Je peux squatter ta salle de bain ? (pv Eloïse)

Affalée dans mon divan, j’étais occupée à jouer sur ma console portable. Heureusement que j’avais emporté cette petite merveille avec moi, sans quoi, ma soirée aurait été bien morne… Certes, j’aurais très bien pu contempler ma douce et merveilleuse Mélodie, seulement, elle avait l’un de ses cours d’animation ce soir, aussi il m’était impossible de pouvoir rester en sa compagnie… J’avais essayé, une fois, mais il y avait trop de monde qui circulait, là-bas, et j’étais parti sans demander mon reste lorsque l’on m’avait demandé ce que je faisais là. Bref, je devais me contenter de lorgner de temps en temps sur le poster grandeur nature que j’avais punaisé au mur en face de moi. Il était dur de se concentrer sur mon jeu tout en étant sous le regard bienveillant de ma Mélodie chérie, mais je lui avais promis de battre mon record ! Et lui avait demandé, si j’y parvenais, que… que… qu’elle me laisse l’embrasser ! Aussi, était-ce avec cette récompense en tête que je m’appliquais à exterminer les mobs qui ne cessaient de vouloir me faire la peau. Mais avec le pouvoir de l’amour, il leur était impossible de m’atteindre ! Ricanant de temps à autre devant leurs vains efforts pour m’atteindre, j’observais avec une satisfaction grandissante le compteur qui ne cessait d’augmenter. Si cela continuait comme ça, les douces lèvres en papier glacé de ma Mélodie seraient bientôt miennes ~

Enfin, ça aurait été le cas, s’il n’y avait pas eu un importun qui vint frapper à ma porte… Profitant de la fraction de seconde que provoqua le bruit à l’entrée, un adversaire en profiter pour me tuer… Le « Game Over » qui s’afficha me donna l’impression que le jeu se moquait de moi... et au même instant, les punaises qui retenaient le bord supérieur du poster cédèrent, comme si c’était Mélodie elle-même qui exprimait sa déception. Ma pauvre Mélodie… Ses douces lèvres en papier glacé… Qui donc se permettait de venir déranger les honnêtes gens à cette heure-ci !? Qui donc venait de gâcher ma soirée !? Si je me serais contenté d’ignorer l’importun en temps normal, ici, je voulais voir à quoi ressemblait la personne qui m’avait privé de cette merveilleuse récompense… Prenant garde de ne pas marcher sur les pots de natto vide gisant aux pieds du canapé dans lequel j’étais vautrée, je me dirigeai vers la porte, et regarda à travers le judas…

Quelle ne fut pas ma surprise en constatant que ce n’était autre qu’une Mélodie en chair et en os, et non en encre et papier glacé, qui se tenait de l’autre côté de la porte ! Que venait-elle donc faire ici !? Qu’est-ce que je devais faire !? Mon cerveau se mit à tourner au quart de tour : avant d’ouvrir la porte, car je ne pouvais décemment pas ne pas ouvrir la porte, il fallait absolument que je prenne soin de régler quelques petits détails…

Fonçant à la vitesse du vent, j’attrapai les diverses photos de Mélodie qui décoraient mon intérieur, ainsi que le poster à moitié décroché sur le mur. Au passage, je me saisissais de ce magnifique cadeau que le vent m’avait apporté il y a quelques jours et qui trônait en maître sur la petite table du salon… J’allais vite fourguer tout ça dans ma chambre, dont je verrouillai la porte avant de revenir à l’entrée, les jambes tremblantes après un tel effort… Sans prendre la peine de reprendre mon souffle, j’ouvris la porte, juste assez pour que ma tête puisse apparaître dans l’ouverture.

