A la recherche de réponses [pv Elina] {terminé}

Mélodie avait fait rentrée toutes ses affaires dans le logement qui semblait lui avoir été attribué. Comme elle avait pu s’en douter, il s’agissait d’un studio de trois pièces : une pièce de vie assez vite qui ne contenait que quelques meubles basiques, une cuisine relativement correcte et une salle de bain suffisamment grande pour la satisfaire. Mais qu’importe le luxe que ce studio pouvait représenter pour elle qui n’avait connu jusqu’ici que le strict minimum, Mélodie avait toujours du mal à réaliser la situation dans laquelle elle se trouvait. Dans un endroit inconnu, avec la clef d’un studio qu’elle occupait à présent en sa possession, elle avait du mal à comprendre le cheminement qu’elle avait pu faire pour en arriver là. Et cette fichue lettre qui avait accompagné sa clef ne l’aidait en rien à saisir le pourquoi du comment.

Quoi qu’il en soit avant de partir enquêter, Mélodie avait décidé de saisir l’occasion pour faire l’inventaire de ses possessions sans pour autant déjà les entreposer dans ce qui semblait visiblement être son logement. Laissant grosso-modo toutes ses affaires à l’intérieur ou autour de ses sacs et sa valise, Mélodie fut bien contente de retrouver ses lunettes ainsi que des vêtements propres et sa trousse de toilette. Elle avait eu l’occasion de se voir dans le miroir de la salle de bain et avec ses cheveux en pétard, elle avait décidément une tête à faire peur. Il était déjà presque dix-neuf heures, qu’elle prenne une demi-heure pour se doucher et se faire belle n’allait pas changer grand-chose à sa situation au point où elle en était.

Quarante minutes plus tard, Mélodie n’avait pas pu faire autrement que trainer sous l’eau chaude. Mais désormais notre jeune lycéenne était toute fringante, et ses cheveux bien coiffés lui donnaient une toute autre allure. Prenant alors son sac en bandoulière, elle y fourgua ce qui lui paraissait comme le minimum vital pour une sortie en terre inconnue. Autrement dit, il y avait dans son sac, son portefeuille et son porte-monnaie dont elle n’avait même pas pris la peine de vérifier le contenu. Il y avait également toute une provision de sucettes, une bonne quinzaine, mais aussi son téléphone portable ainsi que bien évidemment ses lunettes qu’elle avait su retrouvées. Son sac étant relativement gros, tout cela laissait encore pas mal de place de libre dans ce dernier. Mais qu’importe, cette sortie n’avait que pour principal but que du repérage, il était donc inutile de trop se surcharger.

Encore dix minutes plus tard, notre amie se trouvait à présent dehors emmitouflée dans une grosse doudoune. Sucette en bouche, elle serrait entre ses dents le bâtonnet de celle-ci afin d’éviter d’entendre ses dents claquées tellement elle grelotait. Les températures clémentes de la Belgique n’étaient plus, et ici elle sentait bien la morsure de l’hiver avec ces températures négatives. Aussi contrairement à chez elle, on voyait qu’ici la neige était déjà tombée, cette dernière avait laissé son tapis de neige partout à l’extérieur si ce n’était sur les sentiers les plus fréquentés qui eux avaient été déblayés à en juger par les amas de poudres blanches que l’on pouvait observer sur les côtés. Laissant ses yeux faire un tour d’horizon, Mélodie se rendit compte que rien ne lui était familier dans les environs. Inquiète de cette constatation, elle décida d’aller retenter sa chance auprès d’une promeneuse. On approchait désormais de vingt heures et il n’y avait désormais plus aucune trace de rayon de soleil dans ce ciel chargé de nuage.

« Excuse-moi ! Tu peux m’aider ? »

Elle venait d’interpeler une jeune fille aussi bien couverte qu’elle, cette dernière s’était retournée au son de sa voix et Mélodie avait cru voir sur sa frimousse la même incompréhension que l’autre fille excécrable de toute à l’heure. Visiblement le français n’était pas une langue forte parlée dans le coin. Pas le choix, Mélodie allait devoir faire avec l’anglais. Prenant quelques secondes pour chercher ses mots, elle finit par se lancer.

« Excuse me; I don’t know where I am. Could you tell me what is this place? »

Avec cette autre fille qui n’avait pas percuté à ses questions, Mélodie n’était plus trop sûre des mots qu’elle devait employer pour se faire comprendre. Mais bon, il faut dire qu’elle était tombée sur un cas, il fallait donc espérer que cette autre demoiselle se montre plus futée que son homologue.

