Est-ce le Seigneur qui t'a placé sur mon chemin ? [Alice/Evangeline]

L’humeur chaleureuse qui s’était installée suite à cet appel téléphonique mettait du baume au cœur à la jeune nonne, qui était ravie d’avoir pu aider la demoiselle à contacter sa tante. Son cœur tourmenté avait été allégé d’un poids, aussi petit celui-ci pouvait-il être. Aussi, étant toute entière à sa satisfaction d’avoir pu être d’un quelconque secours à Evangeline, Alice ne remarqua pas que cette dernière ne se trouvait plus à ses côtés. Pas plus qu’elle ne remarqua qu’elle la rejoignait au petit trot, toute trace du soulagement qu’elle avait pu exprimer plus tôt ayant disparu. Cependant, elle ne put ne pas remarquer la demoiselle lorsque celle-ci, visiblement chamboulée, se mit à lui parler en gesticulant généreusement. Qu’est-ce qui avait bien pu la mettre dans un tel émoi ? La réponse lui vint alors sous une forme qu’elle n’aurait pas soupçonnée. D’une voix forte, elle s’exclama qu’elle ne pouvait pas. Mais ne pouvait pas quoi ? Avait-elle dit ou fait quelque chose qui aurait pu pousser la demoiselle à réagir de la sorte ? Peut-être que de se réjouir pour elle lui semblait indélicat… La nature humaine possédait vraiment des facettes inattendues…

Mais la suite de ses propos semblait indiquer quelque chose en rapport avec elle. Elle ne voulait pas lui causer d’ennui… Mais elle ne lui en causait pas ! Ou alors… Est-ce qu’elle s’inquiétait de la faveur dont elle devait s’acquitter en échange du service rendu ? Oui, elle venait de l’évoquer juste avant qu’Evangeline ne vienne à agir de la sorte. Pourtant, il n’y avait rien de dramatique au fait de se laisser laver les cheveux par une autre… Certes, un peu inconvenant, mais rien qui ne puisse justifier une telle réaction d’inquiétude… Et puis, Evangeline lui demanda ce qu’elle pouvait faire pour lui éviter ce sacrifice. À ces mots, Alice afficha un ait d’étonnement, qui se mua en un léger rire amusé. Elle comprenait mieux le désarroi de la demoiselle, mais cette dernière se méprenait grandement sur le sort qui l’attendait. Si bien qu’elle décida de clarifier la situation :

- Je crois qu’il y a un malentendu. La faveur que je dois rendre n’a rien d’alarmant, il me faut juste accepter quelques soins capillaires de la part de la jeune prêtresse qui vous a gentiment prêté son téléphone. Certains même y verrait-là plutôt une récompense qu’une faveur. Je ne suis pas l’objet d’un rituel sacrificiel. D’ailleurs, cette religion ne possède pas ce genre de pratique. Je puis l’affirmer, au vu de leur réaction lorsque je leur ai confié que mon Ordre en pratiquait.

Le ton innocent avec lequel elle avait prononcé cela contrecarrait grandement avec l’horreur qu’elle venait de citer. Cependant, elle-même n’en avait pas conscience. Après tout, on ne lui avait jamais dit le mal que représentait ces rituels barbares…

Le soulagement apparu sur le visage de la demoiselle, effaçant toutes traces de l’anxiété qui l’avait accablée pendant cette courte période durant laquelle elle avait cru que sa vie serait offerte dans un quelconque rite de cette religion. Quand bien même cela aurait-il fait partie de leurs habitudes cérémonielles, qu’Alice ne s’y serait pas prêté sans broncher. Sa vie ne lui appartenait pas, elle appartenait au Seigneur qui était donc le seul à même de juger ce qu’il convenait d’en faire. Lui seul pouvait décider de comment elle devait venir le rejoindre, dès lors elle n’aurait pu accéder à cette demande, même s’ils avaient évoqué qu’elle leur était redevable pour leur générosité et leur altruisme. Cependant, il n’y avait pas à s’inquiéter de cela, dès lors, pourquoi insister davantage ?

