Bienvenue chez moi ! {Emily/Elina}

Elina attendit patiemment la réponse d’Emily, qui s’accorda un minimum de temps de réflexion. Cherchait-elle une excuse, un prétexte pour la berner, ou bien cherchait-elle simplement ses mots ? Enfin, elle prononça les mots qu’elle avait préparés. Pas besoin d’une raison pour aider les autres, mais plutôt pour ne pas les aider ? Qu’elle étrange façon de penser… Du moins, pour elle qui n’avait pu voir que des gens égoïstes et qui n’agissait pour les autres que dans leur propre intérêt. La suite correspondait plus à la vision qu’elle avait des gens. C’était pour briser sa solitude qu’elle lui venait en aide, et une fois encore, Elina ne put s’empêcher de se sentir comparée à un animal de compagnie. Avait-elle l’intention de l’adopter comme on le ferait pour un chien abandonné ? À cette pensée, ses jours passés à l’orphelinat lui revinrent à l’esprit. Lors de ses premiers jours passés là-bas, elle était partagée entre le souvenir de sa mère et le désir de se faire adopter par une famille aimante qui la soustrairait à l’enfer dans lequel on l’avait envoyé. Mais cela n’était jamais arrivé. Et comment cela aurait-il pu être le cas ? Les visiteurs étaient tellement rares dans cet orphelinat perdu en plein milieu de la Sibérie, qu’Elina aurait eu assez d’une main pour les compter. Et quand il y en avait, personne ne voulait d’elle, pas plus que des autres. D’ailleurs, on ne manquait pas de le lui reprocher, l’accusant d’avoir fait fuir les potentiels parents adoptifs. À la dernière visite même, on lui avait ordonné de rester dans sa chambre, pour qu’on ne puisse pas la voir. Mais à ce moment-là, son désir de se faire adopter s’était déjà envolé depuis longtemps.

Pendant qu’elle s’était perdue dans ses pensées, la voiture, elle, s’était arrêtée. Devant elle se trouvait un immeuble à appartements de plusieurs étages, et à la pensée de devoir grimper les étages, Elina ressentit d’avance la fatigue qui allait l’envahir. Sur le coup, elle en venait même à se demander si elle arriverait jusqu’à destination. À moins qu’Emily n’habite au rez-de-chaussée ? Mais cette dernière ne tarda pas à prononcer la sentence : elle habitait au cinquième étage. Les commentaires quant à l’apparence vieillotte de l’immeuble ne lui provoquèrent pas grand effets, pas plus que la modernité annoncée de l’appartement lui-même. Ce qui la chamboulait davantage, c’était d’apprendre qu’il n’y avait pas d’ascenseurs. Son dernier espoir venait de s’envoler, elle ne réchapperait pas aux volées de marches. Peut-être ses jambes pourraient-elles réaliser ce dernier effort ? De toute façon, elle n’avait pas vraiment le choix…

La montée fut à peu près aussi horrible qu’Elina l’avait redouté. Une fois arrivée à destination, elle dut s’appuyer sur un mur pour stabiliser ses jambes tremblantes. Elle se serait probablement effondrée sur place si elle avait été seule. Mais elle ne voulait pas faire preuve de faiblesse, se montrer vulnérable. Elle n’avait pas encore accordé sa confiance à Emily, même si sa méfiance à son égard avait bien diminuée. Mais il était temps à présent de découvrir l’habitat de la jeune femme, et cette dernière déverrouilla la porte d’entrée à l’aide d’une carte magnétique. Comme elle lui tenait la porte ouverte, Elina pénétra dans l’appartement. En effet, l’intérieur était largement plus moderne que l’extérieur. Mais elle n’eut pas l’occasion de détailler davantage l’habitation, car Emily, rentrant à son tour, lui désigna une porte qu’elle décrivit comme étant celle qui menait à la salle de bains. Décidemment, elle devait sentir, pour qu’elle insiste à ce point pour l’envoyer sous la douche ! Elle lui proposa alors de lui laisser s’occuper de ses vêtements, elle en avait d’autre qu’elle pouvait lui prêter, certains des siens qui étaient trop petits. L’attention de son hôte fut détournée par le cri d’un oiseau orange. Fêtait-il donc le retour de sa maîtresse ? Brave bête, va. Mais Emily ne sembla pas s’en émouvoir, elle semblait plutôt attendre qu’elle-même fasse quelque chose. Elina acquiesça alors d’un signe de tête, et se dirigea vers la porte qu’on lui avait montrée.

Elle l’ouvrit avec précaution, avant de jeter un coup d’œil rapide dedans pour voir s’il n’y avait rien de caché dedans. Non, à part du mobilier et des sanitaires, il n’y avait rien d’autres. Elina s’y précipita, fermant la porte derrière elle. Et la première chose qu’elle fit… fut de se ruer vers l’évier. Elle fit couler l’eau froide, et enfin, put boire de l’eau. La recueillant dans sa paume, elle la portait jusqu’à ses lèvres, mais le peu de liquide qu’elle parvenait à avaler à chaque fois était frustrant, si bien qu’elle finit par porter directement sa bouche au robinet. Elle but, but, et but encore. Enfin, elle finit par relâcher le jet d’eau. Elle avait finalement pu assouvir le premier de ses besoins, c’était la première fois de sa vie que de l’eau lui semblait aussi délicieuse. Bon, maintenant, il valait peut-être mieux s’acquitter de cette fameuse douche pour laquelle elle était présente dans un premier temps. Elle déposa donc son sac, et commença à se déshabiller. Alors qu’elle venait de retirer son haut, une pensée soudaine lui traversa l’esprit quand elle vit la fameuse malle à linge dont lui avait parlé Emily. Si cette dernière venait la chercher, elle-même serait dans la salle de bains. Et nue, de surcroît ! Venait-elle de découvrir la véritable raison pour laquelle elle l’avait fait venir ? Juste pour pouvoir avoir les yeux baladeurs ? Eh bien, si c’était le cas, elle en serait pour ses frais !

Elina chercha un instant dans les armoires de la salle de bains, et en tira une serviette. Elle termina seulement de se déshabiller, s’entoura de la serviette, et alors sortit la malle à linge de la pièce qu’elle verrouilla ensuite. Ainsi, elle pourrait prendre sa douche en paix ! Elle pénétra la cabine, et fit couler l’eau, optant pour eau fraîche sans être froide pour autant. La température lui fit un bien fou, chassant enfin un peu la chaleur ambiante qui lui était si étrangère. Alors, elle se laissa glisser le long de la paroi de la cabine, finissant assise à l’intérieur de celle-ci. Pour la première fois depuis son arrivée sur l’île, elle se sentait bien. Elle était si fatiguée qu’elle aurait pu s’endormir sur place, mais heureusement, l’eau fraîche qui coulait sur elle la maintenait éveillée. Qu’est-ce qu’elle allait faire à partir de maintenant ? Comment allait-elle survivre dans cet endroit dont elle ne connaissait rien ? Dès les premières heures, elle avait failli mourir de soif et manqué de se faire agresser par un type qu’elle n’avait jamais vu. Sans Emily… Et encore, là aussi elle avait pris un risque ! Mais ce n’était pas comme si elle allait pouvoir compter sur la bonté d’âme d’étranger jusqu’à la fin de sa vie. Mais sans argent, elle n’irait pas bien loin… Que faire ? Mais ses pensées furent interrompues par un bruit soudain, qu’elle entendit malgré l’écoulement de l’eau. Le bruit d’une poignée de porte qui tournait…

La poignée de la porte avait beau tourner, le verrou empêchait l’ouverture de celle-ci. Emily venait-elle d’essayer de venir lorgner sur la marchandise ? Non, car elle annonça à travers la porte déposer les fameux vêtements qu’elle allait lui prêter. N’empêche, son cœur n’avait pu s’empêcher de faire un bond dans sa poitrine. Qu’aurait-elle fait si la jeune femme était entrée dans la salle de bains ? Peut-être lui aurait-elle jeté des boules de neige pour la chasser de la pièce ? Enfin, elle n’aurait jamais à le savoir, et c’était tant mieux. Jusqu’à présent, Emily n’avait eu aucune réaction hostile à son égard, dès lors, peut-être pouvait-elle cesser de lui en attribuer à tout va ? Enfin, elle verrait cela plus tard…