Première réponse censée de la journée, Mélodie était ravie de voir qu’elle n’était pas tombée sur une autre dérangée. Par contre la réponse de cette fille ne l’aidait guère à se repérer. Kousha ? Pour notre camarade ce nom n’évoquait rien grand-chose, si ce n’était le verbe « coucher » conjugué au passé simple. Mais elle se doutait fort que la conjugaison français puisse se mêler ainsi à un dialecte anglophone. Surtout que l’autre demoiselle semblait avoir pertinemment bien compris sa question. D’ailleurs, elle en était rapidement venue à lui demander si elle n’était pas perdue. A cette question, Mélodie acquiesça vigoureusement de la tête tout en conservant sa sucette en bouche. Finalement quelqu’un allait enfin pouvoir l’aider.

« Yes, I am ! »

Plus perdue qu’elle, on ne pouvait pas. Mélodie n’avait pratiquement plus aucun repère. Ce fut alors que poursuivant son interrogatoire, cette demoiselle vint à lui demander si elle ne venait pas juste par hasard d’arriver ici. Mélodie sourcilla un peu à sa question, mais ne rechigna pas à acquiescer à nouveau devant cette affirmation. Et là les prochains mots de la jeune fille la sidérèrent, cette dernière sans qu’elle ne lui dise quoi que ce soit venait de deviner les grandes lignes de son calvaire. Dès lors la réaction de Mélodie se fit au quart de tour.

« Yes, it’s exactly that! I woke up in that building there. »

Elle le pointa alors du doigt avant de reprendre de plus belle, laissant sa voix gagner en intensité et détourner l’attention de quelques promeneurs.

« I had my bags and fucking letter. With it, there was the key which opened in a studio. I have screwed up my bags. But that's just because that's what seemed most logical to do. I don’t understand what’s happening. You, you know what happens, right? »

Mélodie avait parlé si vite qu’elle n’avait pu empêcher quelques mots anglais de se faire écorcher. Parler sur le coup de l’émotion dans une langue qui n’était pas notre langue maternelle n’avait rien de facile. Mais en toute objectivité, notre amie s’était plutôt bien débrouillée, et il ne devait faire aucun doute qu’elle avait réussi à se faire comprendre de cette inconnue aux cheveux violacés. Par contre ce que Mélodie n’avait pas prévu, c’est qu’elle en perdrait sa sucette, sa surprise avait été telle qu’elle l’avait complètement zappée et cette dernière avait été finir sa course sur les pavés du chemin. Certes il n’en restait plus grand-chose, mais quel gâchis quand même.

La petite demoiselle ne la fit pas attendre longtemps, se laissant dans un début d’explications, Mélodie lui accordait toute son attention, se concentrant comme jamais pour saisir le sens de chacun de ses mots. Mais déjà, Mélodie buta à un premier mot : « abducted ». Mais si sa traduction française lui échappa dans un premier temps, elle put assez rapidement en comprendre le sens en entendant le restant des explications de la jeune fille. Elle avait été enlevée, mais pas l’enlèvement classique avec séquestration et viol comme on pouvait en entendre de temps en temps dans l’actualité. Non, si Mélodie suivait bien son histoire, elle se trouvait sur une île. Ce simple point lui faisait comprendre qu’elle n’était définitivement plus en Belgique, d’où l’explication du fait que personne ne pétait un mot de français.

Ensuite sur cette dite île, des personnes avec certaines particularités étaient regroupées. Jusque là, Mélodie suivait, mais elle n’aurait pas été contre un peu plus de détails car pour le moment, elle nageait encore dans le flou. Puis se rappelant de sa lettre, qui pour la peine s’était vue rédigée en français, elle put deviner assez bien ce que pouvaient bien être ces particularités. Sauf qu’il y avait un souci, Mélodie n’avait aucun pouvoir surnaturel. C’était une fille tout à fait normal, dès lors c’était incompréhensible qu’elle se retrouve mêler à tout cela. Tout comme il était inconcevable de croire à cette histoire de supers pouvoirs.

Bref ce n’était que l’amorce des explications et Mélodie se trouvait déjà toute perturbée. Et elle écoutait la suite sans chercher à la comprendre, se contentant d’enregistrer les informations pour ensuite les analyser après un peu de recul histoire de parvenir à les digérer. En somme, on venait de lui apprendre qu’elle avait été enlevée, qu’elle était retenue sur une île avec d’autres personnes dans la même situation qu’elle. Que sur cette île, elle pouvait continuer à vivre une vie normale mais qu’en échange de cela, elle ne pourrait jamais la quitter ou revoir ses proches. Mais ces derniers restaient joignables, décidément si les explications avaient beau être faciles à comprendre, les accepter était une toute autre paire de manches.

