Une délinquance qui augmente. {Noémie/Elina}

Encore une nouvelle journée de travail qui se terminait pour Elina. Enfin, elle avait encore un peu de temps devant elle avant que son service ne se termine, mais il n’empêchait que l’heure avançait. Derrière son comptoir, la jeune fille contemplait d’un air distrait le va et vient des clients, attendant patiemment que l’un d’eux viennent requérir ses services. Bien que cela ne fasse pas spécialement si longtemps qu’elle ait commencé à travailler à cet endroit, les habitués de la supérette commençaient à la connaître, et ne manquaient pas de la saluer chaleureusement quand ils la voyaient. Sa patronne blaguait même en disant que certains ne passaient plus que le week-end simplement pour la voir. Mais cela, elle ne le croyait pas. Après tout, si elle se montrait polie et serviable au travail, elle était loin d’être la personne la plus chaleureuse qui soit, elle avait donc du mal à concevoir qu’on puisse la trouver attachante. Enfin, peut-être justement que c’était cela qui leur plaisait ? Il y avait toutes sortes de goûts dans le monde, après tout.

Elina fut momentanément tirée de sa réflexion par l’arrivée d’une cliente, une jeune femme en tenue de sport, et toute en sueur. Une joggeuse ? Ou bien elle venait de rater un bus après avoir foncé pour l’attraper ? La jeune fille encaissa la somme requise pour l’achat de la bouteille d’eau que la cliente souhaitait acquérir, et ne manqua pas de remarquer l’opulente poitrine de celle-ci. C’était la première fois qu’elle en voyait une aussi développée, elle surpassait largement celle d’Asami. Mais n’étant pas du genre à se focaliser sur ce genre de détail, elle salua poliment la cliente qui s’en allait avec son achat. Elle ne s’éloigna cependant pas bien loin, car elle resta devant la supérette, occupée à vider l’eau contenue dans la bouteille. Mais comme elle était en droit de faire ce qu’elle voulait, elle reporta son attention sur les rayons, afin de surveiller que personne n’essaie de repartir en douce avec l’un des articles. Récemment, elle avait dû empêcher un jeune garçon de son âge de repartir avec plusieurs articles qu’ils avaient cachés dans sa veste. Il avait essayé de nier, mais avait fini par céder, laissant son larcin retomber au sol avant de quitter la supérette en la gratifiant d’un geste obscène et de propos peu élogieux. La jeunesse de nos jours ne savait vraiment plus se tenir… La boutique était certes dépourvue en cet instant de clientèle de ce genre, ce genre de vol à la tire n’était pas réservé à celle-ci, il était donc important de rester vigilant.

Si bien qu’elle ne prêta guère attention à ce qui se déroulait de l’autre côté de la devanture de la supérette, ou un groupe de cinq jeunes étaient en train de harceler la cliente qui était sortie il y a peu. Elle n’eut cependant pas le loisir de l’ignorer très longtemps, car un grand bruit retentit bientôt. Quelque chose de volumineux venait de percuter la vitrine du magasin, et ce quelque chose n’était autre que… la cliente harcelée. Surprise par les évènements, il fallut quelques secondes à la demoiselle pour réagir de façon adéquate. Elle se précipita donc à l’extérieur, pour constater qu’un bien triste spectacle se déroulait devant son lieu de travail. Les jeunes qu’elle ne remarquait que maintenant, s’était tous rassemblés autour de la jeune femme, et l’un d’eux, qui semblait le plus âgé, était en train de la peloter avec force. Quelle bande de dépravés, vraiment ! Se sentant s’enflammer, Elina se précipita vers le petit groupe, tout en s’écriant :

- Arrêtez, bandes de sales pervers !

