Bière et Prospection (PV Maelle)

Kousha … C'était la dernière cité qu'il n'avait pas encore visité auparavant, et le moins que l'on pouvait dire était qu'elle n'avait absolument rien à envier aux autres villes de l'île. De loin, elle paraissait grande, et de près encore plus. Atramédès ne s'était pas attardé autour des différentes écoles, bien que les étudiantes de la fac Tetteiteki lui faisaient de l'oeil … Un peu plus tôt dans la matinée, alors qu'il était venu visiter la ville, y chercher potentiellement une opportunité de travail (c'est bien connu, les étudiants font les meilleurs joueurs …), il s'était arrêté boire un verre dans un bar près de la fac, histoire de prospecter. L'enseigne, plutot sobre, paraissait néanmoins bien tenue, et il s'installa au comptoir. D'abord, le serveur le regarda avec un air méfiant, cet air que le jeune homme connaissait si bien, et qui était légèrement teinté de peur, une nuance fine, mais évidente. Au dehors, il faisait frais, mais le grec s'en tamponnait, et il était sorti avec son seul t-shirt noir avec un symbole de la Horde sur le dos, un jean noir et deux bracelets en cuir cloutés. Le serveur vint finalement à lui avec cette remarque :

- Ça va vous n'avez pas froid vous !

Il avait pris un ton relativement neutre, il était toujours méfiant. Atra esquissa un sourire au milieu de sa barbe de quelques jours et au dessus de son bouc mal taillé. Il avait vraiment besoin de s'occuper un peu plus de son image, même si au fond il s'en foutait totalement.

- Bof … J'ai l'habitude.  Z'avez quoi comme bière ?

Le serveur lui adressa un petit sourire.

- Un demi pour monsieur ?

Atra aimait ça. Le jeu qui se jouait était un de ses préférés. Le serveur le prenait pour un débile qui aimait se mettre des murges à la bière premier prix, mais il ne savait pas qu'il avait affaire à un connaisseur. Il n'eut pas à réfléchir très longtemps.

- Une pinte plutot.

- Ca marche, une pinte de...

- De Triple.

Son interlocuteur s'arrêta un instant, et lui rendit son sourire. Atra savait qu'il avait gagné à cet instant. L'autre avait été pris à son propre jeu, probablement habitué à servir de la bière dégueulasse à des étudiants ayant envie de décompresser après une journée bien remplie de cours. Or soudain … Le serveur sortit une carte, présentant pas moins de quinze triples différentes. Il y en avait pour tous les gouts … Pour la plupart originaires de Belgique et blondes, il y en avait toutefois des ambrées, et Atra eut un temps d'attente pour la choisir.

- Alors, monsieur ?

Le serveur avait gagné …

- Surprenez moi !

Avec un sourire satisfait, ce dernier s'exécuta. Atra remarqua alors qu'entre temps le bar s'était rempli. Une table dans un coin était désormais peuplée d'étudiants, de différentes origines, qui le regardaient en riant. Atra avait un peu de mal avec ça, ne sachant reconnaître le rire amical de la moquerie, et préféra ne rien ajouter. Il regarda un instant leur uniforme, avant de recevoir avec grand plaisir sa pinte de bière.

- Ambrée, de Hollande. Bonne dégustation.

Atra répondit par un sourire amical, et porta son verre aux lèvres. Puissante ! Fruitée ! Violente ! Une bière comme il les aimait. Des flammes vertes dansaient dans ses yeux ...

Le feux peut-il pour une fois ne pas tout détruire ?

Le dimanche, un drôle de jour. Une journée pour récupérer les gueules de bois du samedi soir, une journée pour rattraper le retard qu'on a accumulé dans la semaine, une journée où on se retrouve en famille... Un pincement au coeur réveilla Maëlle qui s'essuya d'un rapide revers de la main et elle s'enroula dans sa couette pour se cacher au plus profond de son lit. Elle avait une sainte horreur de ce jour. Jour stupide, jour paresseux, jour ignoble. Se rendormir, ne plus bouger jusqu'à demain. Oui c'était sa il fallait qu'elle se rendorme. Maëlle ferma les yeux le plus fort possible et pria pour s'endormir. Mais plus elle pensait à dormir, plus son cerveaux s'éveillé. Avec une violence enfantine, Maëlle poussa la couette qui pesait trois tonnes pour ses petits bras et s'assit sur le bord du lit en caressant le lierre qu'elle faisait pousser sur sa table de nuit. Inspirer, expirer... Elle ne devait pas se laisser submerger ainsi par des bêtises de solitude. Après une grande inspiration la jeune femme se leva d'un bond et décida de passer son seule dimanche de repos de l'année pour aller se promener dans le centre-ville.