Le visage de Mélodie s’était pour le coup décomposé, preuve que petit à petit elle mesurait l’ampleur de la nouvelle qu’on lui annonçait. Elle aurait pu tout simplement ne pas croire aux dires de cette jeune fille, mais cette dernière était sérieuse en lui parlant. Mélodie ne voyait aucune once de plaisanterie sur son visage, tout comme elle n’en entendait aucune dans sa voix. La demoiselle décida de poursuivre encore ses explications, elle chercha d’abord à la rassurer en lui disant qu’elle était nullement fautive et qu’elle n’avait rien fait de mal. Mais que l’existence de personnes comme elle avait été jugée dangereuse d’où leur mise en quarantaine sur cette île. C’était soit disant pour les protéger de certaines personnes à l’extérieur, mais sur le coup Mélodie ne pouvait que difficilement y croire. Cherchant ses mots, elle finit par réagir à tout ce qui venait de lui être révélé.

« Dangerous me ? I’m juste a normale girl. This letter speaks about supernatural powers, but I have none. And then it doesn’t exist…. Why I’m here? Where is this island? How did I get here? I don’t want to stay here; I want to go home. »

De quel droit se permettait-on de l’arracher ainsi à son chez elle ? N’avait-on pas déjà joué d’assez de placement avec elle pour lui imposer celui là à présent ? Et cette fille et son regard qui lui disait qu’elle ne mentait pas, cette fille lui demandait implicitement de la croire, mais pour Mélodie, c’était tout bonnement impossible. Les supers pouvoirs cela n’existait que dans les films et les mangas, ici c’était bien la réalité à ce qu’elle sache. Mélodie sentait ses jambes sur le point de céder. Oui, elle avait besoin de s’asseoir pour faire le point, apprendre tout cela d’un coup ne lui avait pas fait du bien. Et ajoutez à cela le fait que tout ce qu’elle avait mangé ces dernières seize heures était qu’une simple et unique sucette même pas terminée, la faim venait accentuer sa faiblesse du moment. D’ailleurs Mélodie ne tarda pas à se mettre à greloter, mais sur le coup on ne pouvait guère mettre ces frissons sur le compte du froid à lui tout seul.

Non, Mélodie n’allait pas bien, elle commençait à voir des papillons et sentait sa tête comme engluée dans un nuage de coton. Et oui, s’asseoir un peu lui ferait le plus grand bien, notre amie sentait bien que ses jambes ne seraient plus la soutenir fort longtemps. Et si elle demeurait encore debout sur le coup, c’était bien grâce à cette inconnue qui avait eu la bonté de lui apporter son soutien. Mais lorsque elle posa son regard sur la place où cette fille lui proposait se s’asseoir, Mélodie eut un moment d’incrédulité qui laissa vite place à une montée de panique. Poussant un cri de surprise, elle s’extirpa des bras de cette fille, la repoussant avec une certaine force. Toutefois une telle action dans son état ne se solda que par un déséquilibre de sa part, et Mélodie chuta assez lourdement sur le sol. Heureusement pour elle, son atterrissage se fit plus dans l’herbe enneigée que sur le sentier déblayé. Ainsi notre amie ne s’était pas faite trop mal, mais son visage demeurait choqué par la vision de cette eau maintenue en forme sans le moindre contenant pour l’y aider. Si elle avait nié avec force l’existence de ces dons surnaturels, sa croyance venait d’être réduite à néant devant cette preuve bien réelle.

« Ne t’approches pas de moi !! Don’t touch me !! »

Affaiblie comme elle était, elle n’était pas apte à accepter la situation posément. Elle avait besoin de temps pour analyser ce que ses yeux voyaient. Toujours au sol l’humidité et le froid de la neige commençaient à imprégner ses vêtements et à l’atteindre ; petit à petit Mélodie arrivait à se concentrer et à retrouver un certain calme.

« You can explain. »

Passée sa surprise, Mélodie se sentait plus apte à recevoir les explications qui s’imposaient. Cependant à en voir le visage de cette jeune fille, tout lui expliquait n’allait pas être une mince affaire. Etait-ce si compliqué que cela à comprendre ? Ou y avait-il beaucoup trop à dire ?