Elle se rapprocha davantage, repoussant l’un des garçons, et constata alors que la jeune femme était prise aux pièges de la glace. Un Suijin ? Elina n’avait pas eu beaucoup d’occasion de croiser de ses frères divins, mais en croiser d’aussi tordus n’était pas pour lui plaire. En plus, ils usaient  de cette noble magie pour commettre un crime aussi odieux. Décidemment, les hommes étaient tous des porcs, qui ne pensaient qu’avec le bas de leur corps… C’était la deuxième fois qu’elle assistait à une scène du genre, et là encore, le dégoût qu’elle ressentait pour la gente masculine se rappela à son bon souvenir. N’y en avait-il vraiment pas l’un pour rattraper l’autre ? Ce constat était tellement affligeant qu’elle en oublia un bref instant de se concentrer sur ce qui l’entourait. Et durant ce court laps de temps, l’un des olibrius qui regardait le plus vieux d’entre eux malmener la pauvre jeune femme glissa un commentaire qu’elle n’entendit pas…

- Héhé, en voilà une deuxième qui semble pas mal ! Bien qu’elle manque un peu de charme en haut. Je me demande ce qu’il en est en bas…

Si seulement elle avait pu entendre ça, rien de ce qui n’allait suivre ne se serait produit. Car alors qu’elle s’apprêtait à reprendre ses invectives, l’abruti qui avait lâché cette remarque décida de passer de la parole aux gestes. Et alors qu’elle ouvrait la bouche pour lancer une insulte bien salée, il glissa une main sous sa jupe. S’il s’était contenté de la toucher à travers le tissu, peut-être que cela se serait passé autrement. Mais non, il avait posé sa main sur l’arrière de sa cuisse, avant d’essayer de monter plus haut pour lui peloter les fesses. Essayer… En sentant le contact de la main du garçon sur sa peau, une vague d’émotions frappa Elina. Des sentiments puissants, tel que le dégoût et la colère, l’envahirent, mais celui que se manifesta le plus était… la peur. Car ce simple contact avait fait remonter en elle un souvenir terrible… Celui de ce jour funeste, où, à l’orphelinat, elle avait été victime d’attouchements. Elle se rappela nettement la sensation des mains de ce jeune ado qui passaient sur son corps, et de la peur intense qu’elle avait ressentie en imaginant qu’il ne s’arrêterait pas là. Et cette peur l’envahit à nouveau…

Elina n’eut pas conscience de ce qui se passa après. Car son corps réagit à la place de son cerveau, cherchant instinctivement à la protéger de la menace à venir. Se retournant d’un geste vif, elle colla un coup de poings en pleine face du jeune homme. Mais ce n’était pas sa main qui entra en contact avec le visage de ce dernier… En l’espace de quelques secondes seulement, son poing à elle s’était recouvert d’une épaisse couche de glace, de la forme d’un poing elle aussi, mais dont la taille avait quadruplée. Et plutôt que de la frapper avec celui-ci, et le propulsa en plein dans son visage à une vitesse affolante. Le choc fut d’une telle violence que le jeune homme fut propulsé trois mètres plus loin dans une spirale de sang, atterrissant lourdement sur le sol, inconscient. Son visage ruisselait de ce liquide rougeâtre… Au mieux, il avait le nez pulvérisé. Au pire… Mais en cet instant, Elina n’avait pas conscience de l’état dans lequel il pouvait se trouver. Elle le regarda, les yeux écarquillés, sans vraiment le voir. Mais le spectacle ne s’arrêta pas là. N’ayant pas vu exactement ce que cette jeune fille venait de faire subir à leur camarade, l’un d’entre eux posa une main sur son épaule, bien décidé à la corriger. Bien que cette fois, le contact ne se fit pas de peau à peau, l’état émotionnel de la demoiselle était déjà tel qu’elle réagit une fois encore. Cette fois, elle repoussa de ses deux mains celui qui venait de la toucher tout en poussant un cri strident. Répondant à ce geste, la magie de la jeune fit se manifesta. Cette fois, se furent de grosse stalagmites qui jaillirent du sol comme s’ils venaient d’en pousser, émergeant sur plusieurs mètres de trottoir devant elle. Heureusement, celles-ci avaient des pointes arrondies, car deux des jeunes délinquants furent frappés par ces dernières. Perclus de coups violents, ils retombèrent au sol, leur conscience à deux doigts de les quitter, eux aussi. L’un d’eux, d’ailleurs, était retombé sur la route, mais heureusement pour lui, la voiture qui arrivait freina à temps pour ne pas le percuter. Quant au quatrième adolescent, il s’enfuit en criant comme une gamine effrayée. Il ne restait plus que le plus âgé du groupe, qui se tenait toujours devant sa victime prise dans la glace. Il semblait figé, lui aussi, avec ce qui venait de se passer. Mais au lieu de fuir, il décida de s’attaquer à Elina. Il faut dire qu’elle paraissait tellement vulnérable, en cet instant…

