Plus en sécurité nulle part. [Elina/Emily]

Marchant dans le dédale de rues qui composaient cette ville qu’elle visitait pour la première fois, Elina avançait péniblement sous le poids de son sac et des rayons du soleil. C’était la première fois depuis des années qu’elle n’avait pas été confrontée à des températures dépassant la barre du zéro, et la transition avec le gel constant de la Sibérie lui donnait du fil à retordre. Et le poids de son sac bien rempli n’était pas fait pour aider. Et malheureusement, ce n’était pas son contenu qui allait lui être d’un grand secours…

Après le départ des personnes toutes de noir vêtues, elle avait fait le bilan de ce qu’elle avait avec elle : quelques vêtements bien chauds, qui la feraient fondre sous cette chaleur si elle avait le malheur de les porter. Elle ne les avait pourtant pas jetés, ne sachant pas à quel point les températures pouvaient changer sur ce lieu inconnu. Quelques livres qu’elle avait emprunté à la bibliothèque de l’orphelinat et qu’elle avait dut emporter avec elle pendant la période où elle n’était plus consciente de ses actes. Pas très utile, mais sans savoir si elle pourrait s’en procurer d’autres, mieux valait prévoir le coup et les garder. Et puis, si elle avait besoin d’allumer un feu, ça pourrait toujours servir… Quelques objets divers, allant de la brosse à dents à la brosse à cheveux, qui ne serviraient que si elle sentait le besoin de soigner son look, ce qui n’était pas vraiment dans sa liste des priorités dans l’immédiat. En bref, à part à la faire suer, ce sac ne s’avérait franchement pas utile…

Elle avait aussi sur elle en plus de son uniforme de l’orphelinat, sa fidèle épingle à cheveux, dont elle ne se séparait plus même en dormant depuis que ces idiots d’orphelins la lui avait piqué pour la planquer derrière un radiateur de la cantine. Sur ce coup, elle leur en aurait été presque reconnaissante, car aurait-elle pensé à la prendre avec elle dans son état second ? Enfin, elle avait bien pris des crayons, alors peut-être que oui… Les seules choses vraiment utiles qu’elle possédait en cet instant étaient une carte de l’île et la lettre qu’on lui avait remise. Grâce à cette dernière, elle avait pu dénicher quelques informations utiles : premièrement, elle avait été enlevée et ne devait pas essayer de s’enfuir. Ce dernier point ne lui posait pas trop problèmes, car même dans le cas où elle réussirait à s’échapper, où irait-elle ? Elle n’était pas franchement emballée à l’idée de retourner à l’orphelinat… Et comme elle n’avait ni argent, ni connaissance pouvant lui venir en aide, elle aurait simplement erré comme une vagabonde. Exactement ce qu’elle était en train de faire ! Alors, ici ou ailleurs, pour ce que cela changeait… Enfin, restait à voir comment se comportait les autochtones. Car de la lettre, on pouvait conclure qu’elle n’était pas la seule humaine présente. Et probablement pas la seule à posséder un don particulier, vu que cette île était censé les regrouper. Quoi qu’il en soit, qui disait humains disait civilisation, et aussi primaire puissent-ils être, les habitants de l’île disposeraient de ce dont elle aurait besoin pour survivre ici : un toit, une source de nourriture, et surtout une source d’eau potable !