Une fois vêtu d'une simple robe de printemps qu'elle avait choisi avec soin en voyant le magnifique soleil qui ornée le ciel. Et elle se félicita plusieurs fois de n'avoir pas mis son jean avec cette chaleur estivale. Les rues commerçantes  étaient remplit de marcheur du dimanche tous bien trop heureux pour remarquer une jeune femme solitaire en ce jour de rassemblement. Lorsqu'elle se rendit compte qu'aucune boutique ne l’intéressait réellement, un éclair de génie la traversa. Le seul endroit où elle retrouverait son bonheur c'était forcément le parc. D'un pas rapide elle se dirigea vers la petite parcelle de verdure de la ville. Elle passa les premiers chemins encore trop fréquenté puis elle s'asseoir sous un arbre protecteur. Cachait du soleil, la jeune femme ne bougeait plus, en écoutant uniquement la nature. Elle se promit d'aller bientôt passer quelques jours dans la forêt de l’île lorsque les cours seraient finit.

Après de longues minutes de détente, Maëlle se leva et marcha tranquillement entre les arbres sans se presser, sans s'inquiéter, en savourant uniquement l'instant présent. La tête dans les nuages où plutôt à contempler plutôt chacune des feuilles uniques de ces magnifiques chênes lui fut fatale une fois de plus. En avançant elle n'aperçut pas le petit bras de rivière devant elle et tomba à genou dans l'eau. Lorsqu'elle sentit ce liquide de malheur, briseur de rêve, d'espoir et de vie, Maëlle fut pris d'une panique, elle essaya de se relever mais glissa sur les pierres et retomba dans l'eau. Des larmes coulèrent sur ses joues, la terreur ravagé son visage. Lorsqu'elle réussit à se remettre sur la terre ferme elle alla se blottir contre un arbre. Après quelques minutes de repos, la petite se regarda. Sa robe trop courte pour avoir touché l'eau était intacte, mais son visage était humide. Elle sécha une nouvelle fois ses larmes et essaya de se relever. Son pied céda sous son poids lorsqu'elle s'appuya dessus. En s'énervant sur sa bêtise, Maëlle essaya d'avancer.

Au bout de quelques pas, elle se rendit compte qu'elle n'arriverait jamais à rentrer chez elle dans cet état. Heureusement un bar se dessinait à l'horizon. Elle s'en approcha avec difficulté. Plusieurs personnes la regardèrent étrangement mais personne ne l'approcha de trop prêt. Ils devaient tous avoir peur que cette inconnue leur fasse perdre du temps en cette belle journée de rassemblement. Elle manqua de tomber et se rattrapa à une table en terrasse du bar avant d'atteindre le serveur pour lui demander de l'aide. Elle se tourna rapidement et aperçu un homme... Que dis-je un géant fait de muscle imposant par rapport à cette brindille qu'était Maëlle. Son verre avait manqué à deux doigts de se renverser sur l'homme.

-Je suis vraiment désolée. Pardon excusez-moi.

Elle essaya de remarcher pour s'éloigner de l'homme et ne plus le déranger mais son visage fut brisé par la douleur.

Il sirotait sa bière tout son soul, et passait un moment des plus agréables dans ce petit bar, tandis que les étudiants allaient et venaient à l'intérieur. Son oreille dévia au gré des conversations … Ainsi il apprit malgré lui qu'un professeur de mathématiques du lycée avait de sérieux problèmes après avoir mis une de ses élèves enceintes, qu'une malheureuse étudiante avait tenté de mettre fin a ses jours en sautant du troisième étage et était dans un sale état.  Atra avait du mal à comprendre comment on pouvait en arriver à vouloir mettre fin à ses jours, même lorsque la vie paraissait sombre. Un jour, un ancien, qui vivait dans la même rue que lui en Grèce, et à qui il devait probablement la vie, car il se demandait de plus en plus si les caisses de nourritures abandonnées devant chez lui alors qu'il crevait la dalle n'avaient pas été laissées à son intention, lui avait fait part d'une maxime :

« De la lumière naissent les ténèbres, et des ténèbres viennent la lumière. »