En effet, après avoir fait jaillir du sol ces stalagmites, Elina était tombé à genoux, les bras serrés autour d’elle. Elle cherchait à reprendre contenance, à enfouir profondément cet horrible souvenir qui était remonté en elle, à taire cette terrible angoisse qui l’avait assaillie et qui lui avait fait manifester de puissantes capacités contre son gré. Malheureusement, cette nouvelle attaque se déroula avant qu’elle n’ait eu le temps de le faire… L’homme était celui qui maîtrisait la même magie que la sienne. Et d’ailleurs, il ne manqua pas de faire appel à celle-ci pour essayer de la mettre hors d’état de nuire. Matérialisant une lance de glace, il la lança droit sur elle. Un coup qui aurait été fatal, si un épais mur de glace n’était pas venu interrompre sa course. Encore sous le coup de ses émotions, Elina réagit cependant de manière consciente. Elle fit jaillir de sa main un jet d’eau, qui passa sans problème à travers sa propre protection, et vint frapper son assaillant, qui se mit à hurler de douleur. Mais pourquoi ? Ce n’était pourtant que de l’eau ! Ce ne fut que lorsqu’elle vit la vapeur qui se dégageait de l’eau qu’elle matérialisait qu’elle comprit la raison de ces cris. C’était de l’eau bouillante qui sortait de sa main, et qui frappait en continue son adversaire. Lorsqu’elle se rendit compte de ce fait, elle en interrompit le flux.

L’homme en question en avait eu pour son compte : à moitié ébouillanté, il se redressa, et se précipita, non pas sur Elina, mais sur son subordonné au visage en sang. Le jetant sans cérémonie sur son épaule, il décampa, suivit de ses deux compères frappés par les stalagmites qui avaient récupérés suffisamment que pour pouvoir décamper sur leurs deux jambes d’une démarche chancelante. Lorsqu’ils disparurent au coin d’une rue, la jeune fille reprit enfin complètement ses esprits. Elle s’était donnée en spectacle, et de façon on ne peut plus impressionnante. Comme obéissant à sa volonté, les stalagmites se mirent à fondre à une vitesse impressionnante, créant ce qui ressemblait à un petit ruisseau. Et au passage, la glace qui maintenait prisonnière la jeune femme subit le même sort. Elina, elle était toujours à genoux, sous le choc. Elle avait perdu le contrôle, et d’une manière extrêmement violente. La tête baissée, elle avait l’impression que tout le monde la regardait, que tous les regards étaient braqués sur elle, avec peur ou dégoût. Mais elle n’osait pas relever la tête pour confirmer ce fait…

À genoux sur le sol, Elina contemplait le trottoir comme si sa tête pesait désormais des tonnes, et que cela l’empêchait de la relever. Quel genre de regards l’attendrait si elle le faisait ? Est-ce que les gens partiraient en courant, craignant de la voir leur infliger le même traitement ? La regarderaient-ils avec mépris, pour avoir eu recours à un tel comportement ? Ce gamin, comment allait-il ? Il devait être vivant, n’est-ce pas ? Elle ne l’avait quand même pas… À cette pensée, elle secoua la tête, refusant d’accepter cette possibilité. Elle ne pouvait pas avoir fait ça…

Une voix familière résonna alors à ses oreilles, la ramenant à la réalité. Cette voix, c’était celle de sa patronne, mais Elina dut faire un effort de concentration pour en comprendre la teneur :

- Elina ! Est-ce que ça va ? Tu n’es pas blessée ?

