La vie ou la mort ? [P.V Joyce]

Même si Frédérique est sur l'île depuis quelques jours déjà, elle est toujours aussi perdue, du moins elle se sent perdue. Il lui manque une personne en particulier pour l'aider à canaliser cette peur croissante. Elle a bien rencontré une habitante gentille à son arrivée, qui l'a un peu aidé, mais ce n'est pas suffisant, pas dans sa condition si ... particulière. Pourquoi a t-il fallu qu'elle atterrisse ici, dans ce lieu inconnu. Elle, qui enfin, commençait à avoir une vie à peu près stable. Sa sœur à présent lui manque trop, la seule à laquelle elle pouvait se raccrocher. Mais où est-elle ? Comment communiquer avec elle ? Dans ce parc, il y a du monde pourtant. Des gens qui se promène, d'autres qui courent, certains même qui pêchent dans certains étangs. Mais celui devant lequel la jeune femme aux cheveux roses se tient est désert. Ce n'est pas vraiment un hasard, Frédérique l'a voulu ainsi.

"Florence ... non ... ne fait pas ça ... Laisses-là tranquille ... Tout n'est pas perdu ..."

Quelle est cette voix dans sa tête, qui ne cesse de vouloir la retenir par ce fil mince et fragile qu'est son existence. Florence n'aime pas cette voix, elle tente toujours de la brider. Mais elle ne veut plus être attachée, elle veut faire ce qu'elle aurait dû faire il y a bien longtemps déjà. Les cheveux de Frédérique, détachés, flotte dans la brise froide. L'eau ... son élément préféré. Après tout n'est-il pas celui qui coule en elle ? Cette eau parfois calme, parfois tumultueuse, parfois capricieuse, tout comme l'océan lorsqu'il vient lécher les côtes ou le sable. Il fait froid dans son cœur à présent, si froid qu'il est transformé en glaçon. Bientôt il ne battra plus, du moins c'est ce qu'espère Florence.

Et pour joindre le geste à sa pensée actuelle, la jeune femme se rapproche du bord de l'étendue d'eau. Elle doit être froide en cette période de l'année, mais le corps de Frédérique est immunisée contre ce froid en particulier. Elle s'assoit d'abord sur la berge, regardant les quelques poissons qui y nagent. Ses jambes sont à présent dans l'eau. Elle observe le bas de son pantalon qui semble flotter dans le liquide. Et soudain, sans crier gare, aussi furtive que rapide, Frédérique se laisse glisser dans l'eau. Dans ses poches, un quart d'heure plus tôt, elle y a placé des pierres, alourdissant ainsi son corps pour qu'elle ne puisse pas remonter à la surface si facilement. Florence est satisfaite, elle se dit que toutes ses années de tentatives désespérées ont enfin été récompensées. Qu'elle va pouvoir trouver le repos dans cet abîme.

Dans l'esprit de Frédérique, des souvenirs défilent. Des bons comme des mauvais. Mais un visage surtout se dessine, celui de sa sœur tant aimée. Enfin, elle pourra vivre sa vie comme elle l'entend, la voilà libérée de ce fardeau bien trop lourd à porter que sont les diverses personnalités de son aînée. L'image persiste, c'est étrange ... les yeux ouverts sous l'eau, Frédérique distingue les contours déformés du visage de sa sœur. Est-ce l'eau qui fait ça, ou bien le fait que son âme commence à quitter son corps ? Des bulles d'air sortent de ses lèvres entrouvertes, la fin est proche. Elle le sent, le liquide qui atteint ses poumons, ça fait mal, très mal. Puis plus rien. Plus de douleur aucune. Son regard d'azur devient vide. Mais le visage de sa sœur y est toujours inscrit ...

"Je la vois, je suis au-dessus d'elle,j'ai l'impression d'être un oiseau ou un ange, je l'observe en train de tenter de ma sauver, ou du moins de sauver mon corps sans vie. Même dans ce moment tragique, elle reste belle et la tendresse que j'ai envers elle est intact. Je quitte ce monde, sachant que je ne reverrai plus ma petite sœur. Je suis à la fois triste et soulagée, au moins, elle n'aura plus à s'inquiéter pour moi. De toute façon, je n'étais plus moi-même depuis bien longtemps. Toutes ses personnalités qui se bousculaient dans ma tête m'ont tué depuis longtemps. Mais ... mais que se passe t-il ? Pourquoi suis-je de nouveau tirée vers cette enveloppe charnelle ? Non Joyce ! Arrête ! Laisses-moi partir ! Vies pour nous deux ..."

Oh Frédérique … Désolée, désolée ! Je n’étais pas là et tu as faillis …

Frédérique ressent de nouveau cette douleur dans ses poumons, l'eau remontent le long de sa gorge, ça brûle, c'est désagréable. Quelqu'un, elle ne sait pas encore qui, la fait basculer sur le côté pour qu'elle puisse recracher cette eau qui obstrue ses voies respiratoires. Elle tousse, les paupières fermées. Puis elle respire de nouveau, c'est encore un peu saccadé, mais l'air fait le reste. La jeune femme aux cheveux roses est de nouveau allongée sur le dos, elle ouvre alors ses paupières, ses yeux cherchant du regard la personne qui l'a sauvé. Son regard d'azur plonge alors dans des yeux vairons familiers, très familiers. Un sourire se forme sur le coin de ses lèvres.

- Tiens, tiens, Joyce. Ça faisait un moment que je ne t'avais pas revu, ma jolie ...

Ce n'est finalement plus Frédérique qui est là, mais bien Sharon, cet esprit violent, haineux, qui toujours veux faire du mal à la jeune fille, à cette jeune sœur si réservée. Le corps de Frédérique se redresse, regardant ses vêtements trempées, puis reportant de nouveau son regard sadique sur celui de Joyce.

- Aides-moi à me relever ma belle, tu veux ?

Si Frédérique était vraiment elle-même à cet instant, elle cernerait sans peine l'inquiétude qui se lie à présent sur le visage de sa jeune sœur. Elle est la seule à connaître chacune de ses personnalités et sait sans nulle doute que c'est Sharon qui tient la barque désormais et qu'elle est a craindre encore plus que la peste. Cette dernière, une fois debout, est plus grande que Joyce, ce qui l'arrange bien. Elle se penche vers elle, attrapant son menton, sa bouche effleure le cou de Joyce. Dans un murmure elle lui glisse.

- Quel douce odeur familière ...

"Non Sharon ! Arrêtes tout de suite !" Une voix intervient dans sa tête ...

- Ta gueule Lizzy ! Retournes dans l'ombre et me fais pas chier !

Sharon grogne ces quelques mots à voix haute, elle doit paraître folle la pauvre Frédérique à cet instant. C'est d'ailleurs dans ces moments-là que beaucoup de gens pensent à tord qu'elle est schizophrène, alors qu'il en est tout autre ... Sharon ne veut pas lâcher son emprise sur la jeune sœur, elle veut obtenir ce qu'elle a longtemps convoité et qu'elle n'a jamais pu obtenir, toujours interrompue par ce "protecteur" envahissant. Alors Sharon résiste, aujourd'hui, elle ne le laissera pas intervenir, elle ne le veut pas. Et pourtant, elle sent déjà sa présence dans l'ombre, il essaye de la désarçonner et tout ce combat se lie sur le visage de Frédérique.