La surprise étant retombée, Mélodie se retrouvait plus apte à entendre et enregistrer les explications de la jeune fille, et ce aussi irréelle que celles-ci pouvaient sembler. Cette demoiselle qui à présent qu’elle la regardait ne devait pas être beaucoup plus vieille qu’elle, lui affirmait qu’elle possédait cacher quelque part au fond d’elle des pouvoirs de même nature que le sien. Toutefois, poursuivant ses explications, elle lui apprit qu’il existait plusieurs familles qui classifiaient ses pouvoirs. L’eau, le feu, l’air, la foudre, la lumière, les ténèbres et l’orage, telle était la façon dont elle les avait tous nommés. Et suivant cette explication, elle vint à lui demander si elle avait déjà ressenti une certaine affinité avec l’un de ses éléments. Mélodie hocha alors négativement la tête, avant de laisser son regard se perdre dans le vide et être happée dans ses pensées. Cela faisait un certain nombre de chose à comprendre, mais à présent qu’elle analysait la chose posément comme si cela ne la concernait plus directement, Mélodie arrivait petit à petit à y voir tout doucement plus claire.

On se croirait dans un vrai scénar de manga. Ouais, c’était là ce qu’elle pouvait penser avec ironie de sa situation. Puis au-delà des explications et des démonstrations de cette jeune demoiselle, Mélodie se rappela de la mise en garde que cette dernière lui avait adressée. Elle lui avait conseillé d’être prudente, de ne pas traiter les gens comme des monstres au risque de s’attirer de graves ennuis. Il était vrai que sa réaction avait été excessive, mais bon sur ce fait Mélodie ne s’estimait pas la seule en tort. Mais si la demoiselle reconnaissait aussi sa faute, Mélodie était inquiète de savoir si un quelconque danger la guetter ici.

« I'm in danger on this island ? »

Ayant posé cette question, Mélodie se redressa pour ensuite se remettre sur ses deux jambes et dépoussiérait ses vêtements de toute la neige qui s’y était accrochée. De nouveau devant la jeune fille, elle poursuivit sur sa lancée en ajoutant directement une seconde question à la première qu’elle lui avait adressée.

« What am I supposed to do now ? »

Les deux étaient plus liées qu’on ne pouvait le croire, Mélodie voulait savoir ce qu’il était bon pour elle de faire à présent. Ces pouvoirs surnaturels l’effrayaient toujours, mais cette fille lui ayant fait clairement comprendre qu’elle allait devoir faire avec, il valait mieux qu’elle sache au mieux quelle attitude à adopter avec la population locale.

Mélodie venait de recevoir là de nombreux conseils, tous les assimiler n’étaient pas simple. Elle comprenait bien les arguments de cette fille lui expliquant que le danger pouvait aussi bien se trouver sur cette île qu’à l’extérieur. Mais même si la vie n’était jamais dénuée de risques, en Belgique, Mélodie avait ses nouveaux parents, ainsi que ses frères même si elle ne les voyait plus que lors de grandes occasions. Dès lors perdre ses seuls liens sécuritaires et être lâchée dans l’inconnue sans corde de rappel avait de quoi être effrayant. Mélodie n’avait jamais eu à se gérer seule, même si elle se montrait assez autonome, il y avait toujours eu quelqu’un à ses côtés pour la guider et superviser ses choix. Ici, elle n’avait plus personne pour remplir ce rôle, ou presque, car cette fille se proposait de lui venir en aide. Lui conseillant de poursuivre ses études, elle se disait elle aussi lycéenne et prête à lui apporter son aide afin qu’elle puisse s’intégrer au mieux.

« But I have no money. How do I live without money ? »

Certes les responsables de sa situation lui avait attribué un logement mais c’était tout, Mélodie n’avait relevé aucun autre geste de leur part. Il faut dire qu’elle n’avait pas encore pris la peine de zieuter l’intérieur de son portefeuille et ignorait donc qu’une surprise de taille l’y attendait. Quoi qu’il en soit c’était une question importante qu’elle venait de soulever. Elle doutait en effet fort qu’on puisse vivre dans la gratuité la plus complète sur cette île. Donc même si la proposition de cette fille pouvait paraître alléchante, Mélodie n’était pas encore prête à l’accepter.

Et alors que la jeune fille était entrain de répondre à cette dernière question, un imprévu vint l’arrêter nette dans sa démarche. Arrivant dans l’angle mort de Mélodie, plusieurs petites boules de feu de la taille d’une balle de tennis bondissaient et rebondissaient dans leur direction. Il y en avait un bon nombre, une demi-douzaine à priori. Visiblement certaines personnes profitaient de l’heure tardive pour jouer de mauvais tours à quelques passants encore dehors. Mais est-ce que tout cela ne se limitait qu’à une simple plaisanterie ? Quoi qu’il en soit, il était bon de réagir ou de tout du moins s’écarter de ce danger potentiel.