Elina se releva, et ferma le robinet de la douche. Il lui fallait bien l’avouer, celle-ci lui avait fait un bien fou. Elle se sentait revigorée, comme si on lui avait insufflé une bouffée d’énergie. Certes, elle était toujours fatiguée, mais au moins, la somnolence l’avait quittée. Elle saisit sa serviette de bain, et entreprit de se sécher, faisant rosir sa peau sous la friction. Si son corps fut rapidement terminé, ses cheveux eux prirent plus de temps. Une fois qu’elle se fut acquittée de cette tâche, elle s’enveloppa dans sa serviette, et se dirigea vers la porte. Elle la déverrouilla, et l’entrouvrit légèrement. Elle repéra alors un grand sac en papier, dont elle se saisit rapidement avant de la refermer. Même si Emily n’avait pas eu l’intention de venir la mater, ce n’est pas pour autant qu’elle voulait lui en donner l’occasion, ni parader nue devant elle. Il était temps de découvrir ce qu’Emily lui avait préparé, aussi entreprit-elle d’inspecter le contenu du sac. Des vêtements divers, de couleurs diverses, avec des motifs divers. Elina n’avait plus eu autant de vêtements à sa portée depuis le scandale qui avait fait éclater son enfance. Il ne lui restait donc plus qu’à choisir parmi tout ce tas.

Après quelques minutes d’inspection, elle finit par porter son choix sur une mini-jupe souple de couleur bleu marine, ainsi que d’un petit top blanc avec des rayures diagonales colorées. Ce qui l’avait surtout séduite dans cette combinaison était la légèreté des vêtements, qui ressemblait à celle de la tenue qu’elle venait de quitter, les longues manches en moins. Au moins, la chaleur ambiante ne la ferait plus souffrir ! Elle se brossa aussi les cheveux, sur lesquels elle raccrocha sa pince à cheveux. Désormais, elle n’avait plus l’air de vivre dans un carton, peut-être qu’Emily serait suffisamment satisfaite que pour arrêter ses remarques sur son apparence négligée ? Non pas qu’elle voulait lui plaire, mais plutôt qu’elle ne voulait plus postposer son repas. Elle sortit donc de la salle de bains, et dès qu’elle entra dans le champ de vision d’Emily, elle eut droit à une nouvelle petite remarque, mais cette fois, elle était positive ! Enfin, du moins était-ce l’impression qu’elle en avait eue…

Elle vit alors ce qui l’attendit sur la table, et il lui sembla entendre son estomac gronder d’envie. Mais non, ce n’était qu’un gargouillement sonore. Et pourtant, on ne pouvait pas dire que c’était le repas le plus alléchant qui l’attendait ! De la tarte, et du jus. Mais pour qui avait faim, le moins appétissant des plats revêtait des allures de mets de luxe. Elle s’installa donc à la table, et… attendit. Malgré la faim qui tenaillait son ventre, elle ne voulait pas se ruer comme un chien affamé sur un malheureux morceau de tarte. Finalement, Emily finit par lui en servir un, et elle put mordre un premier bout. Et là, sa fourchette s’immobilisa entre ses dents. La saveur de cette bouchée se répandit à chacune de ses papilles, qui semblaient se réveiller d’un long sommeil. Quel contraste avec la bouillie informe et sans saveur qu’on lui servait à la cantine ! Le goût lui paraissait tellement divin qu’elle sentit ses joues s’empourprer. Pas bon ! Emily allait le voir, et qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir penser ? Agissant comme si de rien n’était, malgré le ravissement de ses papilles, Elina termina son bout de tarte, qu’elle accompagna d’un verre du jus qu’elle vida d’un trait. Certes, elle avait bu son compte dans la salle de bain, mais cette fois-ci, c’était pour le goût qu’elle s’abreuvait. Une fois son menu terminé, elle s’enfonça dans le silence, les yeux rivés sur ce qui restait de la tarte. On ne remplissait pas un estomac vide avec si peu, or le sien l’était considérablement. Devait-elle demander une autre part ? Elle hésitait, car là encore, se serait montrer un signe de faiblesse, ce qu’elle voulait éviter. Mais elle lui faisait tellement envie… Elina fixait la pâtisserie avec une telle intensité qu’on aurait pu croire qu’elle était en train de la dévorer avec ses yeux, plutôt que de le faire avec sa bouche. Son comportement devait paraître bien étrange à quelqu’un n’étant pas au fait du conflit intérieur qui la taraudait. Finalement, elle craqua, les plaintes silencieuses cette fois de son estomac l’ayant convaincu de laisser de côté sa fierté plutôt que sa santé. Prenant une posture droite, elle s’éclaircit la gorge avant de demander :

- Est-ce que je pourrais avoir un autre morceau ?

Voilà, ce n’était finalement pas si compliqué ! Enfin, elle s’était tout de même adressée au carton de jus de fruit plutôt que d’avoir fixé la personne qui pouvait répondre à cette question, mais comme elle n’était pas sure de pouvoir garder son visage impassible dans le cas contraire, elle s’en était abstenue. Malheureusement, prononcer les mots n’était pas suffisant à faire sauter l’aliment tant convoité dans son assiette ! Il n’y avait plus qu’à attendre la réponse de son hôte, dont elle espérait bien évidemment qu’elle serait positive, bien qu’elle ne laissa pas ses expectations se refléter sur son visage.

Emily accéda à sa demande, lui servant un nouveau morceau de gâteau, qu’Elina engloutit rapidement, tout en conservant un maximum de dignité. Déjà lui semblait-il que son hôte avait l’air amusée de son comportement, elle n’allait pas en rajouter une couche ! Toutes deux mangèrent le reste de la pâtisserie en silence, ce qui était loin de lui déplaire. Sans bavardages inutiles, elle pouvait s’appliquer à faire ce qui était prévu dans ce genre de situation : se remplir la panse ! Leurs assiettes furent rapidement vidées, et cette fois, il ne restait plus rien de comestible sur la table. Loin d’être rassasiée, Elina s’était pourtant faite à l’idée que le repas se limiterait à ce qu’elle avait découvert sur la table. Bon, au moins cela lui permettrait de reprendre des forces, et de tenir jusqu’à son prochain repas. Elle n’aurait cependant pas été contre quelque chose d’un peu plus nutritif, ce repas manquait cruellement des nutriments nécessaires à sa survie. C’est alors qu’Emily vint lui parler de restes de plats à finir. Combien de gâteaux avait-elle donc de réserves ? Peut-être qu’elle travaillait dans une boulangerie ? Mais ce fut avec des plats d’une toute autre nature qu’elle revint. Salade de pâtes et pain perdu furent les premiers à arriver sur la table. À la vue de ces mets, Elina ne put s’empêcher de se demander pourquoi son hôte n’avait pas eu le bon sens d’amener ces plats en premier. Encore que, si la salade de pâtes était adaptée pour un dîner, le pain perdu, c’était une toute autre question… Mais bon, peut-être s’agissait-il d’une certaine coutume alimentaire ? Elle avait déjà entendu parler des repas « à l’envers » même si elle-même n’en avait jamais profité. Mais bon, elle n’allait pas faire la fine bouche, une fois dans l’estomac, tout était quand même mélangé, donc…

