#5 - Keisei & Kohana

La nuit n’avait pu s’empêcher de tomber. Comme chaque soir, ce voile sombre - fauteur de bien des troubles psychologiques, voire spirituels, chez notre chère humanité – s’était abattu telle la hache du bourreau. Intransigeant, il figeait tout dans une muette obscurité. L’île dormait. La paix revenait. À moins qu’il ne s’agisse d’une fausse alerte, et du commencement possible d’une période plus troublée encore qu’aujourd’hui même. Car demain est un autre jour, et le reste de notre vie ne fait que sortir de sa torpeur. Nombreux sont ceux qui s’éveilleraient, avec le soleil, avec des envies que nul ne comprendrait. Car ainsi devait être notre existence, sur ce petit bout d’un paradis dantesque. On y voit la grandeur, le pouvoir, le savoir, la richesse… mais aucun n’est réellement un dieu, parmi nous. Pas moi. Pas un autre. Et je sais que chaque nuit, il en est qui rêvent de briser cette belle harmonie.
Alors presque comme chaque soir, je suis au balcon et admire. J’observe ce ciel qui se mêle à la terre et trouve cela très beau. Je scrute un horizon disparu, à la recherche de vagues ou que sais-je ? Je cherche. Je plisse les yeux. Des flocons tombent. Je fume. Au travers de la fumée s’élève quelque chose. Mon regard s’aiguise, voudrait bien comprendre. Une lueur arrive, une aube qui n’en est pas. Appuyé par la balustrade du balcon, je pose ma clope et me penche en avant. J’approche, sans pouvoir faire davantage. Mais ce n’est rien, car déjà la lumière est là, plus grande et forte que l’instant d’avant. Elle luit, semblable à un astre maintenant. Sur ma tête, la fine neige fond sans avoir le temps de s’y évanouir. Mes cheveux de la couleur des blés, je le vois, prennent une teinte d’or. Ils brillent, eux aussi, et c’est bientôt à un vrai brasier qu’ils me font penser. Qu’est-ce donc là ? On nous attaque ? Himitsu est…

*
Mes cheveux. C’est la première chose que j’ai ressenti. Après cet éblouissement, j’ai l’impression d’être tombé aveugle. Car d’un coup, incroyablement fort, le monde s’est trouvé aspiré. Etrange chose que cela. La nuit a été happée par dieu sait quoi. Je fais un pas. Je heurte quelque chose, ou peut-être est-ce l’inverse. Mais attendez… ce ne sont pas mes cheveux. Ma crinière n’a pas ce toucher, les mouvements ne vont pas. J’ai la main qui effleure le visage d’un être. Assourdi par un cri, je recule subitement, avant de comprendre. Cette voix, je l’ai reconnu.

« Il faudrait être stupide pour ne pas le savoir.
Voilà tout ce que je peux répondre à la question. Nous nous connaissons peu mais enseignons vraisemblablement ensemble. Mademoiselle Asashi…

« Il faudrait être stupide pour ne pas le savoir »

Cette voix. Je connaissais cette voix. Je savais que je l'avais déjà entendue quelque part. Mais où?! Quelque part. Probablement à Himitsu Gakuen. Le seul lieu où j'écoutais ce qui m'entourait. Mais je n'arrivais pas à me concentrer. Les lieux exigus m'en empêchaient. J'avais l'impression d'étouffer, de.. d'être bloquée, dans une impasse, et du coup, cet effet d'impasse se répercutait en moi, me paralysant dans mes réflexions. KEISEI SHIMAZU ! Son nom venait de me revenir. Un de mes collègues. Je ne savais jamais quelle matière il enseignait entre les sciences physiques et la chimie, mais je savais qu'il était prof.