Alors que la demoiselle lui répondait concernant son souci d’argent, cette dernière s’arrêta brusquement, visiblement quelque chose venait de retenir son attention. Curieuse d’en connaître la raison, Mélodie voulut se retourner. Mais avant qu’elle n’ait pu amorcer complètement son mouvement, elle se fit attraper par les épaules par son interlocutrice qui la fit passer derrière elle. Ne comprenant pas tout de suite ce qui se passait, Mélodie ne tarda pas à voir le danger qui les menaçait. Elle vit ensuite comment cette fille les en protégea d’une façon imparable. Dressant un mur d’eau entre elles et les projectiles ces derniers étaient venus s’autodétruire. Par la suite, malgré l’obscurité de la nuit qui s’installait, Mélodie put voir un individu prendre la fuite en zigzaguant et en manquant à plusieurs reprises de s’étaler dans la neige. Etrange, Mélodie ne se souvenait pas d’avoir eu un jour une si bonne vision nocturne. Mais ce petit détail passa vite à la trappe lorsqu’elle entendit sa sauveuse reprendre la parole.

« Yes, I’m okay. Euh… Can I ask you your name? I 'm Melody. »

Tout en s’étant présentée, Mélodie continuait de scruter la pénombre dans les alentours, tout lui paraissait avec bien plus de détails que d’habitude. A un point tel qu’elle se demandait si, lampadaires éteints, elle serait toujours capable de si bien voir. Quoi qu’il en soit, Mélodie ne se sentait pas aussi choquée qu’elle aurait pu le croire par cet incident. Il était un fait que l’être humain avait cette capacité de pouvoir s’acclimater à n’importe quelle situation. Cet incident lui avait aussi montré qu’elle pouvait dans une certaine mesure faire confiance à cette fille. En plus de ses conseils et ses réponses, cette dernière l’avait protégée sans rien attendre en retour.

« Elina, if you want, I want you to tell me more. Can we go up to my studio? »

Mélodie préférait être assise bien au chaud pour poursuivre ce qu’elles avaient commencé. Et le seul endroit qu’elle pouvait lui proposer était ce studio dont elle s’était vue obtenir mystérieusement la clef. Mais bon, peut-être qu’Elina avait d’autre chose de prévu, après tout Mélodie avait un peu débarqué à l’improviste dans sa vie. Il n’était donc pas certain que sa proposition lui convienne.

Elina était d’accord de poursuivre leur discussion dans son studio, mais avant de se mettre en route vers ce dernier, la jeune demoiselle avait émis le besoin de passer un coup de téléphone. Elle avait visiblement quelqu’un à prévenir, mais s’étant mise à l’écart pour passer son appel, Mélodie n’eut pas l’occasion d’essayer de deviner quelle était la nature de cette autre personne au bout du fil. Ce ne fut l’affaire que d’une ou deux minutes, après lesquelles Elina revint vers elle, prête à être guidée jusqu’à son logis. Pour Mélodie, il était étrange de le considérer déjà comme tel, mais étant donné les circonstances, il valait mieux le prendre pour acquis.

« Okay, come on. »

Cela lui faisait bizarre de devoir s’exprimer constamment en anglais, Mélodie avait toujours l’horrible impression, l’horrible inquiétude de ne pas arriver à se faire comprendre. Aussi, il n’était pas évident de traduire parfaitement ses pensées en des mots anglais. Mais pour le moment, notre camarade avait de quoi être fière d’elle. Et elle ne regrettait absolument pas s’être investie autant dans ses cours de langue. Il ne leur fallut guère longtemps pour atteindre la porte du studio de Mélodie, cette dernière y fit tourner sa clef et en ouvrit l’accès à son invitée.

« I just had time to deposit my luggage, as you can see. »

En effet, la pièce de vie était dans un certain désordre fait de sacs et de valises ouvertes et d’affaires et vêtements étalés de part et d’autres. Fermant la porte derrière elle, Mélodie se défit rapidement de sa doudoune qu’elle jeta sur une chaise près d’elle. Elle rejoignit ensuite Elina au centre de la pièce tout en sortant de sa poche la mystérieuse lettre qu’elle avait reçue à son arrivée.

« You think the author of this letter is the one who pays me this place ? »

Avec cette question, Mélodie relançait la question de l’argent. Toutefois elle voulait savoir également l’identité de celui ou celle qui était derrière son enlèvement sur cet île.

Elina ne savait malheureusement pas lui répondre, visiblement même pour elle de nombreuses inconnues persistaient, et il était utopique de la part de Mélodie de croire qu’elle saurait répondre à toutes ses questions. La jeune fille n’avait pas non plus la moindre idée de qui était l’auteur de cette lettre, ce mystérieux « A » qui suscitait à lui seul un grand mystère. Par contre pour ce qui fut de l’argent, Elina sut lui en apprendre pas mal. Visiblement cet endroit disposait de sa propre monnaie, tout d’abord inquiète de cette révélation, Mélodie fut rassurée d’entendre et de constater par la suite que tout son argent avait déjà été converti comme le lui avait dit Elina. En effet, notre amie avait finalement pris son portefeuille en main et y avait découvert des billets et des pièces qui lui étaient inconnus.