Emily l’invita à se servir elle-même, sans avoir à attendre qu’elle vienne faire le service. Elina hésita un instant, pas sure d’avoir bien compris ce qu’elle venait de dire. Se servir ? Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? En prenant compte du contexte, elle finit par comprendre qu’elle avait le droit de remplir elle-même son assiette. La barrière des langues pouvait décidemment se montrer être un redoutable obstacle pour la compréhension entre humains, et elle se demanda ce qu’elle aurait bien pu faire si elle n’avait pas appris l’anglais étant plus jeune. En se rappelant que c’était grâce à son père qu’elle l’avait fait, elle ressentit un curieux mélange de reconnaissance, et de dégout. Chassant ces désagréables pensées, elle tendit sa main vers le plat de pain perdu, au moment où Emily revenait avec une bouteille d’eau et un paquet de jambon. Elle vida la moitié du plat, ce qui équivalait à deux tranches, qu’elle déposa dans son assiette. Le pain ramolli par la mixture propre au plat, elle dut faire preuve de délicatesse pour ne pas complètement détruire les tranches. Son choix se porta ensuite sur le plat de salade de pâtes, mais elle n’était pas la seule à avoir eu cette pensée. Résultat, les doigts des deux jeunes filles se touchèrent. Emily, l’air de rien, l’invita à se servir la première avant de reporter son attention sur le plat de pain perdu. Elina, elle, eut une réaction différente : elle recula brusquement sa main de quelques centimètres. On aurait pu croire qu’elle venait de se brûler. Se ressaisissant, elle se saisit du plat et plaça une portion dans son assiette. Est-ce qu’Emily avait perçu son mouvement de recul ? En tout cas, elle n’en avait pas l’air, son expression étant restée neutre. Elina espérait en tout cas ne pas l’avoir blessé, car ce n’était pas par un quelconque dégoût qu’elle avait agi, mais par pur réflexe, les derniers contacts physiques qu’elle avait connus n’ayant pas été des plus agréables. Mais pourquoi donc s’inquiétait-elle de ce que pouvait ressentir cette parfaite inconnue ? Si seulement elle s’était montrée un peu moins gentille, elle aurait pu s’en moquer. La traiter comme elle traitait tous les autres, avec indifférence. Elle ressentait un sentiment de remords par rapport à son geste, et elle n’aimait pas ça. Cela lui donnait l’impression de se sentir redevable envers elle. Or, cela signifiait qu’elle lui accordait de l’importance. À cause des tourments émotionnels dans lesquels elle s’était plongée, elle n’avait pas encore touché à son assiette. Un crime pour quelqu’un d’affamé ! Aussi, afin de se débarrasser de toutes ces contrariétés qui l’empêchaient de se repaître, elle décida de dire quelques mots :

- Hmm, je suppose que je devrais te remercier pour le repas. Voilà, c’est fait maintenant.

Incapable de s’exprimer honnêtement une fois encore, voilà ce que ses remerciements avaient donnés. Pour couronner le tout, elle s’était cette fois adressée à sa fourchette, qu’elle faisait tourner entre ses doigts. Soulagée malgré cette piètre performance, elle se mit à vider le contenu de son assiette.

Emily ne se formalisa par de la façon particulière avec laquelle Elina l’avait remercié. La patience devait être l’une de ses qualités, car son comportement froid et distant en aurait rebuté plus d’un. Mais pas elle. Au contraire, elle semblait satisfaite de lui avoir arraché un remerciement, aussi peu conventionnel fut-il. Les assiettes se vidèrent, les verres aussi, et il fut temps de débarrasser la vaisselle. Tâche dont Emily s’acquitta en un tour de main, alors qu’elle invitait sa convive à passer dans le salon. Elina se demanda un instant ce qu’elle avait prévu. Elle s’était presque attendue à sa faire jeter à la porte, maintenant qu’elle avait offert tout ce qu’elle avait promis. Surement voulait-elle attendre que ses vêtements soient lavés afin de récupérer les siens avant de la congédier.

Elle s’exécuta donc, s’installant dans un divan, attendant de voir ce que la suite des évènements lui réservait. Maintenant que son estomac était rempli, elle sentait la somnolence la gagner peu à peu, mais elle n’eut pas trop de mal à la tenir de côté. N’ayant rien à faire, Elina balada son regard dans la pièce, observant les possessions de la jeune femme. Elle put ainsi constater qu’elle vivait dans un confort relatif. Certes, cela n’avait pas la grandeur qu’elle avait connu au début de sa vie, mais ç’était nettement plus agréable que ce à quoi l’orphelinat l’avait habitué. Elle se rappela qu’Emily lui avait dit avoir trouvé un travail, et elle se demanda si elle-même ne pourrait pas réussir à en décrocher un. Mais encore fallait-il trouver un endroit qui accepte de l’embaucher… Son inspection terminée, elle se trouva une fois encore à ne rien faire. Si d’habitude, cela ne lui posait pas trop de problèmes, elle se rendit compte que cela la mettait mal à l’aise lorsqu’elle se trouvait chez quelqu’un d’autre, d’autant plus qu’elle ne savait rien d’elle, à part son nom. Elle pensa un instant à sortir un des livres qu’elle avait inconsciemment emporté avec elle, mais cela friserait la grossièreté, et elle s’en abstint. Heureusement, Emily revint à cet instant, s’installant sur le même divan qu’elle. Juste à côté d’elle…

Elina aurait bien reculé de quelques centimètres pour s’assurer un espace personnel, mais seulement, elle s’était installée contre l’accoudoir du divan, il n’y avait donc pas autant de place pour elle se déplacer. Cette proximité la perturbait. Non seulement parce qu’elle n’y était pas habituée, mais aussi parce qu’elle se rendait compte qu’elle ne la dérangeait pas outre mesure. Bon, il est sûr qu’elle aurait préféré plus de libertés de mouvement, mais elle pouvait sentir la chaleur qui se dégageait de sa peau, ce qui avait un côté apaisant. Et puis, elle sentait bon…

Emily lui fit alors une proposition, qui eut l’effet d’une douche froide sur la jeune fille. Elle lui proposait d’entrer en contact avec sa famille… Ces propos avaient beau être complètement dépourvus de mauvaises intentions, l’atmosphère paisible qui régnait jusque-là dans l’esprit d’Elina vola en éclats. De mauvais souvenirs lui revinrent en mémoire, et elle se rappela alors sa « famille » : une mère morte et un père en prison d’un côté, une bande d’enfants et de surveillants haineux de l’autre. Et dans les deux cas, personne ne devait se soucier de sa disparition, pas plus qu’elle ne s’inquiétait de ce qu’ils devaient en penser. Elle était seule, elle l’avait compris depuis longtemps. Seulement, se le faire rappeler ainsi, à un moment aussi paisible chassa d’elle le léger bien-être dans lequel elle avait réussi à se plonger. De ce fait, elle se leva, laissant Emily seule dans le divan, et répondit d’un ton neutre :

- Non merci, je n’ai pas de famille.

Elle se dirigea alors vers l’une des fenêtres, tournant résolument le dos à Emily, fixant l’extérieur sans vraiment le regarder. Le ton qu’elle avait employé laissait deviner que ce n’était pas un fait nouveau, mais sa réaction laissait voir que cela restait un sujet sensible. Elina n’était pas en colère, non. Elle ne reprochait pas non plus à la jeune femme d’avoir abordé le sujet, car elle n’avait aucun moyen de connaître sa situation. Elle-même ne parvenait pas à identifier le sentiment qui l’avait envahi. Mais en cet instant, elle ne se sentait pas de rester à côté d’Emily. Cette dernière d’ailleurs lui dit quelque chose, mais elle n’y réagit pas. Sans le vouloir, son regard venait d’accrocher un mouvement. Bien que cela ne dura qu’un instant, elle put apercevoir une figure masculine, elle n’aurait pu se montrer plus précise, disparaître de l’encadrement d’une fenêtre du bâtiment d’en face pour se cacher derrière une tenture. Et, à moins que ses yeux ne lui aient joué un mauvais tour, il avait un caméscope à la main. Pire, elle aurait juré qu’il regardait dans cette direction avant de se cacher. Surprise, bien que le ton de sa voix resta calme, elle partagea ce qu’elle venait de voir :