« Shi... Shimazu? »

Mes yeux s'accoutumant à la semi pénombre du minuscule endroit où nous étions, je le reconnaissais. Oui, c'était bien lui. Cette longue chevelure blonde, ça ne pouvait être que ce professeur. Maintenant que je savais qui était le mystérieux inconnu, pas si inconnu que ça, une question me frappa. Comment étais-je arrivée ici? Avec Shimazu qui plus est. Je n'avais rien en commun avec cet homme, et pourtant, je me retrouvais coincée avec lui. Baissant mes yeux vers mes pieds, je gigotais un peu, et enlevais mes chaussons trempés, en m'appuyant contre la paroi derrière moi, qui était glissante. D'où venait cette eau? Pourquoi étais-je là? Je voulus évaluer la taille du lieu où je me trouvais, mais ma main rencontra le torse de Keisei avant la paroi. Je retirai précipitamment ma main en rougissant, comme si je m'étais brûlée.

L’humidité. L’air est saturé d’iode. Il fait frais et pourtant… il ne neige plus. L’air sort de je-ne-sais-où. J’ai les pieds trempés. Même si je ne peux encore les voir, je le sens. C’est comme si d’un coup, je m’étais trouvé déplacé de plusieurs centaines de mètres, s’il ne s’agit pas de kilomètres. Ça m’a désorienté, sans pour autant me pousser jusqu’à l’évanouissement. Tout ça s’est déroulé en une fraction de seconde. Qui peut donc en être responsable ? Moi ? non… Elle ?

« Lui-même. On peut toujours avoir besoin d’un Shimazu, vous savez ? »

J’esquisse un léger sourire en coin, bien que j’imagine qu’elle n’y verra que du feu. Sauf qu’en parlant de feu, d’autres idées me viennent. Puisque je la connais plus ou moins, et ne suis pas totalement ignorant des possibilités de nos chers habitants sur cette île, j’imagine que ce qui se passe n’est pas dû au hasard.

« Mais… il n’est peut-être pas nécessaire de vous faire un dessin de cette situation. Mademoiselle se mettrait-elle à tester l’étendue de ses pouvoirs sur des cobayes humains ? »

J’ai remarqué cet attouchement involontaire et fixe maintenant cette demoiselle au travers du néant. Mon regard froid et dur est rejoint par ces mots.

« Si ce n’est pas le cas, j’espère qu’ils peuvent au moins se montrer utiles en ces lieux, vos gènes de poisson. »

Ce type commençait déjà à me déplaire. Croyait-il que mes parents étaient zoophiles ou un truc du genre?! Pour un serpent, il sifflait beaucoup. Et puis, d'où connaissait il mon pouvoir? J'étais assez discrète là dessus, contrairement à d'autres. Lui, notamment. Bon, en même temps, vu comment j'étais bavarde, ça semblait évident que tout le monde ne soit pas au courant pour mon pouvoir. Sauf si j'en avais parlé en cours, sans y prêter attention.

« Pas avec aussi peu d'eau que me transformer sera utile. Et vous, vos gènes de serpent, ils pourraient pas servir?! »

Il me fixait. Je le sentais. Et mes bras se couvrirent de chair de poule. Cette situation commençait déjà à m'exaspérer. Comment est-ce qu'on en était arrivés là? Pourquoi? Comment sortir?

« Comment êtes-vous arrivé là? »

Je sentais venir la réponse débile et totalement ironique. Question bête, réponse bête, n'est-ce pas?

Kohana Atsushi n’était pas le genre de personne que j’aurais normalement côtoyé. Pâle, rousse, d’un caractère et d’un tempérament diamétralement opposés au mien, je ne vois pas quel point commun nous aurions pu trouver pour nous entendre. Je devais être un individu beaucoup plus noir que cette petite et certainement plus agressif. En la voyant ainsi, j’ignore s’il lui était même possible de se mettre en colère contre quelque chose. Que ferait-elle, de toute façon ? User de la violence physique ? De mots orduriers ? D’une quelconque pression psychologique proche du chantage ? Non, je ne vois pas. La fuite, sans doute. C’est à ça que devrait lui servir son pouvoir, à prendre la poudre d’escampette.
Un sourire amusé sur les lèvres en entendant sa riposte, je me décidais à lui tourner dos, faisant quelques pas pour tâcher de trouver une fissure. Pour le moment, aucune solution ne me sautait aux yeux, même avec mes « talents ». Mais sait-on jamais.