La voir ainsi, en vrai et d’aussi près, c’était comme vivre un rêve éveillé… D’ailleurs, est-ce que ce n’était pas le cas ? Peut-être que je me suis endormie devant mon jeu… Non, la promesse d’un baiser de Mélodie ne pouvait décemment pas me permettre de m’endormir ! Alors… C’est la réalité !? Mais par quel miracle elle vient me voir, moi ? Elle ne venait quand même par rechercher ce que le vent m’avait apporté ? Alors, sa douce et mélodieuse voix vint caresser mes oreilles de ses doux accents si charmants. Aaaaah, j’aurais pu mourir d’extase… Il n’y avait pas de plus merveilleuse chanson que celle de sa voix… Pas même les openings et endings d’animes ! J’étais tellement obnubilée par cette douce mélodie que j’en manquais de peu de ne pas entendre ce qu’elle me disait… Mais en fait, elle me demandait si j’avais de l’eau chaude. Pourquoi donc n’en aurais-je pas ? Ah oui, c’est vrai qu’on avait prévenu que certains appartements en seraient privés… Comment diable avait-on privé ma Mélodie de son eau chaude !? Elle qui aimait tellement se prélasser dans un bon bain… Aussi, répondis-je :

- Aaa… ggh… j-je…

Et merde ! Voilà que je n’arrivais pas à placer un mot !!! NOoOoOoOn !!! Dire que j’avais enfin l’occasion de lui parler, et voilà que je me mettais à baragouiner… Il fallait que je me reprenne !!! Le visage virant au rouge, j’avais l’impression que mes yeux étaient devenus des spirales dans leurs orbites… Je parvins cependant à dire :

- B-B-B-Bons-soir…

OUIIIIIII !!! Victoire ! Je venais de lui parler !!! J’avais l’impression d’être aux anges, comme si le paradis venait de descendre sur terre ! Mon affreuse voix avait réussi à atteindre ses délicates, si merveilleuses oreilles ! J'avais dit des mots ! Sous l’effet de l’euphorie, je poursuivis :

- Oui, j-j’ai de l’eau chaude.

Inconsciemment, j’avais parlé en français. Après tout, à chaque fois que je m’étais imaginé lui parler, j’utilisais ma langue maternelle… Mais j’étais bien trop concentrée à me retenir de saigner du nez et de baver que pour me rendre compte de ce « petit » détail…

Aaaah, ce sourire qui se dessinait sur son visage… On aurait pu croire un souffle de vie sur des terres désolées ! Comme si des milliers de coucher de soleil avaient été condensés pour donner cette merveille qu’était ce petit rictus… Retenant à grand peine de m’évanouir sous le coup de l’émotion, je me concentrais sur les merveilleuses paroles qu’elle prononça. Elle prenait la peine de se présenter à moi, l’insignifiante, me confiant tout un tas d’informations que je connaissais déjà, comme son prénom, sa nationalité… l’endroit où elle habitait… Huhuhu…

Trop occupée à savourer ce moment, je ne me rendis pas compte tout de suite que Mélodie semblait attendre quelque chose en retour. Mais quoi donc ? Après un court instant de réflexion, les règles de la courtoisie me revinrent soudainement en tête. N’était-ce donc pas à moi, maintenant, de me présenter ? Mais pourquoi donc voudrait-elle savoir cela ? Et surtout… y arriverais-je ? Rassemblant tout mon courage, je finis par ouvrir la bouche :

- Je… Je… Je m’appelle… E-Eloïse…

Tremblant légèrement, j’essayais de contenir mon émotion : de simples inconnues, elles venaient de passer à des connaissances ! DES CONNAISSANCES !!! Elles n’étaient plus des étrangères l’une pour l’autre !!! C’était le plus beau level-up du moooooooonde !!! Enfin, Mélodie n’avait jamais été une étrangère pour moi, loin de là… Je savais tant de choses sur elle que j’aurais pu écrire un livre sur ce sujet ! Mais il était hors de question que je partage ce savoir avec qui que ce soit ! C’était mon trésor le plus précieux, bien plus encore que ce cadeau que le vent m’avait apporté… Mais ce n’était pas là que se terminait la conversation. Si je sentais que je pouvais mourir en paix, désormais, ma divine Mélodie avait décidé de me récompenser de nouvelles paroles… Cette fois, c’était pour me demander un service : elle voulait utiliser ma salle de bain. Alors, c’était pour ça qu’elle était venue me voir ? Simplement pour utiliser ma salle de bain ? Bah, ça ne me dérangeait pas, je n’étais pas… pas… pas…