Voilà comment Elina s’était retrouvée à errer dans une ville d’apparence moderne. Elle avait réussi à l’atteindre en s’aidant de la carte, cependant, il lui avait quand même fallu quelques heures pour y arriver. Après cette longue marche, elle n’aspirait qu’à une chose : de l’eau ! Elle avait émis l’hypothèse qu’il devrait y avoir une pièce d’eau quelque part, une mare, une statue aquatique ou même dans l’idéal, un distributeur d’eau. Elle ne s’était pourtant pas attendue à arriver dans une ville aussi grande, surtout pas sur une île pénitentiaire comme celle-ci. Lorsque la lettre disait reproduire le plus fidèlement possible l’environnement de ses prisonniers, elle ne mentait pas… Si on met de côté le fait qu’Elina n’avait jamais mis les pieds, et encore moins vécu dans une ville de ce genre, bien sûr. Heureusement, comme guidée par un instinct, ou peut-être grâce à ses pouvoirs qui lui indiquait où trouver l’élément qu’elle pouvait manipuler, elle sentait que de l’eau se trouvait à proximité. S’était-elle transformée en gigantesque baguette de sourcier ? Voilà qui promettait de grandes opportunités de carrière… Mais sur le moment, cela s’avéra être une excellente chose, car Elina arriva sur une grande place, au milieu de laquelle se trouvait une énorme fontaine. Et qui disait fontaine… disait eau ! Certes, le goût ne devait pas être terrible, mais au moins elle devait être potable, pour peu que personne n’y ait ajouté du chlore… Elle s’approcha de cette dernière, faisant fi des personnes présentes tout autour. Elle se serait bien demandée pourquoi tant de gens s’étaient rassemblées autour de cette fontaine, mais même si on avait pris la peine de lui expliquer, elle s’en serait royalement foutue. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, ça ne la regardait pas, et surtout, ne l’intéressait pas.

Elle arriva donc devant la fontaine, ayant choisi un côté sur lequel il n’y avait pas foule, en face de la terrasse d’un café. Elle se pencha alors, et huma les effluves qui montaient de l’eau troublée par les jets qui venaient s’écraser dessus : pas d’odeur de chlore, elle était donc apte à la consommation, pour peu qu’on ne fasse pas la fine bouche. Elina put alors apercevoir son reflet, et vit alors son apparence depuis la première fois depuis son arrivée sur l’île. Elle pouvait se résumer en un mot : chiffonnée. Ses vêtements étaient tout froissés, et ses cheveux complètement ébouriffés. On aurait dit qu’on l’avait jeté dans un sac et trimballé sur plusieurs kilomètres. Mais comme cela avait été le cas, il n’y avait rien d’étonnant à cela. Elle en vint même à se dire que finalement, emporter cette brosse à cheveux n’était pas une si mauvaise chose… Avec son gros sac en prime, on ne pouvait que se demander d’où elle débarquait. Mais peu importait sa dégaine, elle accordait davantage d’intérêt à sa gorge sèche. Elle plongea alors sa main dans l’eau de la fontaine, dont elle remplit la paume. Mais à peine l’eut-elle sorti qu’elle sentit une main se poser sur son épaule, et entendit une voix grave l’interpeller :

- Hey miss, je peux te parler une seconde ?

Sa réaction ne se fit pas attendre : d’un geste vif, elle repoussa la main qui était sur son épaule du revers de la sienne, tout en clamant :

- Не прикасайся ко мне ! (Ne me touche pas !)

Sans même daigner jeter un regard à son interlocuteur, elle reporta son attention sur l’eau de la fontaine. Elle avait parlé en russe sans y faire attention, alors qu’elle avait bien reconnu la langue qu’elle avait apprise sans l’avoir pratiquée depuis un moment : l’anglais. Elle ne prit cependant pas la peine de faire la traduction, le geste et le ton employé suffisaient amplement. Même si elle ne l’avait pas vu, il ne faisait aucun doute au son de sa voix qu’il s’agissait d’un homme. Et puis son comportement parlait de lui-même : profiter mine de rien de vouloir engager la conversation pour la toucher, c’était typique des hommes. Combien de fois n’avait-elle pas vu les garçons de l’orphelinat le faire ? Avec cette intervention impromptue, elle en avait lâché sa future gorgée d’eau, et devait donc à présent en reprendre une. Elle espérait bien pouvoir cette fois étancher un peu sa soif, mais allait-on lui en laisser l’occasion ?

