Ruinn S. Sion ~ A light without warmth

C'est lorsque la fragile étreinte qui liait nos mains se brisa... que je pus enfin apercevoir pour la première fois sur son visage... Un sourire sincère. Nous en avons fait du chemin ensemble, n'est-ce pas ? Et pourtant c'est ici que l'histoire se termine. Pour moi... Et peut-être est-ce un truc de vieille mais... je me sens... nostalgique...?





Von Meistra. Kreszentia von Meistra. Cette femme possédant une présence hors de ce monde était venu dans notre petit village et a changé la vie de tous ses habitants. Nous étions un petit groupe vivant en harmonie avec la nature, respectant les traditions de nos ancêtres, mais ce simple endroit reclu de la société était devenu en l'espace de quelques mois un lieu de culte prospère, repère de ce que j'aurai pu qualifier de secte, dirigée par cette dame aux nerfs d'aciers. Cette étrangère à la chevelure brillant de l'éclat du soleil et aux yeux azurs avait une main de fer sur les habitants, utilisant habilement son talent d'oratrice et notre affinité avec l'occulte afin de nous plier à ses moindres désirs avides. Il était sûr que son apparence qui était peu commune ici était un avantage certain pour nous impressioner, mais ce serait dénigrer l'indéniable talent qu'elle avait pour manipuler les gens. Il ne fallut que peu de temps pour que mes confrères commencent alors à la comparer a une divinité affiliée aux astres qui nous entouraient. Je ne cherchais pas à les comprendre, ils avaient perdu la raison... Ils avait abandonnées leur libre-arbitre et ma voix ne se faisait plus entendre.
Vivant dans l'ignorance, leurs pensées disparaissaient, et la vérité se perdait. Kreszentia leur donnait les mensonges dont ils avaient besoins.

"  La liberté sera offerte à tous ceux qui se plieront à mes ordres. "

Cependant, le moment où ma vie changea réellement fut le jour où Kreszentia donna naissance à son premier enfant. Le 29 février 2000, Luschka von Meistra était née dans ce monde impitoyable. Contrairement à sa mère, cette petite commençait déjà à montrer les signes d'une chevelure sombre comme une nuit étoilée, et dans mon coeur naissait l'espoir qu'elle ne finirait peut-être pas comme sa mère... et en parlant d'elle, j'avais aussi la faible croyance que ce serait à ce moment que je verrai une once d'humanité en elle... et c'était une grave erreur.

Les années passaient et pour une raison qui m'est toujours inconnue je n'avais toujours pas fui. Peut-être était-ce le destin qui me liait à elle... à Luschka, petite fille souriante et toujours radieuse. Trop radieuse... Je ne pouvais m'empêcher de penser que quelque chose ne tournait déjà pas rond, et que ce n'était pas de sa faute. Il me fallut peu de temps pour émettre une hypothèse sordide, mais pourtant cohérente avec les informations que j'avais. Le but de Kreszentia était de modeler sa fille pour en faire une parfaite idole pour son culte, une soi-disante divinité à la pureté immaculée... et tout ça dans le but de répandre les racines de sa domination encore plus profondément. Elle n'avait que l'argent en tête... agrandir le culte... récolter les offrandes... Elle avait tout les atouts d'une dirigeante et c'est pour cela que je ne pouvais rien faire d'autre que de vivre ma vie normalement, en cherchant mon but.
Et cela ne dura pas longtemps. Ce but est vite apparu devant mes yeux, lorsque j'ai pour la première fois fixée la petite fille dans ses yeux jaunes. Un jaune vide de toute vie, de toute émotions. Le sourire que son visage adornait n'était qu'un masque placardé par le destin, avant même qu'elle n'ait le temps de voir de ses propre yeux. C'était un masque innocent qui lui cachait la vérité, une façade placée bien avant qu'elle n'ait la possibilité de comprendre le sens de la vie. Le sourire qui aurait pu faire fondre n'importe quel humain ayant un coeur avait été remplacée par une courbe malsaine qui n'avait pas sa place sur ce portrait. C'était le modelage le plus parfait pour Kreszentia, il n'y avait aucune chance pour que ce sourire ne faillisse au mauvais moment...