- J’ai l’impression que quelqu’un filmait ton appartement…

Un sentiment de dégoût vint prendre la place des autres sentiments qui l’avaient tourmentée avant. Quelle que fussent les raisons derrière ce geste, cet homme s’était dissimulé pour ne pas qu’on le surprenne en train de filmer cet endroit. Était-ce une intuition, ou bien son expérience de la vilité des hommes qui entrait en jeu, mais elle était persuadée que les intentions de ce type étaient tout sauf nobles…

La réaction d’Emily ne se fit pas attendre. Alors qu’Elina s’attendait à la voir surprise, c’est la colère qu’exprimait son visage. La raison de cette émotion inattendue lui fait rapidement révélée : ce n’était pas la première fois qu’un tel fait se produisait. D’un geste rageur, la jeune femme ferma les rideaux devant lesquels se trouvait l’annonceuse de la nouvelle, et comme si elles s’étaient donné le mot, les autres en firent de même. Mais ce n’était pas le fait d’une quelconque technologie installée, mais bien celui d’une bourrasque de vent bien contrôlée qui rappela des souvenirs récents à la jeune russe. Emily partit alors sur une tirade sur ce que cette situation avait de dérangeant : non seulement ce n’était pas la première fois que le voyeur, type de créature qu’elle ne semblait vraiment pas apprécié, commettait ce genre de crime, mais en plus les plaintes qu’elle avait été déposer n’avait pas rencontré beaucoup d’intérêt de la part des policiers qui les avaient enregistrés. D’après ses dires, c’était le fait qu’elle soit une femme qui en était la cause, les mâles censés faire prévaloir la loi n’ayant pas voulu accorder davantage d’intérêt aux dires d’une représentante de la gente féminine. Encore un bel exemple de la valeur de cet espèce, comme ne manqua pas de le souligner la victime, qui sur le coup gagna en estime aux yeux d’Elina. Au moins, elle savait faire preuve de discernement, elle voyait les choses telles qu’elles étaient.

Emily finit par calmer ses élans de colère, et toussota afin de retrouver contenance. Elle invita Elina à retourner s’asseoir sur le divan qu’elle avait quitté quelques instants auparavant. Cela lui rappela la raison pour laquelle elle s’était levée précédemment, mais cette fois, elle n’eut pas de bouleversement émotionnel. Elle regarda en silence son hôte recouvrir la cage de son perroquet, ce qui devait signifier que c’était pour lui l’heure du dodo. Elina avait lu que ces animaux étaient très sensibles aux cycles de sommeil, et qu’il fallait qu’ils puissent se retrouver au calme lorsqu’ils devaient dormir. Emily respectait cette obligation, ce qui indiquait qu’elle en prenait soin, et que ce n’était pas juste un objet décoratif de la pièce. Elle aussi aurait bien aimé pouvoir aller se coucher, mais ce n’était pas dans l’immédiat qu’elle le ferait. Une fois ses vêtements secs, il lui faudrait encore trouver un abri décent. Mais ses pensées furent interrompues par le retour de la jeune femme, qui vint se réinstaller à ses côtés, avec une nouvelle proposition, qui ne manqua pas elle aussi de prendre Elina au dépourvue. Elle lui proposait tout simplement de l’héberger. Voilà qui dépassait de loin ce qu’elle lui avait proposé plus tôt. Et qui apportait son lot de questions…

Pourquoi ? Oui, c’était sans conteste la principale question que se posait Elina. Pourquoi donc lui offrait-elle donc le gîte ? Elles ne se connaissaient que depuis quelques heures, et on ne pouvait pas vraiment dire qu’elles aient vraiment appris à se connaître durant ce court laps de temps. À nouveau, ses vieilles suspicions à l’égard de la jeune femme revinrent se manifester. Finalement, elle devait avoir un but derrière son invitation ! Pourtant, elle la sentait sincère, ce qui ne la perturbait pas moins… Une personne aussi gentille pouvait-elle vraiment exister ? Quand bien même, cela paraissait bizarre d’inviter une inconnue à demeurer chez soi, même provisoirement. Surtout que, elle le savait bien elle-même, elle n’était pas la personne la plus agréable à côtoyer… Ou alors… Peut-être qu’elle attendait quelque chose d’elle ?

- Je n’ai pas d’argent.

Telle fut sa première réaction face à cette proposition. Cela devait pour cette raison qu’elle lui avait proposé de l’héberger. Une rentrée financière supplémentaire augmenterait son confort de vie ! Seulement, Elina était loin d’être la personne indiquée dans ce cas-là. Premièrement, elle ne possédait pas la moindre richesse, ni monétaire, ni matérielle, pas même un kopeck. Et quand bien même en aurait-elle, on ne lui aurait sûrement pas autorisé à l’emmener avec elle. Quel genre de prison laissait les gens partir avec leur argent ? Et puis, elle doutait fort que le rouble ait cours sur cette île… Et même… Emily ne savait rien d’Elina. Comment pouvait-elle lui faire aussi facilement confiance ?

- Je ne comprends pas, tu ne sais rien de moi, et pourtant, tu me laisserais vivre ici ? Tu n’as pas peur que je t’attaque, voire pire encore ? Je pourrais être une criminelle, ou… je ne sais pas, quelqu’un de dangereux quoi ! Tu ne te méfie pas, même un tout petit peu ?

Cela faisait des années qu’Elina n’avait pu dormir tranquille, sans savoir ce qui risquait de lui arriver pendant son sommeil. Surtout à l’orphelinat, où les orphelins n’hésitaient pas à enfreindre le couvre-feu, si cela leur permettait de venir la persécuter. Elle avait donc du mal à voir comment Emily pouvait à ce point se montrer confiante envers elle. Certes, elle n’avait aucune intention hostile à son égard, mais elle n’avait aucun moyen de le savoir avec certitude. Et pourtant, elle prête à la laisser vivre sous son toit, avec seulement une porte en bois pour la protéger d’une éventuelle agression. Le moins que l’on puisse dire, c’était qu’elle savait comment bouleverser ses convictions…

Emily commença par adopter une position différente avant de répondre, s’asseyant en tailleur afin de pouvoir se mettre face à Elina. Ce qui ne changea pas par contre, ce fut le sourire chaleureux fixé sur son visage, comme s’il essayait de rassurer la jeune fille. Elle répondit alors que bien qu’il fut possible que son invitée soit une criminelle profitant de la naïveté des gens, elle ne la voyait que comme une âme perdue qui avait apprécié un bon repas et une douche. Elle termina en lui demandant qu’est-ce qu’elle devrait faire. Elina avait une opinion bien tranchée sur le sujet : elle pouvait tout simplement la jeter dehors comme l’inconnue qu’elle était, elle aurait même pu s’abstenir de l’inviter dès le départ ! Mais elle commençait à la cerner, et elle se doutait bien que dire cette vérité n’allait rien changer. Et puis surtout, Emily venait de reprendre la parole, elle n’aurait donc pas pu répondre à cette question de rhétorique même si elle l’avait voulu.

La suite des propos de la jeune femme se concentrait à présent sur rien d’autre que la jeune russe elle-même. Elle avait l’impression que c’était elle qui était méfiante, et qui la prenait pour une criminelle. Elle lui demanda même si elle la croyait vraiment comme ça. Se sentait-elle offensée par les doutes d’Elina ? Apparemment non, elle cherchait juste à clarifier les choses. Comment lui répondre ? Il y avait tant de choses qu’elle aurait pu retrouver à dire. Mais Elina commença par éclaircir un détail. Elle ramena ses jambes contre elle, les enserrant dans ses bras, position fortement opposée à celle d’Emily, avant de répondre :

- Non, je ne crois pas que tu sois comme ça. Enfin, plus maintenant en tout cas…

Au début, elle avait considéré cela comme une possibilité, même si elle avait envisagé des détails différents. Elle se trouvait sur une île sur laquelle on emprisonnait des gens pour des motifs encore vagues, comment pourrait-elle simplement voir toutes ces personnes comme étant dignes de confiance ? Et même sans cela, suivre simplement une personne parce qu’elle se montrait gentille relevait d’une naïveté proche de la stupidité. N’était-ce pas là l’un des procédés les plus utilisés par les différents dépravés qui enlevait des enfants ? Et comme Emily la croyait plus jeune dans un premier temps… Mais bon, son opinion avait changé entre-temps, elle ne serait pas gentiment resté assise sur un divan à côté d’un ennemi potentiel.