« Yes, I have money. But how this makes me in euros ? »

Mélodie ne se souvenait plus du montant exact qu’elle avait eu dans son portefeuille avant son enlèvement. De ce fait, il lui était difficile d’estimer la valeur de ses finances. Mais fort heureusement, Elina semblait avoir anticipé sa question et y apportait déjà une réponse satisfaisante. Mélodie s’efforçait donc de comprendre et retenir la moindre de ses explications. Et après ces dernières, elle finit par poser une question un peu plus personnelle à Elina.

« You arrived in the same way than me on this island ? How do you do for a living ? I ask you because you don't look older than me and I'm just curious. »

Sur ce coup, Mélodie souhaitait en apprendre plus sur l’expérience personnelle d’Elina. Elle pensait que son vécu pourrait l’aider à appréhender ce qui l’attendait à présent. Et alors qu’elle avait les yeux rivés sur son interlocutrice, Mélodie ne remarqua pas qu’une enveloppe venait d’être glissée sous la porte. Cette dernière contenait ni plus ni moins de nouvelles explications, des directives rédigées par les mains des hommes en noir…

Dix Coliz équivalaient donc à un euro, avec cette valeur en tête Mélodie pouvait estimer la richesse de son portefeuille. Ce dernier était bien garni, et cela était sans nulle doute dû aux festivités de Noël qui étaient encore en fin de compte pas si loin que cela derrière elle. Tout cet argent qu’elle avait reçu pour la fête du petit Jésus, elle n’en avait pas encore dépensé une miette. Ne sachant pas combien vivre à ses propres frais pouvait coûter, Mélodie estimait avoir là sur elle de quoi être tranquille pour une poignée de jours. De quoi se mettre au clair sur la marche qu’elle se devait de suivre à présent. C’était pour cette raison qu’elle se montrait particulièrement attentive et intéressée par le vécu d’Elina. Son expérience serait pour elle une base fiable sur laquelle démarrer de la façon la plus appropriée qui soit sa nouvelle vie.

Elina n’avait pas été seule, elle lui expliqua qu’à son arrivée elle avait eu la chance d’être aidée par une personne merveilleuse qu’elle remerciait encore à présent. Cette façon de parler de cette dernière laissait comprendre à Mélodie que celle qui avait tant fait pour Elina n’était désormais plus à ses côtés. Bien que la raison du pourquoi intéressait notre amie, cette dernière se garda bien de demander plus de précisions. Mélodie n’appréciait pas les gens qui se montraient trop intrusifs, elle aimait garder sa vie privée justement privée, et reconnaissait chez les autres cette même envie et la respectait. C’était donc grâce à cette personne qu’Elina avait appris comment vivre sur cette île, à comment construire une vie à partir de rien.

Mélodie avait perçu une certaine tendresse lorsqu’elle parlait de cette personne, et sur le coup elle aurait bien aimé la connaître et la rencontrer. Mais elle sentait cela impossible, et après lui avoir parlé de ses débuts, Elina lui expliqua qu’elle vivait désormais avec quelqu’un et qu’ensemble ils arrivaient à gérer les dépenses. De son vécu, Mélodie pouvait comprendre une chose, vivre seule serait plus compliqué que de vivre conjointement avec quelqu’un. Quoi qu’il en soit, Elina continuait d’aller au lycée tout ayant un job étudiant à côté. Oui, dégoter un travail se retrouvait être une alternative à saisir, mais n’ayant aucune expérience et n’ayant encore que quinze ans, Mélodie ne savait guère trop ce qu’elle pourrait se trouver comme emploi estudiantin.