- A… A… Awawawa…

Mélodie… Dans MA salle de bain ? Son corps nu, ruisselant d’eau, de l’autre côté d’une simple porte ? Son odeur qui continuerait d’embaumer la pièce même après qu’elle en serait sortie ? C’était… C’était… Je dû me pincer discrètement pour voir si je ne rêvais pas, mais la vive douleur ressentie me prouva que j’étais bel et bien éveillée. Quelle sorte d’acte altruiste avais-je bien pu accomplir pour recevoir cette splendide, merveilleuse récompense !? Aaaaah… Aaaaah… Aaaaah… Retenant par la force de ma volonté un saignement de nez, je me mis à hocher vivement la tête en signe d’approbation.

- P-P-Pas de problème…

Il y en avait bien un, mais sur le moment, Je n’y pensais pas. En effet, afin de profiter des bienfaits de la compagnie de l’élue de mon cœur dans la salle de bain, j’avais installé un autre poster, placé entre deux feuilles plastifiées, sur l’un des panneaux de ma douche. Celui-ci montrait ma chérie en bikini, l’un des plus beaux clichés qu’il m’ait été donné de prendre ~ Ainsi, j’avais l’impression de prendre ma douche en sa compagnie, c’était donc toujours un plaisir de faire un tour dans celle-ci le matin et le soir ! Et puis, il y avait aussi le dakimakura imperméabilisé que je plaçais dans ma baignoire lorsque je voulais prendre un bain. Une fois remis de mes émotions, il faudrait vite que j’aille cacher ces quelques trésors…

Apparemment, ma réponse fit plaisir à ma Mélodie d’amour. Pour preuve, elle leva un pouce tant en m’offrant un grand sourire et des remerciements de circonstances. Si elle m’avait tiré en plein cœur avec un shotgun, ça ne m’aurait pas fait davantage d’effet… Heureusement, elle s’éclipsa juste après, si bien qu’elle ne vit pas le saignement de nez qui m’assaillit. Sous le coup de l’émotion, je m’effondrais sur le sol, les bras en croix, et un sourire béat étirant mon visage.

- Hé… Héhéhé… Héhéhéhéhé…

Pendant un instant, je me laissais aller à la béatitude qui m’envahissait. Mélodie… LA Mélodie… MA Mélodie venait de ME sourire ! Aaaaah, que demander de plus ? Mais ce n’était pas tout, elle allait venir dans MA salle de bain, pour y laisser son odeur… Allait-elle faire couler l’eau de la douche sur son divin corps nu, ou bien plutôt poser ses délicates fesses dans le fond de la baignoire pour se prélasser dans cette cuve remplie d’eau chaude ? Aaaaah, non, je ne devais pas penser à ce genre de chose, j’allais finir par me vider de mon sang !!! Me redressant, mes pensées recommencèrent à se coordonner… Aussi, l’urgence de la situation m’apparut soudain : Mélodie allait aller dans ma salle de bain… où se trouvait des objets qu’il valait mieux pas qu’elle voit !!! Electrisée par cette révélation, je me remis sur mes jambes. Ce n’était pas le moment de rêvasser, Mélodie allait peut-être arriver d’une minute à l’autre !!! Je me précipitais donc vers la salle de bain, attrapant mes trésors habilement préparés, pour vite aller les cacher dans ma garde-robe. Bon, ça, c’était réglé… Toujours en courant, je retournais dans le séjour, et constatait le désordre qu’il y régnait. Je ne pouvais décemment pas laisser Mélodie voir ce bordel ! Attrapant les boîtes de natto vides traînant à terre, je m’empressais de les jeter dans la poubelle. J’étais en train de vérifier qu’il n’y avait plus rien de compromettant qui pouvait accrocher son regard lorsqu’un coup porté à la porte attira mon attention. Mélodie était de retour ! Pas de bol, je n’avais pas eu le temps de ranger les mangas que j’avais lus dernièrement… Attrapant un coussin du sofa pour le poser dessus dans un piètre effort de les dissimuler, j’allais ensuite ouvrir la porte…