Oui... mon but était désormais de changer le cours de la vie qui l'attendait. De lui donner une chance de repartir sur le bon chemin... Je savais déjà que les dégâts causées était irréparables, mais je me devais de limiter l'influence de celle qui n'était pas digne d'être appelée "mère". C'est pourquoi j'ai tenté de me rapprocher de Luschka, en devant son enseignante personnelle. Ce ne fut pas une tâche difficile, étant donnée mes compétences et surtout le fait que j'étais encore saine d'esprit, contrairement aux autres. C'est ainsi que je donnai à Luschka l'éducation qu'elle méritait. Elle avait des facilités, ce qui me rendait encore plus enragée quand je pensais à ces compétences qui auraient pu être gâchée par sa mère.
Cependant, je perdais espoir quant à l'idée de lui faire perdre ce sourire malsain, je n'aurai jamais cru que sa... "poupée"... avait été aussi bien... façonnée... ni que cette garce blonde n'avait réellement aucune once d'humanité en elle. Mon hypothèse, aussi pessimiste était-elle, était mieux que la vérité. Une vérité que j'ai encore du mal à croire, quand j'y repense.

C'était un soir comme les autres, la pluie s'abattait lourdement sur notre "village", accompagnée du violent grondement de la foudre. Seule une poignée de personnes était autorisées à sortir, mais je n'en faisais pas partie. Malgré tout, afin de continuer le cours de Luschka pour le lendemain, j'avais besoin de récupérer un carnet que j'avais oublié dans sa demeure. A ma surprise, elle ne s'y trouvait pas. Morte d'inquiétude, je me mis à sa recherche, et il ne me fut que peu de temps pour trouver la jeune fille aux cheveux longs recouverte de sang. Son sourire pur contrastait avec son apparence, et la première sensation que je ressentis en étant témoin de cette scène était ... la peur. Toutefois, elle fut rapidement remplacer par quelque chose de plus violent, lorsque j'entendis ces mots qui eurent l'effet de lames mutilant mon coeur.

" Ne vous inquiétez pas Professeur, j'ai déjà fini mes devoirs et j'ai hâte de notre prochaine leçon ! "

Restant stupéfaite quelques secondes, je la pris alors par la main et pris le chemin inverse qu'avait fait la petite, pour me retrouver face à un cadavre, méconnaissable.

" J'en ai mis partout. "

Je la pris dans mes bras, il n'y avait aucun doute qu'elle ne savait même pas ce qu'elle faisait, elle n'avait aucune valeur de la vie...

" Tu ... tu ne peux pas faire ça... Je ne veux pas... que tu fasses ça... "

Ce furent les derniers mots que je pus dire à Luschka, avant un long moment.
Ma présence ici n'était pas voulu, et il semblerait que Kreszentia avait déjà ses doutes à mon sujet et c'est pour cela qu'elle se trouvait devant nous, accompagnées d'une poignée de ses plus fidèles disciples. Ma vie aurait dût se finir ici, j'aurai pu devenir ce cadavre... mais c'est là que quelque chose d'inattendu arriva. Inattendu pour moi et Kreszentia, en tout cas. De fine particules lumineuses flottaient dans les airs autour de Luschka, virevoltant sous la pluie. Ces minuscules orbes émettaient une faible lueur, lui donnant un aspect mystique et surnaturel. Les disciples étaient émerveillés, et Kreszentia semblait déjà avoir concocté un plan qui lui permettrait de tirer profit de cette situation.

Et pendant les mois qui suivaient, je pris alors le rôle pour lequel Luschka avait été formée. Celui d'assassin. Comment une petite fille de son âge aurait-pu tuer qui que ce soit, qui aurait pu se laisser tuer par une enfant ...? C'était une question que je me posais, mais la réponse me semblait évidente... que ferais-je en présence d'une enfant portant un sourire si radieux ? Aurai-je le moindre doute quant à ses intentions ? Serai-je assez inhumaine pour penser qu'une jeune fille souriant comme si le monde ne connaissait aucun maux serait sur le point de me tuer ? Non... Et c'est parfaitement pour cela que sa "mère" l'avait façonnée ainsi. Malgré tout, avec l'apparition de ce que j'appellais une malédiction, son destin venait de changer. Etait-ce un bien ou un mal ? Même maintenant, je ne pourrais vous répondre. Mon hypothèse qui s'était avérée fausse était devenue la vérité, pour les partisans, c'était la naissance d'une divinité... et de mon côté, je continuais de travailler dans l'ombre. Je n'avais plus grand choses à faire personnellement, les dissidents se faisaient désormais peu nombreux depuis la découverte des pouvoirs de Luschka, mais je ne pouvais que constater qu'il m'était étrangement impossible d'obtenir un résultat comme celui que j'avais vu cette nuit pluvieuse. Ce cadavre parfaitement découpé...

