Over the Rainbow ♪ [Elinou]

C’était une journée qui commençait comme bien d’autre. Un jour de week-end, qui débuterait par une matinée de travail bien remplie à la supérette où Elina travaillait depuis un moment maintenant. Sauf qu’une nouveauté allait se profiler aujourd’hui ! En effet, une nouvelle collègue allait rejoindre le staff déjà en place. Et l’identité de cette dernière était loin d’être un mystère… Car oui, ce n’était autre que la dénommée Lyra, la jeune fille rencontrée la veille, qui venait d’être embauchée. Sa patronne n’avait pas manqué de lui téléphoner, ravie, après que l’entretien avec la demoiselle fut terminé. Ce qui lui plaisait le plus, c’était que la postulante fut une amie de sa travailleuse à temps partiel : elle n’avait d’ailleurs pas manqué de marquer son étonnement en sachant que c’était elle qui l’avait invité à se présenter, alors qu’elle avait clairement marqué sa réticence quant au fait de voir quelqu’un les rejoindre. Mais Lyra avait su gagner la sympathie de la suijin, même si c’était surtout cela qui était le plus étonnant. Peut-être Elina avait-elle simplement vu en elle une personne qui avait besoin d’un certain soutien ? Ou tout simplement avait-elle senti que toutes deux pourraient bien s’entendre ? En tout cas, l’idée de travailler avec elle ne lui était pas aussi déplaisante qu’elle aurait pu le croire de prime abord…

Malgré tout, elle restait un peu anxieuse : après tout, elle demeurait presque une inconnue, et surtout, elle ne connaissait pas son comportement au travail. D’autant plus qu’elle avait la lourde tâche d’assister la nouvelle pour la familiariser avec son nouveau travail ! Cela faisait d’elle une « senpai », comme on le disait dans la langue que parlait sa petite amie. Saurait-elle se montrer à la hauteur ? Certes, elle savait à peu près tout ce qu’il y avait à savoir sur le travail à effectuer, mais de là à l’apprendre à quelqu’un d’autre… Soit, ce n’était qu’une nouvelle tâche comme elle avait dû en apprendre tant d’autres, elle ferait donc en sorte de s’en acquitter aussi bien que possible !

C’était donc avec ce genre de pensées en tête qu’Elina s’affairait à mettre en rayons les produits frais qui venaient d’être déchargés. Ne restant plus que quelques caisses, la patronne s’en occupait tandis qu’elle-même commençait à en disposer le contenu. La supérette n’allait pas tarder à accueillir ses premiers clients, il n’y avait donc pas de temps à perdre ! C’est à ce même moment que Lyra arriva, venant saluer sa future collègue avant de filer se changer dans les vestiaires. Il était tant pour la senpai en elle d’entrer en action ! Elle continua cependant sa tâche le temps que la demoiselle n’ait fini de revêtir l’uniforme que devait lui avoir donné sa patronne. Non, LEUR patronne, devait-elle penser désormais !

Peu de temps après, Lyra sortit des vestiaires, et vint la rejoindre. Son uniforme était violet, tiens… Un bref instant, Elina se demanda d’où la patronne pouvait bien sortir tous ces uniformes, elle qui n’avait jamais embauché personne jusque-là… Mais soit, ce n’était pas le moment de penser à ce genre de chose, si bien qu’Elina se concentra sur l’instant présent. Première chose à faire : accueillir la nouvelle ! Essayant d’accrocher un sourire avenant sur son visage, elle lui dit :

- Coucou Lyra ! B-Bienvenue parmi nous ! Prête pour ta première journée ?

Bon, son ton était un peu moins assuré qu’elle ne l’aurait souhaité, mais c’était déjà ça ! En tout cas, maintenant que c’était chose faite, elle pouvait commencer à l’initier aux tâches qu’elle devrait accomplir.

- Pour commencer, tu peux m’aider à mettre les articles en rayons ? Si tu hésites pour l’une ou l’autre chose, n’hésites pas à me demander !

Le meilleur moyen de lui faire découvrir son travail, c’était de lui faire l’accompagner pour qu’elle voie comment faire. Ainsi elle pourrait l’aider en cas de besoin !

Lyra se lança rapidement à l’assaut des rayons, remplissant les étagères là où les marchandises manquaient. Elle attrapa rapidement le coup de main, s’aidant des articles déjà présent pour se repérer ou bien faisant appel à Elina lorsque la position de certains articles lui était étrangère. À deux, elle avançait rudement bien, et ce n’était pas pour déplaire à la suijin qui sentait que les portes de la supérette ne tarderaient pas à s’ouvrir… Et souvent, l’un ou l’autre client attendait déjà devant l’entrée afin de pouvoir bénéficier en premier des éventuelles promotions du jour. Si bien qu’il valait mieux se dépêcher de tout finir…

La mise en rayon des articles ne tarda pas à s’achever, et une fois le rangement terminé, il était temps de passer à la prochaine mission… D’ailleurs, Lyra se demandait justement ce qu’elles devaient encore faire avant l’heure d’ouverture. Elina s’empara de quelques affichettes cartonnées, et en tendit une partie à sa collègue, avant de lui expliquer de quoi il s’agissait :

- Ici, on fait des promotions différentes tous les jours. Ainsi, cela donne envie au client de revenir plus souvent, pour pouvoir acheter une plus large variété d’articles à chaque fois. Ça réduit le chiffre d’affaires, mais on gagne davantage de clients, donc au final, on y gagne ! Alors, il fait placer les affichettes au-dessus des articles concernés. Voyons, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui…

Elina prit une planche à pince sur laquelle étaient fixées différentes feuilles de papier. Il s’agissait de la liste journalière des différents articles à mettre en promotion. Ayant trouvé celle du jour, elle la montra à Lyra, et désigna la première moitié des articles mentionnés. Elle aurait donc pour tâche d’aller placer les affichettes pour ces articles, en veillant à bien respecter le pourcentage de la réduction proposée. Elina mémorisa rapidement ceux dont elle s’occuperait elle-même, avant de confier le document à sa collègue, et s’enfonça parmi les rayons pour s’occuper de sa propre tâche. Il ne fallut guère de temps pour que cela soit accompli, et toutes deux se retrouvèrent devant le comptoir : la patronne allait bientôt ouvrir les portes ! Avant cela, Elina décida de donner quelques conseils à Lyra :

- La politique de la maison est de saluer chaque client lorsqu’il rentre dans la supérette où lorsqu’il en sort : si tu te trouves en rayon, il faut également saluer ceux que tu n’as pas encore vu. Si l’un d’eux te pose une question à laquelle tu ne sais pas quoi répondre, n’hésites pas à les envoyer vers moi.

En plus de ces conseils, quelques petites informations lui semblaient également de rigueur :

- Certains de nos clients ont parfois tendance à vouloir discuter, surtout parmi les habitués. Alors, ne t’étonnes pas si l’on vient te parler comme si de rien n’était, même si tu es nouvelle. Les gens ici sont plutôt sympathiques, surtout avec les étudiantes comme nous. Il y a aussi un vieux monsieur qui aime jouer les beaux parleurs… Il n’est pas méchant, mais la patronne m’a dit qu’il avait parfois les mains un peu baladeuses. S’il tente quelque chose, dis-lui qu’Elina va se fâcher, ça devrait le calmer… La patronne le fait aussi, alors il connait bien cet avertissement !