Mélodie entra, les bras chargés de diverses affaires destinées à lui permettre de faire ses ablutions nocturnes. Je pouvais voir ses yeux balayés l’intérieur de l’appartement, à la recherche de quoi, cela je l’ignorais. En tout cas, elle ne fit aucun commentaire. Plutôt elle demanda où se trouvait la salle de bain, ce qui me ramena à la réalité. Oui, bon, j’étais de nouveau en train de la contempler… Mais je n’y pouvais rien, voir l’élue de mon cœur ici, dans MON habitation, je n’arrivais pas à le réaliser. À chaque instant, je m’attendais à me réveiller dans mon lit, ou dans le sofa, avec cette cruelle désillusion que m’apporterais ce dur retour à la réalité. Mais non, le rêve, s’il en était un, continuait… Mais avant de continuer de savourer ce moment, il me fallait répondre à la requête de mon invitée :

- C’est p-par ici…

Désignant d’un geste de la main la direction de la salle de bain, je finis par ouvrir la marche, allant jusqu’à ouvrir la porte de la pièce en question. Et une fois qu’elle l’eut pénétré… la laissa refermer la porte. Un bref instant, je restais derrière celle-ci, désireuse de la franchir à mon tour… C’était ce que devait ressentir un alcoolique en sevrage passant devant une distillerie… Finalement, laissant mon esprit faire ce que mon corps ne pouvait pas, je m’éloignais, pour revenir m’effondrer dans le sofa, un air béat de nouveau présent sur le visage…

L’imagination est quelque chose de formidable… Elle permet de s’évader dans des territoires inaccessibles en temps normal. Grâce à elle, tout devenait possible, l’espace de quelques merveilleux instants… Et de cela, j’en avais déjà abusé encore et encore. D’ailleurs, si Mélodie savait toutes les situations dans lesquelles je m’étais imaginé avec elle… En train de manger toutes les deux, se partageant un bento qu’elle aurait cuisiné pour moi… Se promenant, main dans la main, dans quelque recoin que ce soit… J’avais même déjà eu l’audace de nous imaginer en train d’avoir un rendez-vous dans un parc d’attractions ! Oui, mon imagination m’avait déjà offert les plus beaux moments de ma vie… Bon, c’était certes un peu triste de se dire que c’étaient de simples chimères que je pouvais considérer comme tels, mais ma vie n’ayant rien eu de très passionnant, ces moments passés en compagnie d’une Mélodie m’acceptant telle que je suis étaient les plus belles expériences qu’il m’ait été donné de vivre, même si ceux-ci étaient purement fictifs…

Cependant, ici, l’imagination pouvait être mise de côté… Il me suffisait de pousser une porte, un simple panneau de bois, pour que l’un de mes rêves devienne réalité… Bon, il était vrai que ce ne serait pas la première fois que je la verrais prendre son bain. Cependant, jamais je n’avais pu la voir d’aussi près… Et avec une distance aussi proche, je n’aurais aucun mal à voir ce que les vêtements et la buée m’avait jusque-là dissimulé ! Oui, jamais je n’avais pu admirer Mélodie dans son plus simple apparat… En tenue d’Ève… Complètement n… Non ! Je ne devais pas y penser ! C’était là un sanctuaire que je m’étais toujours interdis de franchir, même dans mon imagination. Et de toute façon, lorsque mon esprit se montrait un peu trop… créatif, mon corps réagissait de lui-même en me procurant un saignement de nez tel que j’en manquais de peu de perdre conscience… Certains pourraient dire que vénérer les sous-vêtements d’une personne, ce n’était franchement pas mieux que de l’épier nue, mais pour moi, il en était autrement…