- Si je croyais vraiment que tu sois dangereuse, je serais déjà partie. Si j’avais continué à te soupçonner, je n’aurais touché à rien de ce que tu m’aurais donné, au cas où tu aurais cherché à me droguer. Le fait que je sois encore là, alors que je n’ai plus vraiment de raison de l’être, est une preuve en soi.

Oui, bien que cela l’étonne elle-même, Elina se rendait bien compte qu’elle accordait une certaine confiance à Emily. Cependant, cela ne l’empêchait pas de se poser des questions. De nos jours, tendre une pièce à un mendiant relevait déjà de l’exceptionnel, alors que dire du fait de proposer de loger une inconnue ? Même des amis hésitaient à s’héberger l’un ou l’autre ! Cependant, elle devait bien se l’avouer, la proposition de la jeune femme avait quelque chose de séduisant. Alors qu’elle aurait déjà été heureuse de trouver une alcôve sous laquelle s’abriter, elle se voyait là offrir un vrai toit pour passer la nuit. Non, pas la nuit, plutôt DES nuits ! Et puis, Emily semblait être sincère. Pouvait-elle vraiment confier ses nuits à cette jeune femme ? Ce n’était pas dans ses habitudes de dépendre des autres… Et pourtant, elle avait très envie d’accepter ! Car cette jeune femme avait l’air d’être agréable à vivre, bien plus qu’elle ne l’était elle-même, ce qui lui changerait agréablement... N'était-il donc pas stupide de s'obstiner à hésiter ? Elina était tiraillée entre cette proposition alléchante et sa méfiance naturelle envers les autres. Mais peut-être que pour cette fois, juste pour cette fois, elle pourrait essayer ? Mettre de côté cette vision si pessimiste qu’elle avait des autres ?

- Tu… Tu es vraiment sure que ça te va ? Je n’ai pas d’argent tu sais, je ne pourrais pas t’aider au niveau du loyer ou du reste. Je vais être un poids pour toi. La seule chose que je pourrais faire, ce sont les tâches ménagères…

Après avoir passé quatre années dans un orphelinat où on mettait tous les orphelins à contribution pour l’exécution des diverses corvées, Elina savait s’acquitter de la plupart des tâches. Elle pouvait aussi aider en cuisine, et même préparer du bortsch. Mais c’était là la seule chose qu’elle était en mesure d’offrir. Même si le loyer ne changerait pas, le reste des charges allait augmenter. Pouvait-elle vraiment assumer cette charge financière supplémentaire ? Elina pouvait toujours essayer de trouver un travail pour participer aux frais domestiques, mais cela risquait de prendre du temps, et encore davantage avant qu’elle ne puisse elle-même assumer les charges d’un domicile. Ce n’était pas comme si cette invitation allait durer éternellement…

Emily interpréta à sa façon les propos de sa future nouvelle colocataire. En effet, elle semblait croire que c’était uniquement le fait de la gêner qui l’avait jusque-là empêché d’accepter son offre. Certes, c’était l’une des raisons, mais ce n’était pas la seule ! Ce qui l’avait surtout freiné, c’était qu’elle ne voulait pas qu’elle vienne lui reprocher après de squatter comme une miséreuse. C’était pour ça qu’elle avait voulu mettre les choses au clair, pour qu’il ne puisse avoir de malentendu par la suite. Et si elle avait parlé des tâches ménagères, c’était surtout pour dire d’intervenir dans la vie domestique de l’appartement, non seulement pour ne pas qu’on vienne lui reprocher de ne rien faire en étant héberger gratuitement, mais aussi parce que comme ça, elle offrait des services en échange du gîte. Si elle restait là sans rien faire, elle se serait sentit encore plus redevable, et comme elle n’aimait pas devoir dépendre des autres, elle se sentirait mal. Mais bon, comme il y avait du vrai dans ce qu’elle venait de dire, elle se retint de commenter, sans quoi elle aurait surement encore échoué à dire ce qu’elle pensait vraiment. Mais peut-être aurait-elle du finalement glisser quelques mots, au vu de ce qui se passa par la suite…

Sans crier gare, Emily se jeta sur elle, lui offrant ainsi une étreinte inattendue, bien qu’elle resta légère. La preuve, elle chancela à peine ! Mais à l’intérieur, le chamboulement était d’un bien autre niveau. Qu’est-ce qu’elle croyait faire, là ? Pour quelle fichue raison était-elle en train de la serrer dans ses bras. Figée comme une statue, Elina écouta la jeune femme lui faire part des services qu’elle l’imaginait bien faire pour elle. En ce qui concernait les repas, cela ne lui posait pas de problème en particulier, même si ses plats n’étaient pas dignes de restaurants étoilés. Mais voilà qu’elle venait lui parler de massages ! Et puis quoi encore, elle voulait peut-être aussi qu’elle vienne lui laver le dos ? Elina sentait un tremblement la gagner peu à peu, alors qu’elle commençait à perdre le contrôle de ses actes. Emily était trop proche beaucoup, beaucoup trop proche ! Et puis, c’était quoi ça, d’enlacer les autres sans leur demander la permission ?! Surtout qu’elle aurait bien évidemment refusé ! Et elle n’avait pas l’air d’avoir l’intention de la lâcher de sitôt ! Si elle avait trouvé la précédente proximité de la jeune femme légèrement gênante, ici, elle était carrément dérangeante ! Elina finit par craquer, son inertie n’avait que trop durée. Une ombre passa devant ses yeux, dissimulant son expression, et elle murmura :

- трусливый меня… (Lâche-moi…)

Sous le coup de l’émotion, sa langue maternelle faisait son grand retour. Et pourtant, ce n’était pas avec elle qu’elle réussirait à la faire lâcher prise. Et pourtant, les mots anglais ne lui venaient pas, si bien qu’elle renonça à la parole pour passer aux actes. Elina forma une boule de neige au-dessus d’elle, qu’elle laissa retomber sur la tête d’Emily avec un « Pof » sonore. Ce traitement aurait pu être suffisant, mais déjà une autre boule venait atterrir sur la tête de la jeune femme. Cette dernière finit par lâcher prise, reculant aussi de quelques pas. Elina en profita pour se relever, elle se tenait à présent debout devant le divan, les poings serrés, le corps parcouru de légers tremblements. L’ombre devant ses yeux empêchait toujours de voir son expression. Et alors, elle se tourna vers Emily, la fixant de ses yeux larmoyants. Larmoyants ? Oui, désormais, l’expression de son visage était pleinement visible ! Joues rosissantes, sourcils froncés, ainsi que larmes naissantes dans les coins de ses yeux, tout cela indiquait que ce n’était pas tant la colère que la gêne qui animait ses gestes. Elina leva un poing au niveau de son visage, faisant apparaître une nouvelle volée de boules de neiges, et les yeux fermés dit :

- Как вы смеете? (Comment oses-tu ?)

Alors, d’un geste vif, elle désigna du doigt Emily, envoyant par la même occasion une nouvelle nuée de projectiles dans sa direction.

