Assise sur ce bidon rouillé, un livre de chimie sur les genoux, j'attends cet homme. Je ne connaît de lui que son nom, mais, entre nous, c’est amplement suffisant. Je l’attends, faute de vouloir prédire quand il viendra. Je l’attends, impatiente de le voir s’affairer. Nous nous partageons le local, mais dans les termes exacts, je le squatte, en attendant de trouver un meilleur endroit ou me reposer. J’aime beaucoup Lyra, mais je dois aussi penser à moi, je ne peux pas rester toute la semaine en sa compagnie. J’ai besoin de souffler. Ce hangar est l’endroit parfait, bien qu’il soit froid, et je n’aime pas le froid, il est grand et calme. L’opposé de cette université ou l’on me force à travailler. Je n’aime pas l‘université, mais je ne peux pas y couper car la dame m’a dit de ne pas sécher les cours. Ils me poussent dans des retranchements que je n’aurais jamais imaginé. C’est frustrant, agaçant et ennuyant, aussi, chaque samedi, je compense en venant ici. Je me ressource en compagnie de ce monsieur aux cheveux blancs. Il vient quand je suis là, mais je ne m’en formalise pas. Il fait presque partit des meubles. Comme un meuble, j’attends donc sa venue, un tout petit peu curieuse de savoir ce qu’il fera.
Je connais cet endroit depuis quelques mois déjà, et puis un jour il est venu. Je ne lui ai pas posé plus de questions, et il a commencé à le réparer. Depuis, nous vivons ainsi. Moi venant le samedi de très bonne heure, lui commençant un peu plus tard. Parfois, il cherche à me parler, et la politesse a beau me forcer à lui répondre, il n’est pas si intéressant pour que je désire entretenir une vraie conversation. Je l’aime bien, mais ce n’est que bien. Je n’ai pas de raison de vouloir plus. Ma propre respiration me suffit.
Dans ce local, je m’entend tousser d’une voix que je ne reconnais pas. Je suis malade, mais ne comprend pas pourquoi. Je suis en parfaite santé, alors, je pense que ça passera. Hey, j’ ai toujours vécue une existence protégée, à l'abri des infections, porter un manteau, une écharpe, je ne le supporte pas. Le froid, le nez qui coule, je ne connais pas. C’est trop nouveau,et trop étrange pour que j’y prête vraiment attention. Alors, penchée sur un livre, je renifle et m'essuie le nez, faute de savoir comment me moucher. Je n’aime pas cette vie ou il faut constamment réapprendre. Je ne supporte plus cette existence dans laquelle je ne m’ intègre pas. Chaque jour que dieu fait, je me sent comme une pièce de puzzle déformée. J’ai une place définie, mais je suis trop gondolée pour y rester. Je ne peux pas m’accrocher à mes voisines car quand j’essaye, je les déloge et les sort elles aussi du cadre dans lequel on nous a mise. Je suis seule, et personne ne peux me défroisser.
Alors, je lis, dans un lieu trop calme pour être à moi. Je lis, et essaye d’oublier ce que je suis. Mais je n’y arrive pas, car seuls les légos me permettent de me focaliser. Je n’aime pas faire semblant. Je n’aime pas essayer. Je déteste cette réalité. Mais je lis, je continu à faire ce qui m'ennuie. Pourquoi ? Parce qu’il a dit que j’étais intelligente. Parce qu’il a dit qu’il comptait sur moi pour réussir. Ce professeur. Je veux mourir en essayant de lui faire plaisir. Je sacrifie mes principes contre un compliment, et il l’a très bien comprit. Si je pouvais, je sauterai sous un bus pour arrêter cette folie. Mais je suis prisonnière, mon dieu m’interdit ce genre de pratiques.