Malgré son jeune âge, Elina était un peu comme le service de sécurité de la supérette. Depuis qu’elle avait mis en déroute cette bande de délinquants qui s’en était pris à une cliente, nombreux étaient ceux qui savaient qu’il valait mieux éviter de la mettre en colère ! Malgré tout, il restait toujours des inconscients pour venir chercher les ennuis, dès lors il valait mieux prévenir la jeune fille de la marche à suivre :

- Si quelqu’un te semble suspect, ou qu’il fait quelque chose de mal, ne fais rien, je m’en chargerais ! Essaie juste de me prévenir discrètement, et j’agirais en conséquence. Mais bon, tu ne dois pas t’inquiéter. La plupart des clients me traitent comme une mascotte, alors je suppose qu’il devrait agir de la même façon avec toi…

Elina soupira légèrement à la fin de ces paroles. Elle avait un certain succès auprès des clients, surtout avec les personnes âgées. Si bien que cela apportait parfois certains désagréments… Mais rien de bien fâcheux, même si elle n’appréciait pas trop qu’on lui demande d’être pris en photo avec elle… Sa patronne, elle, s’en amusait, et affirmait même que c’était elle qui faisait davantage le succès de son commerce que les différentes mesures marketing qu’elle mettait en place ! Un petit bruit électronique lui indiqua  que la porte venait d’être déverrouillée : la supérette venait d’ouvrir !

Rapidement, les premiers clients firent leur entrée dans la supérette. À cette heure-ci, c’était surtout des personnes âgées qui venaient, mais il n’était pas rare que certains clients plus jeunes ne viennent chercher leur bentô avant d’aller rejoindre le lieu de leur travail. De ce que sa patronne lui avait dit, c’était surtout en semaine que l’on retrouvait ce genre de clients, étant donné que beaucoup était en repos le week-end. D’autres préféraient attendre la fin des heures d’ouverture, afin de pouvoir bénéficier des promotions tardives qu’il y avait chaque jour. Quoi qu’il en soit, le mélange des clients qui passaient de cette boutique était assez hétéroclite, ce n’était donc pas la variété qui manquait !

Parmi les premiers clients à se présenter, surgit nul autre que ce vieil homme précédemment évoqué. À croire qu’il avait senti que l’on avait parlé de lui ! Cela prouvait encore une fois l’adage « lorsqu’on parle du loup, on en voit le bout de la queue » ! Il ne tarda pas à saluer la jeune suijin, lui faisant remarquer qu’elle n’était pas seule aujourd’hui. Ce fut d’ailleurs Lyra qui se chargea de prendre la parole, annonçant qu’elle avait déjà entendu parler de lui. Elle faisait fort pour avoir réussi à l’identifier aussi facilement ! Il faut dire que le bonhomme avait un style particulier, qui ne manquait pas de mettre la puce à l’oreille… Une fois leur petite conversation terminée, le vieil homme alla se perdre dans les rayons, et peu de temps après, Lyra alla en faire de même. Elina, elle, alla remplacer la patronne derrière la caisse, cette dernière voulant en profiter pour faire tout ce qui était travail administratif.

La matinée s’écoula comme un rien : les clients entraient, faisaient leurs achats, et sortaient. Il n’y avait pas grand monde, ce qui n’était pas vraiment étonnant pour un dimanche, les clients venant davantage la veille pour faire le plus gros de leurs achats. Et là encore, ils privilégiaient souvent le supermarché, qui offrait davantage d’articles en tout genre. Lyra se débrouillait pas mal, les clients passant à la caisse disant le plus grand bien de la nouvelle recrue de l’équipe. Voilà qui était rassurant, elle semblait s’acclimater facilement à ce nouvel environnement. Peut-être cela était-il dû à une expérience passée dans le domaine ? En tout cas, il ne lui faudrait pas beaucoup de temps pour être parfaitement autonome comme elle-même l’était déjà.

L’heure avança, jusqu’à ce que le moment de faire une pause s’approche. Avec Lyra à présent, comment cette dernière serait-elle organisée ? Comme si la patronne avait pu lire ses pensées, elle arriva pour annoncer qu’elle pouvait prendre sa pause :

- Prends Lyra avec toi, elle a bien mérité d’en prendre une elle aussi !

Avec un hochement de la tête, Elina céda sa place à sa patronne, et alla à la recherche de sa collègue. Cela lui faisait vraiment bizarre de considérer une autre comme cela… Mais ce n’était pas désagréable pour autant ! Elle n’eut pas longtemps à chercher pour la trouver, et l’invita à la suivre :

- Lyra ? C’est l’heure de la pause. Viens, je vais te montrer où se trouve la salle de repos.

Elle prit la tête, passa derrière le comptoir, et s’engouffra dans un petit couloir avec d’un côté un escalier menant à l’étage, et de l’autre, les vestiaires ainsi qu’une pièce dans laquelle se trouvait une table et plusieurs chaises : la salle de repos. Elina se dirigea vers la fontaine à eau située dans un coin pour se servir un peu d’eau avant de s’asseoir sur l’une des chaises avec satisfaction. Lorsqu’elle eut vidé son gobelet, elle se tourna vers Lyra et lui demanda :

- Alors, comment se passe ta première journée ?

Elle était curieuse de voir quel était le ressenti de la jeune fille suite à ces premières heures de travail. De ce qu’elle pouvait supposer, tout c’était bien passé, mais ce n’était pas pour autant qu’elle appréciait le déroulement de sa journée. Quelle serait donc sa réponse ?

Comme elle l’avait supposé, la matinée s’était bien passée. Il n’y avait eu aucun incident à signaler, aucune plainte de la part des clients, dès lors, il n’était pas étonnant que Lyra affirme cela. Malgré tout, un bâillement prit le relais des paroles de la demoiselle, signe manifeste d’une certaine fatigue. Sur ce point, Elina ne pouvait pas la sermonner, ce genre de travail en staff réduit demandait un certain temps d’adaptation, et le corps ne suivait pas toujours… Elle-même, et la fin de sa première journée de travail, était complètement vidée, alors ce n’était pas comme si elle ne pouvait pas comprendre…

Cependant, ce n’était pas tant la journée de travail que l’accumulation des évènements de la semaine toute entière qui était responsable de ce bâillement… Elina ne pouvait que deviner de quoi cette dernière s’était composée, mais elle ne doutait pas que son arrivée sur l’île ne s’était pas faite sans quelques chamboulements émotionnels… Sans compter qu’elle devait avoir de la famille, et même surement des amis laissé derrière elle, ce qui devait déjà être assez difficile à vivre. Mais soit, elle n’était pas du genre à fourrer son nez où il ne fallait pas, et si Lyra voulait parler de ce qui pouvait la travailler, elle le ferait certainement. Enfin, du moins, elle le supposait…

Finalement, la demoiselle lui retourna la question, bien que la tournure de sa question laissait deviner qu’elle parlait plus de son vécu général que du déroulement de la journée. Elle ajouta même qu’elle était légèrement jalouse du succès qu’elle avait auprès des clients. À cela, Elina se gratta la joue d’un air embêté, ne sachant comment réagir… Elle s’accorda un instant de réflexion avant de répondre :

- Eh bien, ce serait mentir que de dire que je n’aime pas mon travail ici. La patronne est vraiment gentille, elle a bien voulu embaucher une parfaite débutante comme moi, malgré une situation financière un peu précaire… Ça change…

Oui, le comportement de la femme d’âge mûr lui avait paru improbable, vu la façon dont son entourage se comportait avec elle lorsqu’elle était encore en Russie. Malgré tout, cette gentillesse gratuite lui avait permis de s’adapter rapidement au travail. Même, au fond d’elle, Elina avait voulu faire de son mieux pour la remercier de cet accueil chaleureux, même si elle n’en avait pas conscience, et qu’elle n’aurait jamais voulu l’avouer si cela avait été le cas.

