Souvenirs et difficultés langagières [PV Nathanael]

Lors de ma toute première visite de l'île, j'ai découvert un village, qui m'avait plongé dans une profonde nostalgie. Cependant, sans doute parce que le souvenir de ma mère y a surgi, cet endroit me semble apaisant. Peut-être que, là, l'esprit de ma défunte mère me semble présent, et que je crois, tout en sachant bien que c'est impossible, qu'elle veille sur moi quand je m'y rends ? Peu importe, après tout. Le plus important, c'est qu'à présent que ma semaine de cours est terminée, je peux y retourner. Ce que je fais.

Etrangement, alors que je pense avoir effectué le même trajet que le première fois, je n'arrive pas du même côté du village. Cependant, cela me permet de trouver un parc. C'est exactement ce qu'il me faut. Poussant la grille, j'entre dans ce havre de paix, et entreprends, avant toutes choses, de le visiter, afin de me faire une idée de l'endroit.

Quelques heures plus tard, je décide que je m'y sens bien. Revenant sur mes pas, je retrouve la berge herbue d'un petit étang. J'ai toujours aimé l'eau. C'est pourquoi je m'assieds face à cette dernière, et l'observe, me laissant hypnotiser par le ressac et son doux chant. Plus tard, je ferme les yeux, écoutant les bruits de la nature, vraiment heureuse pour la toute première fois depuis que je me suis retrouvée sur cette île. C'est à ce moment que je me souviens qu'il y a quelques jours, mon père et ma sœur m'ont envoyé une lettre chacun. Il serait temps de répondre. Commençant par le plus facile, je commence à composer en espagnol, pour mon père. La quiétude ambiante m'inspire.

Une demi-heure entière plus tard, je lève enfin mon stylo. Puis je souris. Cette ambiance m'a rendue très prolifique...Ou peut-être est-ce le bonheur de pratiquer ma langue maternelle ? C'est à ce moment que je remarque un écureuil qui m'observe de loin. Je souris, attendrie. Il y a donc vraiment de tout, ici. Même la nature est luxuriante. Finalement, cette île n'est peut-être pas si terrible... Doucement, je tente d'approcher ma main du rongeur. Alors qu'il me paraîtrait normal qu'il s'enfuie, il ne bouge pas, me regardant simplement avec curiosité. Cet animal n'est vraiment pas farouche ! Je comprends qu'il doit avoir l'habitude de voir des inconnus, mais tout de même... Puis il retourne vivre sa vie, sans plus se soucier de moi. Me sentant comme une gamine, je l'observe, fascinée, et également très reconnaissante quand au fait qu'il me le permette.

Cependant, il me reste une lettre à laquelle répondre. Songeuse, je l'observe. Ma sœur est née en Equateur, comme moi, deux ans avant ma propre naissance. Seulement, dans le cadre de ses études, elle fait de nombreux stages à l'étranger. C'est elle, la multilingue de la famille, mon père et moi ne parlant qu'espagnol... Enfin, jusqu'à ce que j'arrive ici et sois obligée de balbutier tant bien que mal cette langue, l'anglais... Mais c'était compter sans ma sœur et la grande complicité qui nous a toujours unies : dès que, au détour d'une conversation téléphonique, elle a eu conscience de cette barrière linguistique qui se dresse entre moi et tous les autres habitants de l'île, elle a commencé à s'entraîner avec moi pour son futur métier de professeur d'anglais. Seulement, cette lettre est la première rédigée en anglais que je reçois. Et elle précise bien qu'il m'est interdit de lui répondre en espagnol ainsi que d'utiliser un dictionnaire. Reprenant mon stylo et une feuille vierge, je commence à réfléchir. C'est dur ! Néanmoins, je n'arriverai à rien si je n'essaie pas. D'une main tremblante et vraiment très peu assurée, je commence à tracer quelques mots. Concentrée, je ne remarque plus rien de ce qui se passe autour de moi, et voulant bien faire, je commence à paniquer en réalisant que je ne parviens pas à traduire en anglais les mots que je voudrais écrire.

Une voix. Le fait que je ne m'y attende pas, ajouté à mon extrême concentration et à ma panique grandissante devant mes difficultés, me font sursauter. Enfin, non. Plus qu'un sursaut, je fais presque un bond, manquant de me retrouver dans l'eau. Au final, je reste au sec, mais ma feuille n'a pas la même chance... Mince.

Je la repêche avant qu'elle n'aie eu le temps de se disloquer, puis la regarde, déçue. Voilà à quoi sont réduits tous mes efforts. À un simple bout de papier détrempé. Je soupire. D'accord, il va falloir se résigner à recommencer... Mais d'abord, je dois répondre à cette personne, à qui je tourne le dos, comme je viens de le réaliser. Rougissante de honte, je me retourne :

Décidemment, c'est ce mot que je connais le mieux ! J'ai l'impression que c'est le premier mot que je dis à chaque fois que je dois parler avec un habitant de cette île.

J'observe mon interlocuteur. Un sportif, visiblement. J'en suis là dans mon examen, lorsque je réalise qu'il m'a posé une question. Le temps qu'il fait... Un sujet classique quand on n'a rien à dire. Cependant, c'est vrai qu'avec moi, ce n'est pas facile de trouver un sujet de conversation. Je n'adresse jamais la parole à qui que ce soit et ne fais que répondre lorsqu'on me parle. Et encore... Ici, j'ai beaucoup de mal à former des phrases complètes, on accent n'aidant pas. En effet, par exemple, comment parler une langue qui ne prononce presque pas les "r", alors que j'ai l'habitude de les rouler ? De la même manière, j'ai du mal à l'écrire, puisque l'anglais ne prononce pas forcément toutes les lettres des mots...

Je tente néanmoins un petit :

Comment va-t-il réagir ? Il n'a pas l'air commode... Oh, et puis, après tout, s'il trouve que ma conversation n'est pas intéressante ou qu'il n'aime pas mon accent ou mes hésitations, il n'a qu'à partir, cela ne me dérangera pas, bien au contraire... C'est à ce moment que j'entends dans ma tête la voix de ma sœur : Si tu ne parles avec personne, tu ne progresseras pas !Je souris. Bien sûr, elle n'est pas télépathe, mais j'ai tellement l'habitude de l'entendre me parler de cette manière...

D'accord, je dois progresser. Sans plus prêter attention à l'homme, je sors une nouvelle feuille et réessaie de composer ma lettre. Essayons de faire un peu moins bien, mais d'aller plus loin. Je suis acharnée, mais plus aussi concentrée. Je sais que si l'homme fait un commentaire, tous mes efforts pour faire cet exercice seront réduits à néant. Et, malgré moi, je sais bien qu'il tentera de continuer de me parler... Bien que j'espère de tout cœur me tromper.