qui passaient devant ses yeux.

« J’ai besoin que tu m’expliques, Mélo. Tu ne m’as rien fait qui mérite ces excuses... alors pourquoi ? Je ne peux pas comprendre si tu ne dis rien. »

La jeune fille ne semblait pas vouloir se défaire de la chaleur que j’essayais de lui apporter. Tant que je le pouvais... même si c’était difficile pour moi, que je sentais le poids de toutes ces heures où j’avais broyé du noir, seule dans ma chambre ou sur le chemin du retour. J’avais tellement de questions pour elle... tellement que je ne saurais par où commencer. Je cherchais son regard, souriant pour chasser au loin cette tristesse. Je ne pouvais pas faire ma pleurnicheuse face à elle, c’était impossible.