Emily fut frappée par cette nouvelle volée de boules de neiges, et elle finit recouverte de neige pas encore fondue. Pas encore, oui, car vu la chaleur de la pièce, il ne faudrait guère de temps pour que ce soit le cas. Elina s’apprêtait à renouveler son assaut, lorsque que sa cible laissa échapper un éternuement sonore. Elle remarqua alors que ses deux précédents projectiles étaient déjà retournés à l’état liquide, et que les vêtements de la jeune femme s’étaient chargés de la recueillir. Résultat, elle était déjà bien mouillée, et cette nouvelle couche de neige n’allait pas arranger les choses. Elina sentit une vague de remords l’assaillir, elle avait poussé le bouchon un peu loin en réagissant de la sorte. Mais bon, son remord ne s’appliquait qu’à sa dernière attaque, elle estimait que les deux premières boules de neige étaient amplement méritées. On en… enlaçait pas une personne qu’on venait tout juste de rencontrer ! C… C’était beaucoup trop gê… gênant !
Sentant peut-être un relâchement dans son attaque, Emily se mit à secouer les bras devant elle, tout en demandant un cessez-la-neige. Elle ajouta également qu’elle était désolée, ce qui était de bon ton dans une telle situation. Ce fut d’ailleurs ces quelques mots qui mirent un terme définitif à son envie de la transformer en bonhomme de neige vivant. Emily en profita pour préciser que l’histoire des massages était une simple blague, nourrie de son envie de la taquiner. Elle dit aussi qu’elle ne devait pas prendre la mouche. Prendre la mouche ? Qu’est-ce que ça pouvait bien dire, ce truc ? Surement une expression, bien que le sens de cette dernière ne lui venait pas. Mais ce n’était pas le plus important pour le moment. La neige avait finie de fondre, et l’état d’Emily n’était pas des plus glorieux. Ses vêtements étaient trempés, on devait surement pouvoir les tordre à présent. Quant à ses cheveux, ils dégoulinaient, faisant à goutte à goutte sur ses épaules. Et malgré la chaleur de la pièce, Elina pouvait la voir frissonner, il faut dire qu’après la douche froide qu’elle venait de prendre, ce n’était pas étonnant. Douche ? Ce serait une bonne idée qu’elle aille en prendre une, histoire de se réchauffer. Elle commença d’abord par montrer qu’elle allait cesser les hostilités :

- Hmpf, tant que tu as compris, c’est le principal. Tu ferais bien d’aller prendre une douche, tu as l’air pitoyable dans cet état.

Elle accompagna sa remarque d’un petit sourire sarcastique. Elle venait de lui retourner les paroles qu’Emily lui avait dit un peu plus tôt, mais allait-elle s’en rendre compte ? Toujours est-il que la jeune femme n’était pas la seule à avoir subi les foudres glacées d’Elina. Le divan sur lequel elles étaient assises il y a peu avait lui aussi reçu sa part de neige fondue, il n’était pas dans un état très reluisant non plus. D’ailleurs, d’après le regard désolé qu’Emily posait dessus, elle devait sans doute se dire la même chose. La jeune russe précisa alors :

- Ne t’inquiètes pas pour le divan, je m’en occupe. Je vais aussi ramasser l’eau à terre, tu ferais mieux d’aller te réchauffer avant d’attraper froid. Enfin, ce n’est pas comme si je m’inquiétais pour toi, je dis ça juste comme ça, hmpf !

Cela étant dit, Emily s’éclipsa à la salle de bains, pendant qu’Elina s’apprêtait à s’acquitter de sa tâche. Comment allait-elle pouvoir sécher ce pauvre divan ? Eh bien, elle n’était pas une Suijin pour rien ! Elle commença par aller ouvrir les tentures et la fenêtre la plus proche. Elle en profita pour voir si le voyeur était encore en poste pour lorgner ce qu’il se passait dans l’appartement, mais apparemment, les tentures fermées l’avaient convaincu qu’il n’y aurait plus rien qui vaille la peine d’être filmé. Mais bon, il était temps à présent de briller ! Elina pointa sa main sur le divan, et se concentra sur l’eau dont il était imbibé. Petit à petit, elle parvint à l’extraire, jusqu’à ce qu’une grosse boule d’eau se mette à flotter dans les airs. Cette dernière était aussi composée de l’eau qui gisait à terre, à l’endroit où Emily avait reçu la salve de boules de neige. Elle observa son travail d’un air satisfait, regardant son reflet se déformer dans la boule d’eau en suspension. La manipulation de l’eau sous son état liquide était la base de sa magie, et c’était un exercice dans lequel elle se débrouillait plutôt bien. Cependant, ce qu’elle venait de faire requérait malgré tout une grande précision, raison pour laquelle elle ne s’était pas aventurée à essayer de « sécher » Emily de cette manière. Elina plaça alors sa main sous la boule d’eau, avant de se diriger vers la fenêtre ouverte, par laquelle elle fit passer son petit globe aqueux qu’elle laissa tout simplement retomber une fois à l’extérieure. Elle entendit un grand « splach ! », qui fut rapidement accompagné d’un « hey ! » offusqué. Apparemment, quelqu’un se trouvait plus ou moins en dessous de la fenêtre. Avait-elle reçu la boule d’eau sur elle, ou bien était-elle tombée juste à côté ? Cela, elle l’ignorait, et elle ne chercha pas à le vérifier. Elle ferma donc la fenêtre, et ce fut à ce même moment qu’elle entendit la porte de la salle de bains s’ouvrir, signe qu’Emily avait fini sa douche, du moins pouvait-on le supposer.

En entendant la porte s’ouvrir, Elina tourna machinalement la tête dans la direction du bruit. Elle découvrit alors un spectacle inattendu… En effet, Emily venait de sortir vêtue en tout et pour tout d’une serviette de bain. Elle ne put s’empêcher de garder le regard rivé sur elle. Non pas tant à cause de la qualité de la vision qu’elle avait devant les yeux, mais plutôt à cause de l’effet de surprise que celle-ci avait su susciter. On pouvait dire qu’elle avait de drôles d’habitudes, se balader presque nue devant quelqu’un d’autre, même s’il s’agissait d’une autre femme. À la limite, si elle avait été seule, elle n’aurait rien trouvé à y redire, chacun faisait ce qu’il voulait chez lui. Mais bon, elle n’était pas vraiment seule, et même si Elina avait parfois tendance à se faire oublier, dans ce cas-ci, il paraissait peu probable qu’Emily ait déjà oublié qu’il y avait une autre âme de présente. Allait-elle avoir droit à cette vision à chaque fois que la jeune femme sortirait de la salle de bains ? Voilà qui promettait…

Mais la raison pour laquelle la jeune femme avait choisi cette tenue des plus particulières fut rapidement révélée : elle avait oublié de prendre des vêtements de rechanges avant d’entrer dans la salle de bains. Ce n’était donc pas une tendance prononcée pour l’exhibition, mais plutôt un manque de prévision qui était à l’origine de cette scène dont le voyeur se serait régalé…D’ailleurs, peut-être ferait-elle bien de fermer les tentures qu’elle avait rouvertes avant que le sale type auquel elle venait de penser aurait eu la bonne idée de sortir son caméscope pour l’occasion. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de mettre en application cette idée pourtant fort intéressante, une exclamation d’Emily lui accapara à nouveau toute son attention. Elle avait pourtant dit qu’elle allait de suite aller chercher des vêtements secs dans sa chambre, mais non, il fallait qu’elle reste là, à s’extasier sur son divan tout sec, toujours uniquement vêtue de sa serviette de bain. N’était-elle pas gênée d’exposer ainsi son corps à la vue d’une étrangère ? Ce qui était le plus étrange, c’était que cela la perturbe elle. Elina n’en était pas à son premier corps enroulé dans ce simple bout de tissu, elle avait même pu voir de nombreux corps de femmes nus pendant sa vie à l’orphelinat. Les douches étant communes pour tous les membres du même sexe, elle s’était souvent retrouvée en compagnie de ses camarades féminines pour ces moments-là. Et ce n’était pas le fait que le corps d’Emily arbore des courbes séduisantes qui la perturbait, elle en avait déjà vu de plus imposantes. D’ailleurs, cette constatation ne manqua pas de la surprendre, vu que jusqu’ici, elle n’avait jamais vraiment trouvé le corps de qui que ce soit agréable à regarder. Peut-être que le fait de ne pas craindre un quelconque coup fourré lui permettait de mieux percevoir la qualité de ce qui se trouvait devant elle ? Mais à quoi est-ce qu’elle était en train de penser ?!