- Pour tout te dire, j’ai encore un peu du mal à me faire à ce « succès » que j’ai auprès des clients. Surtout que je n’ai rien fait pour ça… Au contraire, j’étais un peu froide et distante avec eux au départ, mais ça ne les a pas empêché de m’apprécier, je comprends pas pourquoi…

Même si elle avait une grande sœur qui n’arrêtait pas de la qualifier de mignonne et une petite amie qui en faisait de même, Elina avait encore du mal à se voir de cette façon. Le dégoût manifeste que les gens manifestaient envers elle avant d’arriver sur l’île avait laissé des traces, qui l’empêchaient de se voir telle qu’elle était vraiment. Il n’en restait pas moins qu’elle était surprise de voir les gens capable de s’amouracher d’une fille revêche comme elle l’était à ce moment-là…

- Au début, je n’aimais pas venir. Je voulais trouver un vrai travail, pour devenir autonome, mais je me suis retrouver inscrite au lycée Danshi de force, dès lors, ce petit boulot me semblait presque comme une punition, pour me rappeler que je ne pouvais pas avoir mieux avant d’avoir un diplôme dont je ne voulais pas… Mais je ne voulais pas dépendre entièrement de ma grande sœur, alors j’ai travaillé malgré tout. Maintenant, je ne regrette pas ces choses qui me semblaient si détestables au début…

Elina ne s’était même pas rendu compte qu’elle avait évoqué Emily en l’appelant grande sœur, c’était devenue une telle habitude depuis quelques temps que cela devenait presque automatique. Encore un signe de son évolution au niveau de sa sociabilité. Elle s’était également épanchée plus que nécessaire… Peut-être que Lyra arrivait à la mettre en confiance ? En tout cas, elle crut bon de conclure en révélant une dernière chose :

- Je trouve que tu te débrouilles très bien ! Je pensais que ce serait plus difficile de devoir guider une nouvelle, mais je n’ai presque rien à t’apprendre. La patronne m’avait dit que, comme je te connaissais, ce serait plus facile pour toi et pour elle que je m’occupe de toi, et ça m’angoissait un peu… Mais je n’avais pas de raisons de m’en faire, après tout ! Même les clients m’ont dit beaucoup de bien de toi.

Elle termina sa phrase par un de ces sourires ratés qu’elle n’avait pas encore l’habitude de faire sans qu’une émotion forte ne brise la barrière des zygomatiques atrophiées. Elle espérait malgré tout que Lyra puisse voir la bienveillance qu’elle essayait de lui transmettre via ce dernier. Oui, peu à peu, Elina redevenait celle qu’elle était, avant que la méchanceté de certains ne vienne détruire cette personnalité joviale et amicale. Même s’il était fort à parier qu’elle garderait toujours une part de méfiance à l’égard des autres…

Lyra l’avait écouté avec attention tout le temps durant lequel elle avait fait part de son ressenti et de son vécu quant à son travail. D’ailleurs, à la réflexion, elle avait peut-être un peu trop monopolisé le temps de parole… En tout cas, c’était maintenant à la nouvelle venue de s’exprimer, chose qu’elle ne tarda pas à faire son qu’Elina eut besoin de l’inviter à le faire. Elle lui confia alors qu’elle aussi, elle travaillait pour aider son grand frère, afin de ne pas devoir entièrement dépendre de lui. La jeune russe se demanda si ce dernier était lui aussi présent sur l’île, ou s’il était resté à l’endroit duquel Lyra avait été arraché il y a peu. Dans ce dernier cas, il était fort à parier qu’elle aussi était orpheline… Même si, techniquement parlant, Elina ne l’était pas tout à fait, chose qu’elle ne manquait pas de réfuter véhément au fond d’elle-même chaque fois que ses pensées s’égaraient du côté de son père…

Elle raconta ensuite qu’elle n’en était pas à sa première expérience professionnelle, et que, déjà chez elle, elle travaillait en même temps qu’elle suivait les cours. Ce qui n’avait pas été facile, chose qu’Elina pouvait enfin comprendre maintenant qu’elle avait des gens qu’elle avait envie de voir lorsqu’elle avait du temps libre. Lyra aussi avait eu un certain succès, par le passé, auprès des personnes qu’elle côtoyait dans le cadre de ces petits boulots, ce qu’elle non plus ne s’expliquait pas. Elina, elle, n’était pas vraiment étonnée, dans le sens où la demoiselle semblait être quelqu’un de joyeux, de sociale, contrairement à ce qu’elle-même était devenue… Maintenant qu’elle y pensait, elle se demandait à quoi elle pourrait ressembler, si elle n’avait pas vécu les évènements qui l’avaient à ce point transformé. Elle qui était si joyeuse, avant, s’était refermée comme une huître…

Le silence s’installa entre les deux jeunes filles, qui n’avaient semble-t-il plus rien à se dire. Même si, de la part d’Elina, qu’elle en ait dit autant était déjà un fait remarquable en soi… Cette dernière se laissa alors aller dans ses pensées, sans vraiment plus prêter attention à ce qui se passait autour d’elle. Ce ne fut que lorsque Lyra demanda son attention qu’elle se rendit compte qu’elle se tenait à ses côtés, et elle releva machinalement la tête pour la fixer. Ce qui se déroula ensuite la surprit au plus haut point ! La demoiselle, sans crier gare, l’enlaça… Elle alla même lover sa tête contre la sienne, tandis qu’elle-même restait figée, sans savoir que faire. Au bout d’un court instant, elle la libéra, et s’écarta en lui souriant. Elina, elle, était perdue… Pourquoi est-ce qu’elle avait fait ça !? Cette étreinte était différente de celles qu’Asami lui donnait régulièrement, lorsqu’elle lui sautait dessus en guise de bonjour. C’était plus… Elle ne savait pas comment le qualifier, mais cela semblait être plus qu’une simple lubie… Un besoin de réconfort ? Un remerciement ? Elle n’aurait pas pu dire qu’elle était la motivation qui avait été la cause de ce câlin… Les joues rouges, le regard perdu, la suijin ne fut ramené à la réalité que lorsqu’une toux discrète retentit un peu plus loin. Tournant vivement la tête dans la direction de cette dernière, Elina découvrit la patronne, dépassant à moitié dans l’ouverture de l’entrée de la salle de repos, comme si elle ne savait pas si elle devait se faire discrète ou bien au contraire se manifester plus efficacement. Cependant, le sourire qu’elle affichait était redoutable de signification, et la preuve lui en fut donné lorsqu’elle prit la parole :

- Désolée de déranger, je voulais savoir si tu pouvais venir quelques minutes à la caisse, mais ça attendra un peu. Je vous laisse entre vous ~

Et elle repartit, avec ce petit sourire en coin qui montrait clairement qu’elle avait mal interprété la situation… Celle-ci était déjà assez bizarre pour qu’elle ne vienne pas en rajouter une couche ! En plus, elle savait bien que… qu’elle avait déjà quelqu’un qu’elle aimait ! Enfin, elle n’avait jamais vu à quoi ressemblait Sayu, elle n’était même pas sure de lui avoir jamais dit comment elle s’appelait… Mais quand même, c’était… frustrant de se retrouver dans ce genre de situation gênante ! Maintenant qu’elles étaient en tête à tête, Elina se sentait un peu mal à l’aise… Elle ne savait toujours pas comment interpréter le geste qu’avait eu Lyra, dès lors, il était temps de clarifier ses intentions :

- Euh, L-Lyra… P-Pourquoi tu… as fait ça ?