« Eh bien, mademoiselle se met à me tutoyer ? Serait-ce là le résultat de la peur ? Ou bien sommes-tu devenus plus intimes subitement ? »

Me tournant dans sa direction en répliquant, j’inspectais les roches de la main. Mais rien n’apparaissait. Rien, c’est aussi ce que devrait donner notre manque de coopération. Enfin, avais-je envie de demander de l’aide à cette étrange femme ?

« Je pourrais ébranler cette prison sans le moindre mal. Mais le problème serait peut-être de voir tout ceci nous tomber sur la gueule… »

Faire pression sur l’ensemble de cette structure serait sûrement efficace. Pourtant, de là à risquer de mourir écrasé par les tonnes de pierres au-dessus de nous, il y avait un fossé à franchir. Je n’avais pas envie de crever aujourd’hui.

« Il ne nous reste plus qu’à faire l’amour sauvagement en attendant que les renforts arrivent… »

Lâchais-je ironiquement, avec ce sérieux me caractérisant.

La roche était lisse. Rien ne pouvait nous indiquer où nous étions, et s'il y avait un système pour nous permettre de sortir. Je n'avais tâté que deux parois, me semblait-il, et les deux étaient lisses. Le plafond, était il haut? Bas? Solide? Friable? C'étaient les inconvénients auxquels mon collègue avait pensé. Je savais qu'il pouvait facilement nous sortir de là, comme nous y enterrer vivants pour l'éternité. Ne se taisait-il donc jamais? Ne comprenait-il pas que parler était inutile?! Parler pour ne rien dire, dans cette situation, nous faisait juste dépenser de l'énergie inutilement. Toutefois, il était quand même impressionnant. Par sa prestance, et par l'aplomb avec lequel il arrivait à débiter des idioties en gardant l'air le plus sérieux du monde. Il commençait à faire froid. Ou du moins, je commençais à me les geler.

« C'est ça. Au moins ça nous permettra de nous réchauffer. Il faut vérifier toutes les parois avant de se prononcer. Après on pourra voir pour rentrer chez nous. »

J'avais parlé tout doucement en le fixant. S'il n'avait pas entendu, je ne répéterai pas. Déjà que j'avais horreur de parler, alors me répéter, c'était pire. Mais bon. Avec un peu de chance il m'aurait écoutée.

J’étais un serpent. Je suis un serpent. Je serai un serpent. Il n’y a pas de doute à ce propos. Quoi que je fasse, il est quasi-impossible de me voir ne pas décrocher un mot. C’est là sort du reptile tentateur. Bibliquement rendu responsable de bien des mots, sinon de tous, puis privé de ses jambes et condamné à ramper, il a néanmoins su rester une créature mystérieuse, crainte et respectée. Incarner le mal et le frisson, voilà qui est amusant…
Je présume qu’au contact d’un être comme moi, du coup, il est difficile de ne pas ressentir quelque chose. Mépris et rejet, ce qui est bien possible. Mais aussi peut-être de l’attirance, de la fascination vis-à-vis de la bête que je représente. Le serpent charme et laisse planer une telle atmosphère… je suis sûr que mademoiselle Asashi hésite à me faire confiance, mais aimerait tellement que je lui sois utile.

« Rentrer chez nous. Voilà un bien joli projet. Vous ne croyez pas plutôt qu’il y a un problème là-dessous ? »

Je tourne un peu, remuant l’eau en avançant et ne me préoccupant même plus pour mes chaussures irrémédiablement noyées.

« C’est bien beau de croire que ce qui nous retient prisonnier ici est le véritable danger. Mais qu’est-ce qui nous dit que l’école n’est pas la vraie cible de cette menace invisible ? Et si nous étions tout simplement mis à l’écart. »

Je m’imagine bien avoir été isolé pour laisser la place à quelques ennemis dérisoires ou puissants. Mais habituellement, si besoin est de fomenter un tel projet, je préfère être celui qui s’en occupe. Y aurait-il donc un autre comploteur derrière tout ça ? Quelqu’un capable d’agir de manière plus fourbe ou avec un art de la manipulation plus grand que le mien ? Je n’ose y croire. Et pourtant… tout doit s’expliquer.