La jeune fille se contenta de secouer la tête en guise de réponse. Elle, elle n’était pas blessée. Mais qu’est-ce qui en était des autres ? Elle n’avait quand même pas touché un passant innocent avec ses attaques, non ? Soulagée, sa patronne ne lui accorda pas de répit,, enchaînant rapidement :

- Est-ce que tu peux marcher ? J’ai besoin de ton aide, la jeune femme là-bas, elle est complètement gelée. Il faut qu’on fasse quelque chose, sinon…

Ces paroles réveillèrent l’esprit engourdi de la demoiselle, qui se leva malgré ses jambes légèrement tremblotantes. La vie d’une personne était en jeu, pas le temps de s’apitoyer sur son sort, ni même d’extrapoler sur l’état de santé d’une personne qui n’était plus là. Dire qu’à une heure près, sa journée aurait été terminée… Rejoignant sa patronne près de la jeune femme, Elina put constater à quel point elle était pâle. Bon, cela aurait pu être pire, Emily avait subi une attaque bien plus dangereuse et s’en était remise complètement. Mais il fallait vite la réchauffer, sans quoi elle risquait de tomber en hypothermie sévère ! Et le meilleur moyen pour cela, c’était de faire appel à sa magie. Aussi, elle enroba le corps de la jeune femme d’eau, dont elle s’arrangea pour que la température ne soit tiède afin de la réchauffer en douceur. Elina s’accorda de jeter un œil aux alentours, et constata que ce n’était ni la peur, ni le mépris qui marquait le visage des badauds. C’était plutôt l’inquiétude, mais pour qui la ressentait-elle ? Pas le temps d’y réfléchir, cependant. Attrapant chacune une extrémité du corps de la jeune femme, elle et sa patronne la transportèrent dans la supérette. Elina se chargeait des jambes, c’était là le plus lourd qu’elle pouvait porter, et là encore, ce n’était pas sans peine qu’elle soulevait cette charge. Il faudrait qu’elle pense à se muscler un peu…

Contrairement à ce qu’elle pensait, elles ne l’amenèrent pas dans la salle de repos, où un divan confortable l’aurait attendu, mais plutôt dans une pièce aménagée à l’étage. Elina ne savait même pas qu’il y avait une chambre dans la supérette, étant donné que sa patronne avait une habitation quelque part dans la ville. Elles l’installèrent sur le lit, et elles purent constater que le traitement d’Elina avait fait effet. En effet, la jeune femme avait repris des couleurs, suffisamment en tout cas pour qu’elles cessent de craindre pour sa vie. La demoiselle estima alors pouvoir retirer son enrobage aqueux, emportant en même temps une grosse partie de l’eau qui imbibait les vêtements de leur cliente, sans toutefois les assécher complètement. Ce n’était pas le moment de s’essayer à ce genre d’exercice… Une fois fait, sa patronne lui demanda d’aller surveiller la supérette pendant qu’elle s’occupait de la jeune femme, et bien qu’appréhendant de retourner sous les feux de la foule, Elina s’exécuta.

De longues minutes s’écoulèrent, qui parurent durer une éternité aux yeux de la jeune fille. Le visage douloureux, elle continuait d’encaisser les achats des clients, qui affichait eux aussi cette mine inquiète. Ceux qui étaient présents à l’intérieur de la supérette au moment des faits avaient été assez aimables que pour s’assurer que personne ne profite de la situation pour commettre un larcin, dès lors la boutique n’aurait pas à subir de pertes. Cependant, la bonne humeur qui régnait précédemment avait disparue. La plupart se contentaient de partir sans dire un mot, seul les habitués prenaient la peine de glisser une petite parole avant de repartir avec leurs achats. On lui demandait comment se portait la jeune femme, si elle allait se remettre, comme si elle était médecin. Seul l’un d’entre eux eu une parole de réconfort pour elle, qui se sentait au plus mal. Bien que ces paroles lui aient fait du bien, elles ne furent pas suffisantes pour chasser ses angoisses. En plus de la peur d’avoir tué quelqu’un, Elina n’arrivait pas à se débarrasser du souvenir du contact de sa main sur son corps. Elle se mettait à frissonner violemment lorsqu’elle s’en rappelait, et devait faire mettre toute sa concentration pour que cet atroce souvenir qui avait ressurgit ne revienne la hanter à nouveau. Sa patronne finit par revenir, la mine perplexe, et l’air fatiguée. La rejoignant derrière le comptoir, elle lui dit :