Peut-être Evangeline pensait-elle la même chose, car après avoir exprimé son soulagement à haute voix, elle n’aborda plus le sujet. Ce qui permit à l’agréable ambiance qui régnait un peu plus tôt de revenir s’imposer entre les deux demoiselles. Leur marche se poursuivit elle aussi, leurs pas les ramenant vers les quartiers de la nonne. Alors, Evangeline prit à nouveau la parole, d’une voix dans laquelle Alice crut déceler une pointe de tristesse. Qu’avait-elle donc à dire pour que ce sentiment ne vienne déteindre sur les mots de la demoiselle ? C’était le sujet des adieux qui fut abordé. Evangeline estimait qu’elle avait assez abusé de l’hospitalité de la nonne, et qu’il était certainement temps pour elle de repartir bien qu’elle n’ait rien de particulier à faire. Elle ignorait cependant quand partait le prochain bus. Alice posa son menton dans sa main, réfléchissant, avant de répondre :

- Le bus part du temple toutes les heures précises. J’ignore cependant l’heure qu’il est actuellement…

Puis, elle décida d’aborder un autre sujet :

- Cependant, si vous le désirez, vous pouvez rester un peu plus en ma compagnie ? S’il y a d’autres sujets que vous souhaitez aborder en ma compagnie, je serais ravie de vous prêter une oreille attentive. Il y a des bus jusqu’en début de soirée, il ne vous faut pas vous inquiéter de cela donc. Ou alors… Vous pouvez également garder ces mêmes sujets pour une prochaine visite ? Vous êtes la bienvenue pour prendre une tasse de thé ou discuter avec moi quand vous le souhaitez.

Le tout affirmé avec un sourire bienveillant, indiquant qu’elle était sincère dans ses dires. Le choix appartenait cependant à Evangeline, qui dirait ce qu’elle préférait faire, ou ne pas faire.

La réponse de la demoiselle dut attendre le temps qu’elle extirpe une montre d’une poche avant de se faire connaître. Et celle-ci confirma les suppositions de la jeune nonne : Evangeline allait repartir. En effet, elle n’avait actuellement plus de sujet de préoccupations, dès lors il ne lui était plus nécessaire de rester en ces lieux. D’autant plus que le prochain bus allait arriver dans les minutes qui suivaient, comme la demoiselle le lui annonça, si bien que le départ était proche. Mais avant cela, elle estima bon d’une fois encore lui offrir ses remerciements, tout en précisant qu’une autre visite n’était pas à exclure. Voilà qui mit du baume au cœur d’Alice, qui sentait qu’elle avait réussi à gagner la confiance de la jeune fille. C’était la première fois depuis son arrivée sur l’île qu’elle se rendait utile, ou du moins, VRAIMENT utile. Car elle aidait tout de même les résidents du temple en accomplissant de simples tâches ménagères, mais n’ayant jamais fait une telle chose de sa vie, la liste des choses dont elle était capable était passablement limitée…

Les deux jeunes filles restèrent à l’intérieur un court instant, avant de se diriger vers la sortie du temple, où le bus qui devait récupérer Evangeline ne tarderait pas à arriver. Le silence était installé entre elles, mais ce n’était pas un silence désagréable, il était serein. Cependant, lorsqu’elles arrivèrent, le véhicule était déjà à l’arrêt, prêt à démarrer à tout moment. Heureusement, Evangeline eut néanmoins le temps d’embarquer avant son départ, non sans lui avoir un petit signe de la main tout en s’exclamant « à bientôt ». Cela marquait donc sa volonté de se représenter à elle dans un futur plus ou moins proche. Alice lui rendit son signe, tout en affichant un petit sourire en guise d’au revoir. Car il ne s’agissait manifestement pas d’un adieu…

La jeune nonne regarda le bus s’éloigner, avant de rebrousser chemin. Le jour était encore jeune, si bien qu’il restait plusieurs heures avant qu’elle ne doive s’acquitter de la demande de la jeune prêtresse. Que pouvait-elle donc bien faire en attendant afin de meubler sa journée ? Peut-être qu’une autre tasse de thé bien chaud l’aiderait à mieux réfléchir à la question ? Mais alors qu’elle marchait en direction de ses quartiers, elle vit un jeune homme à l’expression tourmenté fixer le temple de loin, comme s’il hésitait à s’en approcher. Elle s’approcha alors de lui, et lui demanda gentiment :

- Bonjour mon enfant, seriez-vous venu chercher… quelqu’un avec qui vous entretenir ?

Peut-être ce jeune homme avait-il lui aussi besoin d’une oreille attentive, tout comme Evangeline ? Alors qu’Alice se posait intérieurement la question, elle se promit de remercier dans ses prières le Seigneur d’avoir placé la jeune fille sur son chemin…