Bah putain, en voilà un qui en avait, de l'imagination. Quoique. En y repensant bien, il n'avait pas tort. Mais... Ce type était une clé noire, si quelque chose se tramait, il devrait forcément le savoir ! Par contre, si je lui en parlai en le suspectant directement, je me doutais qu'il le prendrait assez mal. Je ne le connaissais pas et j'allais l'accuser directement. Non. Ce n'était pas la bonne option, loin de là, même. Par contre, faire confiance à ce serpent était inenvisageable.

« Pas faux. Mais... vous ne pensez pas que vous auriez été mis au courant? Après tout, ce sont ceux comme vous qui pourraient vouloir du mal à l'école »

Ce type allait vouloir me tuer. J'avais moi même été surprise de mon aplomb. Mais après tout, nous n'étions pas là pour rien, et nous mentir ne nous avancerait à rien. Alors, autant être franche. Je commençais à tâtonner, pour me retourner face au mur, sauf que mon pied nu (et glacé) glissa et que je chutais. Emportant mon collègue avec moi, bien évidemment, vu comme l'espace où nous nous trouvions, je n'aurais pas pu tomber ailleurs. Et lui tombant dessus, aussi. Sinon ce n'était pas intéressant.

« Il faut qu'on sorte d'ici avant de mourir de froid. »

Et maintenant, qu’allions nous faire ? Perdu dans le noir, dans cette eau stagnante, dans un abri plus difficile à appréhender que n’importe quelle situation qu’il m’avait été donné de vivre jusque-là, je ne voyais pas. Ni physiquement, ni littéralement. Car le fait était là, nous n’avions d’échappatoire, pas plus que de moyen de contacter l’extérieur. Ceux qui avaient réussi à nous coincer s’y étaient pris comme des pros. L’auteur de cette lumière demeurerait un mystère. Quoi que ce soit, nous étions dans de beaux draps. Pourtant, ça allait devenir encore pire.
La jeune femme avait prononcé des mots que j’aurais du lui faire regretter, si elle n’avait – malencontreusement ou non – trébuché contre moi. J’ai basculé sans le réaliser, manquant de m’éclater la tête contre la paroi. Voilà deux fois en je ne sais combien de temps que je suis surpris. En plus, je bois la tasse. Basculant en arrière, j’ai perdu toute notion du temps et d’espace, alors que l’eau envahissait mon visage. Dans un geste pour la repousser, certes, j’ai probablement pressé ma main contre son sein. Et alors ? J’ai aussi posé l’autre sur sa hanche, senti ses cheveux collant à ma peau, les miens devenant un voile trempé sur mes épaules. Enfin, en parvenant à m’asseoir, je tousse et la fixe longuement en silence. Tenant ses bras pour l’agenouiller face à moi, j’attends avant de reprendre.

« Si je dois m’en prendre à l’école après être sorti d’ici, je te jure que tu seras la première de mes victimes. »

C’est dit sérieusement, mais un détail me fait réagir. Comme une lueur dans mon esprit, je vois soudain que je suis entré en contact avec elle. La seule chose qu’il me manquait encore… Voudrais-je lui faire sentir comme la situation pourrait être bien plus… oppressante ?

Bloup. Je me retrouvais avec de l'eau jusqu'au bas du vente et cet... homme avait touché ma poitrine. Quelle horreur. Surtout après ce qu'il venait de me dire. Je ne le connaissais pas, ne l'avais jamais fréquenté auparavant, mais en assez peu de temps, j'en étais rendue à le détester. Tentait il de m'effrayer ? ça c'était certain. Mais pour le reste ? Mettrait il ses menaces à exécution ? Et puis au pire, je m'en foutais un peu. Une fois que nous serions sortis d'ici, je n'aurais plus jamais à revoir cet homme, ni à le fréquenter, alors bon.
Je me retrouvais là, agenouillée face à lui sans savoir quoi faire. Mes cheveux étaient déjà trempés, alors je m'assis, me libérant de son emprise d'un geste sec, pour me laisser tomber sur mes fesses, en ne faisant que très peu de remous.

« J'aime pas qu'on me touche. »

Je sentais l'eau me chatouiller les mollets, et mon affreux pyjama s'y coller. Je mourrais d'envie de me transformer, mais pour cela, je devrai me déshabiller avant. Plutôt crever que de me déshabiller devant ce type. Tant pis si je tombais malade.