Ses joues s’empourprèrent à nouveau, tandis qu’elle attendait une réponse. Bien qu’elle en doutait, si jamais elle avait fait ça parce qu’elle avait des sentiments pour elle, elle devrait tout de suite l’avertir que rien ne serait possible. Elle ne voulait pas lui donner de faux espoirs, lorsqu’aucune romance n’était possible entre elles…

Légèrement anxieuse, Elina attendait une réponse qui n’allait pas tarder à arriver. Elle connaissait à peine la jeune fille qui lui faisait face, si bien qu’elle ne savait pas comment elle devait réagir. Pour quelqu’un d’aussi réservée qu’Elina, un câlin revêtait bien plus d’importance que d’autres pouvaient bien en accorder, mais elle savait aussi que pour certains, c’était un geste d’une banalité affligeante… Cependant, même en sachant cela, elle n’en restait pas moins surprise qu’elle ait un geste de ce genre avec une personne rencontrée la veille, et avec qui elle n’avait passé que quelques heures tout au plus. Mais s’il y avait une raison plus profonde… La réponse arriva alors, bien qu’un peu hésitante : pour elle, ce n’était qu’un geste d’affection qu’elle offrait régulièrement à ceux auxquels elle était attachée. Elina se détendit en entendant cela, bien qu’elle fut malgré tout surprise d’être déjà considérée comme telle par la jeune fille. Mais là encore, certaines personnes étaient bien plus affectueux qu’elle-même ne l’était, dès lors elle n’était pas vraiment la plus apte à juger de la légitimité de cette affection que lui portait déjà sa collègue de travail…

La discussion aurait pu s’arrêter là, mais Lyra avait encore une chose à dire : elle voulait savoir si, de temps en temps, elle pourrait à nouveau la câliner. Voilà une question à laquelle répondre se révélait difficile… Elina n’était pas vraiment friande de ce genre de gestes, ou alors, avec les personnes pour qui elle ressentait des émotions particulièrement fortes… Actuellement, il n’y avait que trois personnes pouvant prétendre à ce titre, et malheureusement, elle ne considérait pas encore la demoiselle comme un membre de ce cercle très fermé. Néanmoins, devait-elle pour autant lui refuser ce petit geste ? Après tout, bien que surprenant, cela n’avait pas été désagréable… Face à ce dilemme, Elina apporta finalement une réponse :

- Je… veux bien. Mais pas trop souvent, quand même…

Elle dit cela en se grattant la joue d’un air embarrassé. Si la demoiselle n’abusait pas trop des contacts physiques, alors elle lui donnait l’autorisation d’y avoir recours. Elle n’était pas sure que Sayu serait particulièrement enchantée de savoir qu’une quasi inconnue voulait la prendre dans ses bras, et qu’elle-même avait accepté, mais ce geste étant parfaitement anodin de son point de vue comme de celui de la jeune fille, il n’y avait pas matière à reproche, n’est-ce pas ? Enfin, il fallait bien avouer qu’il serait hypocrite de sa part d’en vouloir à sa petite amie de ne pas être enchantée de savoir cela, vu qu’elle-même risquait fort de foudroyer du regard celui ou celle qui prendrait sa chérie dans ses bras…

Maintenant qu’elle y pensait, Elina se demandait si elle ne devait pas ressembler à une peluche. Cela expliquerait peut-être pourquoi les gens se montraient si attentionnés envers elle, et aussi pourquoi on avait tendance à la câliner sans crier gare. Que ce soit Emily, Asami ou bien maintenant Lyra, elles étaient toutes les trois tentées de la prendre dans ses bras peu de temps après l’avoir rencontrée… Heureusement que les mâles n’avaient pas cette même manie, le taux de fécondité sur l’île risquerait de chuter brutalement… Soit, maintenant que cela était réglé, Elina s’empressa de dire :

- Je vais aller en caisse, pour que la patronne puisse faire… ce qu’elle a à faire.

Avec de la chance, il n’y aurait aucun client dans la supérette quand elle arriverait, et pourrait s’expliquer avec elle… Sinon, elle devrait remettre cette conversation à plus tard, sinon, elle sentait bien que la patronne risquait fort de leur offrir leurs pauses en même temps pour qu’elles puissent réitérer ce genre de chose tranquillement…

Elina s’apprêtait à rejoindre la partie « ouverte » de la supérette lorsque Lyra lui proposa de l’accompagner, afin de s’expliquer elle aussi avec la patronne. Une proposition bien généreuse, mais que la suijin refusa malgré tout. La raison était simple, elle ne voulait pas que ce qui venait de se passer dans la salle de repos ne soit entendu par d’éventuels clients en caisse, si bien qu’il n’était pas sûr qu’il y ait une conversation à tenir dans un premier temps. Inutile donc que la demoiselle ne raccourcisse sa pause pour rien ! Et puis, si toutes deux venaient se justifier en même temps, cela pourrait faire pire que bien, comme si elles cherchaient à faire taire la vérité. Et puis, elle connaissait la patronne depuis plus longtemps, ses paroles auraient donc plus de poids, du moins le pensait-elle…

Lorsqu’elle déboucha derrière la caisse, une cliente terminait de régler la somme due pour ses emplettes. Et il n’y avait personne derrière elle… L’occasion était donc parfaite pour mettre au fait ce que sa patronne avait cru voir ! Cependant, aborder le sujet n’était pas chose aisée pour autant… Malgré tout, Elina n’hésita pas à prendre la parole :

- A-Au fait…

Elle n’eut pas besoin d’en dire davantage, car la patronne la regarda en souriant, avant de pouffer légèrement de rire. Quelque peu décontenancée, Elina ne sut comment réagir devant ce bref instant d’hilarité, et garda donc le silence. Heureusement, cela ne dura pas plus de quelques secondes, et les raisons de ce dernier lui fut alors révélé :

- Désolée Elina, je ne voulais pas t’embêter ! Je me doute bien que ce n’était rien de sérieux, tu es trop amoureuse de ta chérie que pour aller batifoler avec une autre. Et puis, si cela avait été elle, tu n’aurais pas réagi de cette façon quand elle t’a prise dans ses bras ! Mais je n’ai pas pu résister à l’envie de te taquiner un peu ~

Elina était quelque peu secouée par cette révélation. Elle s’était donc moquée d’elle, et c’était quelque chose qu’elle avait beaucoup de mal à supporter… Heureusement, elle pouvait bien sentir qu’il n’y avait aucune malice derrière ce mauvais tour, ce qui ne l’empêcha pas de gonfler les joues d’un air boudeur tout en croisant les bras, ce qui ne manqua pas de refaire rire sa supérieure. Avec un petit soupir, Elina reprit contenance, et reprit cette expression proche de la neutralité qui était habituellement la sienne. Juste à temps avant le retour de Lyra, qui venait de mettre un terme à sa pause elle aussi. La patronne en profita pour confier une nouvelle tâche à Elina, celle de montrer comment se servir de la caisse à leur nouvelle employée. Elle opina du chef pour marquer son accord, et elles se retrouvèrent à deux, leur supérieure étant surement partie accomplir cette tâche qui avait nécessité qu’Elina la remplace. Elle profita donc de ce départ pour confier la vérité à Lyra :

- Il n’y avait aucun malentendu, la patronne s’est simplement amusée à mes dépens…

Une fois cela dit, elle entreprit d’expliquer le fonctionnement de la caisse à sa collègue, lui montrant comment encoder les achats, ajouter les promotions, procéder à l’encaissement et bien d’autres choses encore. Une fois cela fait, elle lui laissa le contrôle des opérations, restant à ses côtés si il y avait quelque chose qu’elle avait oublié, ou bien si elle se trouvait confrontée à une situation non évoquée.