Plus les jours passaient, et plus j'avais l'impression que l'état de santé de Luschka se dégradait. Fatiguée, faible, vide... L'énergie que je sentais en elle auparavant n'était plus. Si ces particules lumineuses étaient de la magie, alors il n'était pas dur de penser que ce la demandait une source d'énergie... et il semblait qu'elle ne s'arrêtait jamais de les invoquer. Se balader chaque jour dans les rues en paradant, tout en arborant ce sourire que je maudissais... cela devait aussi être épuisant.


C'était un soir comme les autres, la pluie s'abattait lourdement sur notre "village", accompagnée du violent grondement de la foudre. Je venais de finir une des missions qui m'était imposée depuis "ce jour". Un sale travail qui a bien failli me coûter la vie. Les nerfs de mon bras gauche étaient endommagées. Regardant le ciel, je me disais que j'avais peut-être failli au final. Je m'étais laisser attraper dans l'influence de Kreszentia et je n'avais plus aucun libre-arbitre...
Devant mes yeux passèrent de petits rayons lumineux, et sans surprise, lorsque j'eus baissé mon regard, je pus voir une petite fille à la mine épuisée, me fixant dans les yeux. Des mots sortirent naturellement de ma bouche :

" Que fais-tu là Luschka ...? Tu pouvais attendre demain pour la prochaine leçon, non ? Ou avais-tu tant hâte que ça ? " disais-je en souriant. Il était clair que mon apparence ne devait pas être très compatible avec ce sourire, j'en avais mis partout, après tout...
C'était une situation qui me semblait étrangement familière... même si la phrase que j'entendis après n'eut pas le même effet avec les rôles qui étaient désormais inversé.

" Je ne dois pas faire ça... alors vous non plus... " dit-elle en se jetant dans mes bras. Une légère once de tristesse pouvait être entendu dans sa voix, alors qu'elle me regardait avec ce sourire remontées jusqu'aux oreilles. Cette manière de parler digne d'un enfant, sans aucune force de persuasion derrière... c'était suffisant pour moi. Qu'avais-je fais jusque là ? Pourquoi m'étais-je perdue dans les méandres des abysses... Une piqûre de rappel... de ce que je voulais faire...

Les chaînes qui nous tirent vers les tréfonds seront brisée ce jour-même. Ces mains teintées de sang accompliront leur dernière mission. Et c'est ainsi que je me dirigeai vers la demeure principale.  



Je ne me rappelle pas vraiment de ce qui s'est passée ensuite. Mis a part que je suis en fauteuil roulant, que mon ombre était désormais recherchée par la police et nous vivons désormais une vie de vagabond. Et par nous, je parle de Luschka et moi, bien entendu. Il était certain qu'avec son talent pour la diplomatie, Kreszentia pouvait couvrir toutes ces "disparitions", mais lorsque c'était elle la victime ? Heh.
Luschka était désormais libre de l'emprise de sa mère, et eut pour seul héritage ce sourire qui restera probablement figée sur son visage. Enfin, disons plutôt que l'innocence de son enfance y restera. Il arrive que ce sourire disparaisse, pour laisser place à une bouille mignonne, mais il était évident que cela était aussi un effet du lavage de cerveau qu'elle avait subit au moment où elle était le plus fragile. Elle ne pouvait pas réellement aller à l'école à cause des rayons lumineux qui la suivait, alors je lui ai inculqué les bases de notre éducation, celle qui lui servirait tout le temps, et aussi de quoi nourrir sa culture générale. Avec les facilités qu'elle avait, elle pourrait facilement approfondir ces connaissances si jamais elle décidait de s'enfoncer dans une branche, mais savoir un peu de tout pour ne jamais être prise au dépourvu suffirait pour l'instant... Et puis, son passe-temps était désormais d'utiliser ses mains habiles afin de confectionner des accessoires. Cette dextérité impressionnante me laissait sans voix, lorsque je la voyais travailler sur ses masques en tout cas... car quand je me remémorais leur rôle dans le passé, je ne pouvais qu'avoir des frissons dans le dos.