« Bon. On fait quoi? »

Parce que oui. C'était bien beau de se menacer, mais on était quand même coincés, et ici -où que nous étions- je doutais que quelqu'un nous retrouve un jour. Mais au fait, où étions nous ? Il y avait de l'eau à nos pieds, salée. Ça sentait l'iode, aussi. On ne devait pas être loin de la mer.

Putain de cailloux de merde ! Je pourrais être chez moi, bien au chaud, avec ma tasse de thé. Ou bien de l'autre côté de ces caillasses, libre. Probablement dans la mer. À nager. Transformée. Et non pas frigorifiée dans un minuscule réduit. J'avais attrapé une mèche trempée de mes cheveux et l'entortillai entre mes doigts, pour essayer de réfléchir à autre chose qu'à la poisse que j'avais.
J'allais continuer à pester, sauf que je sentis quelque chose me toucher la cuisse. Et me l'enserrer. Oh, pas fort hein, mais juste un contact qui me fit d'abord lever la tête brusquement en me redressant. Cette... chose étrange s'enroulait autour de ma jambe comme... comme un serpent. SHIMAZU, ce con. Je tendis brusquement la jambe, lui mettant un coup de talon là où je le pouvais, puis me relevais d'un bond, m'adossant a la paroi en l'éclaboussant autant que je le pouvais.

« Ne me touche plus. Jamais. »

Je tremblais. Non pas par peur, mais simplement par dégoût. Je le fixais, avec ce sentiment emplissant mon regard.

Nerveuse. Pour un simple contact physique. J'avais réagit au quart de tour. Pour un simple contact physique. Il allait me prendre pour une folle, une malade mentale.

« J'aime pas les contacts physiques, en général. Mais pardon. J'aurai pas du réagir comme ça. »

Ça n'en avait peut être pas l'air, mais c'étaient des excuses sincères, ou presque. Il avait voulu user de son pouvoir de constriction sur moi, pourquoi? S'ennuyait il à ce point? Voulait il me faire du mal pour se débarrasser du poids que j'étais à ses yeux? À quoi pourrait bien lui servir une sirène à moitié glacée? Qu'attendait il de moi? Les questions commençaient à se bousculer dans ma tête, ou plutôt continuaient.

« T'as déjà vu une sirène qui ne sait pas nager?! Qu'est-ce que tu veux faire? »

Je craignais qu'il n'use de son pouvoir encore une fois, ce qui nous mettrai tous les deux en danger. On ne savait pas ce qu'il y avait de l'autre côté de ces épaisses roches. De l'eau? Rien? Un monstre? Un nouveau danger? Et la probabilité de finir enterrés vivants était non négligeable. Au moins, nos élèves seraient heureux. Ça leur en ferait, des heures de cours en moins si deux profs disparaissaient.

« Commence pas à faire le con, j'ai des cours à assurer, après les vacances. »

Ah ben c'était bien beau, tout ça. Tu t'étais excusée, mais il ne t'avait même pas écoutée. Il t'avait ordonné de t'éloigner de la paroi, et sans te laisser le temps d'ouvrir la bouche pour protester, il s'était dressé, s'apprêtant à faire quelque chose qui t'échappait encore. Alors, pour ne pas le déranger -et lui obéir- tu t'étais décollée de la paroi et ramenée vers le centre de la cavité. Proche de lui, en fait. Tu avais frémit en te rapprochant, mais tu n'avais pas d'autres options que celle là.
Pourquoi enseignais-tu à Himitsu? Cette question, tu te l'étais posée un bon milliard de fois. Mais au lieu de répondre à Keisei, tu avais préféré te taire et enlever silencieusement ton pantalon de pyjama, au cas où tu aies besoin de te transformer précipitamment. Ton cœur battait à tout rompre, et c'était la seule chose que tu entendais. Baboum, baboum. Tu étais captivée par les gestes de ton collègue, suivant ses mains des yeux, puis après, regardant l'eau. Quelle puissance. Elle s'écrasait sur les roches, sans leur laisser aucune chance de rester là où elles étaient. Et pourtant, elles avaient l'air, au premier abord de résister. Par contre, dans un second temps, la cavité se mit à trembler, et toi aussi par la même occasion. Tu avais l'impression que tout allait s'effondrer sur toi, sur lui. Sur vous.