Les clients défilaient, et au fur et à mesure de leur passage, Lyra s’améliorait quant à sa gestion de la caisse. Cette rapide adaptation était remarquable, et Elina fut soulagée de ne pas la voir commettre d’erreurs conséquentes. Cette demoiselle se révélait un renfort très efficace, ce n’était donc pas simplement par ce qu’elle était venue sous sa recommandation que la patronne l’avait embauchée… Rien n’aurait été pire que si elle avait pris sa décision ainsi, et qu’au final, la nouvelle employée s’était révélée être une parfaite incompétente… Elle aurait pris cher pour son grade !

Mais il était inutile de s’imaginer ce qui se serait passé pour une chose qui n’arriverait jamais. Cependant, il fallait bien l’avouer, rester à observer les faits et gestes de Lyra n’était pas franchement des plus passionnants, d’autant plus qu’elle n’avait pas de remarque à lui faire quant à l’exécution de son travail. D’ailleurs, même cette dernière remarquait que la supervision de sa chaperonne n’était plus vraiment nécessaire, et elle lui proposa de vaquer à d’autres occupations. Ce à quoi Elina acquiesça, et elle contourna le comptoir pour retourner voir ce qu’il se passait dans les rayons.

Cependant, avant qu’elle n’ait pu mettre à exécution sa décision, Lyra l’interpella à nouveau. Elle lui désigna un jeune, du moins en avait-il la dégaine, qu’elle pensait avoir déjà vu plus tôt dans la journée. Cela lui paraissait être un comportement suspect, et avait un « mauvais pressentiment », bien qu’elle ne se montra pas plus explicite à ce sujet. En effet, qu’il vienne deux fois de suite dans la même matinée, ce n’était pas anodin, bien que pas particulièrement inquiétant. Ce qui interpellait davantage Elina, par contre, c’était qu’il semblait sur le qui-vive, comme s’il craignait que les boîtes de céréales rangées sur les rayons à côté de lui ne se mettent à lui sauter dessus. Un tel comportement demandait quelques vérifications…

- Je vais aller voir, merci de me l’avoir signalé…

L’air sereine, Elina alla à la rencontre du jeune homme, bien que ce fut à contrecœur. Même si c’était pour le travail, devoir parler avec un être de cette engeance n’était jamais un plaisir… Certes, certains mâles étaient plus sympathiques que d’autres, et elle aurait presque donné le bénéfice du doute à certains de ses camarades de classes. Presque… Car elle savait bien que sous leurs faux-airs de gentils garçons se cachait de redoutables prédateurs qui n’avaient qu’un seul type de pensée en tête… Il n’était pas donné à tout le monde d’agir de façon civilisée…

Lorsqu’elle se trouva à quelques pas de lui, Elina se permit une petite inspection des pensées de ce client suspect. Elle n’aimait guère recourir à ce genre de procédé, cependant, dans le cas actuel, mieux valait mettre de côté ses réticences… Malgré tout, elle ne s’aventura pas plus profondément que nécessaire, et se contenta d’écouter les pensées qui lui traversaient l’esprit à cet instant. Sans grande surprise, les mots « vol » et « comment ne pas se faire choper » occupaient une place certaine dans son charabia intérieur. Sa panique, cependant, semblait venir d’ailleurs que de la crainte de se faire sermonner pour son délit… Cela demandait quelques éclaircissements, et quoi de mieux que de le demander de vive voix ?

- Eh toi là, je peux te dire un mot ?

Comme s’il avait été monté sur ressorts, le gamin fit un bond impressionnant de plusieurs centimètres lorsqu’il entendit qu’on l’interpellait. On était loin du pro du vol à l’étalage… Il fit presque aussi vite volte-face, et toisa Elina avec une expression qui mêlait étrangement terreur, frustration et défi. Se contentant de hausser les sourcils, Elina lui dit :

- Si tu ne comptes rien acheter, tu ferais mieux de déguerpir. Tu n’as encore rien volé, donc je veux bien te laisser partir sans représailles. Mais mon offre est limitée dans le temps…

Elle avait dit ça en croisant les bras et tapant du pied sur le sol, façon de montrer qu’elle ne ferait preuve que d’un minimum de patience. Cependant, malgré qu’il fut pris sur le fait, le garçon ne semblait pas vouloir prendre sa bienveillance en compte… D’ailleurs, son air de défi ne fit que s’accentuer, bien que ses jambes tremblantes contrastaient un peu avec le côté imposant qu’il cherchait à se donner… Toujours est-il qu’il sera les poings avant de prendre à son tour la parole :

- S-Si tu crois que j’ai peur, tu te trompes ! J-Je veux tout l’arg-gent qu’il y a dans l-la c-caisse, e-et t-tout de s-suite !!!

Sur ce, il sortit un couteau de sa veste, qu’il brandit devant lui comme une épée… tout en fermant les yeux. Elina fixa la lame sans sourciller. On aurait dit un petit rongeur battant des pattes devant un serpent prêt à fondre sur lui… La réaction du gamin lui donnait l’impression d’être la méchante dans l’histoire, et elle n’appréciait pas vraiment cette sensation… Si bien qu’elle se contenta de faire un geste nonchalant de la main, recouvrant par la même occasion la lame du couteau de glace, rendant l’arme parfaitement inoffensive. De surprise, le garçon lâcha le dit couteau et recula de plusieurs pas, avant de s’arrêter et de réafficher  cette même expression de défi qui ne correspondait vraiment pas à ses actes. L’idée vint à Elina que ce gamin, peut-être, avait une raison d’agir de la sorte. On aurait vraiment dit qu’il faisait tout cela à contrecœur, mais qu’il ne voulait pas lâcher l’affaire pour autant… Non, ce n’était pas tant qu’il ne voulait pas, mais plutôt qu’il ne POUVAIT pas le faire… Les larmes perlant dans le coin des yeux du gamin tendirent à prouver cette hypothèse…

Alors, elle fouilla à nouveau dans l’esprit du jeune homme, un peu plus en profondeur cette fois. Et la cause de ce pseudo braquage lui apparut rapidement, car il ne faisait que penser à ça. Des voyous se trouvaient de l’autre côté de la rue, attendant que leur larbin ne fasse la sale besogne à leur place. Et il lui avait donné la meilleure motivation qui soit : elle tenait sa sœur en otage… Elina doutait que ces petites frappes aillent jusqu’à faire du mal à sa sœur, mais lui, en tout cas, en était persuadé. À tort, ou à raison, ça, elle l’ignorait… La situation était devenue quelque peu compliquée : elle ne pouvait décemment pas laisser le garçon accomplir sa tâche, et ainsi laisser ces voyous remporter la partie. Mais, d’un autre côté, cela revenait à éventuellement mettre sa sœur en danger… Bien sûr, il y avait une autre option : celle consistant à ce qu’elle aille régler cette affaire en personne ! D’autant plus que de savoir cette pauvre âme innocente entre les mains de ces dangereuses créatures qu’étaient des hommes de cette nature la faisait trembler de dégoût. Dieu seul sait ce qu’il pourrait faire s’ils étaient vraiment sérieux dans leurs menaces ! Mais pouvait-elle se permettre de quitter le magasin ainsi ? La dernière fois, cela c’était plutôt mal terminé… pour les voyous. Alors qu’elle réfléchissait à la meilleure conduite à adopter, une silhouette commençait à se rapprocher…