Mais jusqu’à présent, jamais je n’avais été soumis à pareille tentation… Me relevant du sofa, j’allais me mettre derrière la porte, pour poser mon oreille dessus. Dire qu’elle n’était même pas verrouillée ! Pourquoi donc cette fichue serrure était-elle cassée ? Cela relevait presque de la torture… En me concentrant, j’arrivais à entendre les remous de l’eau dans laquelle Mélodie était plongée… J’aurais tellement aimé pouvoir être la baignoire, en ce moment ! Ou mieux encore, l’eau caressant avec délicatesse son corps de rêve… Cette simple pensée entraîna un bon vieux saignement de nez. Et alors que le haut de mon t-shirt commençait à prendre une couleur rouge, je fus ramenée à la réalité par Mélodie, qui sortit de l’eau, comme en témoignait les remous bruyants que j’entendais. D’un geste vif, je reculais de la porte, comme si celle-ci était soudain devenue brûlante. Alors, je me frappais les joues des deux mains afin de me faire reprendre conscience : je ne pouvais pas me laisser aller !

À cet instant, le destin me soumit à une nouvelle épreuve : Mélodie annonça que sa serviette de bain avait voulu prendre un bain, elle aussi, et qu’elle était désormais inutilisable. Aussi, voulait-elle savoir si elle pouvait utiliser l’une des miennes, et le cas échéant, la localisation de ces dernières. Mélodie se trouvait donc complètement nue, et à l’air libre, à quelques mètres à peine de moi… Peut-être pouvais-je rentrer, prétextant lui chercher l’une de ses serviettes ? Non, je ne pouvais pas ! Je ne pouvais décemment pas briser ce principe… même si l’envie de le faire m’étreignait avec plus de force qu’un boa constrictor… Aussi, me contentais-je de répondre :

- D-Dans l’armoire sous l’évier…

Après m’être assurée qu’elle avait réussi à mettre la main sur l’une d’elles, je m’en allais vers la cuisine afin de nettoyer un peu le sang de mon visage. Je ne pouvais décemment pas laisser Mélodie me voir dans cet état ! J’étais déjà assez pathétique ainsi, je ne voulais pas briser le peu d’estime qu’elle pouvait éventuellement avoir de moi après lui avoir offert la possibilité de prendre son bain rituel du soir… Une fois cela fait, je m’empressais d’aller changer de T-shirt, masquant là la dernière preuve de la manifestation de mes désirs secrets. Enfin, je retournais à la cuisine, sortant une petite bouteille de lait. J’avais pris l’habitude de boire l’une d’elle quand je sortais du bain, puisque les personnages des mangas en faisaient de même avec l’air de trouver cela particulièrement appréciable. Et à peine eu-je fini de poser celle-ci sur la table de la cuisine que j’entendis la porte de la salle de bain s’ouvrir : Mélodie quittait cette dernière…

Me retournant par automatisme, je vis une Mélodie encore légèrement humide s’approcher de moi. Pareille vision aurait fait chavirer le cœur du plus endurci des hommes… Et comme j’étais loin de faire partie de cette catégorie, mon cœur s’emballa comme s’il voulait jaillir de ma poitrine pour aller enlacer la demoiselle à ma place. Saleté d’organe ! En tout cas, le petit passage de Mélodie dans la salle de bain semblait lui avoir fait le plus grand bien, si bien, qu’une fois encore, elle me jura qu’elle me revaudrait le service que je lui avais rendu. Fallait-il que je sabote ma tuyauterie pour avoir une excuse afin d’aller prendre un bain chez elle ? Ou bien la faveur en question ne concernait pas spécialement ce genre de cas ?