Elina plongea à nouveau sa main dans l’eau, bien désireuse cette fois de pouvoir enfin se désaltérer. L’interruption de l’importun avait déjà plus que suffisamment retardé ce moment, il n’y avait plus de raison de le repousser d’avantage. Cependant, il en fut autrement… En effet, l’homme en question ne semblait pas avoir apprécié être remis à sa place, une fois encore la fierté masculine mal placée poussait ce dernier à un acte des plus incorrects. Il leva sa main, prêt à frapper la jeune fille qui dos tourné, n’avait pas remarqué son geste. Ce qu’elle remarqua par contre, c’est que l’homme en question tomba dans l’eau sous l’effet d’une bourrasque aussi soudaine qu’imprévisible, renversant au passage une nouvelle fois la petite gorgée qu’elle s’apprêtait à ingurgiter. Ce type devait vraiment avoir un problème avec elle pour ainsi s’acharner sur une personne qu’il venait à peine de rencontrer ! Pire, l’état d’hygiène de l’homme devait être douteuse, car l’eau s’embrunit tout autour de lui, ce qui rendait désormais l’eau impropre à la consommation.

- Мой вода... (Mon eau…)

Elina voyait devant ses yeux la seule source d’eau potable qu’elle avait pu trouver en plusieurs heures de recherche effrénée disparaître sous ses yeux, tout cela à cause des pitreries d’un pauvre gusse. Bon, il semblerait que cette chute ait été involontaire, après tout, elle avait pu sentir un vent souffler juste à côté d’elle. D’ailleurs, cela lui semblait étrange à quel point ce coup de vent avait pu être localisé… Cela n’aurait-il pas été le fait d’une tierce personne ? Après tout, cette île était censée regrouper des personnes avec un don particulier, cela n’aurait pas été étonnant. Maintenant, quant à savoir le pourquoi on l’avait poussé dans l’eau…

L’homme se releva, crachant l’eau qu’il avait avalée, les vêtements dégoulinant. Elina n’était pas tellement plus reluisante, la chute de l’importun l’ayant éclaboussé. Résultat : elle était trempée de la tête aux épaules, alors que sa gorge restait désespérément sèche. Le sort pouvait se montrer bien cruel… L’agacement la gagna peu à peu, mais comme s’énerver n’aurait rien arrangé, elle poussa un profond soupir de résignation. Seulement, l’homme ne semblait pas vouloir en rester là…

- Et toi, sale gamine ! Tu trouves ça amusant de m’humilier ? Non pas une, ni deux, mais trois fois ?! Si tu crois que je vais rester les bras croisés après que tu m’aies envoyé dans la flotte comme ça, tu te trompes ! T’as dépassé les bornes là, je vais t’apprendre à respecter les adultes, moi !

Qu’est-ce qu’il pouvait bien baragouiner là, l’autre singe détrempé ? Elle l’aurait humilié ? Et trois fois en plus ? Il rêvait éveillé ou quoi ? Et lui, là, qui venait mine de rien de lui bousiller l’eau qu’elle avait eu tant de mal à trouver, il croyait qu’elle ressentait quoi ? De la joie peut-être ? En guise de joie, une colère sourde commençait à monter en elle. On l’avait enlevé, laissé sur une île inconnue, elle était épuisée, affamée et assoiffée, et maintenant, elle était même trempée. Et en plus de ça, ce type qui était venu l’importuner sans qu’elle n’ait rien demandé venait l’accuser de l’avoir poussé dans l’eau, et la menaçait à présent ? Il ne manquait vraiment pas de culot ! Il dépassait les bornes, là !