Le bruit de tenture se refermant d’un coup sec mit un terme à sa cogitation intérieure. Emily avait refait le coup du « coup de vent ferme tenture », empêchant quiconque se trouvant à l’extérieur, et surtout un certain individu, de profiter de la vue. Ce bref laps de temps lui permit de mettre de l’ordre dans ses pensées, et de se dire que le mystère de cette brève attirance pour le corps d’Emily pouvait attendre plus tard. Le visage à nouveau stoïque, elle répondit alors à la question de la jeune femme, dont la réponse était surement la seule chose qui la faisait demeurer dans cette tenue :

- Ce n’était pas si difficile, je suis capable de manipuler l’eau. Il m’a suffi de me concentrer sur l’eau dans le divan et au sol, et de tout jeter par la fenêtre.

Elina ne cherchait pas à se vanter en prétendant que cela était un exercice facile, il se trouvait juste que ça l’était. D’ailleurs, si elle n’avait pas été aussi concentrée sur « autre chose », elle aurait été bien étonnée de la remarque d’Emily. Enfin, ce n’est pas tous les jours que l’on rencontrait quelqu’un capable de manipuler l’eau, cela ne devait pas être monnaie courante. Toujours est-il qu’à présent sa curiosité satisfaite, Emily n’avait plus de raison de repousser davantage la tâche qu’elle était censée accomplir avant de lui tenir à nouveau compagnie, mais peut-être avait-elle besoin d’un rappel ?

- T’étais pas censée aller chercher des vêtements ?

Le visage heureusement toujours neutre, Elina espérait que cette fois, elle ne trouve plus de prétexte pour rester ainsi en tenue légère devant elle. Difficile de tenir une conversation, ce qui n’était déjà pas son fort, face à quelqu’un dont l’apparence vous empêchait de la fixer sans gêne.

Emily acquiesça à la remarque d’Elina, et se dirigea vers une porte derrière laquelle devait se trouver la chambre de la jeune femme, mais n’y ayant pas encore mis les pieds, cela restait à vérifier. Elle finit enfin par disparaître de sa vue, et Elina ne put s’empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement. Pourquoi donc la vue d’une femme dénudée la perturbait à ce point ? Bien que de se montrer nue elle-même ne l’avait jamais enchanté, d’habitude la nudité des autres la laissait de marbre. La seule explication logique à laquelle elle parvint fut que d’une façon ou d’une autre, elle considérait Emily comme autre chose qu’une simple étrangère. De là à savoir à quoi elle l’identifiait, c’était une autre histoire. Une amie ? Peu probable, elle ne la connaissait pas assez pour pouvoir la voir de cette façon. Et puis, entre amies, ce genre d’exhibition passait mieux, alors cela n’aurait pas expliqué cette gêne passagère. Habituellement, c’était envers des personnes qui… qui… Non, ce n’était pas possible ! Elina n’était pas lesbienne ! Enfin, elle n’avait jamais été attirée par les garçons non plus, et ce n’était pas avec l’image qu’elle en avait que cela risquait d’arriver. Alors peut-être que finalement, ses préférences se portaient dans cette direction-là ?

Non ! Enfin, si peut-être, mais ça ne devait pas être l’explication ! Car dans ce cas-là, elle aurait aussi été gênée par le corps des autres filles de l’orphelinat, elle pouvait constituer elles aussi de potentiels partenaires de vie. Enfin, si elles ne l’avaient pas méprisée à ce point, bien sûr… La solution lui vint alors naturellement. Si elle n’avait pas été intéressée par la nudité de ses anciennes camarades, c’était tout simplement parce qu’elle les voyait comme des ennemis. Qui donc trouverait jolie une créature qui montre les crocs ? Emily était donc la première fille qu’elle voyait en tant que tel depuis qu’elle était en âge d’être intéressée par ce genre de chose, la raison étant qu’elle la considérait comme étant digne de confiance. Et comme elle ne la connaissait pas assez que pour considérer comme étant normale de partager une telle intimité, il était naturel de se sentir gênée en la voyant si peu vêtue !

Satisfaite de cette conclusion rassurante, Elina essaya d’imaginer ce qu’elle aurait ressenti si cela avait été un homme à la place d’Emily. Le dégoût qui la submergea la força à reconnaître les faits : elle était attirée par les femmes. Le choc ! Elina se découvrait lesbienne. La journée aura été forte en émotions… Emily revint à cet instant, tout sourire, ce qui n’arrangeait pas ses affaires, étant donné que sa récente découverte lui trottait encore dans la tête. Heureusement, elle avait enfilé une tenue décente cette fois, la pression artérielle de la jeune fille ne monta donc pas en flèche. Emily lui demanda alors si elle n’était pas trop fatiguée. La vraie réponse aurait sans doute été oui : tous ces bouleversements en une seule journée, les différentes épreuves physiques qu’elle avait traversées, cela avait de quoi vous épuiser. Seulement, Elina ne se sentait pas encore l’envie d’aller dormir. Sa somnolence l’avait quittée, probablement à cause de l’apparition inattendue d’Emily. Aussi, elle répondit :

- Non, ça va, je peux encore restée éveillée.

Certes, elle n’avait pas l’intention de faire nuit blanche, mais elle avait pour habitude de ne pas s’endormir tant qu’une autre personne dans la pièce était encore éveillée. Un réflexe de défense, qui bien qu’inutile dans cet endroit, était désormais bien ancré en elle, et qui n’allait pas disparaître pour si peu. Emily vint la rejoindre sur le divan, reprenant sa place à côté d’elle. Murée dans un silence songeur, Elina essayait encore de mettre ses idées au clair. Malheureusement, elle n’y arrivait pas. Comment pouvait-elle le faire, alors qu’elle n’avait aucune référence sur ce sujet ? Elle avait l’impression d’être anormale. Être attiré par des membres du même sexe était contre nature, après tout, l’attirance sexuelle n’avait-elle pas pour seul but la reproduction de l’espèce ? Enfin, ce n’était pas un fait si rare… Peut-être qu’un avis extérieur pourrait l’aider à y voir plus clair ?

- Tu as déjà été attirée par d'autres filles ?

Les mots franchirent ses lèvres comme si elle venait de demander le temps qu’il ferait le lendemain. En voilà une question qui n’allait surement pas manquer de surprendre Emily, surtout venant d’une quasi étrangère. Seulement, Elina n’avait pas des tonnes de personnes à qui demander ce genre d’informations, aussi s’était-elle adressée tout naturellement à celle assise à côté d’elle, mais si elle ne put empêcher de légères rougeurs de faire leur apparition.

Occupée à tripoter son ordinateur, Emily ne tourna pas la tête dans sa direction, et ne répondit pas tout de suite. Était-elle trop concentrée sur ce qu’elle faisait sur son engin, ou bien l’idée d’éprouver de l’attirance pour une autre femme l’empêchait de trouver de quoi lui répondre ? Apparemment non, car elle finit par lui avouer, tout sourire encore, que cela avait été plusieurs fois le cas. Cette réponse surprit Elina. Elle s’était limite attendue à ce que la jeune femme s’offusque face à ces propos, voir qu’elle se sente insultée. Pour elle, le meilleur des cas aurait été qu’elle avoue avoir ressenti ce genre de sentiment une fois, deux tout au plus. Mais vu la façon dont elle avait répondu, on pouvait facilement croire qu’elle avait connu à de nombreuses reprises ce genre d’expérience. Était-ce si commun d’éprouver de l’attirance pour les membres du même sexe ? Eh bin non, il se trouvait tout simplement qu’Emily était lesbienne. Un moment, quoi ?! Elle était… lesbienne ? La nonchalance avec laquelle elle venait de révéler cette information indiquait que ce n’était pas un fait dont elle avait honte. Il faut dire que pour Elina, c’était un fait nouveau, ça faisait à peine quelques minutes qu’elle s’était découverte une attirance pour la gente féminine. Serait-elle aussi bien avec cela que l’était Emily après un peu de temps ? Elle ne pouvait que l’espérer.