En tout cas, la perspective qu’elle me soit redevable me laissait un étrange goût aigre-doux dans la bouche… D’un côté, cela me rendait heureuse de savoir que je pourrais lui demander un service, au besoin. Je ne connaissais personne, ici, aussi, ça pourrait être utile d’avoir une personne sur qui compter en cas d’urgence. Même si je n’avais pas d’amis, en Belgique, j’avais au moins mes parents, qui même s’il me considérait comme une bête de foire, avait au moins une certaine utilité… Mais le problème, c’était que c’était ma Mélodie qui était cette personne. Si j’aurais dû me réjouir que ce soit le cas, je trouvais inconcevable qu’elle me soit redevable, à MOI ! De quel droit pouvais-je ainsi exiger pareille reconnaissance, à quelqu’un d’aussi parfait qu’elle ? Cela frôlait le blasphème…

Peut-être que ce dilemme se reflétait sur mon visage, ou bien que c’était son saignement de nez intense qui avait laissé des traces, mais en tout cas, après un regard plein d’intensité de la part de Mélodie, celle-ci arbora une expression bizarre, avant de manifester une certaine forme d’inquiétude quant à la pâleur de mon visage. J’avais déjà un teint assez fantomatique en temps normal, dès lors, je ne voyais pas vraiment en quoi cela pouvait être plus prononcé… En tout cas, elle s’approchait de moi, l’air de vouloir vérifier si c’était vraiment le cas. Était-elle inquiète ? Ou bien est-ce que je l’effrayais ? Il faut dire que je fais peur à voir… Mais pour le moment, j’avais un autre problème plus important à régler dans l’immédiat : Mélodie était proche, beaucoup trop proche !!! Je risquais fort de faire un malaise si la distance continuait à se réduire de cette façon ! Aussi, je reculais d’un pas à chaque fois qu’elle en faisait un dans ma direction, cherchant à garder une certaine distance de sécurité, et en veillant bien à ne pas regarder directement son visage si merveilleux, tout en lui parlant :

- J-Je vais b-bien… T-Très bien, même !

Aaaah, ma vue commençait à se troubler sous l’effet de l’anxiété… Je ne voulais pas qu’elle découvre à quel point je pouvais être « bizarre », comme nombre de gens avaient l’habitude de me classifier. Aussi, je continuais à reculer, sans même plus savoir si elle continuait à chercher à réduire la distance nous séparant ou non. Se faisant, j’en vins à toucher le dossier de mon sofa… et à basculer par-dessus ce dernier… Un bref instant, le monde bascula, et ma tête s’en alla heurter le rebord de la table de salon qui se trouvait devant. Au passage, le coussin que j’avais posé sur les mangas afin d’essayer de les dissimuler m’accompagna dans ma chute, mais n’eut pas le bon ton d’amortir cette dernière. Décidément, même le mobilier se liguait contre moi ! Encore une fois, j’avais là la preuve que le monde IRL était complètement pourri…

Mais pour l’heure, je n’avais pas vraiment la tête à ça. Des étoiles dansant devant mes yeux, je me redressais vivement, un peu trop d’ailleurs, afin d’agir comme si de rien n’était. Titubant légèrement, je continuais de répéter comme un automate mal réglé :

- Tout va bien… Tout va bien…

Heureusement, j’avais la tête dure, suffisamment que pour n’être que légèrement étourdie par pareille chute. Mais si ma tête allait relativement bien, mon cœur, lui, était en souffrance : je venais de me ridiculiser devant Mélodie ! J’avais l’impression que le sol s’ouvrait sous moi, pour m’engloutir tout droit vers un enfer sans nom… Qu’allait donc penser de moi celle que j’aimais, après avoir exposé à quel point j’étais ridicule…

Si je titubais légèrement après le choc reçu à la tête, lorsque Mélodie posa ses mains sur moi, je me figeai net ! Plus le moindre muscle de mon corps ne faisait le moindre mouvement, et même mon cœur semblait avoir du mal à résister à cette soudaine tétanie… Les mains de Mélodie, LA Mélodie, celle pour qui je me dévouais corps et âme, étaient posées sur ma tête… Curieusement, plutôt de me vider de mon sang comme je pensais que cela allait se passer, je restais étonnamment calme. Ou plutôt, je n’arrivais plus à penser à quoi que ce soit… Je me concentrais exclusivement sur la sensation des doigts de Mélodie parcourant mes cheveux, me fichant pas mal des petits élancements douloureux que me procuraient pareille inspection. Jamais de ma vie je n’avais espéré qu’un jour, ce genre de chose puisse arriver…