- Je prends le relais, Elina. Toi, va te reposer, je crois que tu en as besoin. Et puis, ta journée est presque finie.

Elina était stupéfaite, et pendant un instant, crut que sa patronne ne voulait plus la voir dans son magasin. Avait-elle été effrayée ? Craignait-elle que les clients ne viennent plus à cause de ce qu’elle avait fait ? Elle pouvait comprendre, bien que cette vérité ne lui fasse spécialement plaisir… Mais la dame tint alors un discours différent de ce à quoi elle s’attendait :

- Ne t’en veux pas, Elina. Sans toi, qui sait ce qu’ils lui auraient fait… Tu as aidé cette jeune femme, et je suis sure… enfin, quasiment sure que ce garçon se porte bien.

Ella ajouta avec un sourire :

- Si tu veux vraiment m’aider, va donc t’occuper de notre protégé. Il faut encore sécher ses vêtements, mais je n’ai pas de sèche-linge ici. Alors, il n’y a que toi qu’y puisse s’en charger, non ? Et puis, ça te laisserait le temps de faire le point sur ce qui s’est passé.

Elina s’exécuta donc, allant chercher les vêtements encore humides de la jeune femme, et comme elle l’avait pour Sayuri, entrepris de faire s’évaporer l’eau contenue dedans. Par habitude, elle entreprit même de les plier, leur donnant l’aspect d’être sortie de l’armoire où ils devaient être rangés d’habitude. Elle ferait mieux de les monter dans la chambre, afin que la jeune femme puisse les renfiler une fois qu’elle serait réveillée. Aussi, Elina grimpa-t-elle les marches en silence, et ouvrit la porte avec tout autant de délicatesse. Cependant, tant de précautions n’étaient pas nécessaires, car la jeune femme était déjà réveillée. Et elle ne manqua pas d’interpeller vivement la jeune russe, ce qui fit sursauter cette dernière, qui ne s’y était pas attendue. Elle voulait savoir où elle se trouvait, et si c’était elle qui l’avait déshabillé. Elle tenait le drap qui la recouvrait serré autour d’elle, cherchant à protéger sa pudeur dans un geste naturel. Elina lui répondit donc, d’une voix mal assurée :

- N-Non, ce n’est pas moi qui vous ai déshabillé, c’est ma patronne. Moi, j’ai juste séché vos vêtements…

Elle ponctua ses dires en montrant les vêtements qu’elle tenait dans ses bras, avant de les déposer au pied du lit. Elle avait cru percevoir un mouvement de recul de la part de la jeune femme lorsqu’elle s’était approchée, mais peut-être s’était-elle fait des idées ? Après tout, elle avait l’impression que la terre entière la détestait en cet instant, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que son esprit interprète à sa façon des gestes pouvant n’être qu’anodins. Quoi qu’il en soit, elle ne tarda pas à reprendre la parole :

- Vous êtes dans la supérette devant laquelle vous vous êtes fait agressée. Comme vous étiez frigorifiée, on vous a amené à l’intérieur afin que vous puissiez vous remettre.

Le vouvoiement lui venait spontanément, elle qui pourtant avait tendance à privilégier le tutoiement. La raison était toute simple : elle se tenait devant une cliente, or elle vouvoyait ses clients. Maintenant qu’elle avait donné ses explications, elle s’apprêtait à s’éclipser :

- Je… Je vous laisse, comme ça vous pouvez vous rhabiller.