Toute entière concentrée sur le garçon lui faisant face, Elina n’avait pas fait attention à la personne qui arrivait dans son dos. Aussi, lorsqu’une nouvelle voix, grave et fluide, retentit derrière elle, la suijin ne put-elle s’empêcher de sursauter légèrement. Elle se sentait bête de s’être laissé surprendre aussi facilement, mais réussit à cacher son embarras grâce au sérieux de la situation dans laquelle elle se trouvait. Car le dilemme n’était toujours pas résolu, elle devait essayer de trouver la meilleure solution…

Cependant, cette dernière se présentait à elle d’une façon inattendue. Pensant avoir affaire à un client lambda, Elina se retourna machinalement vers le propriétaire de la voix, qui se révélait être un jeune homme aux cheveux blonds. Presque instinctivement, elle ressentit une vive antipathie envers ce dernier… Certes, elle détestait tous les hommes. Ce n’était donc pas étonnant que la vue de ce dernier ne suscite chez elle ce genre de réaction… Mais ce sentiment était renforcé contrairement à ce qu’il était d’habitude, et elle découvrit rapidement la raison de ceci : l’homme se présenta comme le grand frère d’un jeune garçon. Ce dernier avait pensé à sa sœur, plus jeune ou plus âgée, elle n’aurait su le dire, mais n’avait pas une seule fois pensé à son grand-frère. Le désespoir de la situation dans laquelle il se trouvait laissé à penser qu’il n’avait personne sur qui il pouvait compter pour l’aider. S’il avait un grand frère, il aurait surement pensé à celui-ci pour le dépêtrer de cette situation délicate ! Mais surtout… Si sa captive de sœur se trouvait devant le magasin, en compagnie de ces voyous surveillant que leur larbin exécute bien sa tâche, il n’aurait pas manqué de le voir… Et enfin, après avoir machinalement jeté un œil au prétendu petit frère, l’expression alarmée qu’il affichait finissait de convaincre que l’identité du nouveau venu était tout autre que celle qu’il avait déclinée…

Cependant, Elina n’eut pas le temps de remballer le jeune homme que les choses s’enchaînèrent rapidement : les lumières du rayon, bien que toujours allumées, perdirent de leur intensité, comme s’il s’agissait de lampes halogènes, ce qui n’était pourtant pas le cas. Mais plus inquiétant encore, la suijin sentit soudainement que ses pieds se trouvaient immobilisés par une force inconnue… Un rapide coup d’œil sur ces derniers la renseigna sur l’origine de ce problème : des ombres s’étaient enroulées autour d’elle comme des cordes, et la maintenait fermement en place. Et nul doute que ces dernières n’allaient pas se limiter à ses pieds… Le sourire satisfait du jeune homme ne manqua pas de renseigner sur le responsable de ce qu’il se passait. Elina se trouvait face à un demi-dieu manipulant les ombres, l’un des descendants du dieu Tsukuyomi. Ce fait n’était pas pour lui faire plaisir, le dernier représentant de cette « famille » qu’elle avait pu rencontrer ne lui ayant laissé que de désagréables souvenirs… Cependant, ce jeune homme n’arrivait pas à la cheville de Mustapha, cela ne faisait aucun doute : elle le sentait, comme si elle parvenait à évaluer le niveau de son adversaire… Et bien qu’il semblait plus compétent que les autres racailles qu’elle avait déjà pu rencontrer, elle ne sentait pas émaner de lui une menace suffisante que pour s’inquiéter outre mesure…

Si bien que la suijin réagit à son tour. Bien qu’ayant ses pieds immobilisés, elle gardait la pleine capacité de ses bras, et cela lui suffisait amplement que pour contre-attaquer ! D’un geste ample, elle envoya une grosse boule d’eau à la tête du jeune homme, boule qui gela instantanément une fois qu’elle la lui eut recouverte. Pareil traitement devait être singulièrement douloureux… La morsure intense du froid sur la peau de son visage devait déjà être suffisante, mais il se trouvait en plus privé d’oxygène ! Preuve en était les mouvements de son adversaire, qui gesticulait en tous sens en poussant des gémissements étouffés par l’épaisse couche de glace qui recouvrait sa tête. Mais Elina n’avait pas le temps de s’inquiéter des « détails » comme le manque d’air du jeune homme, car ce dernier commençait déjà à briser sa prison de glace en la tapant contre le sol pour la briser. La suijin en profita pour clamer haut et fort :

- Tout le monde dans le fond du magasin !

En disant cela, elle réussit non sans mal à arracher ses jambes à l’étreinte de l’ombre qui les recouvrait, tombant sur les fesses au passage. Elle se releva en se massant les fesses, son expression affichant clairement la contrariété de la situation. Décidemment, elle était un vrai aimant à problèmes ! Mais ce n’était pas le moment de maudire son mauvais karma, car il y avait plus important : les voyous venaient de lancer l’offensive, et elle n’avait pas l’intention de les laisser faire comme bon leur plaisait dans SA supérette ! Ils allaient devoir faire face à une Elina quelque peu en colère… Mais avant cela, il y avait une chose qu’elle devait faire : neutraliser l’envahisseur qui avait déjà pénétré dans son domaine. Ce dernier venait à peine de libérer sa tête que déjà, il se retrouvait pris dans les anneaux d’un serpent aqueux plus vrai que nature. S’il faisait le moindre geste menaçant, ce dernier le lui ferait regretter. Pensant cette affaire réglée, Elina se dirigea vers le comptoir pour adresser un rapide message à sa collègue :

- Je te laisse gérer la situation ici, je vais m’occuper de ceux dehors !

Il n’y avait plus le temps de réfléchir à la situation, elle devait agir. Et pas seulement pour faire regretter à ces voyous d’avoir attaqué l’endroit où elle travaillait, mais aussi pour soustraire de leurs griffes immondes cette pauvre âme qu’ils retenaient captive…

Les portes automatiques de la supérette s’ouvrirent, libérant le passage à une Eli prête à en découdre. Elle n’appréciait guère qu’on vienne s’en prendre aux choses auxquelles elle tenait, et l’endroit où elle travaillait en faisait partie ! Mais elle se promit à elle-même malgré tout de garder son calme, et de ne pas en venir aux mains. Du moins, pas tout de suite…

Elle n’eut aucun mal à repérer l’endroit où se trouvaient le reste de la bande du voyou qui avait déjà eu la bonté d’âme de se présenter devant elle. Si ce dernier avait l’air relativement « normal », les autres, eux, avaient vraiment l’allure allant avec leur rôle de racaille… Au milieu de ce groupe de grosses brutes, se trouvait une jeune fille, vêtue d’un uniforme du collège Okosan. Elina se souvenait bien de cet habit, vu qu’à son arrivée, nombre de personnes la prenait pour une collégienne… Et lorsqu’elle avait voulu aller acheter son uniforme de lycéenne, on avait failli lui vendre celui du collège, la vendeuse étant persuadée qu’elle jouait à être plus âgée. Soit, il ne s’agissait là que d’un détail, bien qu’Elina ne put s’empêcher de se demander pourquoi la demoiselle portait son uniforme un dimanche, jour où il n’y avait pas école… À moins qu’elle ne revienne de leçons supplémentaires ?