Déjà énervée à la base avec tout ce qui venait de lui arriver, Elina était à présent bel et bien en colère suite aux propos de cet homme. Il voulait lui donner une leçon ? On allait bien voir qui était l’étudiant, ici ! D’un geste de la main, elle désigna l’endroit où les pieds de l’homme trempaient dans l’eau, et instantanément, l’eau se transforma en glace, ce qui l’immobilisa. Elle pointa ensuite la main sur la surface de l’eau qui n’avait pas été gelée, pour ensuite indiquer son agresseur, qui semblait bien surpris de voir qu’elle était capable de manipuler l’eau. Mais il était trop tard pour des excuses, Elina avait besoin d’extérioriser sa colère, et de passer sa frustration sur quelque chose. Et le quelque chose était tout trouver ! Elle envoya ainsi plusieurs gros jets d’eau au visage de l’homme, qui était toujours immobilisé, ce qui l'éclaboussa tout entier. Elle lui en envoya un dernier, avant de geler le tout. On avait maintenant l’impression de se trouver devant une statue de glace mal taillée. L’épaisseur n’était cependant pas très épaisse, le prisonnier n’aurait pas trop de mal à se dégager de sa prison de glace. D’ailleurs, il y avait déjà des fissures qui apparaissaient sur diverses parties de la surface gelée. Peut-être ferait-elle mieux de se carapater ? Elle se retourna, comme s’il ne s’était rien passé, cherchant des yeux une rue par laquelle elle pourrait disparaître, mais ce fut sur une autre personne que son regard tomba. Une jeune femme, dans les environs de la vingtaine surement, se tenait devant elle, une étrange expression sur le visage. Elle n’était pas là plus tôt, quand elle était arrivée devant la fontaine. Qu’est-ce qu’elle lui voulait ? Peut-être était-ce une connaissance du glaçon géant ? Peut-être même sa petite amie, allez savoir. Avait-elle essayé de l’attaquer dans le dos pendant qu’elle montrait à l’importun qu’il avait eu tort de la mettre en colère ? Toujours est-il qu’elle lui gênait le passage. La fixant de son visage impassible, elle lui dit :

- Si tu veux aider ton ami, vas-y, mais ôte toi de mon chemin, tu gênes.

Une façon très délicate de lui demander de s’écarter, mais au moins avait-elle pris la peine de parler anglais. Ce n’était qu’une supposition, mais si ce type parlait anglais, peut-être les autres aussi. Et puis, c’était une langue davantage parlée que le russe, elle avait donc plus de chance de se faire comprendre. Or, elle était assez pressée. Car après avoir utilisée aussi intensément ces pouvoirs, et avec la fatigue qu’elle avait accumulée jusque-là, Elina sentait bien qu’elle approchait ses limites. Il valait mieux qu’elle s’éloigne le plus possible, tant que ses jambes tremblotantes la portaient encore, surtout maintenant que le poids total qu’elles devaient supporter était augmenté avec ses vêtements mouillés.

La jeune fille s’exécuta sans demander son reste, Elina n’avait plus qu’à tracer sa route pour pouvoir s’éloigner de ces lieux où l’hostilité n’allait pas tarder à réapparaître. Enfin une personne censée qui n’avait pas pour but de lui pourrir l’existence en la dérangeant où en lui mettant des bâtons dans les roues. Voilà qui changeait agréablement ! Ou pas… Car à peine Elina avait-elle fait trois pas qu’une voix féminine s’éleva à côté d’elle, voix dont la propriétaire n’était autre que celle qui venait de lui céder le passage. Était-ce une nouvelle mode chez les êtres humains d’importuner les gens qui n’avaient rien demandé ? Il faut croire que oui… Ou alors avait-elle finalement décidé de venger son ami ? Apparemment non, si on en croyait les propos qu’elle tenait. Elle prétendit au contraire avoir voulu venir l’aider, et précisa. Elina lui aurait bien dit que si c’était comme ça qu’elle aidait les autres, elle ferait mieux de s’abstenir d’aider qui que ce soit dans l’avenir, mais elle aurait inutilement gaspillé sa salive, et s’en abstint donc. Le fait que cette inconnue ne connaisse pas l’homme qu’elle venait de congeler était sans intérêt, elle préféra alors continuer son chemin, se dirigeant vers une rue à proximité de cette place grâce à laquelle elle pourrait se soustraire à la vue de son agresseur.