Amorçant un demi-tour pour quitter la pièce, Elina se dirigeait vers la porte. Mais est-ce que l’inconnue allait la laisser s’en aller aussi facilement ?

Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la pièce et laisser la jeune femme revêtir ses habits, cette dernière l’interpella, la priant de bien vouloir rester dans les environs le temps qu’elle se rhabille. Apparemment, elle voulait l’interroger sur les évènements qui venaient de se produire. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien avoir comme question ? Elina n’était pas très emballée à l’idée de devoir y répondre… Cependant, on lui avait confié la tâche de s’occuper d’elle, aussi, cela devait inclure le fait de l’aider à éclaircir les points qui lui paraissaient flous.

Acquiesçant d’un hochement de tête, elle sortit de la pièce, fermant la porte derrière elle avec délicatesse. Alors, elle s’adossa contre le mur en face de la porte, sortant son portable qu’elle avait coincé dans sa jupe après s’en être saisi dans la salle de repos. Elle composa rapidement un message à Emily pour lui signaler qu’elle aurait du retard à cause d’un imprévu à la supérette. Elle ne précisa cependant pas la durée qu’aurait son retard, car elle n’en avait aucune idée. Elle espérait toutefois qu’il ne serait pas trop long, elle avait bien envie de rentrer chez elle. Encore que, là aussi, elle risquait fort de faire l’objet de questions. Sa grande sœur ne manquerait pas de remarquer son mal-être, et de lui demander ce qui l’avait mis dans cet état. Mais peut-être qu’elle, elle saurait trouver les mots qu’il fallait pour la réconforter ? Ou bien peut-être qu’elle lui ferait un de ses câlins plein de gentillesse dont elle avait le secret ? Dans un cas comme dans l’autre, sa maison était certainement le meilleur endroit où elle pouvait se trouver en ce moment.

Au bout de quelques minutes, la porte s’ouvrit à nouveau, et la jeune femme, à nouveau vêtue, fit son apparition. Après l’avoir rapidement remercié d’avoir bien voulu l’attendre, elle commença de suite son interrogatoire. Bizarrement, elle voulait savoir comment s’était terminée son agression. Apparemment, elle ne se souvenait pas de son intervention, étant donné qu’elle demandait qui l’avait secouru. Surprise, Elina lui répondit :

- Tu… Je veux dire, vous n’avez rien vu ?

La jeune femme lui confirma ce fait, ce qui plongea la demoiselle en pleine confusion. Elle avait pourtant des plus voyantes, est-ce qu’elle avait perdue conscience avant qu’elle ne commence à perdre le contrôle de sa magie ? Le choc d’avoir été propulsée contre la vitrine de la supérette devait l’avoir plongé dans un état second, d’autant plus avec le froid de la glace qui l’emprisonnait. Perplexe, Elina garda le silence quelques instants. Que devait-elle lui répondre ? Si elle lui disait la vérité, elle risquait de prendre peur, et cela risquait de finir de la démoraliser. Mais lui mentir ne servirait pas à grand-chose, car il était à parier qu’elle apprendrait bien vite ce qui c’était passé. Alors, elle finit par lui dire :

- C’est moi qui suis intervenu. J’ai… fais fuir vos agresseurs.

Elle n’était pas entré dans les détails, de toute façon, ce n’était pas nécessaire, non ? L’essentiel était là, après tout… Mais est-ce que la jeune femme allait vraiment se contenter de cette réponse ?