« Keisei, il vaudrait peut être mieux que tu arrêtes, j'ai l'impression que tout va nous tomber dessus... »

Tu avais dit cette phrase d'une voix basse, en l'accompagnant d'une de tes mains qui fit mine d'écarter le bras de l'homme, mais sans le toucher. Tu n'aimais pas toucher les gens.

L'eau, plutôt que de frémir, s'était mise à bouillir, puis à s'eclipser. Faisant soudainement pression contre les rebords de notre prison. Contre la paroi, elle poussait presque sans vraiment chercher cela. Le but de ce premier temps, c'était de trouver des fissures. Nous ne pouvions être dans un lieu hermétiquement clos, sans quoi il nous aurait été impossible de respirer bien longtemps. Hors, le projet nous ayant mené ici ne pouvait vouloir notre mort. Au vu des moyens déployés pour nous tenir en respect, j'imagine qu'il n'aurait pas été bien compliqué de nous faire passer de vie à trépas. Alors pourquoi ?
L'eau s'écrasant contre les bords redescendit lentement jusqu'à venir emplir de nouveau ce cloaque jusqu'à nos chevilles. Nulle part je n'avais senti de faille. Impressionnant. Quoique... si. Légèrement, là. Et là. Et là, aussi. Des écarts infimes entre l'intérieur et dehors. Pourtant, que pouvait-il y avoir hors de ces murs, je n'en avais la moindre idée. Une tête d'épingle ne pouvait me permettre de passer l'oeil au travers ou de percevoir quoi que ce soit. Alors, selon les conseils de la demoiselle qui ne paraissait en accord avec mes méthodes, je laissais tomber l'idée de m'attaquer directement à la paroi. Une autre option existait, de toute façon. Plan B.

« Il ne s'agit pas d'avoir peur, ma chère demoiselle. Et puis peut-être serait-il tant de choisir ce que tu crains le plus : avoir affaire à moi ou retrouver une école envahie par une menace capable de s'en prendre à nos élèves ? »

Je garde la tête baissée et m'affaire de nouveau. Cette fois, ça va être autre chose. En donnant un coup sur l'eau, je me rends compte que je peux déclencher un coup assourdissant. Mais ce n'est pas l'optique. Je me redresse, la regardant en coin sans me retourner.

« Je vais emplir l'endroit d'eau. Ça ne s'effondrera pas mais causera une sorte d'implosion, pour nous permettre de sortir. C'est là que nous aurons besoin de toi. »

Remplir l'endroit d'eau. Ça te semblait risqué. Tu ne savais pas ce que ça allait donner. Peut être que ce qu'il avait dit allait fonctionner, mais en revanche, après? Une fois que ça aurait implosé? Et si cet endroit se trouvait loin sous la mer, et que, pour remonter vous devriez traverser des zones de courant? Pour toi, ça irait largement. Quand tu es transformée tu peux rester immergée longtemps. Mais pour ton collègue? Tu n'aurai pas la force de le porter, de le traîner pour le remonter pendant très longtemps. Lui ne semblait pas se poser de questions. Il était obsédé par le simple fait de sortir.
Tu attendis qu'il soit concentré sur ce qu'il faisait pour lui tourner le dos et enlever ton haut, car quand tu te transformais, tes vêtements disparaissaient. Alors, même si tu devais les abandonner, au moins ils ne partiraient pas Dieux-sais-où.

Tu sentais le niveau de l'eau monter le long de tes mollets, puis de tes jambes. Et d'un seul coup, le niveau atteint tes épaules. Tu te transformais en sirène en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, et attrapais ton collègue par le poignet pour l'entraîner le plus rapidement possible en dehors de cette cavité, et remonter.

Mais le problème était que la cavité ne remontait pas. Tu étais dans un tunnel. Au loin, tu repérais un renfoncement dans le haut de la cavité, une sorte de bulle d'air. Sans même jeter un regard à Shimazu, tu accélerais et l'y emmenait.