Bien sûr, à l'époque, il était bien trop jeune pour comprendre ces quelques mots, mais depuis le viol d'Athénaïs, il avait compris que la vie réservait parfois de magnifiques surprises, et il sentait également que son arrivée sur l'île était une nouvelle aventure dont il allait profiter et apprécier. La vie n'était pas toujours blanche, ni noire, mais variait sur un spectre de nuances de gris, plus claire ou plus sombre selon les jours. Et pour certaines personnes, le clair n'était plus qu'un lointain souvenir …

Une jeune femme entra dans le bar, mais il ne se retourna pas tout de suite vers elle, trop occupé à terminer son verre. Or, il entendit à son passage des murmures et des rires fuser des tables du fond. Une petite voix s'éleva, demandant de l'aide au serveur, cassée, éplorée. Une boule noua le ventre du jeune homme qui se retourna en direction de la femme qui venait d'entrer. Elle était jeune, probablement plus que lui, de quelques années, ou bien avait un visage si doux qu'elle paraissait enfantine, il ne sut trop dire, car ce joli minois était brisé, déchiré par le chagrin et la douleur. La boule au ventre du grec s'intensifia, en même temps que les rires des spectateurs, qui ne lèveraient surtout pas leurs putains de petits doigts pour l'aider … Atra se leva alors, sans un mot et tendit son bras vers elle, pour l'aider à s'installer sur une table, mais celle-ci eut un mouvement, et sa main heurta le torse de celui-ci, déversant quelques gouttes de ce qu'elle buvait sur son maillot, tandis que le reste coula sur le sol. Soudain, la jeune femme le regarda dans les yeux et prit un air effrayé, se déversant en excuses, comme si elle venait de commettre l'irréparable. Il en fut gêné pour elle, elle n'avait absolument rien fait de mal. Elle essaya toutefois de s'éloigner de lui, mais immobilisée par la douleur, elle semblait ne pas pouvoir faire un pas de plus.

Les rires du fond de la salle s'intensifièrent, et il entendit très distinctement les moqueries, quolibets et autres insultes des étudiants, de la méchanceté à l'état pur, absolument pas édulcorée, qui infusaient à l'intérieur d'Atra une colère sourde, si bien qu'il dut serrer la mâchoire et même se mordre la langue pour ne pas aller coller quelques droites à tous ces abrutis et leur apprendre un peu à bien se tenir en société. Non mais sérieusement, c'était quoi ce monde où un type comme lui, qui avait arrêté l'école après le collège pour pouvoir s'occuper de ses petites sœurs devait apprendre la vie à des gens qui avaient accès à l'enseignement supérieur ? De qui se foutait on de la gueule ? Il ravala toutefois sa colère et posa une main amicale sur l'épaule de la jeune femme, tout en la maintenant afin qu'elle ne s'effondre pas.

- La, ça va aller mademoiselle. Vous n'avez rien fait de mal. Laissez moi vous aider à vous asseoir.

Sans attendre de réponse, il la soutint du côté droit, tandis que le serveur passa du côté gauche, et ils l'installèrent sur une chaise, devant une table inoccupée. Atra se releva ensuite, se gratta la barbe, et la fixa, soucieux.

- Vous êtes blessée ? Vous voulez qu'on appelle une ambulance ?

Elle n'avait vraiment pas l'air dans son assiette, mais il avait l'intuition que la blessure qui rongeait cette jeune femme était intérieure, sans toutefois savoir pourquoi. Il lui lança un regard doux et compatissant, tout en allant s'asseoir en face d'elle. Sa chaussure glissa sur un liquide au sol.

- Oh, votre verre ! Je vais vous racheter à boire, ne vous en faites pas. Vous pouvez lui remettre la même chose ? demanda-t'il au serveur qui était retourné derrière son comptoir.

On ria encore . Atramédès se retourna.

- Mais vous allez fermer vos gueules ?!? Elle avait besoin d'aide et personne ne bouge son gros cul pour l'aider … Ah, ça à part se foutre de la gueule des gens, on sait pas faire grand chose hein ? C'est ça qu'on vous apprend à la fac ? Bah putain je suis bien content de pas y être allé …

Il haleta, car il avait crié. Le silence s'installa dans la salle, et dura plusieurs secondes, durant lesquelles il regarda attentivement chacun des étudiants, qui baissaient les yeux les uns après les autres, avant qu'il ne reporte à nouveau son attention sur la jeune femme.

- Je suis désolé … Je supporte vraiment pas cette méchanceté gratuite.