Face à ces révélations, la jeune femme parut perplexe. Sans même avoir besoin de lire dans son esprit, elle devinait bien qu’elle avait du mal à croire que ce soit la jeune fille chétive qu’elle était qui avait réussi à mettre en déroute une bande de petites crapules. Néanmoins, elle ne remit pas en question sa parole, et lui tendit la main, dans le but évident d’échanger une poignée de main. Elina hésita un instant, elle n’était pas habituée à tant de formalités. Mais sur le temps qu’elle se demandait comment réagir à ce geste, la jeune femme lui tint des paroles qui eurent grand effet sur elle. Il s’agissait simplement de remerciements, mais ceux-ci lui firent plus de bien que toutes les paroles réconfortantes qu’elle avait pu entendre jusque-là. Seulement maintenant, elle prenait vraiment conscience de ce qu’elle avait fait. Certes, elle avait agi de façon excessive, mais il n’y avait pas du négatif dans ce qui s’était passé. Elle avait porté secours à cette jeune femme qui se tenait devant elle, et grâce à ça, elle se portait bien, et sans traumatismes psychologiques sévères. Est-ce que cela ne compensait pas la violence de ce qui s’était passé plus tôt ? En tout cas, elle décida de se raccrocher à ce fait plutôt que de continuer à ruminer uniquement le côté négatif. Aussi, elle serra la main de la jeune femme, savourant la chaleur de sa peau, qui contrastait avec la sensation glacée qu’Elina avait pu ressentir lorsqu’elle la transportait dans la chambre.

Maintenant qu’elles avaient jointes leur main, la jeune femme rajouta sa deuxième main à cette poignée, comme pour s’assurer que son sentiment de gratitude passait bien. Elle en profita également pour se présenter, ce qui surprit Elina. Elle n’estimait pas cela nécessaire, après tout, elles étaient de parfaites étrangères, et le resteraient très probablement à jamais. Alors, apprendre le nom d’une personne qu’elle risquait de ne croiser qu’une fois dans sa vie ne faisait pas partie de ses priorités. Néanmoins, elle estima logique de lui rendre la politesse, aussi se présenta-t-elle à son tour :

- Je m’appelle Elina Volchkev.

La jeune femme la remercia à nouveau. Ça, c’était le bon point. Le mauvais point, c’est qu’elle demanda des détails sur comment elle avait mis fin à son agression. Ses derniers souvenirs remontaient au moment où elle avait été prise dans la glace. Peut-être qu’elle ne se rappelait même pas s’être fait tripoter la poitrine ? Ce serait un bon point pour elle, ça… Elina, elle, n’était pas prête d’oublier ce qui s’était passée, tant ce qu’elle avait fait, que ce qu’on lui avait fait… Enfin, le problème était de savoir ce qu’elle allait répondre. Devait-elle tout déballer cash ? Lui avouer qu’elle avait manqué de tuer l’un de ses agresseurs, et mis les autres hors d’état de nuire en faisant appel à sa magie ? Non, elle ne voulait pas le dire, elle préférerait même carrément oublier que ça s’était passé. Aussi, décida-t-elle de rester dans le vague :

- Jusqu’à présent, je n’ai rencontré personne qui pouvait rivaliser avec moi quant à la maîtrise de l’eau. Ça n’a pas été difficile de mettre à mal ses techniques.

Ses paroles pouvaient paraître prétentieuses, mais il n’en était rien. C’était juste un constat qu’elle faisait, constat qui permettait d’expliquer pourquoi et comment elle avait réussi à mettre aussi facilement en déroute ce groupe de pervers. Restait à espérer que cette fois, elle se contenterait de ces explications, et qu’elle ne demanderait pas un récit détaillé de ce qui s’était passé. Ça, elle n’était pas sure de pouvoir lui offrir…

Les explications d’Elina semblaient satisfaisantes aux yeux de la jeune femme, qui prit conscience que sur cette île, les apparences pouvaient être trompeuses, et qu’il était donc dangereux de se fier sur cela uniquement. Ce n’étaient pas les premiers qui avaient tâtés de la magie de la jeune russe, simplement parce qu’ils avaient cru qu’avec sa frêle apparence, elle était une cible facile. Malheureusement pour eux, il n’en était rien, car outre sa magie, elle disposait aussi d’une arme redoutable, son cerveau. Quoi qu’il en soit, Noémie prenait conscience que maintenant, elle devait envisager qu’elle pouvait se retrouver confronter à un autre utilisateur de pouvoir à tout moment. Enfin, contrairement à ce qu’elle croyait, tout le monde ne possédait pas un pouvoir divin, il y avait tout de même des humains « normaux », même sur cette île. Enfin, le dire ne servirait à rien, car elle devait tout de même en avoir conscience, et puis, si ce n’était pas le cas, elle serait davantage sur le qui-vive, ce qui ne pouvait que lui être favorable dans l’avenir.