<« Je sais pas quand est ce que ça va remonter. Je vais aller vérifier, ok? »

Tout se passe exactement comme prévu. En réalité, je n'avais pas pensé que les choses se dérouleraient aussi aisément, ni que l'eau réagirait aussi bien à mon impact. Pour dire vrai, je n'ai jamais expérimenté ce genre de pression dans un enclos clos de la sorte, auparavant, et la mouvance des flots me laisse à penser qu'il s'agit bel et bien d'un élément soumis à la magie. Nous baignons dans des résidents de flotte maléfique, ou quelque chose comme ça. Si quoi que ce soit en ces lieux est ensorcelé, je dirais donc qu'il s'agit de la mer et qu'elle est la clé de notre sortie. Heureusement que je l'ai bien utilisé. En deux temps, trois mouvements, la situation change du tout au tout. J'ai de la chance d'être tombé sur une sirène.

[...]

Eludant le fait que je me suis trouvé un temps dans l'incapacité d'agir sur notre environnement, j'émerge enfin pour entendre la suite. Kohana Asashi a elle aussi son rôle à jouer et ne m'a pas laissé couler au milieu des flots. J'imagine donc qu'elle ne me laissera pas dans cet embarras bien longtemps. Elle s'éloigne ? Très bien. Mais je ne peux pas en rester là, tout de même.
Passant une main dans mes cheveux trempés, collant à mon visage, je dégage mes tempes, reprenant mon souffle. Que va t-il se passer, maintenant ? J'ai beau regarder aux alentours, mais rien ne m'apparait. Au-dessus de moi, le plafond est rocheux. Je ne peux espérer me frayer un passage. Mon seul espoir repose sur la demoiselle. Ai-je bien fait de compter sur elle ? L'avenir nous le dira...

Tu n'avais même pas attendu la réaction de ton compagnon d'infortune avant de repartir. Tu nageais rapidement, mais pas aussi vite que précédemment non plus. Mine de rien, toi aussi tu étais essoufflée. Mais pas le temps de reprendre ton souffle, il te fallait te repérer et rester vigilante. L'eau était salée, c'était de l'eau de mer, et dans la mer il y avait un tas de dangers. Pour toi, comme pour Keisei. Surtout pour Keisei, en fait. Toi, tu t'en sortais bien, tu étais habituée à l'océan, tu pouvais ruser en cas de problème. Mais ton collègue semblait être un néophyte, ce qui t'empêchait de garder l'esprit tranquille, tandis que tu t'éloignais de lui. Ton but n'était pas de l'abandonner, loin de là. Tu voulais juste que vous vous en sortiiez sains et saufs, et ce, le plus rapidement possible.

Jusque là, tu avais nagé proche du plafond, alors, tu décidais de vérifier la profondeur. Il y avait cinq ou six mètres. Et au fond, il n'y avait que de la roche. Remontant près du plafond, tu commençais à perdre espoir. Plus ça allait, pire c'était.

Soudain, tu remarquais un trou dans le plafond. Il faisait environ soixante centimètres de circonférence. Tu forçais avec ta queue, pour remonter par le trou sans avoir à mettre les mains sur un lieu que tu ne connaissais pas, et il n'y avait plus d'eau. À environ deux mètres du bas de la cavité, il y avait un nouveau tunnel horizontal. Que tu n'osais pas aller explorer. Tu ressortis de ce petit trou pour retourner dans l'eau, puis rebroussais chemin vers ton collègue pour lui expliquer ce que tu avais vu. Tu remontais face à lui, et lui dis doucement, essoufflée.

« Bon. J'ai repéré un endroit par où on pourrait ressortir, mais il va falloir nager vite, et je vais difficilement pouvoir y aller. Je peux pas me retransformer. Parce que je vais me retrouver nue. »

Tu t'étais mise à rougir sur la fin.