Elle n’avait plus aucune raison de rester ici… du moins était-ce qu’elle croyait, contrairement à une certaine personne qui semblait de l’avis contraire. En effet, la jeune fille qui lui avait adressé la parole un peu plus tôt venait de se mettre en travers de son chemin. Qu’est-ce qu’elle lui voulait cette fois, lui montrer son carnet d’amis pour lui prouver qu’elle ne connaissait pas le type dans son habit de glace ? Ce qu’elle pouvait être tenace ! Elle ne lui avait rien reproché, alors qu’est-ce qu’elle avait à la coller comme une sangsue ? La jeune fille lui fit alors une confession inattendue : c’était elle qui était à l’origine de la bourrasque qui avait provoqué la chute du gorille. Tiens, elle comprenait mieux du coup son pourquoi elle s’obstinait à lui faire la conversation. Un simple sentiment de culpabilité, et non un quelconque élan altruiste. Et maintenant elle poussait le vice jusqu’à lui proposer de la raccompagner chez elle. Elle avait peut-être peur de mal dormir cette nuit si elle ne le faisait pas…

Pendant ce temps, l’homme en noir avait réussi à dégager son visage de la glace, et il se mit à vociférer des propos dont Elina ne comprit que la moitié. Surement utilisait-il des termes qu’on n’entendait pas dans les conversations courtoises, ce qui était au-delà de ses connaissances linguistiques. Son visage était tellement rouge de colère qu’elle fut surprise que la glace ne fonde pas plus vite sous la chaleur qui devait s’en dégager. Heureusement, le reste de son corps était encore bien ancré dedans, il n’allait donc pas se lancer à sa poursuite toute de suite. Et heureusement, car la fille devant elle ne semblait pas disposée à s’écarter cette fois d’une simple demande. C’est qu’elle attendait une réponse la bougre ! Elle essaya de faire un pas sur le côté pour l’esquiver, mais elle se replaça de façon à rester devant elle. Légèrement agacée devant son obstination, elle comprit qu’elle ne s’en tirerait pas sans une réponse. Elle daigna donc lui faire ce plaisir, espérant pouvoir enfin s’en débarrasser :

- Tu veux me raccompagner chez moi ? Non merci, j’ai pas besoin de ton aide. Et puis, qui sait quel genre de problèmes tu risques encore de me causer !

Voilà, contente ? Elle espérait qu’elle allait la laisser passer maintenant, car à force de la faire poireauter sur cette place, l’autre gusse allait se libérer et même si elle ne comprenait pas tout ce qu’il disait, elle en comprenait suffisamment que pour comprendre qu’il n’allait pas gentiment la laisser s’échapper.

- De toute façon, je n’ai pas de chez moi…

Elle avait rajouté cela, presque plus pour elle que pour cette inconnue. C’était cependant la pure vérité. Que ce soit sur cette île où ailleurs, elle n’avait aucun foyer, aucun lieu qu’elle pouvait appeler son « chez soi ». Elle risquait de la trimballer un long moment si elle voulait la conduire jusqu’à un tel endroit. Quoi qu’il en soit, elle avait sa réponse maintenant, est-ce que cette fois elle allait enfin la lâcher ?

Pas de chance, malgré qu’elle l’ait rembarré, la jeune fille ne lâcha pas l’affaire. Maintenant, elle voulait l’emmener chez elle ! Elle aurait mieux fait de ne pas dire qu’elle n’avait pas de domicile, elle aurait ainsi cru qu’elle allait simplement rentrer seule à la maison. Et voilà qu’elle l’appâtait avec douche, vêtements propres et nourriture ! Des mots qui sonnaient comme autant de tentations irrésistibles… Enfin, surtout en ce qui concernait la nourriture, le reste relevant simplement du bonus à ses yeux. Elle avait néanmoins l’impression d’être traitée comme un animal abandonné que cette demoiselle aurait trouvé au milieu d’une forêt, ce qui n’avait rien de particulièrement valorisant. Mais la réalité n’avait rien de plus glorifiant, alors elle ne releva pas. Et puis, en terme d’offense, elle avait connu bien pire… Seulement, Elina n’était pas assez naïve que pour croire sur paroles des mots prononcés par une inconnue, aussi alléchants pouvaient-ils être. Elle la regarda avec suspicion, cherchant à deviner quelles étaient ses véritables intentions derrière tant de gentillesse. Quelles sortes de plans avait-elle bien pu prévoir à son encontre ? La première idée qui lui vint en tête était qu’elle allait essayer de tirer un bénéfice quelconque de son être. Peut-être voir pour la mettre dans le circuit de la prostitution, ou bien en faire son esclave personnel ? Ou alors, carrément la vendre pour qu’elle devienne la chose d’un pervers qui assouvirait toutes ses pulsions sur elle, qu’elles soient sexuelles ou de natures encore plus dérangées encore. Quel que soit le destin qu’elle lui réservait, il n’y aurait certainement rien de bon qui l’attendait…