Il semblait bien qu'elle était consciente de son état. Au fil des années, je pouvais percevoir les émotions derrière ce sourire, les émotions d'une personne normalement constituée. Peut-être que ce n'était pas entièrement vrai, mais c'était déjà mieux que la personne sans aucun repère qu'elle était. Et... elle était devenu perspicace. Ou bien je cachais mal mes émotions. En tout cas, elle avait ressenti la gêne que j'avais à chaque fois que je voyais son expression inchangée, c'est pourquoi elle cherchait des méthodes afin de le cacher, et c'est ainsi qu'elle se spécialisa dans la confection de masques. De toutes sortes, du simple au compliqué, de l'inutile à d'autres bien plus utilisables... Elle en portait un différent chaque jour. Cependant, sa solution miracle était de... tenir des objets entre ses dents. C'était à ce moment-là que son sourire était le plus faible, et cela lui donnait un air un peu plus rêveur, et moins radieux... Dans tous les cas, j'étais contente de voir à quel point elle avait évolué durant toute ces années. Pourtant, j'avais un seul dernier regret... Pendant tout ce temps, mon seul souhait était de la voir heureuse, mais il m'était impossible de le voir au travers de ce mur qui a été bâti par sa mère... Dis-moi... Luschka... Aurais-je fais une bonne mère ...?



Et c'est ainsi que la seule lueur de la vie de Luschka s'éteignait. Sun Mei, la demoiselle qui se sera occupée d'elle pendant la majeure partie de sa vie succomba enfin à ses blessures en 2013. Pour la jeune fille au sourire impénétrable, c'était comme si le soleil venait de disparaître, et les nombreuses cicatrices qui apparurent sur ses bras l'année qui suivit était une preuve de son manque d'indépendance. La fatigue de sa magie, l'impossibilité de vivre normalement... C'était beaucoup à subir pour quelqu'un qui avait été fragilisé par sa perte... Inévitablement, elle finit par s'effondrer à forcer de se vider de son énergie dans cet état. Ne pouvant plus nourrir sa magie, les boules lumineuses la quittèrent enfin, et elle connut pendant un court instant un moment de répit. C'est dans cette période qu'elle médita sur la vie qu'on lui avait donnée, la vie qui avait été protégée...

Se trouvant au bord d'une falaise, elle regardait l'océan. Elle levait les bras vers les cieux. Le ciel sombre dévoilait la splendeur de l'espace, et écoutait avec attention la dernière plainte de celle qui était désormais seule :

" Dénuée de sens, ma vie continue. Le temps semble s'être arrêté depuis que tu est parti, et pourtant... je vis. Vivre au jour le jour, vivre pour le lendemain... Peut-être un jour m'habituerai-je à la réalité ? "

Faisant un pas en avant, la jeune fille se jeta dans l'océan. Souriante, comme toujours.



Elle ne toucha cependant jamais l'eau. En tout cas, elle n'arrivait pas à s'en souvenir. Elle était entièrement trempée, une serviette posée sur sa tête. Elle s'essuya tranquillement et observa la plage sur laquelle elle se trouvait. Rien de particulier, et pourtant rien de familier. Des hommes en noirs s'éloignaient du lieu mais l'attention de Luschka se tourna sur une simple lettre qui virevoltait dans les airs. Elle l'attrapa et c'est en lisant le contenu qu'elle comprit enfin que peut-être la roue avait enfin tournée. Délivrée du monde impitoyable dans lequel elle était née, elle pourrait vivre la vie que celle qu'elle considérait comme sa vrai mère avait tant essayé de lui donner. Et peut-être pourrait-elle ici faire partir le dernier héritage maudit que lui avait laisser cette "autre personne"... Un jour peut-être perdra t-elle le sourire ? Enroulant la serviette autour de sa mâchoire, Luschka pénétra à l'intérieur de l'île, bien déterminée à découvrir la vie que tant d'autres personnes ont vécue.