Toujours est-il qu’elle arriva devant le groupe de badauds, les bras croisés et une expression irritée sur le visage. Lorsqu’ils la virent, les membres du petit groupe écarquillèrent d’abord les yeux, avant d’éclater de rire. Et ce dernier était franchement déplaisant, non seulement parce que le rire d’un homme était d’un grossier, mais aussi parce que celui-ci était clairement moqueur. Malgré tout, elle s’exhorta au calme, surtout par égard pour leur otage qui était entourée de deux gros malabars qui retenaient chacun l’un de ses bras. La pauvre enfant tremblait comme une feuille malmenée par une bourrasque de vent… Son visage pâle et les traces sur ses joues indiquaient clairement qu’elle n’était guère enthousiasmée par la situation dans laquelle elle se trouvait, mais rien de bien étonnant à cela. Cependant, lorsqu’elle posa son regard sur le visage d’Elina, une vague lueur d’espoir éclaira ses traits, mais bizarrement, la suijin n’eut pas l’impression que c’était l’idée d’être sauvée qui en était à l’origine. Une brève incursion télépathique lui appris qu’elle la suppliait intérieurement d’aider son petit frère, plutôt qu’elle-même… L’amour fraternel était vraiment quelque chose d’unique…

- Ils embauchent des mioches dans cette supérette ? Pas vraiment de quoi s’inquiéter !

La voix grave et désagréable de l’un des membres du groupe exigea d’Elina de se concentrer sur la partie la plus déplaisante de cette scène : les hommes qui lui faisaient face. Sa mauvaise humeur laissa place à une profonde lassitude… Décidemment, les petites frappes comme eux avaient tous cette manie pour le moins agaçante de toujours la sous-estimer… Alors qu’en général, ils ne faisaient pas le poids face à elle ! Soit, après un bref soupir, elle lança un regard si perçant à celui qui venait de parler qu’il fit malgré lui un pas en arrière :

- Relâchez la demoiselle, et partez. Ainsi, il n’y aura pas de blessés. Je parle de vous, bien sûr…

Oups ! La diplomatie n’était pas vraiment pas le fort de la suijin… Mais en même temps, elle avait réussi à se retenir de les traiter de singes dégoûtants et décérébrés, c’est qu’il y avait du progrès ! Bien sûr, sa menace, bien que réelle, ne fut pas prise au sérieuse… Les éclats de rire fusèrent à nouveau, sauf de la part de leur otage, qui elle se contentait de continuer de la supplier du regard. Chose étonnante de sa part, elle lui adressa un petit sourire de réconfort, du moins espérait-elle que c’était bel et bien cela que son visage avait bien voulu afficher. De suite, elle reporta son attention sur le groupe, qui se remettait non sans mal de son hilarité.

- Regardez-ça, les gars ! La nabote croit qu’elle va nous faire peur ! Tout ça parce qu’elle a quelques pouvoirs, sans doute ?

Une gerbe de flamme jaillit dans la main de celui qui venait de prendre la parole. Génial, un descendant du dieu du feu… Voilà une autre « race » qu’elle n’appréciait pas des masses… Le dernier qu’elle avait croisé avait bien failli lui roussir la tête, et elle n’en avait pas vraiment gardé un bon souvenir. Un éclair crépita un peu plus loin, éclairant le visage goguenard de celui qui venait de le créer. Un rajin ? Il ne manquait plus que cela… On avait le trio gagnant des pouvoirs qui ne lui avait apporté que des ennuis… Bien sûr, il y avait aussi Alan, ce redoutable saruta-hiko qui avait bien failli avoir sa peau à plusieurs reprises, mais sa rencontre avec Sayu avait permis d’exclure cette catégorie des descendants à éviter. Les autres, eux, ne firent rien, se contentant de sourire bêtement. Non, ils devaient sourire normalement, et être bêtes, tout simplement… Enfin, rien d’étonnant de la part de représentant de la gente masculine…

- Tu sembles savoir ce qu’il se passe ici… Alors, si tu revenais avec ce que l’autre mioche était censé nous rapporter ? Ce sera dommage de devoir abîmer un si joli minois…

De toute évidence, il devait parler de leur otage, car personne d’autre ici ne correspondait à cette description… À moins que ce ne soit… D’ELLE qu’il parle ? L’idée d’être jolie aux yeux d’un mâle, et d’un parfait crétin qui plus est, lui donna presque la nausée. Elle se contenta de lui jeter un nouveau regard assassin, qui cette fois, ne fit pas d’effet. L’heure ne semblait plus aux menaces… D’un simple geste, elle balança deux grosses sphères d’eau à la tête des gorilles qui retenaient la demoiselle en otage. Un geste innocent, si cette dernière… n’avait été d’une température passablement élevée ! Posant leurs mains sur leurs visages perclus de douleur, ils lâchèrent leur victime, qui n’eut pas le temps de réagir qu’un long ruban d’eau venait s’enrouler autour de sa taille et qu’elle se faisait brusquement tirer par ce dernier jusqu’à Elina qui la réceptionna tant bien que mal. Première étape : libération de la demoiselle en détresse, réussie. Tandis qu’elle se réjouissait d’avoir su accomplir dignement cette tâche, une voix familière retentit derrière elle. Tournant malgré elle la tête dans cette direction, elle vit Lyra qui venait à sa rencontre. Zut, elle aurait mieux fait de rester dans la supérette en attendant qu’elle règle la situation ici… Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de prononcer le moindre mot, une soudaine chaleur dans son dos lui indiqua que la contre-attaque des voyous commençaient. Un mur de flamme était en train de lui tomber dessus ! En un instant, elle se retrouva, avec la demoiselle, complètement engloutie par le feu ravageur que son adversaire lui envoyait. Le cri de la demoiselle à ses côtés retentit avec force, se réverbérant sur les murs alentours…

Bien que cela ne devait pas se voir à cause des flammes qui étaient si nombreuses qu’on ne pouvait plus rien distinguer au travers, ni Elina, ni sa protégée n’avaient eu à subir la morsure de ces dernières. Un geste salvateur lui avait permis de générer un bulle d’eau autour d’elles, maintenant ainsi éloigné la terrible menace qui les aurait très certainement réduit à l’état de cendres… Cependant, maintenant, la suijin n’y voyait rien, elle non plus… Et elle n’osait rien tenter, craignant de blesser quiconque aurait le malheur de se trouver sur le chemin de ses attaques…

Les flammes continuaient de ronfler tout autour d’Elina… ou plutôt, d’Elina et de la jeune fille qui était recroquevillée sur elle-même, comme si ce simple geste pouvait suffire à mieux la protéger que ne le ferait la protection aqueuse qu’avait su créer la suijin. Elle tremblait de toutes parts, comme si elle s’attendait à ressentir d’une seconde à l’autre la douloureuse morsure des flammes… Aussi, Elina posa-t-elle une main sur sa tête, dans un geste qu’elle voulait réconfortant. Cependant, son regard, lui, était braqué sur les flammes l’entourant. Aussi, déclara-t-elle un peu distraitement :

- Tu n’as rien à craindre, je te protégerais.