Cependant, la jeune femme devant elle lui affirma ne pas être louche, ce qui à son sens l’était d’autant plus. Elle lui donna son nom, Emily Pybirth, et expliqua être elle aussi coincée sur l’île. Elle réaffirma ensuite son envie de l’aider, basé sur rien d’autre que la culpabilité et la compassion pour une petite fille. Un instant… Elle venait de l’appeler petite fille ? Encore une fois, on la croyait plus jeune qu’elle ne l’était ! Peut-être était-ce pour ça qu’elle la prenait en pitié ? Ce devait être son côté maternelle qui se réveillait. Pouvait-elle pour autant lui faire confiance ? Non, c’est sûr.

- Tu n’es pas une personne louche tu dis ? C’est justement ce que ce genre de personnes dit en premier. Ça ne me rassure pas vraiment…

Elina la toisa de regard, comme si elle cherchait à l’évaluer. Elle n’avait pas l’air particulièrement dangereuse, mais les apparences pouvaient être trompeuses. Parfois, les personnes paraissant les plus inoffensives s’avéraient les plus dérangées. Mais avait-elle vraiment le choix ? Cette personne lui offrait l’une des choses dont elle avait le plus besoin sur le moment : de quoi se nourrir. Et si elle avait de la nourriture, et devait avoir de quoi boire aussi. La suivre la condamnerait peut-être à un sombre avenir, mais ne pas le faire s’avérait tout aussi risqué. Qui sait si quand elle trouverait ces même chose par elle-même ? Pour peu qu’elle y arrive ! À part en les volant, elle n’avait aucune certitude d’y parvenir. Et comme elle avait de fortes chances de se faire coincer… Elle finit par prendre sa décision, qu’elle annonça à celle qui attendait sa réaction :

- D’accord, je veux bien te suivre. Mais ne crois pas que je te sois reconnaissante ! C’est juste que tu insistes tellement, que j’ai pas envie que ça dure toute la journée. Et puis, l’autre là risque de dé… euh, de dég…  de sortir de la glace avant que tu renonces.

Elle avait buté sur le mot dégeler, on avait là la preuve que son anglais n’était pas parfait. Maintenant, il ne restait plus qu’à quitter les lieux, et Elina espérait sincèrement qu’Emily n’habitait pas loin, car elle ne se sentait plus la force de parcourir des kilomètres à pieds. Mais avant de se mettre en route, il y avait un petit détail qu’elle devait régler :

- Ah oui, au fait, moi c’est Elina Volchkev, j’ai seize ans, et j’en aurais bientôt dix-sept. Alors, je ne suis pas une « petite-fille »...

Sur cette dernière information, elle s'enferma dans son mutisme habituel, ne pouvant qu'appréhender ce qui l'attendait en suivant cette personne.

Emily sembla perplexe en entendant l’âge réel de la jeune fille, mais sembla finalement se faire une raison. Pas comme si elle pouvait y faire grand-chose, de toute façon… Découvrir cette vérité ne la fit heureusement pas changer d’avis en ce qui concernait son invitation. Attention, le bref soulagement qu’en ressentit Elina n’avait rien à voir avec le fait que pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un lui manifestait de la sympathie ! C’était simplement le fait que cette jeune femme n’ait pas annulé sa promesse d’un repas gratuit qui la soulageait ! De toute façon, restait à voir si ses intentions étaient aussi nobles qu’elle le prétendait. Il ne fallait pas qu’elle relâche sa vigilance !

Emily la conduisit jusqu’à sa voiture, et Elina s’y installa avec satisfaction. Finit de marcher ! Elle allait enfin pouvoir laisser ses jambes flageolantes se reposer, et il était grand temps. Elle boucla sa ceinture en silence, laissant la conductrice démarrer le moteur. Elle se demanda quel âge elle pouvait bien avoir pour déjà conduire, car elle n’avait pas l’air particulièrement âgée. Peut-être faisait-elle plus jeune, tout comme elle ? Elle espérait au moins qu’elle savait se servir d’un volant, mourir dans un accident de voiture n’était pas dans le top 3 de ses objectifs d’avenir.