Noémie avait cependant encore une demande à lui faire, mais ce n’était fort heureusement pas de détails supplémentaires, ce qui la soulagea grandement. Non, ce qu’elle voulait, c’était rencontrer sa patronne, afin de la remercier à son tour. Elle ne voyait aucune raison valable de refuser, aussi elle accepta sans hésitation. De toute façon, elle serait quand même passée devant elle en quittant le magasin, aussi elle l’aurait fait tôt ou tard. Aussi, l’accompagna-t-elle jusqu’à la cage d’escalier qui menait au rez-de-chaussée, et après avoir traversé un petit couloir, elles arrivèrent derrière le comptoir, où ne se trouvait pas celle qu’elles étaient venues retrouver. Non, elle était occupée à remettre en ordre les rayons, comme elle le faisait lorsqu’elle s’apprêtait à fermer la boutique. Étrange, il n’était pourtant pas encore l’heure… Jetant un regard vers la porte d’entrée, elle constata que la pancarte indiquant que la boutique était fermée était en place. Se dirigeant vers elle avec Noémie, sa patronne ne manqua pas de remarquer leur présence. Avec un sourire, elle leur dit :

- Ah, je vois que vous vous sentez mieux. Vous pouvez continuer à vous reposer, j’ai décidé de fermer le magasin pour le reste de la journée. De toute façon, avec ce qu’il s’est passé, je ne suis pas sure que d’autres clients viendront…

Elina ressentit un pincement au cœur, imaginant un instant qu’elle se référait à ce qu’elle avait fait, mais le sourire rassurant qu’elle lui offrit lui fit comprendre que ce n’était pas de cela qu’elle parlait. Noémie ne manqua pas l’occasion de lui faire part de sa reconnaissance, mais la fin de ses propos ne manquèrent pas de faire lever un sourcil interrogateur à la jeune russe. Concernant quoi ? Sa patronne, elle, semblait deviner de quoi il s’agissait, car elle lui offrit un sourire rassurant, tout en lui disant :

- Vous devriez faire attention. Il y a de plus en plus de petits délinquants qui se réunissent pour attaquer les jeunes femmes. Comme vous avez pu vous en rendre compte, malheureusement…

Ces paroles semblèrent soulager la jeune femme, bien qu’Elina ne voyait pas ce qu’il y avait de rassurant à apprendre que des bandes de pervers chassaient en groupe… Enfin, il devait surement y avoir une sorte de sous-entendu là derrière qu’elle ne saisissait pas… Quoi qu’il en soit, il était temps pour Elina de rentrer chez elle, comme ne manqua pas de lui signaler sa patronne :

- Tu peux rentrer chez toi Elina, tu as déjà fini depuis un moment. Je te remercie d’avoir veillé sur notre cliente, tu as bien mérité de te reposer après tout ça.

Elina ne se fit pas prier, elle se dirigea vers les vestiaires, ou elle troqua son uniforme contre ses vêtements de ville avant de se diriger vers la sortie. Elle prit la peine de faire un signe de la main et d’adresser un « Bonne journée » aux deux personnes encore présente parmi les rayons. Elles semblaient parler d’un sujet sérieux, mais de là où elle était, elle ne pouvait pas entendre de quoi il s’agissait. Et puis, si elle n’avait pas été invitée à la conversation, elle n’avait pas l’intention de s’y incruster de force. Aussi, franchit-elle la porte, soulagée de pouvoir mettre un terme à cette journée éprouvante. Peut-être que finalement, elle demanderait quand même ce fameux câlin de réconfort à sa grande sœur…