Et alors qu’elle s’interrogeait sur son futur, Elina lui signala la présence d’un courrier au bas de sa porte. Se retournant, Mélodie ne put que constater que son amie – pouvait-elle déjà la considérer comme telle ? – avait raison. Intriguée, elle ne tarda pas à combler la distance qui l’en séparait pour la saisir entre ses mains et ouvrir cette enveloppe qui lui suscitait une impression de déjà-vu. En effet une fois la lettre dépliée en main, avant même d’en parcourir les lignes, elle regarda celui qui l’avait signée et retrouva le mystérieux « A » responsable de sa situation actuelle. Mélodie fit alors tout de suite part de l’identité de l’auteur de cette lettre à Elina, avant de se plonger dans la lecture de cette dernière. Rédigée en français, le fait que Mélodie la lise à mi-voix ne devait pas aider Elina à en comprendre le contenu. En somme cette lettre lui expliquait plus clairement sa situation actuelle, ce studio était comme elle l’avait bien pensé à elle. « A » le lui mettait à disposition afin qu’elle puisse terminer sa scolarité en toute tranquillité, le paiement du loyer lui serait assuré jusqu’à sa majorité. La suite l’informait de l’école où elle allait poursuivre ses études, ainsi que de sa classe. « A » lui garantissait un déjeuner et un dîner gratuit par jour de cours, et lui annonçait également la création d’un compte bancaire à son nom où il lui serait versé mensuellement la somme de trois milles colizs. Joint à tout cela : une carte bancaire avec une explication lui disant qu’elle recevrait son code d’activation et d’utilisation le lendemain via un sms sur son téléphone.

« Hm… »

Mélodie avait dû mal à réaliser ce qui se tramait réellement ici, mais même si de nombreux mystères persistaient, sa situation devenait plus claire sur certains points. Avec ce qu’elle venait d’apprendre, elle se savait capable de survivre en menant une vie plus ou moins normale comme le lui avait conseillé Elina. Toutefois, il était difficile de considérer comme normal ce qu’elle vivait actuellement. Se rendant alors compte qu’Elina avait été laissée sur le banc de touche depuis sa réception de cette lettre, Mélodie s’empressa de lui résumer le contenu de cette dernière. Informée de ces dernières nouveautés, son amie serait peut-être en mesure de lui prodiguer de nouveaux conseils.

Mélodie plussoyait son idée d’aller se chercher un travail, ne serait-ce que travailler les samedis et durant les périodes de congés scolaires pouvaient considérablement l’aider à obtenir une situation financière convenable pour une fille de son âge. Elina avait également soulevé l’idée d’argent poche fourni par sa famille. Comme elle le lui avait dit, il lui était toujours possible de contacter ses proches, toutefois Mélodie doutait fort que ses frères daignent lui fournir de l’argent. Leur situation familiale était telle que pour ce genre de chose, c’était chacun pour sa pomme, chacun ses problèmes, chacun son argent. Cela avait bien fonctionné jusqu’à présent, et Mélodie devait avouer que c’était sûrement grâce à cela qu’elle restait en assez bon terme avec sa fraternité. C’était que l’argent pouvait facilement vous détruire une famille, Mélodie en savait quelque chose. Non, les seules personnes à qui elle pouvait à la limite demander c’était ses parents d’adoption et encore, le fait que cette dernière ne se retrouve plus sous leur garde directe risquait de mettre à mal cette initiative. Bien qu’elle ne savait pas vraiment comment tout cela était régi, Mélodie avait l’impression qu’elle risquerait de tout compliquer encore plus encore si elle venait à rentrer de nouveau en contact avec eux. Peut-être valait-elle mieux pour elle de jouer les adolescentes disparues.

Mais alors qu’elle se perdait dans ses pensées, Elina vint l’interpeler en lui disant qu’elle allait donc étudier avec elle au lycée Danshi et que de ce fait, cela allait faire d’elle sa kouhai. Ce terme si spécifique japonais ne tomba pas dans l’oreille d’une sourde et eut pour effet de déclencher un nouveau et vif intérêt de Mélodie pour son invitée. Cette dernière ne put dès lors pas s’empêcher de sourire, pensant qu’elle venait là de trouver une autre passionnée de manga comme elle. Notre jeune amie vint à lui répondre sous un ton plus jovial.

« Yeah, I 'm your kouhai and you are my senpai . Do you like manga too ? »

Si la réponse se révélait positive, Mélodie sentait qu’elle pourrait bien s’entendre avec Elina. Dans le cas contraire, la jeune demoiselle lui demeurait de toute façon bien sympathique. Enfin, pour la première fois depuis leur rencontre, elles venaient là de trouver un sujet de conversation un peu plus joyeux.

La scène méritait le détour, c’était comme si Elina et Mélodie avait toujours été comme deux amies, deux camarades de classe discutant de tout et de rien, de leurs loisirs et leurs coups de cœur. Ici, Elina lui avait avoué adorer lire, Mélodie, elle aussi aimait lire autant qu’écrire et dessiner, mais ses lectures se limitaient essentiellement à des mangas ou à des lights novels. Rares étaient les fois où elle se laissait aller à un autre genre de lecture, de temps à autre le mode d’emploi d’un quelconque appareil, la notice d’un médicament,… Bref les mangas et tout ce qui se rapprochait de près ou de loin de ceux-ci constituaient sa plus grande passion dans la vie.