Devenue une sorte de poupée dénuée de volonté, je laissais Mélodie faire de moi ce qu’elle voulait. Elle aurait pu me faire prendre les poses les plus ridicules que je n’aurais su protester de quelques manières que ce soit… Si bien que je finis à genoux, sans même m’en rendre véritablement compte… Et au bout d’un moment, qui arriva bien trop vite à mon goût, Mélodie finit par conclure que je n’avais pas menti en disant que j’allais bien. Certes, ma tête me faisait un peu mal, mais j’avais une boîte crânienne d’une solidité à toute épreuve ! Il faut dire que mon cerveau étant la chose ayant le plus de valeur chez moi, ce qui l’entourait devait s’être naturellement renforcé afin de le protéger.

Soit, maintenant qu’elle était rassurée, Mélodie semblait avoir promené son regard autour d’elle. Je dis bien semblait, car étant toujours dans un état second, je ne pouvais qu’émettre des suppositions sur le fait qu’elle ait soudain repéré les mangas délaissés sur le sofa. Le ton interrogatif qu’elle employa réussit à me faire sortir de ma torpeur, si bien que la vie retourna dans mon corps inerte. Aussi, après avoir cligné des yeux plusieurs fois, je finis par répondre :

- J-Je… O-Oui…

Pour dire la vérité, la plupart des séries que je lisais depuis un moment étaient les mêmes que celles que s’achetaient Mélodie… Chaque fois que je la voyais acheter quelque chose, je m’empressais d’en faire de même. La raison était bien simple, même si pour d’autres, cela n’avait aucun sens : cela me donnait l’impression de partager quelque chose avec elle. Comme si partager les mêmes lectures nous créait des points communs, nous rapprochait l’une de l’autre. Parfois, souvent même, je m’imaginais partager des conversations enflammées avec elle, discutant des derniers tomes sortis des mangas qu’on lisait toutes les deux, comparant nos ressentis sur ces derniers, quel personnage l’on préférait, quel évènement nous avait particulièrement plu ou marqué… Mais tout cela n’avait été que pure fiction. Et jusqu’à présent, j’avais toujours pensé que cela le resterait. Mais voilà que devant moi, se tenait une Mélodie toute enthousiasmée en découvrant que, moi aussi, je lisais cette série qu’elle adorait tant. Et cela… me mettait mal à l’aise…

La réalité était bien loin des fantasmes dans lesquels j’étais si souvent plongée. Si dans ces derniers, je répondais avec le même engouement que mon interlocutrice, ici, j’avais du mal à trouver les mots, craignant de faire une gaffe à chaque instant. Si maintenant, en disant l’une ou l’autre chose, je venais à contrarier Mélodie ? Voire même la vexer ? Une divergence d’opinion pourrait marquer la fin de cette conversation… Cependant, garder le silence aurait le même effet, et ce de façon certaine. Aussi, décidais-je courageusement de prendre la parole :

- Je… J’aime beaucoup Erased, car les voyages dans le temps et leur impact sur le présent m’ont toujours fasciné…

Oui, les voyages dans le temps avaient un petit quelque chose qui, depuis que j’étais en âge de le comprendre, avaient toujours su me passionner. D’ailleurs, une fois, j’avais même essayé de mettre au point une théorie sur comment faire pour que cela devienne possible… Bien sûr, je n’avais rencontré aucun succès en la matière, si bien que cette idée puérile avait fini dans un coin de mon esprit. Peut-être y avait-il quelque chose dans mon passé que j’aurais aimé modifier ? Quoi qu’il en soit, c’était la première fois que je m’exprimais de façon aussi claire, et maintenant, Mélodie aurait la certitude que je n’étais pas bègue…