Il ne se passe pas trop de temps entre le moment où la professeure est partie et son retour. Je dois avouer qu'entre-temps, je me suis laissé aller à replonger un peu, mais sans pour autant m'éloigner de plus de deux ou trois mètres. L'instant est périlleux, la situation est dangereuse. Je ne suis absolument pas dans mon élément. S'il existe des serpents de mer, ce n'est pas mon cas. Je ne suis jamais aussi bien que les deux pieds sur terre.
Les reptiles sont habitués à ramper et comblent cette dépendance au sol par d'autres aptitudes bien utiles. Cependant, je cherche encore à quoi mes « dons »' pourront me servir ici et maintenant. Je zyeute, je creuse l'idée, je regarde mes mains et pense à user encore de ma capacité « spéciale ». Néanmoins, Kohana revient. Il faut bien.

 « Je ne vois pas où est le problème. »

Répondis-je à sa remarque. Nue ? Eh bien ? Il en va peut-être de quelque chose de plus grave, vu la situation où nous nous trouvons, et je ne pense pas que la pudeur ait sa place dans cette situation.

« Je devrais pouvoir suivre. Et au pire, je te passerai ma veste, même si elle est trempée. »

Je passe une main dans mes cheveux, et autant dire que je suis prêt pour la suite. Je commence à en avoir marre de tout ça. S'il existe un responsable, je vais me faire un plaisir de lui régler son compte. Puisque je n'ai jamais entendu parler de « test » pour les professeurs ou d'événements semblables, j'imagine qu'il va y avoir du grabuge. Alors ne traînassons pas. Let's go !

Il n'a pas l'air d'avoir fait grand chose en ton absence. Au vu de ses dires,  tu souris un peu, te disant qu'il n'est pas aussi infernal que tu le pensais. Tu décidais de vous octroyer une petite pause, bien méritée. Tu étais un peu essoufflée, d'avoir autant nagé, en si peu de temps. En général, quand tu nageais, il y avait toujours des moments où tu te laissais flotter et où tu respirais, ou où tu te laissais balader par des poissons.

« T'as déjà fait de l'apnée? De la natation, au moins? Parce que la distance est beaucoup plus grande, et j'arriverai pas à te tirer sur tout le trajet. »

Tu te sentais idiote, mais tu n'avais pas vraiment le choix. Tu ne pourrais pas le traîner sur tout le trajet. Tu n'avais que peu de forces dans les bras, et ils te piquaient encore un peu de l'avoir tiré. Par contre, tu étais soulagée qu'il ait proposé de te prêter sa veste.

En réalité, je ne sais pas comment prendre cette femme. Elle a l'air si stressée, si frêle et en peine, que je n'ose me montrer trop agressif. Finalement, je n'ai pas un si mauvais fond que ça. J'aurais très bien pu me moquer d'elle et faire ce qui me plait, selon mon bon vouloir. Mais j'ai l'impression que ça ne marche pas comme ça.
Ayant forcé la coopération, j'aurais préféré voulu entendre des paroles plus intéressantes de sa part. Pas nécessairement pour me rassurer, mais peut-être pour me prouver qu'il est possible de s'en sortir en usant de cette stupide magie. Je n'ai certainement pas envie de me retrouver bloqué et vaincu par quelqu'un ou quelque chose usant de sorts plus puissants que les miens. À vrai dire, je déteste qu'on ait l'ascendant sur ma personne. Alors si cette étrange demoiselle à la toison rouge ne peut m'être plus utile que ça... bon, je ferai avec.

« Hmm...

Me contentais-je de lâcher, en espérant tout de même qu'elle exagère un peu. Sans être un nageur hors pair, je saurais très bien couvrir une distance de quelques centaines de mètres. Enfin, très bien... j'y arriverais, quoi. Après, reste à savoir si je parviendrai à retenir ma respiration suffisamment longtemps. Cette sirène a t-elle des pouvoirs si limités ?
Prenant finalement de l'air que je relâchais, en me préparant à faire de l'apnée, je fixais une dernière fois la mi-humaine.

« Fais ce que tu peux. J'en ferai de même. Et si je n'arrive au bout, tu sais ce qu'il te restera à faire. »

Nous allons sûrement trouver d'où vient ce phénomène qui nous a bloqué ici. À moins que je ne succombe à la pire mort qu'il m'ait été donné d'envisager... la noyade.