La voiture démarra, et le décor se mit à défiler devant les yeux d’Elina. Emily conduisait doucement, prudemment, ce qui laissait penser qu’elle n’était conductrice que depuis peu. Elle avait néanmoins une bonne maîtrise de son véhicule, la mort ne les attendrait surement pas au tournant. Elina essayait de garder un œil sur les paysages devant lesquels elles passaient, afin de repérer si elles se dirigeaient vers un lieu suspect. Cependant, le confort du siège sur lequel elle était installée, associé à la fatigue qu’elle avait accumulée jusque-là la rendait somnolente. Elle résistait tant bien que mal, mais elle sentait bien que sa conscience la quittait doucement, elle s’enfonçait peu à peu dans le sommeil. Mais à cet instant, Emily lui posa une question, ce qui la réveilla en sursaut. Bondissant sur son siège, elle cligna des yeux plusieurs fois, et vérifia qu’elle se trouvait toujours dans la voiture, et non dans un quelconque lieu obscur. Elle se retourna alors vers son interlocutrice, une expression légèrement irritée sur le visage, bien que la cible de cette irritation était moins Emily qu’elle-même. Elle s’était laissée aller, alors qu’elle se trouvait avec une parfaite inconnue. Qui sait ce qui aurait pu se passer pendant qu’elle dormait ? Mais en même temps, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir agacée d’avoir été réveillée simplement pour un prétexte aussi futile que celui de faire la conversation. D’ailleurs, c’était quoi encore, cette question ? Elle dut réfléchir un instant pour se remémorer les mots d’Emily que son cerveau avait enregistré, et encore un autre pour leur donner une traduction. Depuis combien de temps elle était arrivée sur l’île ? C’était pour savoir ça qu’elle l’avait privé d’une petite sieste ? Enfin, elle lui avait promis un repas, peut-être pouvait-elle faire l’effort de lui répondre…

- Je suis arrivée ici depuis quelques heures. Enfin, disons plutôt que je me suis réveillée à ce moment-là, je ne sais pas combien de temps je suis restée endormie avant…

Elle lui avait répondu, elle s’était donc acquittée de ses obligations, et n’avait pas l’intention de poser une question à son tour. Encore que… Le visage collé contre la fenêtre de la portière, Elina repéra un lac au loin. Une source d’eau, à proximité… Peut-être n’avait-elle plus besoin de dépendre de l’invitation d’Emily ? Mais à son grand étonnement, elle ne se sentit pas l’envie de lui fausser compagnie. Non seulement, sauter d’une voiture en marche n’était certainement pas une chose aussi aisée que l’on pouvait le voir dans les films, mais elle avait surtout envie de faire confiance à celle qui se trouvait à côté d’elle. Non, lui faire confiance, c’était un peu trop lui demander… Mais au moins, elle pouvait lui accorder le bénéfice du doute. Lui laisser une chance de se montrer digne de sa confiance. Pour une fois, elle voulait se laisser aller à la facilité, plutôt que de lutter à travers les difficultés. Elle posa alors à son tour une question :

- Pourquoi tu veux m’aider ? J’ai beau y réfléchir, je ne vois pas pourquoi quelqu’un irait aussi loin juste pour aider une inconnue. Si c’est parce que tu crois encore que je suis une petite fille, tu te trompes ! Et je ne pense pas que la culpabilité soit suffisante. Tu n’as vraiment aucunes mauvaises intentions ?

Elina avait vraiment du mal à concevoir qu’on puisse se montrer tout simplement généreux envers les autres, sans rien attendre en retour. Triste conséquences de son passé où la bonté avait rapidement quitté son quotidien. Elle agirait en fonction de sa réponse. Si elle décelait le moindre manque de sincérité, elle n'hésiterait pas à s'enfuir.

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