Une affirmation dont elle était sure de pouvoir la respecter. Après tout, après l’épisode de Mustapha, la suijin ressentait une confiance certaine dans ses pouvoirs… D’ailleurs, il serait peut-être de bon ton d’user de cette fabuleuse magie dont elle avait fait usage ce jour-là ? Encore fallait-il qu’elle se rappelle comment elle avait fait pour l’utiliser… Les tremblements sous sa main se calmèrent, tout comme le bruit de sanglots qui résonnait à ses oreilles depuis un moment. Curieuse, Elina baissa les yeux, et constata que sa « protégée » n’affichait plus cette expression désespérée, mais au contraire un espoir sans fond. Cette soudaine confiance pour sa personne la désarçonna quelque peu, mais ce n’était pas le moment d’être perturbée par si peu…

Combien de temps s’était-il écoulé depuis que le mur de flammes s’était abattu sur elles ? Pas bien longtemps, Elina l’aurait juré. Cependant, lorsqu’elle se servit de sa protection aqueuse pour éteindre ces mêmes flammes, la scène autour d’elle avait évoluée… Un homme, celui qui devait être un rajin, faisait face à Lyra, qui tendait le bras devant elle. La suite… Elina n’eut pas vraiment le temps d’analyser ce qu’il se passait. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’une espèce de… quelque chose fondit sur elle. Une étrange mélange de vent, de poussières, et de flammes fonçait droit sur elle, après envoyé valser les voyous qui s’avançaient vers sa collègue. Par pur réflexe, elle leva le bras à son tour, et un imposant mur de glace se dressa devant elle, bloquant les bourrasques infernales s’apprêtant à l’avaler. L’instant d’après, tout était terminé…

Jugeant que le danger était désormais écarté, Elina fit fondre son mur, qui retrouva l’était liquide dans un grand bruit, éclaboussant les environs mais évitant magiquement Elina et la collégienne cachée dans son dos. Cette soudaine inondation des environs fut bien utile pour éteindre les flammes résiduelles qui continuaient de brûler un peu partout. Alors, elle vit Lyra, dont l’expression compliquée du visage rendait impossible de deviner ce à quoi elle pensait à cet instant. Jetant un regard entendu à la jeune fille dans son dos, elle s’avança vers sa collègue, et s’enquit rapidement de son état :

- Lyra, ça va ? Tu n’es pas blessée ?

S’il y avait bien une chose qu’Elina savait à propos des pouvoirs divins dont héritaient les descendants des dieux, c’était bien leur caractère imprévisible… voire incontrôlable. Et que ces derniers pouvaient parfois se retourner contre leurs utilisateurs. Aussi, après un tel déchaînement, il n’était pas impossible que Lyra se soit vu affublée de l’une ou l’autre blessure plus ou moins importante…

Les dieux soient loués, Lyra était indemne ! Elle n’avait été blessée ni par son pouvoir, ni par les crapules qui étaient à l’origine de tous leurs déboires… Un léger soupir s’échappa malgré elle de ses lèvres, expression manifeste de son soulagement quant à cette nouvelle. Cette drôle d’histoire semblait se finir sans qu’il n’y ait de dégâts majeurs… Enfin, il y avait malgré tout les séquelles psychologiques dont pourraient souffrir le petit frère forcé à commettre un crime et sa captive de grande sœur… Avec de la chance, ils ne souffriraient pas trop de cette mésaventure…

Justement, Lyra s’enquérait de l’identité de la demoiselle qui se trouvait aux côtés de sa collègue. C’était pourtant évident, non ? Mais à la réflexion, pas tant que ça… Si Elina était au courant de toute l’histoire grâce à ses facultés télépathiques, il n’en était pas de même pour sa collègue à qui elle n’avait pas pris le temps d’expliquer les détails de ce qu’il se passait. Non, elle s’était contentée de lui confier la gestion des évènements dans la supérette, sans s’attarder davantage. Elle devait être singulièrement perdue… Mais avant qu’elle n’ait pu tenter de s’expliquer, la collégienne prit les devants, en demandant comment se portait son petit frère. Et c’était à Elina qu’elle s’adressait, d’un regard au travers duquel se manifestait une crainte sans nom. Était-ce l’amour fraternel qui la poussait à se soucier ainsi de son frère ? Elle se demanda vaguement si c’était ce genre d’émotions que ressentait Emily quant elle-même se retrouvait dans des situations relativement précaire… Malheureusement, la suijin ne possédait pas les détails de ce qu’il s’était passé après son départ de la supérette, et ce fut tout naturellement que son regard alla accrocher celui de Lyra afin d’avoir des nouvelles plus récentes des évènements. D’un signe de tête, elle eut la confirmation que tout allait bien, et elle se tourna alors à nouveau vers les yeux désespérés de la demoiselle :

- Oui, il va bien. Cette histoire est fini, tu n’as plus besoin de t’inquiéter…

La lueur de peur dans ses yeux s’éteignit, et son visage exprima du soulagement. Elina était un peu surprise de la voir croire ses propos aussi facilement, mais il était vrai qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle lui ait menti. Aussi, ne leur restait-il plus qu’à retourner là où tout avait commencé…

Le trajet du retour parut plus long à la suijin, probablement car elle était bien plus détendue qu’à l’aller. Lorsqu’elles arrivèrent, un grand nombre de clients était toujours présents, se tordant le cou pour essayer de voir ce qu’il se passait. Un murmure inquiet résonnait tout autour d’eux, qui se mua en acclamations enjouées lorsqu’ils virent le petit trio revenir… Apparemment, ils devaient être au courant de la situation, probablement de la bouche du petit frère ou du voyou qu’elle avait laissé derrière elle. D’ailleurs, le petit frère en question se détacha de la foule, et se précipita vers sa grande sœur, qui alla à sa rencontre et l’étreignit avec force. La scène, touchante même pour « l’imperturbable » Elina, suscita une réaction positive de la part de l’assemblée. Elina, elle se tourna vers Lyra, et lui dit :

- Désolée de t’avoir mis dans cette situation… Et merci de m’avoir aidé.

Elle doutait vraiment d’avoir eu besoin d’aide, le niveau de ces racailles semblant largement inférieur au sien. Cependant, l’intention était là, et méritait d’être saluée. Peu de gens aurait pris la peine de mettre leur vie en danger pour aider une presque inconnue… Mue par une envie soudaine, Elina surenchérit en disant :

- Tu leur as mis un de ses vents !

Cette petite dose d’humour était un moyen de saluer l’apparition des pouvoirs de Lyra. Du moins, supposait-elle que c’était leur première manifestation, si elle en croyait les dires de la veille de sa collègue. Mais cette dernière n’eut pas le temps de répliquer que la petite fratrie vint leur faire face, une lueur étrange brillant dans leurs yeux. Sans prévenir, ils attrapèrent leurs mains, les secouant avec gratitude.

- Merci, onee-san !
- Merci, onee-san !

Heureusement pour Elina, ce fut la grande sœur et non le petit frère qui s’empara de ses mains, sans quoi elle n’était pas sure de pouvoir rester égale… Car si elle n’était pas friande des contacts physiques, elle détestait encore plus lorsque c’était un mâle qui le faisait… Dans un coin de sa tête, Elina se demandait ce que pouvait bien signifier ce terme qu’avaient employé le frère et la sœur… Aunésan ? Il devait s’agir d’un terme d’une langue étrangère… Peut-être que Lyra le savait, et pourrait éclairer sa lanterne ?