C’est seulement qu’elle se rendit compte de ce que cela pouvait signifier. Emily était lesbienne… Et Elina était une fille… Autrement dit, elle se trouvait en présence d’une personne qui pouvait potentiellement avoir des vues sur elle. À cette pensée, elle sentit son corps s’emballer, et elle eut bien du mal à garder un visage égal. Qu’est-ce qu’elle allait faire ? Rester ici ne pouvait-il pas présenter des risques ? Pour la première fois de sa vie, elle eut l’impression qu’un nouveau type de menace planait sur elle. Mais bon, Emily n’avait pas eu de geste déplacé jusque-là, donc peut-être s’imaginait-elle des choses ? À moins que… Cette espèce de câlin forcé un peu plus tôt, n’était-ce pas là une première tentative à son égard ? Et cette allusion aux massages… Les idées se bousculaient dans sa tête, et le feu recommençait à lui monter aux joues. Il ne fallait pas qu’elle laisse son imagination prendre le dessus !

Alors, Emily lui demanda si c’était pour elle-même qu’elle posait cette question. Cette fois, elle ne put retenir ses rougeurs, et lui répondit précipitamment :

- D-d-d-d-de quoi tu parles ? Je… je ne vois pas ce que tu veux dire !

Aïe, cette performance n’était pas des plus convaincantes, elle-même s’en rendait bien compte. Elle aurait fait ses aveux que cela n’aurait pas été plus clair. D’ailleurs, le sourire dont Emily ne s’était toujours pas départi le montrait bien. Cela l’aida à reprendre un peu contenance, mais le mal étant déjà fait, nier maintenant ne servirait à rien. Et puis, cela l’aiderait à faire un premier pas vers la reconnaissance de ce qu’elle était. Elle reprit toutefois la parole :

- Ahem ! Et si c’était le cas, qu’est-ce que cela ferait ?

Elle avait dit cela sur un ton de défi, mais le feu était malgré tout toujours présent sur ses joues. Elina se doutait bien que ce ne serait pas Emily qui la jugerait négativement, mais elle n’avait pu s’empêcher d’agir de la sorte.

Emily, amusée par le comportement d’Elina, répondait à sa question par une autre question. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Eh bien, déjà, elle pouvait ne plus vouloir de sa présence. Elle pouvait craindre pour son corps, comme elle-même craignait un peu pour le sien. Ou au contraire, sachant qu’elles partageaient les mêmes goûts à ce niveau-là, elle pourrait tenter de faire main basse sur sa chasteté. L’esprit en proie au doute, elle ne répondit pas à cette question, à laquelle Emily ne devait de toute façon pas attendre de réponse. Seulement, quelque chose dans son expression lui laissait penser qu’elle n’en avait surement pas fini avec elle…

D’ailleurs, elle ne tarda pas à renchérir en lui demandant si elle craignait qu’elle lui saute dessus pendant son sommeil. Pourquoi est-ce qu’elle venait parler de ça ? Elina n’avait fait aucune allusion à ce sujet ! Comment en était-elle arrivée à cette conclusion immédiatement ?! Elle devait vraiment avoir quelque chose derrière la tête !!! Emily vint pourtant affirmer le contraire, précisant qu’elle ne voulait plus risquer une autre douche froide. Cet argument avait un certain poids, cependant, il ne fut pas suffisant pour chasser tous les doutes de la jeune fille. Aurait-elle tenté quelque chose si Elina n’avait pas refroidi ses ardeurs un peu plus tôt ? Peut-être même essayait-elle de l’endormir avec de belles paroles pour qu’elle baisse sa garde ! C’était exactement le genre de chose qu’un prédateur dirait à sa victime ! Comment savoir ce qui l’attendait vraiment ?!

Emily prit alors un ton plus sérieux. Elle lui avoua être contente qu’elle se confie à elle, ce qu’elle estimait être une marque de confiance. Et elle n’aurait pu mieux deviner. Le simple fait qu’elle lui adresse à ce point la parole était déjà un fait exceptionnel en soi, alors parler d'un sujet aussi délicat relevait du miracle. Habituellement, elle se serait simplement murée dans le silence, jusqu’à ce que son interlocuteur se lasse et renonce à lui parler. Mais échanger des mots avec Emily lui semblait naturel. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle avait un petit quelque chose de rassurant, d’apaisant. Sa compagnie lui était tout simplement agréable, ce qu’elle n’avait plus ressenti depuis des années. Elle vint lui rappeler l’épisode qui s’était passé un peu plus tôt, avec l’armoire à glace qui avait voulu en venir aux mains. Elina l’aurait mise dans le même bain que cet homme. Qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle n’avait plus croisé de baignoire depuis des lustres déjà. Et puis, pour qu’elle sombre raison l’aurait-elle mise dans une baignoire, et avec un tel individu de surcroît ? Ce qu’elle disait n’avait aucun sens… Ou alors, peut-être que c’était encore une fois une expression ? Quelle drôle de langue que l’anglais…

Mais les pensées de la jeune fille furent interrompues par un geste de sa camarade. Emily était en effet en train de tapoter le divan, sur la place située juste à côté d’elle. Vraiment juste à côté ! Mais qu’est-ce qu’elle lui voulait cette fois ? Elles étaient suffisamment proches comme ça ! Pourquoi chercher plus de proximité ? Est-ce qu’elle tentait de faire un premier pas dans son plan pour lui mettre la main dessus alors qu’elle venait de prétendre le contraire ? Elina était bien tenter d’attraper un coussin à proximité pour s’en servir comme d’un bouclier, mais elle n’eut pas à se donner cette peine, car Emily clarifia ses intentions. Tout ce qu’elle voulait, du moins en surface, c’était qu’elles se visionnent un film sur son ordinateur. Et vu la taille réduite de l’écran, il était préférable qu’elle se rapproche. Rien de bien méchant. Mais cette activité était-elle vraiment innocente ? N’avait-elle pas de but caché ? Comme de poser discrètement une main sur sa jambe, un petit frôlement que l’on pouvait mettre sur le compte d’un changement de position ? Jetant un regard suspicieux sur la zone qu’Emily continuait de tapoter énergiquement, Elina se rapprocha un peu de la jeune femme, tout en maintenant une distance de sécurité. Mieux valait ne pas prendre de risques, son cœur avait subi assez d’émotions fortes pour la journée. Elle ramena alors ses jambes contre elle, elle était dès lors fin prête pour la séance « cinéma ».

Emily lança alors la vidéo, et les images commencèrent à défiler. Elina essayait de se concentrer sur le film, mais la tâche n’était pas aisée. Les images étaient relativement petites, étant donné qu’elles étaient affichées sur un écran d’ordinateur. Mais le pire, c’était les dialogues. Certains personnages avaient une voix modifiée, ce qui rendait la compréhension difficile. Mais surtout, le son était assez bas, de sorte qu’Elina avait du mal à entendre ce qui se disait. Elle était obligée de pencher la tête vers Emily pour mieux entendre, et là, des problèmes d’une autre nature se posaient. Outre la proximité, la jeune fille percevait pleinement l’odeur de sa voisine de fauteuil, une odeur de… pêche ? L’origine de celle-ci devait provenir du gel de douche de la jeune femme, mais comme elle-même ne s’était pas embarrassée de chercher après, elle n’était pas sure. Face à ce parfum enivrant, Elina sentait une douce torpeur l’envahir. À moins que ce ne soit simplement la fatigue qui commençait à prendre le dessus ? En effet, les paupières de la jeune femme étaient lourdes, et les picotements dans ses yeux indiquaient que le sommeil reprenait ses droits. Mais non, elle ne céderait pas ! Quoi que…

Elina sentait que sa conscience commençait à avoir des ratés, comme si elle s’assoupissait l’espace de quelques secondes. Sa tête penchait vers l’avant, et elle devait la redresser chaque fois qu’elle s’en rendait compte. Mais finalement, la lutte s’avéra vaine. Ses yeux se fermant d’eux-mêmes, sa tête finit par atterrir sur l’épaule d’Emily. Mais cela, elle ne le saurait jamais, car déjà, sa conscience l’avait quitté, pour s’enfoncer dans un sommeil sans rêves.