Mais contrairement à elle, Elina s’avouait être une débutante en la matière, et que ce n’était que tout récemment qu’elle s’était mise à ce genre de lecture. Mais qu’à cela ne tienne, Mélodie était contente d’être tombée sur quelqu’un partageant ses intérêts. Elle était d’ailleurs déjà là prête à la conseiller sur quelques mangas qu’elle estimait être de véritables chefs d’œuvre. Mais par où commencer ? Mélodie ne connaissait même pas ses préférences, est-ce qu’elle aimait les mangas axés sur des romances, ou préférait-elle de l’action et des combats ? De plus quel genre d’univers lui plaisait ? De la fantasy, des méchas ou encore de simples univers contemporain ? L’univers des mangas étaient tellement vastes et riches, pratiquement tous les thèmes pouvaient être abordés avec ces derniers, et c’était d’une part ce qui les rendaient si géniaux à ses yeux.

Et alors qu’elle réfléchissait à quel ouvrage aborder en premier avec elle, un grognement ainsi singulier se fit entendre dans toute la pièce. Un cri plaintif que Mélodie connaissait assez bien à force de l’avoir entendu maintes et maintes fois lorsque se laissait aller à de trop longues séances d’écriture et de dessins. Ce bruit qui avait été entendu des oreilles de tout le monde ici présent n’avait d’autre origine que son estomac qui criait famine. Posant une main sur son bide, ce fut désormais au tour de Mélodie d’arborer une expression quelque peu gênée.

« I'm hungry , I haven't eaten since yesterday. »

En cette simple révélation, Mélodie venait d’instaurer une nouvelle priorité. Dès lors leur discussion endiablée sur les mangas et la culture japonaise allait devoir attendre qu’elle se sustente comme il se doit. Toutefois, Mélodie n’avait sur le coup aucune idée de comment se procurer un repas suffisamment copieux pour caler son estomac affamé. Elle qui n’avait que ses sucettes en réserve, se retrouvait dans une impasse. Heureusement une solution ne tarda pas à lui être proposé, et même si on ne lui forçait nullement la main, Mélodie sentait bien qu’elle allait accepté cette solution de facilité qui lui épargnerait bien des tracas.

Elina lui avait proposé de l’emmener dans un endroit où elles pourraient s’offrir un vrai et bon repas. C’était donc sans chipotage, que nos deux amies s’étaient vite apprêtées pour sortir. Mélodie n’avait aucune idée de l’endroit où sa camarade l’emmenait, mais elle s’efforçait d’être attentive aux alentours afin de mémoriser la route. D’une, pour savoir retourner jusqu’à son studio sans se perdre, et de deux, pour être capable de retourner se sustenter dans le restaurant familial, à condition que la nourriture qui s’y trouvait soit à son goût. Il leur fallut tout de même un quart d’heure de marche dans le froid avant de pénétrer à l’intérieur ce qui parut à Mélodie comme un véritable sauna. Le contraste entre le chaud et le froid était tel qu’elle avait l’impression qu’il faisait étouffant à l’intérieur du restaurant, alors que la température en son sein était tout juste normale et agréable. Mélodie laissa Elina leur réserver une table pour deux, de son côté notre demoiselle en profitait pour se dévêtir un peu histoire de ne pas faire un malaise. Bon elle aurait pu faire un malaise suite au fait qu’elle était affamée, mais là sur le coup elle misait plus sur le coup de chaleur.

Une fois leur table trouvée, Mélodie s’y installa et laissa reposer sa doudoune sur le dos de sa chaise. Elina espérait qu’elle allait trouver quelque chose à son goût, et prenant la carte du restaurant en main, Mélodie se disait qu’il y avait de fortes chances qu’elle y trouve son bonheur. Après avoir feuilleté rapidement toutes les pages, Mélodie finit par se décider et à annoncer son choix à sa partenaire de table.

« I'll take a vol-au-vent with chips. »

Un plat chaud, oui, avec l’hiver dehors, il n’en aurait pas pu être autrement. Et comme boisson, elle prendrait sûrement de l’eau. Une bouteille pour deux devrait sans nul doute faire l’affaire. Habituée avec ses parents adoptifs, Mélodie n’avait pas choisi d’entrée, et encore moins de dessert. Se contenter d’un repas principal était suffisant, et si jamais après ce dernier elle avait une petite faim, une sucette ou une glace suffisait à la satisfaire. Elina semblait s’être décidée elle aussi, çà tombait bien car une serveuse venait de se présenter à leur table pour prendre leur commande.